• Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949

     Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949   

    Le semi échec de The Unsuspected contraint Michael Curtiz à se recentrer si je peux dire. Il va d’abord tourner deux films avec le duo Doris Day-Jack Carson, duo armé de belles dents blanches. Des « américaneries » en technicolor, avec des flons-flons qui vous en mettent plein la tête et dont vous ressortez comme saoulé. Le genre de films fort justement tombés dans l’oubli, mais qui furent en leur temps de très beaux succès publics. Il va donc revenir à quelque chose de plus personnel, de très critique et en même temps de très américain. Le scénario est basé sur un roman de Robert Wilder publié en 1942, qui avait été ultérieurement porté avec succès à la scène par sa femme. Robert Wilder était un auteur de best-sellers adaptables pour le cinéma, entre autres Written on the Wind qui donna en 1956 l’excellent film de Douglas Sirk du même titre, la parenté entre les deux films semble évidente dans le sens d’une critique radicale du capitalisme américain. Cette critique passe d’autant mieux qu’elle n’est pas pédagogique et qu’elle s’inscrit à l’intérieur d’histoires d’amour et de séduction sans espoir. Il n’est pas traduit en français, et aux Etats-Unis il est même oublié. C’est Robert Wilder lui-même qui a écrit le scénario. Michael Curtiz va tenter de reconstituer un peu la même équipe que dans Mildred Pierce. Il y a des ressemblances thématiques entre les deux films, et puis il y a un peu la même équipe. Mais entre les deux films Michael Curtiz va se radicaliser si on peut dire et faire de ce film noir une sorte de pamphlet politique, faisant passer clairement les péripéties amoureuses de Lane Bellamy au second plan. A travers sa petite société, Michael Curtiz produit lui-même le film avec l’appui de la Warner Bros. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949

    Le shérif Titus Semple demande à son adjoint Carlisle d’aller saisir les biens d’une troupe de forains qui n’a pas payé ses créanciers. Mais quand Carlisle arrive sur le champ de la fête foraine, la troupe a disparu, seule est restée Lane Bellamy. Carlisle est sous le charme et après l’avoir amenée dîner, il l’aide à trouver un emploi de serveuse chez Pete Ladas. Ils entament rapidement une liaison passionnée, Carlisle semble très amoureux. Mais le shérif en décide autrement, ayant la haute main sur les élections, il prétend faire de Carlisle un sénateur qui évidemment sera à son service. Pour cela l’adjoint doit rompre avec Lane et épouser la riche héritière Anabelle Weldon qu’il n’aime pas. Ce que s’empresse de faire le lâche Carlisle. Mais le shérif ne se contente pas de ça, il veut chasser de la ville Lane, et pour cela il la fait licencier par Pete, puis comme elle s’obstine à vouloir rester à Boldon, il la fait mettre en prison pour racolage sur la voie publique à l’aide de faux témoignages. Elle fait son temps en taule. Pendant ce temps Semple tente de pousser la candidature de Carlisle pour un poste de sénateur. Quand Lane sort enfin de prison, elle va s’engager chez Lute Mae qui tient une sorte de bordel fréquenté par les pontes de la ville. Bien entendu, elle va y croiser Semple. Celui-ci est très étonné, mais ne dit rien. Lane va cependant y rencontrer aussi Dan Reynolds un entrepreneur puissant qui traficote avec Semple. Rapidement ils vont avoir une relation amoureuse. Mais craignant que Lane entrave ses plans, Semple va revenir à l’attaque.   

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Carlisle est sous le charme de Lane 

    Lane et Dan Reynolds se sont mariés, et ils habitent maintenant sur Flamingo Road. Il s’aperçoit cependant que Carlisle est toujours amoureux de Lane et comme Dan Reynolds ne veut plus marcher dans ses combines, le vieux shérif va mettre en branle un plan pour l’éliminer. Il monte un piège pour faire accuser Reynolds d’esclavagisme, racontant qu’il emploie des prisonniers sans les payer. Carlisle est dégouté et comme il ne suit plus Semple, celui-ci le vire, prétendant se présenter lui-même aux élections pour devenir gouverneur. Il arrive également à monter ses associés qu’il effraie contre Dan Reynolds qui se retrouve seul. Les relations entre Carlisle et son épouse s’enveniment. Il boit de plus en plus. Une nuit, il se rend chez Lane pour tenter de l’avertir du piège dans lequel Dan Reynolds est tombé. Mais désespéré, il va se suicider chez Lane. On conclut au suicide, cependant Semple tente de jeter de l’huile sur le feu et fait savoir à la population que Lane serait à l’origine du suicide de son ancien adjoint. Cela va déclencher une dispute entre Dan Reynolds et Lane, celui-ci pense qu’elle ne l’a épousé que pour son argent. Il la quitte. Lane décide alors de régler son compte à Semple. Elle va chez lui, une bagarre a lieu, et Semple est tué. Mais elle va finalement être acquittée à cause des empreintes de Semple sur l’arme et elle retrouvera Dan Reynolds et la paix.  

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Pete va engager Lane comme serveuse 

    Ça commence très fort avec un discours sur l’ambition ! Le ton du film est très amer. Au premier niveau nous avons une opposition entre les quartiers riches et les quartiers pauvres, si les habitants de ces derniers voudraient bien rejoindre Flamingo Road, les riches apparaissent comme des misérables, sans autre motivation que leur propre cupidité. Les deux personnages qui mènent le jeu sont Titus Temple et Lane Bellamy. Le premier est une crapule qui défend un ordre social corrompu. Il semble être aux ordres des gros capitalistes, mais en fait il s’en sert et les manipule. Lane elle est officiellement une femme sans trop d’ambition, qui vit au jour le jour, mais elle tombe amoureuse de Dan Reynolds et va s’établir sur Flamingo Road. Elle passe de la blouse de serveuse au riche manteau de fourrure. Vagabonde d’origine prolétaire, c’est une intruse et elle met le désordre dans une communauté soudée autour de ses mensonges et de ses combines. On pourrait résumer l’intrigue autour de cet affrontement mortel. Semple et Lane luttent pour s’approprier le pouvoir, ils se disputent d’abord le faible Carlisle, puis ensuite Dan Reynolds, et si Semple veut détruire Lane, c’est bien parce qu’elle lui a pris les deux hommes dont il voulait faire des marionnettes pour asseoir son pouvoir. Si le shérif est un horrible bonhomme, vicieux et corrompu, Lane n’est pas aussi innocente que cela. Toutes les ombres qui s’agitent autour d’eux ne comptent pas vraiment. Le cadre est la petite ville imaginaire de Boldon, elle est indéterminée, mais représente le conservatisme étroit des petites villes du Sud où domine un notable omnipotent. Il y en aura une longue kyrielle qui mettront en scène ce despotisme local, de I am a Fugitive from a Chain Gang de Mervyn Leroy en 1932 à Cool Hand Luke de Stuart Rosenberg en 1967 où on verra les prisonniers de droit commun exploités sans vergogne. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Titus Semple explique à Carlisle les ambitions qu’il a pour lui 

    Mais en même temps Lane est le révélateur, le simple fait qu’elle existe contrarie les plans de Semple, et démontre la nécessité de le combattre violemment. Le film décrit un univers de lâcheté. Les hommes sont particulièrement lâches, ils ont peur de Semple qui a construit des dossiers sur tout le monde. Les seules personnes qui résistent sont les femmes, Lane bien sûr, mais aussi Lute Mae la patronne du bordel. Même Doc Waterson n’est pas très courageux, ce n’est pas le journaliste flamboyant qu’il aurait aimé être, il est critique, caustique même, mais ça ne va pas très loin. Lane cependant à un autre pouvoir, celui de rendre les hommes moins lâches. Reynolds va cesser d’être un magouilleur qui mange dans la main de Semple, et Carlisle se suicidera. Le courage de Lane c’est aussi celui d’accepter de travailler pour un salaire très étroit. Cette société de classes représente toutes les tares de l’Amérique. C’est une société qui repose sur la ségrégation, on verra Semple méprise le noir qui le sert, mais cette ségrégation va bien plus loin qu’une question de races. Semple méprise aussi ceux qui travaillent sur les chantiers, qui servent dans les bars. Quand il voit Lane entrer dans un restaurant de luxe au bras de Reynolds, il en fait une maladie, comme s’il avait vu entrer un noir !  

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949  

    Le journaliste Doc Waterson n’est pas tendre avec Carlisle 

    La critique des institutions est acerbe, non seulement le film dénonce la corruption comme un mal endémique de l’Amérique, mais le journalisme est également critiqué pour son impuissance. Cela va jusqu’au vote, le pays vit dans une fausse démocratie où le bulletin qu’on met dans l’urne n’a pas de signification. Carlisle est poussé comme candidat, parce qu’il est mou, qu’il n’a pas de personnalité affirmée. Semple l’utilise en lui donnant une épouse parce que cela fera bien pour vendre le candidat aux électeurs. Le message que fait passer le film, c’est qu’à l’exemple de Lane, il faut se battre pour reprendre le pouvoir sur sa vie. Cela passe par la nécessité de ne pas mentir, d’affronter la vérité. Semple est un menteur, sournois et hypocrite, sa vie est un mensonge. Lane va décider de ne pas mentir, il lui en coûte beaucoup, elle risque même de perdre Dan Reynolds qu’elle a fini par aimer, même si probablement elle l’a d’abord épousé pour avoir un statut et se venger des avanies de ce maudit shérif.   

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Lane travaille maintenant chez Lute Mae 

    La réalisation est impeccable, mais cette fois Michael Curtiz s’est appliqué pour aérer son film en rajoutant un peu plus que d’ordinaire des scènes dites d’extérieur, souvent tournées avec des transparences. Pourquoi cela ? D’abord pour donner plus d’importance au travail des petites gens, par contraste avec ceux qui sont riches et qui ne se salissent plus les mains. C’est ce qu’on verra sur le chantier de Dan Reynolds. Ensuite il cherche à donner de la densité à la ville, opposant la ville riche et la ville pauvre. La ville basse est filmée dans des endroits restreints qui semblent mal aérés. La ville haute est faite de vastes demeures, hautes de plafond, avec des escaliers, des belles terrasses et des jardins. Cela conditionne la manière de filmer, quand on est dans la ville basse, la caméra filme presqu’à l’horizontale, ce qui donne une idée d’étouffement. Au contraire dans la ville haute, les intérieurs sont filmés de manière à donner l’illusion d’une verticalité, d’un élèvement au-dessus de la nuée ! Il y a cependant dans les deux zones qui communiquent difficilement des sortes de trous, comme des cocons où s’affrontent les caractères. Ce sera par exemple la rencontre de Carlisle et Lane sous la tente de la fête foraine, ou alors cette pièce chez Lute Mae où les plus riches mettent au point leurs petites combines, comme si elles devaient laisser leurs maisons vierges de la corruption endémique. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949  

    Lane va découvrir Dan Reynolds 

    Michael Curtiz s’attarde sur le travail humain à l’intérieur du bar de Pete Ladas, il utilise des déplacements virtuoses pour donner de la densité, tout en navigant à travers la clientèle et les serveuses. Le début s’ouvre sur la fête foraine, loisir populaire et sans prétention, souvent magnifié dans les films noirs de cette époque. C’est comme si le réalisateur voulait magnifier le manque d’ambition de la classe prolétaire par opposition à la solitude sinistre de Titus Semple qui se balance bêtement sur son fauteuil. On le voit opposé dès le début du film au noir souriant qui lui sert de domestique, ce qui laisse entendre son racisme latent. Lla photo de Ted McCord est excellente. C’est un photographe très recherché dans ces années-là. Vétéran d’Hollywood, il a commencé sa carrière à l’époque du muet. Il possède toute la science des ombres et des contrastes, comme celle des brouillards. Il s’était fait remarquer avec son travail sur The Treasure of the Sierra Madre, et il réalisera dix films avec Michael Curtiz, Flamingo Road étant le premier de cette longue collaboration. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Titus Semple a décidé de détruire Dan Reynolds 

    Curtiz filme, avec la complicité de Ted McCord, des voies de passages entre les mondes. Les portes s’ouvrent dégageant des effets de tunnels, soit vers une lumière, soit au contraire vers la nuit. Cette incertitude est l’image du danger. Lane a le courage de traverser les espaces ségrégués, elle transgresse les frontières entre les classes et met ainsi en danger ceux qui se croient les plus puissants. On la verra aussi observer depuis ses fenêtres, aussi bien la nuit qui se referme sur Dan Reynolds que la foule qui s’amasse devant sa maison, qui, rameutée par Titus Semple, brise les fenêtres. On ne verra pas la foule, mais on la comprend meurtrière et bornée, portée par les fausses valeurs mises en scènes par le corrompu shérif.  Curieusement il a opté pour un format 1,37 : 1, ce qui n’était pas habituel pour les films noirs de l’époque, mais c’était une manière d’évoluer techniquement parlant. Cela permet d’ailleurs d’aérer un peu plus le film. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Carlisle tente de s’opposer mollement au shérif 

    L’interprétation c’est évidemment d’abord Joan Crawford, ici teinte en blonde. Elle change d’ailleurs d’allure et de coiffure au fur et à mesure qu’elle grimpe les échelons de la société. Elle est toujours très à l’aise aussi bien pour incarner les filles de basse extraction, que les riches bourgeoises. Elle commençait à prendre de l’âge. S’il y a des similitudes avec Mildred Pierce, son personnage de Lane Bellamy cependant est bien moins naïf. Elle est parfaite dans son côté prolétaire, milieu d’où elle venait d’ailleurs. Elle domine le film et le film est fait pour elle. Mais Sidney Greenstreet dans le rôle du shérif Titus Temple est aussi très impressionnant. Il cabotine beaucoup, mais il a cette facilité de passer d’un personnage faible et nonchalant à un homme cruel et dangereux. On peut penser qu’Orson Welles s’est inspiré de Titus Semple pour le personnage de Quinlan dansTouch of Evil. La dynamique du filme tourne autour de ces deux acteurs. Loin derrière on retrouve Zachary Scott dans le rôle du faible Carlisle. Il renoue si je puis dire avec Joan Crawford qu’il accompagnait dans Mildred Pierce. Cette fois il s’est rasé la moustache ! Mais son personnage n’est guère plus sympathique. Il reste bien moins présent que les deux autres acteurs. En fait il partage le rôle de l’amoureux avec Dan Reynolds, incarné par David Brian qui n’a jamais été aussi bon que dans ce film. D’habitude il est plutôt emprunté dans sa haute taille et a du mal à exprimer quelque chose avec son visage. Là il est plus à son aise. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Lane a découvert le suicide de Carlisle 

    Michael Curtiz était peut-être un tyran sur les plateaux, mais c’était un excellent directeur d’acteurs. Ici il complète cette distribution avec des seconds couteaux qui font partie intégrante de son équipe. Par exemple le très bon Fred Clark dans le petit rôle du journaliste qui se voudrait honnête. Ou encore Tito Vuolo qui interprète Pete Ladas, le patron du restaurant qui embauche Lane. Gladys George est Lute Mae avec beaucoup de poigne, la mère maquerelle. D’ailleurs il n’est jamais précisé qu’elle tient un boxon, mais n’importe quel spectateur le comprend. Un petit plus pour Gertrude Michael dans le petit rôle de Millie, colocataire de Lane, pétulante serveuse de Pete Ladas. Virginia Huston dans le rôle d’Anabelle la riche héritière est plus quelconque. 

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    Elle va régler son compte à Semple 

    Le film a été un bon succès public, la critique a été tiède aux États-Unis. Sans doute qu’elle n’a pas apprécié cette critique latente du capitalisme. Mais si le film a rapporté de l’argent, le succès n’a pas été aussi grand que pour Mildred Pierce. C’est encore un film qui reste très souvent mal apprécié par la critique. C’est un film noir que je trouve très bon, certes, il manque peut-être un peu d’unité pour arriver au niveau de Mildred Pierce, mais il possède de très belles qualités esthétiques et une atmosphère. Joan Crawford avait tout à fait relancé sa carrière, ses autres films marchaient aussi très bien. Curieusement, on ne trouve pas ce film sur le marché français, mais il existe une édition américaine en Blu ray intéressante, avec des bonus nombreux, directement édité par la Warner, toutefois sans sous-titres. Notez qu’il existe aussi un téléfilm et une série qui porte le nom de Flamingo Road, sortis début des années quatre-vingts, mais c’est assez inutile et laid. 

    Boulevard des passions, Flamingo Road, Michael Curtiz, 1949 

    Doc Waterson lui apprend qu’elle va être innocenter du meurtre du shérif

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