• Femme fatale, Brian de Palma, 2002

     Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    Brian de Palma est très souvent dans l’exercice de style et c’est ce qui l’empêche d’arriver le plus souvent à quelque chose de très personnel ou simplement de prenant. Ses échecs sont très nombreux, par exemple The black dahlia, médiocre adaptation ruineuse du médiocre roman de James Ellroy, et masquent ses rares réussites artistiques, Carlito’s way[1]. Très influencé par Hitchcock, il donne assez peu d’importance à l’histoire, préférant travailler sur les émotions visuelles. Cela fait qu’il a du mal à se positionner entre film noir, giallo, ou horreur. Une certaine facilité technique masque souvent l’inconsistance de ses scénarios. Je pense à The untouchables, ou encore à Scarface. Femme fatale est un autre gros échec, d’abord sur le plan financier, mais ensuite sur le plan artistique. Brian de Palma est totalement responsable de cet échec puisqu’il a également écrit le scénario. Il est même responsable de la distribution. Cependant, ce film présente un intérêt du point de vue de l’histoire du film noir. D’abord parce qu’il exploite une tendance à la mode dans les années quatre-vingt-dix des rapports qu’il peut y avoir entre le crime et le lesbianisme, en ce sens il s’inspire de l’excellent Bound des « frères » Wachowski qui à l’époque n’avaient pas encore changé de genre. Mais si cette filiation est évidente, il lui manque l’humour. Brian de Palma n’est pas un rigolo. Ensuite il utilise l’image récente des femmes tueuses, fortes et machiavéliques, telle qu’on a pu la trouver dans Body heat au début des années quatre-vingts[2], ou un petit peu plus tard dans Last seduction de John Dahl. Également Brian de Palma recyclera les effets de Showgirls de Paul Verhoeven, et comme lui utilisera des femmes grandes et longilignes[3]. La surenchère portera sur le sexe, avec des images scabreuses, et sur le cynisme assumé de la gent féminine en voie d’émancipation. C’est un film de voyeur. Curieusement la plupart de ces films n’ont pas beaucoup marché. Showgirls enregistra de grosses pertes, Femme fatale aussi, Body heat a été un succès, Last seduction également. Cette piste qui tente d’aller vers des formes soft de pornographie souffre sans doute de rester à mi-chemin de ses intentions. Se pose alors la question de savoir ce qui doit être montré et ce qui doit être seulement suggéré. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    Laure regarde Bouble indemnity de Billy Wilder 

    Pendant le Festival de Cannes, Laure Ash qui fait partie d’un trio de voleurs, doit séduire Veronica et pendant qu’elle lui fait l’amour dans les toilettes, un de ses complices va remplacer sa parure de diamants qui vaut 10 millions de dollars par une fausse. Les choses cependant tournent mal, son complice est arrêté, et elle arrive à s’enfuir avec le butin. Elle se cache à Paris, mais un couple croit reconnaître en elle leur fille disparue, Lily. Ils partent à sa recherche. Les complices de Laure sont aussi sur ses traces. Ils la rattrapent et la jettent dans le vide. Les beaux-parents de Lily la recueillent, et Laure pense prendre l’identité de Lily dont le mari et la petite fille sont décédés. Laure dans son bain assiste au suicide de Lily. Cela va lui permettre de prendre l’avion pour les Etats-Unis, durant le voyage elle séduit un très riche homme d’affaires et finit par se marier avec lui. Les années passent, et son mari est devenu ambassadeur des Etats-Unis en France. Cette promotion va l’obliger à revenir en France où ses anciens complices la cherchent toujours. Un paparazzi, Nicolas Bardo, est payé pour prendre des photos de la femme de l’ambassadeur. Il va la poursuivre et y arriver. Cette photo va mettre les anciens complices de Laure sur ses traces. Les services de sécurité de l’ambassade vont essayer de récupérer la photo, mais Bardo l’a déjà vendue. Laure va alors monter une machination pour faire croire que Bardo qu’elle a séduit, l’a kidnappée. Celui-ci va se faire arrêter par la police. Il ressortira cependant libre, sans trop comprendre de quoi il s’agit. Laure va le retrouver et lui expliquer qu’elle a fait tout cela pour extorquer une rançon de 10 millions de dollars à son mari. L’échange va se passer normalement mais Laure tue l’ambassadeur et Bardo, ses anciens complices interviennent, et la jettent dans la Seine ! C’est le moment où elle se réveille dans son bain et empêche Lily de se suicider ! Elle remet les choses en ordre, empêche ainsi Veronica de se faire tuer, et rencontre Bardo qui semble la reconnaître. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002 

    Veronica est attirée par Laure qui veut la dépouiller de ses diamants 

    Le scénario est évidemment une succession d’invraisemblances, mais il recèle quelques astuces intéressantes, le vol des diamants au début du film, puis la machination de Laure pour compromettre Bardo. Mais tout cela n’emmène pas la cohérence de l’ensemble. La faiblesse tient à la vieille astuce du rêve qui permet de remettre les pendules à l’heure et donner une fin assez lénifiante qui ruine le propos initialement sulfureux du film. Lorsque ce film est sorti, il a été très critiqué pour ces personnages qui manquaient de consistance et d’approfondissement. Et il est vrai que dans ce fatras qui recycle des figures connues du film noir et du néo-noir, on a du mal à trouver ses raisons d’exister. Certes on pourra y voir le questionnement d’une identité. Laure devient Lily, devient madame Watts, elle est lesbienne, puis hétérosexuelle. Cette confusion des genres et des identités est l’origine de son action criminelle. Mais cette action criminelle semble n’exister pour partie au moins que dans ses fantasmes. Le problème est qu’il apparaît assez vite que les fantasmes de Laure sont plutôt ceux de Brian De Palma. Si on suit correctement le film, on s’aperçoit que Laure, telle Fantômas résiste absolument à tout. Elle détruit les hommes les uns après les autres comme l’aboutissement de l’émancipation féminine. Veronica n’est pas en reste. Elle est le serpent ! La symbolique est plutôt lourdingue. Mais dans manière de Laure et de Veronica de détruire les hommes, elles représentent clairement le mal et le dérèglement. Ce sont des femmes longilignes, très grandes, toutes les deux font un mètre quatre-vingts. Leur but est la jouissance dont elles excluent les hommes. Quand elles les séduisent, ils ne comprennent rien, à l’instar de Nicolas Bardo, le paparazzi qui se croit très malin mais qui a du mal à suivre les raisonnements de Laure. L’astuce finale c’est juste une remise en ordre de la part de De Palma de ce que doivent être les rapports entre hommes et femmes

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    La sécurité de l’ambassade des Etats-Unis surveille Bardo 

    Dans cette confusion existentielle, les femmes usent de leurs charmes pour utiliser les hommes à leur profit qui sont présentés comme très peu intelligent, Bruce Watts ne comprend pas pourquoi Laure l’épouse, mais la présentation de l’homme c’est ce bar minable et crasseux où Laure va démontrer comment elle maitrise des hommes quasiment restés à l’époque préhistorique. Telle Salomé qui obtint par ses charmes la tête de Jean Baptiste, Laure obtient celle de Watts puis de Bardo, puis enfin celles de ses deux complices. Cette femme n’a peur de rien, elle fréquente les lieux les plus mal famés de Paris, manie le révolver, assomme ou tue celui qui lui résiste. Elle ne doit son salut qu’à son réveil, reniant ainsi tout ce qu’elle a vécu dans le rêve. On pourrait que le final est une leçon de morale envers les femmes qui ne veulent pas tenir leur place. On remarque que dans le rêve de Laure, Bardo se rue sur elle et la baise sans discussion, tandis que dans la réalité, il n’ose pas et elle s’écarte de lui comme d’une tentation malfaisante. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    Au premier étage d’un sexshop, Bardo repère Laure 

    C’est donc bien la femme moderne et émancipée le centre du discours de Brian De Palma. En s’émancipant, elle révèle sa cupidité et sa soif de domination par le sexe, c’est donc bien la sexualité féminine qui est non seulement condamnée, mais condamnée en tant que produisant le crime. La fin du film, quand Laure a constaté que tout est rentré dans l’ordre, les bons sont sauvés et les méchants punis, on voit Bardo la relever, reprenant les choses en main c’est le cas de le dire. Jusque là Bardo n’était qu’un minable petit combinard sans envergure, mais il devient celui qui relève la femme de sa turpitude. On pourrait également penser que c’est parce qu’il a su susciter en elle l’amour et donc que c’est pour ça qu’elle l’épargne dans son rêve et se soumet à lui en mettant un genou à terre dans la réalité. Les relations entre Laure et Veronica sont complexes, si au départ elles ont un aspect sado-masochiste, elles deviennent complices au fil du temps. On comprendra à la fin quand Veronica remettra la valise à Laure, qu’en réalité elles étaient complices depuis le début. Certains ont voulu voir là une opposition entre une logique masculine faite de concurrence et une logique féminine basée au contraire sur la coopération[4]. Il me semble que cette lecture est erronée puisque les deux femmes se sépareront et admettront qu’elles ne se reverront plus jamais. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    Laure ouvre à Bardo 

    De Palma est un cinéaste de l’effet, l’effet visuel dirait-il lui-même. Il y a clairement un sens du décor et un choix intéressant des lieux visités. Le film est une sorte de dépliant touristique pour la France et son Festival de Cannes. Il y a donc une présentation de ce qu’est Paris comme un symbole de la vie facile, ses petits commerces, ses terrasses et ses restaurants, c’est la vision d’un américain. Le bar où se retrouvent des marginaux semble par contre très artificiel, notamment en ce qui concerne le comportement de ses habitués. La séquence du hold-up, même si elle est assez astucieuse, apparaît un peu trop longue. Le rythme n’est pas très bon et quand on voit pour la deuxième fois les mêmes séquences ça devient franchement très lourd. Il y a beaucoup de perspectives en plongées et en contreplongées qui sont un peu la marque de fabrique de De Palma avec les courses dans les escaliers. Bien entendu, le jeu sur le double et la perruque brune semble emprunté à Marnie d’Hitchcock. Sans qu’on sache très bien si cette citation met en cause la frigidité de Laure, ou si c’est pour révéler son caractère double. La séquence qui voit Laure allumer les clients du bar, présentés comme des hommes un peu préhistoriques, afin de susciter la jalousie chez Bardo est également très longue. La photo est un peu trop lisse, elle est due à Thierry Arbogast qui a beaucoup travaillé avec Luc Besson, ça se voit, et parfois, dans les plus mauvais moments, on a l’impression d’être dans un film d’icelui. Cinéphile confirmé, De Palma recycle les effets visuels du film noir, notamment les stores vénitiens, ou encore ces lumières qui surplombent les scènes et qui démontrent une forme d’autorité morale sur les personnages qui se débattent. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002 

    Laure se débarrasse de ses vêtements pour faire croire à Bardo qu’elle ne s’en ira pas 

    Brian De Palma use de ses tics habituels notamment le screen split qui permet de suivre deux points de vue différents en même temps et démultiplier la réalité comme un ensemble de fragments qui ne peuvent se compléter. La citation du film de Billy Wilder est aussi étrange, comme si De Palma voulait se mesurer à Double indemnity qui est considéré comme un des chefs-d’œuvre du film noir. Mais cette citation doit aussi nous faire comprendre les rapports complexes qui existent entre le film et la réalité, comme si Laure s’était trop longtemps laissée abusé par le cinéma dont elle copie le comportement des criminels. Cette scène qu’elle regarde à la télévision en attendant d’aller faire son coup, annonce également ce qui va se passer sur le pont entre elle et Bardo qu’elle a manipulé et qu’elle va tuer. Parmi les autres références moins explicites du film, il y a évidemment David Lynch et Mulholland drive, d’ailleurs Laure portera le nom de Watts, l’actrice Naomi Watts étant une des deux vedettes de ce film. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    La police interroge Bardo 

    La distribution des rôles pose problème, mais pas Rebecca Romijn qui est très bien, elle a de l’abattage, elle semble pourtant avoir été choisie surtout pour sa ligne qui rappelle celle d’Elizabeth Berkley dans Showgirls. On a avancé que c’est Uma Thurman qui devait jouer le double rôle de Laure et Lily, mais elle était enceinte et dut refuser. Elle tournera l’année suivante un autre rôle de femme tueuse dans Kill Bill sous la direction de Tarantino. Il y a ensuite Antonio Banderas qui est particulièrement mauvais dans ce rôle mi-chèvre mi-chou. Certes sil n’a jamais été un très bon acteur, trop cabotin, mais ici il a l’air de s’ennuyer et de ne pas comprendre trop ce qu’on attend de lui. Peter Coyotte est absolument inconsistant dans le rôle de Watts le millionnaire qui devient le mari de Laure, puis ambassadeur des Etats-Unis. Les deux acteurs qui jouent les complices de Laure, Éric Ebouaney et Edouard Montoute, donnent lourdement dans la caricature des méchants. Thierry Frémont qui ne fait que passer dans le rôle du policier Serra qui tente de coincer Nicolas Bardo est insipide au possible, propageant une mauvaise image de la police français, chaussettes à clous et entêtement imbécile. Dans le rôle de Veronica il y a Rie Rasmussen, une autre grande seringue qui sourit à contre temps et qui se dandine comme elle peut pour tenter de faire croire qu’elle roule des hanches. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    Dans un bar louche Laure excite les mâles 

    Le film est un vrai ratage artistique, principalement parce que De Palma a essayé de construire un film avec tous les « trucs » à la mode dans le néo-noir du début des années 2000. La musique est redondante et illustrative, ce qui est la pire des choses au cinéma. Sans doute est-ce un peu tout cela qui va expliquer que le public ne s’est pas massivement déplacé pour voir ce film. Son budget était évalué à 35 millions de dollars et n’en aurait rapporté moins de la moitié. Il a été produit par Tarak Ben Ammar, grand spécialiste des grosses daubes cosmopolites à prétention artistique, mais richement dotées. Il est aussi un grand spécialiste des bouillons. Cependant ce film reste intéressant par ce qu’il représente dans l’évolution du film noir et en ce qui concerne le rôle de la femme toujours aussi castratrice et destructrice, mais ne doutant plus du tout de son pouvoir de séduction et de son rôle futur dans la direction du monde. 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002

    Après avoir abattu l’ambassadeur, Laure tue Bardo 

    Femme fatale, Brian de Palma, 2002 

    Laure donne un nouveau départ à Lily



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-impasse-carlito-s-way-brian-de-palma-1993-a126218566

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-fievre-au-corps-body-heat-laurence-kasdan-1981-a148842518

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/paul-verhoeven-showgirls-1995-a130041764

    [4] Douglas Kessey, Brian De Palma split’s screen, University Press of Mississipi, 2015.

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