• Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

     Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Evidemment, le film de boxe a beaucoup évolué au fur et à mesure que c’est devenu un sport de moins en moins populaire. L’excellent Raging bull de Martin Scorsese fut en 1980 sans doute le dernier film important du genre. La série des Rocky lui avait asséné un coup fatal dont il ne s’est jamais remis. En 1949, Champion de Mark Robson avait lancé véritablement la carrière de Kirk Douglas. Mais le film de boxe date au moins de 1915 avec The champion – ce titre sera repris maintes fois – de Charlie Chaplin où la thématique récurrente de ce sous-genre était portée par la dérision. De grands acteurs ont incarné un boxeur avec ses problèmes de défaite, de victoire héroïque, qui tel le phénix renait de ses cendres. Wallace Beery en 1931 avait fait un succès énorme avec The champ. James Cagney qui avait fait un peu de boxe dans son jeune âge incarna un jeune boxeur dans Winner take all en 1932 sous la direction de Roy Del Ruth. En 1936 il incarnera un ancien boxeur dans Great guy sous la direction de John G. Blystone. De grands acteurs ont voulu incarner des boxeurs, comme Paul Newman dans le très bon
    Somebody Up There Likes Me de Robert Wise. C’est aussi vrai en France avec Alain Delon qui sera martyre et boxeur dans Rocco e i suoi fratelli de Visconti et bien sûr pour Belmondo qui sera Michel Maudet, boxeur raté, dans L’ainé des Ferchaux en 1963. Cette attirance du cinéma pour la boxe s’explique par le fait que ce sport est excessivement dramatique, exhibant souvent un masochisme auquel on n’est pas habitué. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Sonia est excitée et fascinée par le combat de Paul

    Joseph Pevney est un réalisateur très sous-estimé. A mon sens il était tout à fait fait pour le film noir, il s’est pourtant perdu un peu dans d’autres genres, comme le film de guerre par exemple. Il avait d’ailleurs commencé sa carrière comme acteur aux côtés de John Garfield dans Nocturne, puis dans Body and Soul de Robert Rossen en 1947. Ce dernier film était déjà un très bon film de boxe. Mais très souvent le film de boxe est un sous-genre du film noir. Sans doute parce que ce sport très décrié aujourd’hui était un loisir populaire où on ne pouvait compter que sur soi-même pour vaincre, du moins en théorie parce que le trucage de combat est un autre aspect du film de boxe, souvent pour dénoncer non seulement la corruption, mais aussi le dévoiement d’un sport qui se voulait noble. Flesh and fury est déjà le septième film de Joseph Pevney comme réalisateur, et c’est le premier des trois qu’il fera avec Tony Curtis. Pevney aimait bien tourner avec Jeff Chandler ou avec Tony Curtis. Et c’est sans doute lui qui leur a donné leurs meilleurs rôles. Outre sa participation en tant qu’acteur à Body and soul, Pevney avait dirigé un autre film de boxe, Iron man avec Jeff Chandler, d’après une histoire du grand W. R. Burnett[1]. Le film de boxe est souvent aussi porteur d’un message social, parce que ce sport était surtout pratiqué par les classes populaires. Dans son jeune âge Pevney était classé très à gauche, juif newyorkais comme John Garfield dont il était l’ami, il était très sensible à la question de l’antisémitisme. A Hollywood il se dispersera un peu dans les films de genre, comédie, films de guerre, western. Vers la fin de sa carrière il bifurquera comme beaucoup vers la télévision. Mais sa dispersion le condamnera à être considéré par le critique au mieux comme un bon technicien. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Sonya veut séduire Paul et se propose comme intermédiaire avec Pop Richardson 

    Paul Callan est un boxeur amateur. Mais il est remarqué à la fois par un ancien entraineur, Pop Richardson, et une jeune femme, Sonya Bartow. Il est sourd et muet, aussi Sonya qui le connait à peine mais qui l’a séduit, se propose comme intermédiaire. il commence à gagner des combat. Sonya va le pousser vers la gloire, même s’il y a des risques. Paul va donc combattre un peu contre l’avis de Pop pour le titre de champion des poids welters. Il s’entraine durement. Mais à son camp d’entrainement, Une jeune femme, Ann, vient pour l’interviewer. Elle est en effet la fille d’un riche architecte qui était lui aussi sourd et muet. Elle comprend le langae des signes et commence à communiquer avec lui, lui parlant de sa passion pour les bateaux et pour la mer. Une certaine complicité se développe entre eux. Le jour du grand combat, Paul commence par perdre pied, mais il se ressaisit et l’emporte. Dès lors et sous l’influence d’Ann, il va tenter une opération à Baltimore. Celle-ci réussit, mais Paul va continuer pour apprendre à parler. Une fois cela accomplit, il revient vers Ann. Mais son entourage riche et superficiel le fait fuir et retourne vers Sonya. Il va reprendre son métier de boxeur et défendre son titre contre Logan. Cependant un télégramme du médecin lui déconseille de revenir à la boxe au risque de reperdre une nouvelle fois l’ouïe. Sonya subtilise le télégramme car elle veut l’argent du combat. Mais Paul s’en aperçoit et la met à la porte. Le combat va être difficile, il va au sol plusieurs fois car le bruit des milliers de spectateurs lui fait mal. Il finira pourtant par l’emporter car après une avalanche de coups il redevient sourd ce qui lui permet de retrouver sa hargne. Cette victoire qui contrarie Sonya va lui faire retrouver Ann en même temps que l’ouïe ! 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Sonya va pousser Paul à faire un combat pour lequel il est mal préparé 

    Le boxeur est déjà par essence un martyre dont tout le monde use et abuse. Mais ici ce martyre est prolongé par son handicap ce qui le rend dépendant de Sonya. Certes la nocivité de cette femme est compensée par Pop Richardson, mais cela ne suffit pas pour le retenir de tomber dans les pièges les plus grossiers. Son sauvetage viendra d’Ann qui le comprend parce que justement elle a eu un père sourd et muet, et qu’étant très riche, elle n’en veut pas à son argent, contrairement à Sonya qui est cupide. Mais au-delà de cette différence de caractère les deux jeunes femmes se ressemblent en ce sens qu’elles luttent toutes les deux pour garder le contrôle sur Paul. Elles rentrent dans une lutte sournoise entre elles et le caractère enfantin du jeune boxeur semble ne pas s’en rendre compte. Mais quel que soit son choix final, il reste toujours dépendant de « la » femme. Mieux encore il s’abandonne à leur pouvoir. On voit ici une inversion totale des rôles. C’est bien Paul le caractère féminin, désiré par deux femmes en même temps qui luttent, l’une avec virulence, l’autre par se présence bienveillante. Elles endossent donc toutes les deux cette rivalité qui traditionnellement est l’apanage de mâles. Pour se décider, Paul aura besoin d’abord de se tromper en s’éloignant d’Anne, mais il lui faudra aussi prendre des décisions difficiles pour se faire opérer, ce qui lui permettra d’entendre et de se faire entendre. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Paul arrive à communiquer avec Ann dont le père était aussi sourd 

    L’autre aspect de cette lutte entre femmes est qu’elle recouvre une lutte des classes larvée. Ann est une fille gâtée par sa naissance, elle vit dans le luxe et l’oisiveté. A l’inverse on comprend que la vie n’a pas été tendre avec Sonya. Mais en fréquentant Ann, Paul va être effrayé par la superficialité et la suffisance des gens de son milieu. Il s’en retourne chez Sonya. Ce faisant, c’est lui qui va donner sans le savoir une leçon à Ann. C’est une fille de bonne volonté, et elle apprendra finalement de Paul. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Sonya tente de montrer que Paul lui appartient 

    Dans cette lutte pour le pouvoir de contrôler Paul, il ne faut pas oublier l’entraineur. Il est d’autant plus compliqué que les déboires qu’il a eu avec un jeune boxeur avant de rencontrer Paul l’ont rendu méfiant. Il culpabilise de son décès. Mais pour l’amour de l’art, et avec le soutien de sa femme, il va passer outre ses propres réticences. Il se comporte aussi un peu comme un père de substitution, renforçant ainsi le côté « famille » de ce film. Ann et Paul arrivent cependant à desserrer l’étau de leur condition sociale en s’évadant dans le rêve, c’est le sens de leur complicité dans l’amour de la mer et du bateau. En s’isolant sur l’eau, ils échappent à leur entourage et à la matérialité de leur destin. Ils passent ainsi dans un autre monde et cette parabole donne son sens au film. On remarque que quand les combats ont lieu, Sonya semble jouir des coups que prennent les boxeurs, tandis qu’Ann souffre presque dans sa chair. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Paul a gagné son titre 

    La réalisation est bonne, mais plutôt faible dans les combats de boxe, on a vu mieux, notamment avec Body and soul où les innovations dans la manière de film un combat de boxe étaient nombreuses[2]. Et cela ne vient pas de Tony Curtis qui reste assez crédible dans la peau d’un boxeur. Mais c’est peut-être qu’au fond, Pevney s’intéresse moins aux combats des boxeurs qu’aux combats entre Ann et Sonya ou entre Sonya et Paul. Le découpage est très bon, et le montage fait surgir plusieurs fois l’émotion, par exemple quand Paul retrouve l’ouïe et qu’il entend le bruit de la pluie pour la première fois, ou encore quand l’infirmière se rend compte qu’il entend. Il y a déjà de l’aisance dans les mouvements de caméra et les changements d’angle de prises de vue. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Sonya enrage quand elle sent que Paul lui échappe 

    Ce n’est pas un film fauché, mais ce n’est pas non plus un film à gros budget. La vedette est le jeune Tony Curtis. Bien que durant un peu plus de la moitié du film il n’ait rien à dire, il a une présence qui compense l’absence de dialogue. C’est seulement son deuxième film en tant que personnage important. Il tournera encore avec Joseph Pevney, cette fois dans deux vrais films noirs. Il venait de signer un contrat qui le liait durablement avec Universal, et déjà il manifestait un grand talent. Derrière lui il y a d’abord Jan Sterling dans le rôle de Sonya qui, une fois encore, apporte énormément à l’intérêt du film. Elle crie, elle tempête, elle devient violente avec une vérité étonnante. Rien que pour elle on doit voir ce film. Ensuite, c’est Mona Freeman qui incarne la sage Ann. Elle n’a pas vraiment d’éclat, mais c’est aussi un peu le rôle qui veut ça puisqu’elle joue la jeune fille sage de bonne famille. Elle manque sans doute un peu d’émotion. Wallace Ford incarne Pop Richardson, c’est un rescapé de la chasse aux sorcières. Abonné aux rôles de père de famille compatissant – il jouait le rôle du père de Shelley Winters aux côtés de John Garfield dans He ran all the way – il est toujours très juste sans effort. 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Le docteur est content, l’opération a réussi 

    Ce film n’est pas disponible sur le marché français, c’est un grand tort, car à défaut d’être un chef d’œuvre il soutient bien l’intérêt du spectateur, c'est un bon film noir. Ce film n’est d’ailleurs jamais sorti en salle en France. Mais il est vrai que certains films de Joseph Pevney ne sont pas du tout visibles, comme par exemple Shakedown qui est son premier film. Un vrai film noir celui-là, mais impossible de le voir

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952 

    Paul se retrouve dans une institution pour apprendre à parler 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Voyant que Sonya lui a caché le télégramme, il la met à la porte 

    Flesh and fury, Joseph Pevney, 1952

    Paul a gagné son combat



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/iron-man-joseph-pevney-1951-a117307348

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/sang-et-or-body-and-soul-robert-rossen-1949-a114844804

    « Les seins de glace, The rough and the smooth, Robert Siodmak, 1959La police était au rendez-vous, Six bridges to cross, Joseph Pevney, 1955 »
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