• Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Guy Lefranc est un réalisateur sous-estimé car il lui est arrivé à côté de quelques monstrueuses réalisations de faire quelques bons films, notamment La moucharde[1]. Parallèlement Day Keene est un auteur de romans noirs très sous-estimé aussi. Cela doit suffire à nous intéresser à ce film. Par ailleurs, je me souviens que Borde et Chaumeton qui dans leur ouvrage pionnier sur le film noir déplorait le fait qu’en France il n’y ait pas de film noir[2], avançaient qu’Eddie Constantine avait des qualités suffisantes pour tourner dans des films noirs. Les films d’Eddie Constantine constituaient un genre à part, on allait voir dans les cinéma de quartier un « Constantine », sans trop se préoccuper de l’intrigue, du metteur en scène ou même des actrices qui l’accompagnaient dans son numéro de séduction. C’était des films à petit budget, mais ils rapportaient beaucoup d’argent parce qu’ils avaient du succès un peu partout en Europe et singulièrement en Allemagne. Il terminera d’ailleurs sa carrière en Allemagne où il a refait sa vie et où il interprétera l’anarchiste Malatesta dans un film de Peter Lilienthal. Sa grande période va de 1956 à 1965. Il se destinait dans un premier temps à la chanson lorsqu’il fut engagé en France pour interpréter le personnage de Lemmy Caution imaginé par Peter Cheney. C’est d’ailleurs ce personnage qui lança la Série noire et dont s’inspira Frédéric Dard pour créer San-Antonio. C’est dire son importance en France. Devant le succès foudroyant en librairie, on envisagea une transposition au cinéma de La môme vert de gris. C’est Bernard Borderie qui s’y colla. La carrière d’Eddie Constantine était lancée, il poursuivait d’ailleurs parallèlement une carrière de chanteur fructueuse. Souvent sur des schémas assez proches, ces films plaisaient pour au moins deux raisons, d’abord par sa décontraction Eddie Constantine montrait que tout cela n’était pas très sérieux, mais ensuite parce qu’il représentait une certaine idée de l’Amérique modern, sûre d’elle, un peu à l’opposé de la France de la Libération.  Mais une fois la France réarmée qui progressait bien plus vite que les Etats-Unis, Eddie Constantine séduisait moins, on lui préférait les jeunes vedettes Françaises, Alain Delon ou Jean-Paul Belmondo. Il s’était ringardisé si on veut. Mais sans doute aussi devenait on un peu plus exigeant avec le cinéma du samedi soir. On a reproché à Eddie Constantine de ne pas se renouveler. Ce n’est pas tout à fait vrai. Et justement Cause toujours mon lapin en est la preuve. Il fera d’autres tentatives notamment avec Lucky Joe de Michel Deville ou encore l’inconfortable Alphaville de Jean-Luc Godard. Ce ne fut guère suivi de succès. Lucky Joe est bon, nostalgique, Alphaville est invisible. 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961 

    Jackson est un ventriloque qui travaille dans un music-hall. Mais il est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Sur la foi de faux témoignages, il se trouve condamné à vingt ans de prison. Il va s’évader et tenter de retrouver les faux témoins. Le premier a reçu une forte somme d’argent pour son faux témoignage de la part d’un chef de gang, Simon Robert qui abrite ses louches activités derrière le commerce de bananes. Jackson va faire parler le faux témoin qui va tout avouer et expliquer que Simon Robert est aussi à la tête d’un trafic de drogue florissant. Mais Jackson est poursuivi aussi par la police. Simon Robert comprenant que le faux témoin a parlé le fait assassiné par ses hommes. La police croit que Jackson se venge du témoignage contre lui. Jackson va rencontrer également une jeune femme, Françoise, qui a elle aussi témoigné contre lui. Mais c’était en toute bonne foi, elle est prête à revenir dessus. Cependant quand elle sort avec Jackson, elle est abattue à son tour par les hommes de Simon. Elle est transportée à l’hôpital. Jackson doit fuir à nouveau. Il va récupérer la fille de Françoise, Olga, avec qui il erre dans Paris. Puis ils se réfugient tous les deux dans un petit théâtre pour la nuit. Pour la distraire Jackson va faire un numéro de ventriloque. Il veut aller voir ensuite Françoise à l’hôpital avec Olga. Croisant la police, il va cependant se heurter aux hommes de main de Simon qui sont venus pour assassiner Françoise. Il la sauve in extrémis. Mais il est poursuivi par le gang. Dans sa fuite il va tenter de cacher Olga chez les bonnes sœurs, mais celle-ci s’en va et se fait récupérer par le gang. Jackson doit à nouveau la sauver. Les gangsters l’amènent jusqu’à la murisserie de Simon. Il va faire partir Olga par un soupirail, puis il va affronter la bande et découvrir le laboratoire secret de Simon. Entre temps Olga a été amenée par une prostituée jusqu’à l’inspecteur qui s’occupe de l’affaire et qui est maintenant prévenu. La police arrive à la murisserie pour embarquer toute la bande. Simon s’est enfui, Jackson le rattrape chez lui alors qu’il s’apprête à fuir. Il lui donne une rouste et embrasse la maitresse de Simon Margaret qui avait un faible pour lui. 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961 

    Jackson vient de s’évader de prison 

    Du livre de Day Keene peu de choses ont été retenues, mais il y a cette idée d’un homme ordinaire qui travaille dans le secteur des loisirs populaires. On trouve très souvent ce thème chez Day Keene, et cela l’apparente un peu à David Goodis, ses héros sont des prolétaires des loisirs. Et bien sûr est repris ici le thème du faux coupable obligé de se disculper d’un crime qu’il n’a pas commis, thème qu’on retrouve aussi chez Goodis d’ailleurs. Day Keene est une sorte de David Goodis mais en plus nerveux et en plus optimiste, moins alcoolisé. Jackson est donc un homme seul en quête d’aide diverse et variée. Il va en trouver d’ailleurs, d’abord la petite fille Olga qui lui apporte une sorte de réconfort et de but, mais aussi l’inspecteur de police qui ne croit pas à sa culpabilité, et enfin un chauffeur d’ambulance très compatissant qui l’aide dans une course poursuite à semer les gangsters. On va retrouver le vieux thème d’un homme poursuivi dans une ville hostile qui protège les individus qui ont pignon sur rue. L’individu seul contre le monde entier dont les lois sont mal faites puisqu’elles protègent la canaille et emprisonnent les innocents. Cette situation oblige Jackson à transgresser les lois ordinaires au nom de sa propre morale. C’est un homme seul, en fuite qui se fuit lui-même et qui va chercher finalement quelque chose – l’amour, la famille – auquel à priori il ne songe pas.  

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Jackson s’est réfugié dans un magasin d’automates 

    L’intrigue est assez banale. Mais elle est agrémentée d’éléments intéressants. D’abord il y a l’errance dans Paris, on passe des quartiers chics et modernes où loge Simon Robert, au quartier des Halles, et à celui des théâtres. Il y a dans cette errance une opposition entre la modernité des immeubles neufs et carrés, déshumanisés, faits de verre et de béton, et la tradition des quartiers plus pauvres, justement celui des Halles, ou l’hôpital qui mettent en scène un travail dur. Jackson est à mi-chemin de ces deux mondes. C’est un amuseur, un ventriloque, il ne sert à rien, sauf à amuser les enfants. Il semble que ce soit Eddie Constantine qui ait imposé cette vision d’une relation entre le monde adulte et celui de l’enfance, comme une manière de donner plus d’humanité à son personnage de dur et de cogneur. Il y aura une longue séquence où Jackson pour endormir Olga va présenter une sorte de numéro pour elle seule, avec claquettes et haut de forme à l’appui. 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Il va réclamer des comptes au faux témoin 

    Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Guy Lefranc connaît les ficelles du film noir. Il l’avait déjà montré dans La moucharde. Bien que sa mise en scène manque singulièrement de rythme, il y a quelques séquences particulièrement bienvenues. Par exemple quand Jackson trouve refuge dans un magasin d’automates. C’est directement issu du film de Stanley Kubrick, Killer’s kiss. Les séquences où on voit Jackson et Olga au bord de la Seine, face à un pont rappelle ses innombrables séquences qui prennent New York pour sujet avec le pont de Brooklyn en arrière-plan. Il y a une bonne utilisation des décors naturels du Paris du début des années soixante. Cependant le rythme est assez emprunté, malgré les nombreuses séances de poursuite et d’action, c’est un peu décousu. 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Il retrouve le second témoin 

    Il y a un côté mélancolique qu’on retrouvera dans d’autres films d’Eddie Constantine, par exemple dans Lucky Joe. Comme si les scènes d’action étaient seulement là pour habiller autre chose. Le monde du music-hall et de la nuit se retrouvera dans un film aujourd’hui invisible pour des raisons obscures, L’Empire de la nuit, de Pierre Grimblat, sur un scénario et des dialogues de Frédéric Dard. Le déséquilibre vient sans doute du fait que pour faire un « Eddie Constantine » il fallait un certain nombre de scènes de bagarres et de séduction. Pour ce qui est du rapport avec les femmes là aussi on ne sait pas trop ce que fait Jackson, il séduit la louche Margaret qui est entretenu par Simon, mais il semble avoir des sentiments pour Françoise qui est une victime. Cherchant Olga, il trouvera sur son chemin une belle femme un peu nymphomane sur les bords, sans qu’il se décide curieusement à conclure ! 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961 

    Françoise est abattue par les hommes de Simon 

    Le film est entièrement construit sur Eddie Constantine. A  cette époque, il est un peu moins flamboyant, mais il a une présence tout de même étonnante, toujours avec cette décontraction qui empêche le film de sombrer dans le pessimisme. François Chaumette dans le rôle de Simon le chef de gang est plutôt pâlot. C’est un acteur de théâtre qui semble se demander en permanence qu’est ce qu’il fait là. Et puis il y a les filles. Claudine Coster dans le rôle de Margaret est très bien. Renée Cosima a un peu moins de charisme. 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961 

    Jackson s’occupe de la fille de Françoise 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Ils ont trouvé refuge dans un théâtre

    Le film a été bien accueilli par le public et évidemment la critique n’en a rien dit, comme à son ordinaire. Ce film n’est pas disponible sur le marché, on n’en trouve que des versions pourries réalisées à partir d’enregistrements VHS. C’est dommage, Eddie Constantine n’est pas un acteur oublié, on devrait s’en souvenir un peu plus. Notez que la musique est excellente, elle est signée conjointement Michel Legrand et Francis Lemarque, avec une partie jazzy. Ce n’est évidemment pas un chef d’œuvre, ni même un film noir, c’est un film gris agréable à regarder, sans prétention, mais infiniment mieux ficelé que les platitudes que proposait à la même époque la Nouvelle Vague.  

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961 

    A l’hôpital Jackson va tenter d’approcher Françoise 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Dans la murisserie de bananes Jackson découvre un laboratoire pour la drogue 

    Cause toujours mon lapin, Guy Lefranc, 1961

    Jackson veut régler son compte à Simon



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-moucharde-guy-lefranc-1958-a158447328

    [2] Panorama du film noir américain, 1941-1953, Editions de Minuit, 1955.

    « Je suis un sentimental, John Berry, 1955Le balafré, Hollow Triumph, Paul Henreid, 1948 »
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