• La vie et l’œuvre d’Edouard Rimbaud - 2

    Les pourvoyeurs, 1974

     

     les pourvoyeurs

     

    Si les deux premiers romans ne brillent pas par leur authenticité, hormis les détails sur la manière de percer les coffre forts, il n’en va pas de même pour le troisième. Mais à cette époque, Rimbaud est déjà condamné dans le cadre d’un trafic de drogue aux Etats-Unis, et il a déjà balancé tous ses petits copains afin de voir sa peine allégée.

    Publié en 1974 aux Presses de la Cité, puis en 2000 chez Rivages, ce premier roman sous le nom de Rimbaud est une plongée quasi documentaire au cœur d’un réseau de drogue à New-York. Comme l’objectif est de décrire l’empilement des niveaux hiérarchiques à travers toute une galerie de caractères bien trempés, le roman prend rapidement un aspect choral. 

    Le récit peut se lire sur plusieurs niveaux : il y a d’abord comme on l’a dit l’aspect documentaire, sans concession. Du haut en bas de l’échelle, les personnages sont présentés dans leur veulerie et leur vulgarité, malgré les millions qu’ils engrangent. Evidemment Rimbaud se sert de sa propre expérience de trafiquant de drogue pour dresser un tableau aussi noir que réaliste. On reconnait au passage d’ailleurs le portrait de certaines vedette des variétés qui furent impliquées dans ce trafic de drogue, même si les noms ont été changés.

    L’ensemble est crasseux : l’espoir de dominer les autres est le principal moteur. Mais l’intelligence n’est guère au rendez-vous. Le premier niveau est celui du revendeur Shorty. Maquereau à ses heures, il triche sur la vente des doses à la petite semaine. Faux dur, sale et lâche, il n’hésite pas à cogner sa gonzesse qu’il fait tapiner. Celle-ci, Susan, si elle n’a pas de cervelle, si elle est droguée jusqu’au yeux, a tout de même un cœur, et pleurera chaudement son prince charmant du ruisseau lorsqu’il sera assassiné.

    Shorty n’est que le dernier maillon de la chaîne. Il est en cheville avec Ramon Iglesias qui, pour être plus propre n’en est pas moins une crapule de bas étage. Iglesias veut piquer la femme de Shorty, il l’a dans la peau. Sauf qu’il aimerait bien qu’elle tapine aussi pour lui.

    Et puis il y a le passeur, un pilote d’avion, qui ne peut s’empêcher de coucher avec une femme, dévoreuse d’hommes, qu’il sait volage, et pour laquelle il vise à voler le consortium qui importe la drogue. Lui aussi finira mal, d’ailleurs d’une manière plutôt dégueulasse.

    Car au-dessus de tout ce petit peuple de fourmis, il y a ceux qu’on pourrait appeler les gros bonnets de la French Connection. Riches à millions, ayant de gros intérêts dans des affaires légales, ils continuent pourtant à truander.

    D’autres existent à un stade intermédiaire, comme El Pavo, petit escroc qui achète la dope en demi-gros et la coupe pour la revendre aux street-pushers. Vaniteux et vindicatif, il va en venir à humilier et voler un des boss de la mafia sicilienne. Mais ce n’est pas ce qui le fera tomber, pas même non plus le fait qu’il adore les costumes violet et rose ou encore les Lamborghini. Non, il tombera tout seul parce qu’il sera vendu, comme lui-même vendra tous ceux qu’il pourra vendre.

    Si la drogue est le lien entre tous ces personnages, plus compliqués et sordides les uns que les autres, il y a aussi la police et la guerre que les différents services se livrent entre eux. Mais à vrai dire, les policiers sont bien plus transparents que les trafiquants. Et puis il y a les lieux qui respirent à la fois la pauvreté et la perversion. Comme on le comprend, il n’y a pas de héros dans ces histoires qui s’enchaînent comme des perles sur le fil de la connerie.

    Il est difficile de faire le départ entre la fiction et le documentaire. Mais cette forme bâtarde est cependant très réussie et se lit avec beaucoup d’intérêt. Elle met parfaitement en lumière le caractère artisanal du trafic de drogue dans les années soixante et soixante-dix, du temps ou les Marseillais dominaient la Franch-Connection

    On a du mal à croire cependant que Louis Salinas et Edouard Rimbaud soient la même personne, tant il y a un écart qualitatif entre les deux signatures. L’écriture est du niveau des meilleurs romanciers américains.

     

    Doudou, 2000

     

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    Le temps à maintenant passé, presque trente ans après l’incarcération de Rimbaud. Il semble donc pouvoir écrire ses mémoires en toute quiétude. Rimbaud est devenu vieux. Il raconte sa vie, du moins ce qu’il veut qu’on en connaisse. Il écrit donc en masquant les noms des truands, ou des acteurs du trafic de drogue qu’il a connu comme Edmond Taillet par exemple. Mais il mêle cependant ces noms à des patronymes bien réels et directement identifiables. On y croisera Marcel Francisci sous un nom facilement reconnaissable, grand manitou des casinos, du trafic de drogue et du SAC qui effectuait les basses besognes du régime gaulliste.

    Quoiqu’il en soit, Rimbaud n’est pas un voyou de légende. Il a d’ailleurs commencé sa carrière en étant policier ! Toute sa vie est présentée comme un grand laisser-aller. Et c’est peut-être là une des clés de nombreux truands, ceux qui rentrent et sortent en permanence de cabane. Ils ne sont guère motivés. Ils prennent ce qu’ils peuvent au passage, mais sans grande détermination. Seuls ceux qui surnagent longtemps présentent plus d’ambition et visent à une carrière structurée.

    Rimbaud est une victime ! C’est du moins ce qui ressort de ses mémoires. Ah ! se dit-on, si sa femme ne l’avait pas trompé, il serait resté bien au chaud dans sa famille, à gérer sa petite librairie et à regarder pousser son fiston. Mais voilà, il a mal réagi à ses déboires sentimentaux et à commencer à faire conneries sur conneries. De l’escroquerie au perçage de coffre-fort, du maquereautage au trafic de came, ils les a toutes faites, et cela ne lui a guère rapporté que des emmerdements. 

    Si la carrière de truand de Rimbaud n’a rien d’exceptionnel, il reste que son parcours est intéressant parce qu’il prend forme au moment de l’Occupation allemande. Un peu résistant, un peu flic, Rimbaud apprend à évoluer dans les marges. Il commence par faire des petites carambouilles, puis la prison l’éduquera et en fera l’associé d’un escroc (le faux baron Foucou d’Ines), puis un perceur de coffre-fort. Ensuite, dans l’espoir de gagner beaucoup d’argent rapidement, sans se fouler, il fera des aller-retour aux States, à l’aller pour passer de la came, et au retour pour ramener l’argent en Suisse. Le tout dans l’improvisation la plus totale. Mais cela finira mal, et après avoir semble-t-il résister longtemps à la tentation, il va se résoudre à balancer tous ceux qu’il connaissait dans ce trafic. Il invoque le motif tout à fait moral de ne pas avoir été assisté quand il était en prison par ses anciens copains. Mieux encore, ceux-ci n’auraient même pas payé la caution qui aurait pu lui permettre de sortir de taule et de se planquer. Il finira ses jours à se cacher plus ou moins de ceux qui lui en veulent de les avoir donnés.

    Dans cet étonnant périple il y a une galerie de portraits de quelques noms du grand banditisme, les frères Guérini, Marcel Francisci, ou encore le curieux Auguste Ricord.

    « La vie et l’œuvre d’Edouard Rimbaud - 1Patrick Pécherot, L’homme à la carabine, Gallimard, 2011. »
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