• Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

     Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Les films allemands de Siodmak d’après la guerre sont beaucoup moins connus que ses grands films noirs hollywoodiens. Et il est vrai que le titre en français de cet opus de 1957 est aussi stupide que peu attrayant. La traduction la plus proche du titre allemand devrait être, je crois, La nuit quand le diable venait qui a été un autre titre ultérieurement pour désigner ce film. L’affiche allemande est atroce également, on a l’impression d’un film fait à la sauvette. Mais on aurait tort de ne pas passer ces obstacles. Après The Crimson Pirate qui date de 1952, Siodmak ne veut pas rester aux Etats-Unis où pourtant il était né. Il retourne en Allemagne et sera incité à y travailler parce que le cinéma allemand a été décimé à cause du nazisme, ses meilleurs éléments ayant quitté le pays pour fuir le nazisme et donc comme Fritz Lang, on lui donne la mission de redresser la production allemande qui pendant la guerre s’était vautrée dans la propagande nazi, et qui après la fin de la Seconde Guerre mondiale donnait dans la bluette. Comme Lang et Siodmak avaient une réputation mondiale, on leur donnera des moyens importants, à la hauteur de leur statut afin de redonner un peu de lustre d’un cinéma qui avait été particulièrement innovant. Ce film tenait manifestement à cœur à Siodmak. Pour ce faire, il créa une société de production, Divina. À la source de ce film il y a un livre de Will Berthold, un journaliste qui avait enquêté longuement sur l’affaire Bruno Lüdke, une affaire bien réelle de crimes en série qui ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale en Allemagne. Bruno Lüdke, un homme qui n’avait pas toute sa raison, et a été déclaré coupable d’une série de crimes sexuels, entre 50 et 80. Il est mort gazé en 1944, consécutivement à des expérimentations médicales qu’on aurait pratiquées sur lui. Selon toute vraisemblance, cet homme n’était pas coupable, alors que le film lui-même considère qu’il était bien un meurtrier. Le thème qui rapproche les humeurs guerrières des nazis et les meurtres en série, sans raison véritable autre que de faire le mal, est un peu semblable à celui de The Night of the Generals, d’Anatole Litvak qui sera tourné en 1967, mais aussi à M de Fritz Lang qui lui date de 1931. Ces deux derniers films seront des grands succès internationaux. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957 

    Bruno Lüdke est un serial killer qui échappe aux recherches. Mais il va assassiner Lucy, la patronne d’une taverne où il a ses habitudes. Lucy est aussi la maitresse d’un SS, Peter Keun, or par inadvertance, Keun s’est blessé à la main, de simples griffures, en lutinant Lucy. Il va être arrêté et les marques sur sa main serviront de preuve pour en faire un coupable idéal d’une justice expéditive, même son avocat nommé d’office refuse de réfléchir à sa culpabilité. Le commissaire Alex Kersten revient du front russe où il a été blessé. Il se retrouve à la criminelle et le dossier de la mort de Lucy lui échoit. Rapidement il se rend compte que Keun n’a pas le profil du criminel, d’autant que d’autres meurtres du même type ont été commis. Kersten va rencontrer la belle Helga et une relation amoureuse s’ébauche entre eux. C’est en allant la voir chez elle que Kersten va retrouver la vieille piste d’un meurtre qui a eu lieu à Hambourg. Pendant ce temps, Lüdke après avoir failli tuer une juive qui vie en cachette dans un grand appartement, va par hasard dévoiler son trésor – la collection d’objets qu’il a voilés sur ses victimes – à Anna qui le connait très bien puisqu’elle le loge dans la ferme de ses parents et qui va l’obliger à rapporter un sac qu’il dit avoir trouvé avec 300 marks, à la police. Cependant la Gestapo qui veut faire un exemple veut absolument que Keun soit coupable et le Gruppenführer Rossdorf qui suit l’affaire de près encourage Kersten à boucler le dossier. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Keun grâce à ses petits cadeaux espère se placer auprès des jeunes allemandes membres des Jeunesses hitlériennes 

    Mais Kersten est obstiné. Grâce au sac ramené à la police, il va retrouver la piste de Lüdke. Il arrête celui-ci, et rapidement il va le faire avouer.   Lüdke avoue tout ce qu’on veut, et il va préciser les conditions de la mort de ses victimes, montrant à la police les lieux où se sont passés les crimes. Malgré cela Kersten apprend que Keun a été tout de même condamné à mort. En dépit des avertissements de Rossdorf, Kersten va voir un juge et grâce aux documents qu’il a accumulés, il fait annuler la peine de mort. Rossdorf ne l’entend pas ainsi, et continue à harceler Kersten. Malgré tous les efforts de Kersten, Keun est exécuté, et Lüdke est tué après une soi-disant tentative de fuite. Alors que le front cède de tous les côtés, Rossdorf va envoyer Kersten comme simple trouffion en Poméranie comme une punition parce qu’il n’a pas obéi aux règles.  Rossdorf poursuit également de sa haine Helga, mais celle-ci grâce à son cousin va pouvoir être exfiltrée vers la Suède. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Lüdke regarde Lucy avec concupiscence 

    Le scénario est complexe, Hervé Dumont nous dit qu’il est trop malin[1]. Il y a en effet beaucoup de finesse pour emboîter sans à-coups les différents niveaux de ce que veut nous montrer Siodmak. Le premier niveau dresse le portrait d’un criminel en série qui n’a comme excuse que d’être un débile mental, le second est relatif aux difficultés de l’enquête du commissaire Kersten, avec les confrontations entre la police criminelle ordinaire et la Gestapo qui surveille plus les populations que les criminels, et enfin il y a la description d’un régime politique en train de sombrer dans une sorte de fascination sinistre de la population qui est pourtant concernée au premier chef par les bombardements alliés et les avancées des Russes sur le front de l’Est. Il vient tout de suite que Lüdke est directement le produit du nazisme, c’est d’ailleurs pour cela que la Gestapo ne veut pas qu’il soit coupable, parce que la trajectoire du tueur en série épouse complètement la chronologie du nazisme. Autrement dit la Gestapo fait tout de suite le lien entre les meurtres isolés de Lüdke et les meurtres de masse que le régime hitlérien a  commis. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Dans Berlin bombardé, Kersten rejoint son affectation à la criminelle 

    Ce film, tourné 12 ans après la défaite de l’Allemagne, est sans doute le premier film a montrer toute l’ambiguïté du peuple allemand face au nazisme. En effet auparavant, les films allemands insistaient surtout sur le fait que les Allemands étaient des grands naïfs et qu’ils s‘étaient laissés entraîner par des individus pervers et cruels. Or dans ce film, les différents portraits qui représentent un échantillonnage du peuple allemand montrent des individus qui ont perdu tout sens moral. Keun est un petit bureaucrate libidineux qui profite de sa situation de propagandiste de la SS, à la fois pour rester loin du front et pour profiter des avantages qui sont liés à sa fonction, détournement de marchandises, farine, lard, et tentative de profiter des toutes jeunes filles des jeunesses hitlériennes. Le cousin d’Helga, Wollenberg, picole pour éviter de se poser des questions sur son rôle dans l’armée, alors qu’autour de lui, tout s’effondre. Rossdorf, ivre de son pouvoir, ne croit pas vraiment à ce qu’il raconte, mais il profite de sa situation pour se livrer à une débauche effrénée. Il est lâche, après avoir félicité Kersten pour son travail sans faille, il veut l’obliger à se renier parce que ce sont les ordres qu’il a reçus. Et même Kersten qui volontairement se tient en retrait ne fait rien qui pourrait lui nuire. Je ne parle même pas de Lucy, la tavernière, qui planque des nourritures rares. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Une femme juive tente de convaincre Lüdke de l’emmener à la campagne 

    C’est un peuple de moutons malveillants. Hervé Dumont faisait remarquer qu’à un moment Rossdorf voit sa voiture bloquée par un troupeau de moutons, il y voit là une métaphore, ce qui veut dire que le peuple allemand en suivant stupidement Hitler a fini par bloquer l’Allemagne toute entière. Cette Allemagne nazie a détruit d’abord les Allemands en en faisant des criminels potentiels, qu’ils passent à l’acte sur le front, ou à l’intérieur de la société, c’est exactement la même chose. Dans ce film Siodmak règle ses comptes. D’origine juive, bien qu’il soit né aux Etats-Unis, une grande partie de sa famille a été détruite par les nazis. Certes il ne condamne pas tous les Allemands, Anna est un peu stupide, Kersten un peu trouillard, Helga voudrait bien vivre normalement. On le voit quand elle essaie de donner un peu de romantisme à sa triste vie, elle dressera un repas aux chandelles avec les moyens du bord, on est en guerre, mais Kersten va trifouiller dans sa tapisserie pour en extraire un vieil article sur un meurtre non résolu : il est obsédé par le crime. Lui-même, comme tous les Allemands accepte les petites combines, de cigarettes ou de produits difficiles à trouver. La corruption est partout. La société est criminogène, et elle ne tient que parce que la Gestapo fait régner la peur. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957 

    Keun tente de convaincre son avocat de son innocence 

     Le scénario est découpé en trois temps, le premier temps, les meurtres et l’enquête de Kersten, second temps la situation de Keun, et troisième temps l’arrestation de Lüdke qui, au lieu de clôturer l’affaire, va faire se débuter une guerre larvée entre la Gestapo et la criminelle, guerre perdue par la criminelle. Dans cette société nazie, le droit n’existe pas, le symbole de cette défaite, c’est non seulement l’avocat qui ne cherche pas à écouter son client, mais aussi les locaux de la criminelle qui ont été dévastés comme après un pillage. L’ensemble baigne dans un humour noir, perceptible dans les dialogues qui montrent que si les Allemands sont décidés à attendre passivement la fin de la guerre, ils ne sont pas prêts à se rebeller contre quoi que ce soit. On les voit manier une lourde ironie quand le speaker à la radio laisse entendre que le Reich est attaqué, mais que les pertes son minimes et maitrisées, ou quand Kersten qui cherche l’adresse d’Helga se renseigne sur le numéro et qu’on lui dit qu’il est tombé, mais que ce n’est pas grave. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Anna demande à Lüdke de rendre le sac qu’il dit avoir trouvé 

    Le portrait du juge que Kersten va voir pour tenter de sauver Keun, est intéressant, on comprend que dans cette atmosphère de fin de règne, tout le monde se repasse le mistigri pour éviter de se faire remarquer et d’attirer sur soi les foudres de la répression gestapiste. Il y a un jeu, bien détaillé par Siodmak entre Kersten et le juge pour tenter de se couvrir l’un l’autre parce qu’ils filent les consignes de la Gestapo. Cela se fait d’une manière feutrée, comme le jeu du chat et de la souris. Ne pas se mouiller, c’est la première règle, mais celle- i se heurte à la volonté de Kersten de se racheter et de racheter le peuple allemand en agissant d’une manière juste dans un monde où la justice n’existe plus. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957 

    Kersten retrouve un vieil article sur un meurtre de 1937 

    La réalisation est très maitrisée. La fin est très émouvante quand Kersten accepte de partir sur le front de l’Est, admettant sa faiblesse, et Helga partira vers la Suède. Elle marque l’impossibilité de vivre normalement dans une société corrompue et en voie d’effondrement. Siodmak utilise le décor d’une gare et la foule qui se presse, comme si elle allait autre part qu’à la mort. La photographie de Georg Krause est très bonne, je rappelle que c’est lui qui avait fait celle du médiocre film de Kazan, Man on the Tightrop, mais aussi de Paths of Glory de Kubrick et Kirk Douglas. Mais à travers elle on reconnait le style de Siodmak. Par exemple lorsque Lucy descend les escaliers pour aller chercher de la confiture de groseilles, et qu’on découvre, tapis dans l’ombre Lüdke qui va l’étrangler. Il y a d’excellents mouvements de caméra, par exemple quand Kersten boîtant, arrive à la criminelle pour y prendre son poste, et qu’il doit traverser les décombres d’une partie du bâtiment qui a été bombardé la veille.

    Une des scènes les plus sinistres est celle qui nous fait assister à la confrontation entre Lüdke qui venait livrer des pommes de terre – sans doute issues du marché noir – et une femme juive, isolée, bloquée dans un grand appartement de Berlin, et Lüdke qui s’apprête à l’assassiner, pris d’une pulsion meurtrière incontrôlée. Cette malheureuse sera cependant sauvée par le retour inattendu de la femme qui la cache. La scène d’ouverture est remarquable, nous voyons Lüdke s’enfoncer dans les marécages pour échapper aux policiers qui le cherche, comme s’il voulait s’abstraire de lui-même et masquer sa responsabilité dans les meurtres. La scène de l’interrogatoire, quant à elle, est clairement démarquée de M – der Morder de Fritz Lang, avec un Lüdke qui domine complètement ses juges. A l’inverse du personnage de Lang, il s’assume, ruse et nargue ses interrogateurs en les surplombant de toute sa hauteur. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957Rossdorf félicite Kersten

    On le sait, Siodmak a toujours été un bon directeur d’acteurs. Ici il a volontairement engagé des acteurs peu connus. Il a choisi l’excellent Mario Adorf pour incarner Lüdke, c’est le bon choix. Il utilise une vaste palette pour simuler la ruse, la naïveté ou la volonté de tuer. Son numéro qui consiste à ouvrir une bouteille de vin en enfonçant le bouchon d’un seul impact de son doigt est remarquable. Je crois bien que c’est le meilleur rôle de toute sa longue carrière. Originaire de la Suisse alémanique, il tournera un peu partout en Europe, beaucoup en Italie et en Allemagne, souvent les brutes, parfois les abrutis. Sa scène en face d’Anna où il se montre humble et soumis est aussi très forte. Claus Holm incarne le commissaire Kersten. Peu connu en France, on l’a vu dans Le tigre du Bengale et Le tombeau hindou, le diptyque de Fritz Lang en 1959, puis plus tard dans le film de René Clément Paris brûle-t-il ? et dans Le Grand restaurant. C’était un acteur qui venait de la RDA. Il est bon, surtout quand il se montre incapable d’affronter vraiment Rossdorf. Ce dernier est incarné par Hannes Messemer, un acteur qui venait du théâtre et qui possède, beaucoup de finesse, tour à tour furieux et mélancolique, pervers et désabusé.  

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Les juges interrogent Lüdke 

    Notez encore Werner Peters dans le rôle de Keun. Il arrive à ce qu’on le prenne en pitié pour tout ce qui lui tombe sur le crâne. Les rôles féminins sont bons. D’abord, Annemarie Düringer qui incarne Helga, elle a fait une courte carrière au cinéma. C’était une actrice suisse et pas allemande, comme Mario Adorf. Elle venait du théâtre, elle est totalement inconnue en France. Elle est bien, sans plus, quoi que pour ce rôle elle obtiendra un prix à la Berlinale de 1958. Plus intéressante est, selon moi, Monica John dans le rôle de Lucy la tavernière, mais évidemment assassinée par Lüdke, sa présence à l’écran est écourtée. 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Lüdke amène la justice sur les lieux du crime 

    Le film a été très bien accueilli en Allemagne, mais il est sorti à la sauvette en France. Il est donc peu connu. Mais il vaut tout à fait qu’on s’y attarde, sans atteindre les meilleurs films de Siodmak, il possède une grande valeur. Il y manque peut-être un peu d’émotion, on ne la trouvera vraiment qu’à la fin. La musique par contre, comme l’affiche d’ailleurs est particulièrement hideuse tout  comme l’affiche. il semble que ce film, plus encore que de Fritz Lang ait inspiré Robert Hossein pour son Vampire de Düsseldorf, moins dans l'histoire proprement dite - les deux films se passent à des dates très différentes, que dans le rapport qu'on peut faire entre le nazisme et la criminalité d'un individu.  

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Dans un sursaut d’indignation, Kersten tente de sauver la vie de Keun 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Rossdorf indique à Kersten qu’il va l’envoyer sur le front russe 

    Les SS frappent la nuit, Nachts wenn der Teufel kam, Robert Siodmak, 1957

    Helga cherche Karsten dans la cohue de la gare 



    [1] Hervé Dumont, Robert Siodmak, le maitre du film noir, L’âge d’homme, 1981.

    « Mado, Claude Sautet, 1976Jack Kerouac, Les souterrains, the Subterraneans [1958], Gallimard, 1964 »
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