• Je suis un sentimental, John Berry, 1955

     Je suis un sentimental, John Berry, 1955

    Ça va barder… a été un gros succès populaire. Dans la foulée Eddie Constantine va réemployer John Berry dont il aime le savoir-faire. Au fond John Berry a surmonté les vicissitudes de son exil. Et c’est bien grâce à Eddie Constantine, avec qui il était lié, qu’il va devenir un réalisateur qui travaille régulièrement et qui va monter des projets rémunérateurs, avec Dario Moreno, Fernandel. Il tournera à nouveau avec Eddie Constantine et Johnny Halliday, reviendra enfin aux Etats-Unis une fois l’hystérie anti-rouge passée de mode. Certes il n’a jamais retrouvé la « qualité » de He ran all the way ou de Tension, mais il était resté toujours un excellent technicien. Le scénario est assez simple, il met en scène un journaliste, vieille figure de l’honnêteté de l’opinion contre les possédants. Cela aurait pu être une sorte de film noir à la manière de Samuel Fuller, mais le cahier des charges imposé par Eddie Constantine voulait qu’il y ait un peu plus de légèreté et un peu moins de gravité. 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Michel Gérard ne retrouve pas sa femme à son ancien domicile 

    Michel Gérard vient de sortir de prison et se réjouit de retrouver sa femme. Mais quand il arrive chez lui, il y a de nouveaux locataires. Il va partir à sa recherche pour finalement la retrouver, vivant dans le luxe. Dégoûté il s’en va. Mais Alice s’est mise à la colle avec Olivier de Villeterre, le fils dégénéré d’un grand patron de presse. Avec lui elle s’exerce au chantage sur les relations qu’il possède dans le beau monde. Mais ils se disputent et Olivier la tue. Jacques Rupert, rédacteur en chef des Nouvelles de Paris, arrive chez elle, car elle est aussi sa maitresse. Il la découvre morte et va appeler son ami Barney Morgan pour qu’il l’aide à découvrir qui a tué Alice. Barney qui est journaliste aux Nouvelles de Paris va se lancer à al recherche de Michel Gérard. Il va contribuer à son arrestation. Celui-ci va être condamné à mort pour ce crime qu’il n’a pas commis. Son avocate la belle Marianne Colas va tenter de prouver son innocence, et pour cela elle demande l’aide de Barney. Celui-ci culpabilise, mais il va finalement être mis sur une piste bizarre parce qu’il trouve chez le vieux Villeterre un tableau avec une femme qui porte une broche. Or, non seulement personne n’a retrouvé cette broche, mais le tableau va disparaitre. De son côté Rupert va comprendre que le coupable est Olivier, mais il va se laisser acheter par le propriétaire du journal pour se taire. Enquêtant sur ceux qui ont été victimes du chantage d’Alice, Barney va tomber sur un acteur et comprendre que Michel Gérard est bien innocent. Pour confondre Olivier, il va mettre au point un piège avec la complicité de Dédé la couleuvre, faisant reproduire la broche qui a disparu, il va faire sortir Olivier de son trou, car celui-ci a gardé la broche après avoir tué Alice. Cependant Barney n’est pas au bout de ses peines, tandis que Michel Gérard s’apprête à être guillotiné, il revient sur la piste d’Armand Sylvestre, l’acteur qu’Olivier faisait chanter. Les choses se passent mal et c’est Barney et Dédé la couleuvre qui sont poursuivis par la police. Ils sont arrêtés. Ils s’évadent d’une manière spectaculaire de la prison où on les a mis en se faisant transférer au palais de justice. Barney qui a compris le rôle louche qu’a joué Rupert, va finir par écrire toute l’histoire et la publier, alors même qu’il est blessé. La justice pourra triompher, Miche Gérard sera finalement élargi, et Barney retrouvera Marianne dont il est tombé amoureux. 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Barney Morgan cherche à mettre la main sur Gérard 

    Le scénario est un peu paresseux et ne prend pas la peine de ménager le suspense de qui est le vrai coupable. Il y a d’abord comme thème principal celui de l’amitié virile trahie. En effet Barney et Rupert sont très amis, et le premier va tirer le second d’un mauvais pas sans lui poser de question. Mais la soif de pouvoir va faire que Rupert se vendra aux Villeterre, sacrifiant au passage non seulement la vérité, mais aussi un innocent. Déçu par Rupert, Barney va se tourner vers Marianne, passant en quelque sorte d’un homme mûr qui fut sans doute son mentor à une belle jeune femme et retrouvant ainsi à travers sa quête non seulement l’estime de lui-même, mais aussi son rôle d’homme musclé et déterminé, bref, sa virilité. L’errance de Barney à la recherche de Michel Gérard, puis d’une preuve qui pourrait l’innocenter est donc à travers la ville une quête de son identité. Le second thème intéressant est celui du journal, certes ce n’est pas nouveau, surtout dans le film noir, mais ici il est représenté comme la voix de l’opinion publique, celui qui fait éclater la vérité, qui empêche donc les puissants de tout acheter. C’est la base de la démocratie. Evidemment John Berry a lui beaucoup souffert d’un absence de soutien dans la presse au moment de la chasse aux sorcières qui l’a contraint à s’exiler longuement et à abandonner une carrière prometteuse aux Etats-Unis.  

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Barney retrouve Gérard à la gare 

    Les honnêtes gens ne sont pas ceux qui ont pignon sur rue. La vieille famille Villeterre qui vit entourée de belles peintures dans un hôtel particulier luxueux, est le symbole de la malhonnêteté endémique des gens qui ne travaillent pas, non seulement ils sont fainéants de père en fils, mais ils corrompent leur entourage, l’engageant dans la voie criminelle. A cet égard Rupert est aussi leur victime. La famille Villeterre, représentée par un fils dégénéré et criminel, et un vieillard cloué dans un fauteuil à roulettes montre cette classe de prédateurs complètement sur le déclin, en voie de disparition. Par contraste Michel Gérard petit voleur et Dédé la couleuvre, le roi de l’évasion, barman à son heure, apparaissent sympathiques. Ils traficotent avec des faussaires et des receleurs. Tout ce petit milieu démontre sa solidarité avec Barney dès lors que celui-ci se trouve embarqué dans une mauvaise affaire. Bien entendu, la justice est tout à fait aveugle, ce qui veut dire qu’on ne doit compter que sur soi, ou éventuellement sur l’opinion publique par l’intermédiaire du journal. Même la belle avocate reste totalement impuissante pour sauver ce pauvre Michel Gérard qui risque sa tête. 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Rupert a compris que l’assassin est Olivier, mais il se laisse acheter 

    Mais en dehors de cela, on retiendra surtout la manière dont c’est filmé. Bien appuyé par la photo de Jacques Lemare, un habitué des films d’Eddie Constantine, John Berry démontre son savoir-faire. Certes c’est du studio et certaines scènes sont très pauvres en termes de décors, par exemple lors du séjour de Barney à l’hôpital, ou le bureau de Rupert. Mais c’est compensé par le bon usage des décors extérieurs et la manière dont le journal va être filmé. Beaucoup d’application ressort de cette mise en valeur du travail des machines ou des typos. L’ensemble est plutôt sombre. John Berry aime particulièrement la nuit. Les mouvements de caméra sont très fluides et donnent beaucoup de rythme à l’histoire. Il y a un jeu avec les ombres très intéressant, par exemple quand Rupert intervient pour tenter d’arrêter le tirage et la distribution du journal, ou encore dans les coulisses du théâtre où se produit Sylvestre. John Berry utilise beaucoup les prises de vue plongeantes, ce qui donne du volume à l’action. Parmi les scènes remarquables, on retiendra la visite de Barney à la fête foraine alors qu’il cherche Michel Gérard, et bien sûr son intervention à la gare quand il essaie d’empêcher celui-ci de s’enfuir et qu’il provoque son arrestation malencontreuse. John Berry utilisera le thème du fauteuil à roulettes, vieux thème qui vise à démontrer que les handicapés dans ce genre d’instrument sont de sinistres faux jetons, méchants de surcroît. D’ailleurs on verra le vieux Villeterre se lever opportunément ! 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Barney annonce à Rupert qu’il a percé son double jeu 

    La distribution est centrée sur Eddie Constantine dans le rôle de Barney. Il est égal à lui-même et ne cherche pas à innover en quoi que ce soit. Il aura droit aux habituelles scènes de bagarres qui ici paraissent assez rajoutées. Il boit assez pour se saouler et drague un peu mais pas trop. C’est la très belle Bella Darvi qui incarne l’avocate Marianne Colas. Il est dommage qu’elle ne soit qu’un faire-valoir. Victime de ses addictions, notamment aux jeux de casino, cette actrice d’origine juive et polonaise se suicidera très jeune, n’ayant jamais vraiment développé son talent. Il y a ensuite Paul Frankeur, un acteur intéressant, issu d’un milieu populaire, petit-fils de typo, il a tourné dans un nombre incalculable de films, très peu de premiers rôles, mais des seconds rôles solides notamment avec Jean Gabin, ou encore avec Jean-Pierre Melville dans Le deuxième souffle. Il est toujours très bon, ici aussi, affichant une fausse bonhommie matoise. Comme c’est une co-production franco-italienne on a rajouté Walter Chiari dans le rôle de Dédé la couleuvre, il cabotine tranquillement sans apporter quoi que ce soit au film. Également on trouve Cosetta Greco dans le rôle de la femme fourbe de Michel Gérard, mais elle se fait étrangler trop rapidement pour qu’on se fasse une idée de son talent, elle aussi décédera à la fleur de l’âge. On reconnaitra aussi le toujours très excellent Albert Rémy, ou encore le très bon Olivier Hussenot dans le rôle du misérable Michel Gérard. 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Marianne voit Barney s’enfuir en robe d’avocat 

    C’est un peu plus poussif que Ça va barder, mais ça se voit très bien et sans ennui. Ça nous fait compléter notre connaissance de John Berry et surtout ça explique peut-être pourquoi le film noir a été relativement étouffé en France puisqu’en effet on lui préférait les formes parodiques et un peu plus légères. Le film fut un très bon succès, dépassant en France les 3 millions d’entrées et se vendant très bien aussi en Italie, en Espagne et en Allemagne où Eddie Constantine était devenu une très grosse vedette et où il finira par s’installer.

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955 

    Barney va faire parler Sylvestre 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955

    Barney fait connaître la vérité en l’imprimant dans le journal 

    Je suis un sentimental, John Berry, 1955

    Rupert tente d’empêcher la sortie du journal

     

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