• Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

     Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    La carrière de Roy del Ruth est très éclatée, il a tourné beaucoup et dans tous les genres, avec quelques incursions dans le film noir avant la lettre. C’est lui qui a signé la première version de The maltese falcon en 1931 avec Ricardo Cortez dan le rôle de Sam Spade, certains tiennent cette version en très haute estime. Melville le désignait comme un grand réalisateur qui compte, je ne partage pas tout à fait cet avis. Il avait commencé sa carrière du temps du muet, et n’avait jamais appris vraiment les mouvements de caméra. Mais il était un très bon cadreur et savait travailler le montage pour donner du rythme à une mise en scène plutôt statique. Quand il tourne Red light, on peut dire que sa carrière est derrière lui. Il était plutôt une vedette des années trente. De même Georges Raft était lui aussi sur le déclin, et tous deux durent se contenter d’un film noir de série B, avec un petit budget. Le scénario est dû à Don Red Barry, un acteur de western de série B qui tenta de se reconvertir dans l’écriture et qui plus tard se suicidera d’une balle dans la tête. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Aux actualités, Nick et son ami Rocky découvrent le frère de Johnny Torno 

    En prison les détenus regardent les actualités et repèrent que Jess Torno, un aumônier de l’armée rentre de la guerre. Nick le repère comme étant le frère de celui qui l’a fait condamné. Il était en effet comptable chez Johnny Torno, le patron d’une entreprise de camionnage, et avait été surpris à détourner des fonds. Son rigide patron n’avait pas jugé bon de lui donner une autre chance et l’avait envoyé en taule. Nick qui n’a pas fini sa peine va charger Rocky qui sort de prison de l’assassinat de Jess. Jess a retrouvé son frère, ensemble ils vont à l’église, Johnny lui a fait cadeau d’une reproduction d’une petite église qu’ils avaient aimée enfants. Mais Jess doit partir pour avoir sa propre église. Alors qu’il prépare sa valise dans sa chambre d’hôtel, Rocky surgit et l’abat. Johnny est fou de rage et de douleur. Son frère expire dans ses bras, mais il a le temps de lui dire de se reporter à la bible. La police promet d’enquêter. Mais Johnny va soupçonner Nick qui vient de sortir de prison. Il le coince et l’accuse, il le frappe, mais la police intervient et lui assure que Nick était encore en prison au moment du meurtre. Johnny se lance sur la piste de la bible qui entre temps a disparu. Il va remonter la piste de ceux qui ont occupé la chambre 812 de l’hôtel où Jess logeait. Il va engager une certaine Carla North, une veuve de guerre, dont le mari a connu Jess. Il lui demande de pister ceux qui sont susceptibles d’avoir voler la bible. L’enquête se révèle difficile. Johnny s’aperçoit qu’il est suivi par Rocky. Il va le piéger en lui faisant croire qu’il possède la bible recherchée. Mais Rocky lui glisse entre les doigts. Nick entretemps essaie de se faire embaucher par Johnny en pleurnichant, et finalement il est accepté. Cependant en s’introduisant dans les bureaux de l’entreprise de Johnny, il va buter sur le vieux Warni qu’il assassine. Également Rocky revient vers Nick, mais comme celui-ci pense qu’il s’est fait repérer, il décide de le balancer sur la voie de chemin de fer. Johnny découvre alors que la bible est détenue par un blessé de guerre d’origine mexicaine qui est devenu aveugle. Celui-ci accepte de lui donner la bible, mais en la parcourant, Johnny ne trouve rien pour le guider dans la recherche de l’assassin. Carla se dispute avec lui en lui affirmant que son désir de vengeance est extravagant et mortifère. Mais entre temps la police a découvert l’arme du crime. Ce qui va débloquer l’affaire, c’est le retour de Rocky qui n’est pas mort et qui accuse Nick. Celui-ci sort son revolver et tue Rocky. Puis il s’enfuit, poursuivi par Johnny qui tente de le rattraper sous la pluie sur la publicité au néon qui surmonte son entreprise. Mais Johnny décide au dernier moment de ne pas le tuer, se souvenant du message de Jess qui dans la bible avait juste souligné le passage sur le fait que la vengeance ne pouvait appartenir qu’à Dieu. Nick va mourir en s‘électrocutant ! 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949 

    Johnny a retrouvé son frère Jess qui est devenu prêtre et à qui il offre la reproduction d’une église 

    Le film se présente, à travers la mise en scène des bondieuseries catholiques, comme une méditation sur la vengeance. C’est en effet celle-ci qui tourmente et rend Johnny fou de douleur, le fait de ne pas avoir pu protéger son frère, malgré sa puissance économique. Johnny est un homme arrogant, fier de sa réussite et qui n’a pas l’habitude que la réalité lui résiste. On comprend également qu’il s’est montré un peu trop dur avec Nick qui a fauté mais qu’il a enfoncé. Il n’est pas sympathique. Et s’il admire son frère, c’est sans doute parce que lui-même n’a pas eu le courage de s’engage dans le conflit et qu’il est resté sur place pour accumuler de l’argent. Son désir de vengeance est donc l’envers de sa culpabilité, qu’on couvre ou non celle-ci d’un raisonnement sur les principes des Evangiles. Ce portrait, très négatif, est complété par le fait qu’on ne lui connaît aucune autre relation – notamment avec les femmes – que celle qu’il a avec l’argent. L’enquête qu’il mène pour découvrir qui a tué son frère va l’emmener cependant à se rendre compte de ses errements. Il est vrai que la jeune Carla va l’aider à sortir de cette ambiguïté. Si l’Eglise ne peut rien, la femme est bien l’avenir de l’homme, ou du moins sa conscience. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Rocky a tiré sur Jess 

    Nick, bien qu’il soit la victime de l’intransigeance de Johnny, n’est pas très sympathique non plus. Il colle à son patron, espérant peut-être au fond de lui-même devenir comme lui, riche et âpre au gain. Le frère de Johnny, Jess, a un comportement étrange. On le voit qu’il veut avoir sa petite église bien à lui, comme un ouvrier travailleur qui veut monter sa petite entreprise ! Il est au fond comme son frère qui pense se racheter une conduite en donnant de l’argent à l’Eglise. Mais par-delà cette proximité, on sent une lutte latente et sourde entre les deux frères, chacun voulant faire la morale à l’autre. Comme on le voit, dès lors qu’on rentre dans les complications des motivations des uns et des autres, on révèle les ambiguïtés qui font que tout le monde n’est ni blanc ni noir, mais plutôt un peu gris. Même la position de Carla n’est pas très claire. Elle joue un peu, mais pas beaucoup la jeune veuve effarouchée qui tient son nouveau patron à distance de peur qu’il ne lui propose des relations sexuelles. Mais ne les souhaite-t-elle pas ? 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Johnny a fait porter ses soupçons sur Nick 

    Le film est censé se dérouler presqu’entièrement à San Francisco, avec quelques virées vers Reno et Los Angeles. Mais de ces villes on ne verra quasiment rien du tout. Sauf une transparence où le Golden Gate est là pour certifié qu’on se trouve bien à San-Francisco. Pourquoi dans ces conditions dire que l’histoire se déroule bien dans cette ville ? C’est essentiellement parce que San Francisco, ville catholique, est une ville prolétaire. Dans le film noir du cycle classique cette ville est le plus souvent liée à des petits entrepreneurs qui ont réussi à la force du poignet. Cependant les décors de studio sont plutôt bien réalisés. Dans la manière de faire, il y a beaucoup d’éléments typiques du film noir. D’abord quelques petits flash-backs bienvenus qui sont là pour appuyer la subjectivité des protagonistes, une manière de s’interroger sur leurs intentions réelles, comme si les personnages méditaient sur leur incomplétude. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949 

    Nick interroge le gérant de l’hôtel à propos de Nick 

    je l’ai dit en commençant, Del Ruth n’était pas très doué pour les déplacements compliqués de la caméra. Sans doute ce n’était pas son époque. Par contre il est toujours très bon pour le découpage des séquences et les cadrages. Avec des scènes presque statiques, il arrive à imprimer un rythme soutenu à son histoire. La photo de Bert Glennon est excellente et se trouve être un commentaire tout à fait bienvenu du récit. C’est un film nuiteux, presqu’opaque, avec peu de séquences dans la lumière, même lorsqu’il s’agit des hommes d’Eglise qui paraissent vivre dans l’ombre. Il y a quelques séquences fortes. D’abord le meurtre de Jess par Rocky. Jess éteint la lumière pour semble-t-il se protéger d’un potentiel agresseur, mais en réalité pour semer le trouble dans l’esprit du spectateur qui ne reconnait pas tout de suite Rocky. La seconde longue séquence est celle du meurtre de Warni. Quand il descend les escaliers pour aller chercher sa voiture sur le parking, il a peur et ces escaliers semblent être déjà un piège, comme un entonnoir, sans possibilité de recul. Puis il va se faufiler entre les camions, encore un espace réduit et sombre où il risque la mort. La troisième longue séquence est celle de la mort de Nick, électrocuté à travers la pluie et les néons. On voit que Del Ruth excelle à mettre en scène la mort. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Johnny va piéger Rocky 

    Le reste c’est moins bien. Déjà les dialogues entre Carla et Johnny ne semblent pas l’intéresser outre mesure. Ça meuble, et on se pose d’ailleurs les questions de savoir franchement ce que vient faire cette femme. C’est filmé assez platement, champ-contrechamp. Lorsque Johnny est confronté à la police qui tente de le freiner, ce sont des plans larges et généraux, en pied, qui mettent en lumière ces contradictions. Mais c’est un peu mou, il faut bien le dire. La scène d’ouverture se fait en prison, au moment d’une séance de cinéma. C’est bien filmé, avec une vision de la salle où les prisonniers sont bien alignés pour regarder les nouvelles, et cela contraste avec ce qui se passe dans la salle de projection où se fomente le meurtre de Jess. On se demande s’il n’y a pas là une manière ironique de critiquer la mauvaise influence du cinéma ou des images animés sur des personnes un peu limitées. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Warni rentre chez lui 

    Le personnage principal est incarné par George Raft. Une fois de plus il s’appelle Johnny. Entêté et butté, il est imperméable à toute émotion. Raide comme la justice il s’affronte au massif Nick, interprété par le toujours très excellent Raymond Burr qui fait semblant d’avoir peu que le maigrelet George Raft lui donne une raclée. Cette opposition de deux physiques aussi différents est bien trouvée. Le plus fragile des deux n’étant pas celui qu’on pense. Raymond Burr a un jeu très nuancé, contrairement au monolithique George Raft, il passe facilement de la peur apparente à la haine. On peut voir ce film au moins pour lui. La girl c’est Virginia Mayo dans le rôle de Carla. Son rôle est étroit avec assez peu de sens, mais elle tire assez bien son épingle du jeu en se révoltant contre son patron. Le scénario prête cependant trop à la confusion pour lui donner une place intéressante dans ce film. Parmi les flics, on reconnaitra Barton McLane, abonné à ce genre de rôle. Ici il est toutefois un peu absent. A noter l’excellent Harry Morgan dans le rôle de Rocky. Dans l’ensemble et malgré George Raft, la distribution tient bien le coup. 

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949 

    Strecker apprend à Johnny qu’on a retrouvé l’arme qui a tué Jess 

    Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, c’est cependant un film très intéressant, malheureusement il n’existe pas de copie propre de ce film sur le marché français. A cause de son atmosphère, il reste assez prenant, malgré une histoire un peu tirée par les cheveux. Sur Internet traine des copies pourries de ce film, ou alors il faut se débrouiller avec une version DVD assez moyenne, mais sans sous-titres.

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Nick s’est démasqué, il tire sur Rocky et le tue

    Feu rouge, Red light, Roy del Ruth, 1949

    Nick s’enfuit sur la publicité lumineuse de Johnny Torno

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