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Whiplash, Lewis Seiler, 1948
Dans notre exploration du cycle classique du film noir, nous avons rencontré assez souvent Lewis Seiler qui signait parfois Lew Seiler. Il a joué un rôle très important dans les prémisses du film noir. J’ai déjà commenté six films de Seiler, Whiplash sera donc le septième, mais celui-ci intervient au moment où le film noir a beaucoup de succès, et déjà de nouveaux codes ont été introduit, comme nous allons le voir. Avant la guerre Seiler a beaucoup tourné avec Humphrey Bogart et avec les Dead End Kids. Il avait commencé sa carrière à l’époque du muet en 1923, en touchant à peu près tous les genres. Mais si c’était un des hommes à tout faire de la Warner, il ne faut pas croire qu’il n’avait pas des qualités artistiques et esthétiques. Il filmait toujours proprement, avec un sens du rythme très soutenu. Whiplash n’a pas une bonne réputation, et il est vrai que ce fut un échec commercial. Je crois d’ailleurs qu’il n’a pas été distribué en salles en France. C’est sans doute une commande, cependant il est très intéressant par les figures de style qu’il utilise. C’est presqu’un catalogue de ce qu’il faut faire pour fabriquer un bon film noir. Le scénario a été écrit conjointement par Maurice Geraghty et Harriet Frank Jr. Le premier ne présente pas une filmographie très intéressante, il a beaucoup travaillé sur lé série des Falcon, histoires de détective privé façon Agatha Christie, avec une énigme plus ou moins sophistiquée. Mais Harriet Frank Jr a par contre signé beaucoup de scénarios ambitieux pour Martin Ritt, adaptant des romans de William Faulkner, signant aussi des films comme Home from the Hill, à mon sens un des meilleurs drames de Vincente Minnelli. Avec des films engagés comme Hombre, Norma Rae ou Stanley & Iris. Dans tous ces scénarios, il y a une volonté de complexifier les situations initiales, et c’est ce qu’on va retrouver ici.
Sam annonce à Mike qu’il a vendu un tableau pour lui à une femme riche
Michael Gordon coule des jours tranquilles en Californie. Il peint, il va à la plage. Il a également été boxeur amateur. Mais un jour son ami Sam qui tient une sorte d’auberge, vend pour 75 $ une de ses toiles à une riche étrangère. Mike n’est pas content, parce qu’il pense que sa toile est mauvaise, une sorte de brouillon. Il se décide donc d’aller rendre l’argent à celle-ci. Laurie lui explique les raisons qui lui ont fait acheter la toile, considérant pourtant qu’elle est une sorte de brouillon. Mike est enchanté et tombe sur son charme, mais elle reste froide et distante. Pourtant, il va l’amener à la plage et une relation va se développer entre eux. Ils s’avouent leur amour, mais le lendemain alors que Laurie attend Mike, un personnage trouble s’introduit dans l’auberge de Sam. Quand Mike arrive à son tour, Laurie a disparu. Sam l’incite à partir à sa recherche, et lui donne même un peu d’argent. Il a bien une piste à New York, mais il n’arrive à rien, il loge dans un immeuble assez pauvre et il devient ami avec une certaine Chris Sherwood qui se verrait bien elle remplacer Laurie dans le cœur de Mike. Cependant, alors que la logeuse veut le mettre dehors parce qu’il n’a plus de quoi payer son loyer, Chris l’entraine avec un de ses prétendants à passer une soirée dans un cabaret. Là il va découvrir que Laurie est en fait une chanteuse.
Mike est amoureux de Laurie, mais elle se refuse à lui
Mike tente de renouer avec Laurie, mais celle-ci ne veut rien savoir et lui demande de la laisser. Il va apprendre qu’elle est en fait mariée avec Rex Durant, un ancien boxeur, cloué dans un fauteuil à roulette à la suite d’un accident de la circulation. Mike est dégoûté. Mais comme il a affronté les hommes de Durant, celui-ci voudrait en faire un boxeur afin de gagner le titre qu’il n’a pas pu obtenir du fait de son accident. Après des hésitations, Mike va accepter. Il a besoin d’argent et sans doute veut-il rester près de Laurie. Mais Durant est aussi en conflit avec le frère de Laurie qui boit pout oublier. Mike entame donc une carrière de boxeur professionnel où il apparait très brillant, mais aussi très sauvage, s’acharnant sur ses adversaires. Si Mike maintenant se refuse ) Laurie et lui bat froid, Arnold, le frère médecin, va décider de se débarrasser de Durant. D’autant que Laurie a avoué à son mari qu’elle aime le boxeur, son mari lui dit que si Mike gagne, elle pourra partir avec lui. Dans la confusion, les hommes de Durant assomment Mike. Mais Durant le convainc de se battre pour le titre, Arnold pense que Mike ne peut pas boxer, qu’il va mourir sur le ring. Mais le combat a lieu tout de même. Mike n’a pas tout à fait les réflexes il subit une raclée, mais évidemment se relève et l’emporte. Durant et son homme de barre s’éloigne rapidement, Arnold tente de les rattraper, mais Costello le tue. Dans sa fuite Durant sa être percuté par une automobile et mourir. Plus tard, en Californie, Laurie viendra rejoindre Mike qui ne veut plus boxer.
Tandis que Laurie attend Mike un personnage louche s’introduit dans le bistrot de Sam
On reconnait donc beaucoup de traits du film noir classique, par exemple la boxe rappelle, notamment dans la manière de filmer, Body and Soul de Robert Rossen, sorti l’année d’avant, et qui fut un gros succès commercial[1]. La photographie de Peverell Marley est clairement inspirée par la manière de filmer les combats de James Wong Howe. Notamment en film par en dessous les boxeurs ce qui permet de donner du rythme et un peu de vérité aux combats de boxe au cinéma qui sont souvent assez peu crédibles, je pense aux bêtises à la Rocky par exemple. Il y a d’autres emprunts, via la peinture à travers laquelle Mike cherche à retrouver Laurie. On peut citer Laura de Preminger, mais plus précisément Portrait of Jenny de William Dieterle qui va sortir exactement la même année ! on retrouve donc la figure du peintre désargenté, un peu famélique, mais d’un bon tempérament, un cœur pur que les circonstances vont ensauvager. Et puis on retrouve encore le personnage maléfique qui, cloué dans un fauteuil à roulettes, se venge de ses vicissitudes contre son entourage. C’est une chose assez curieuse, mais dans le film noir, celui ou celle qui est cloué dans un fauteuil à roulettes est le plus souvent mauvais. L’apparition et la disparition intempestive de Laurie avec ce mauvais sujet qui manifestement est à la poursuite de la jeune femme, est dans la lignée de ce qu’a fait l’année précédente Jacques Tourneur avec Out of the Past, et bien entendu le trio que formait dans ce film Robert Mitchum, Kirk Douglas et Jane Greer, sorti l’année d’avant. Il y a un rapport étroit aussi avec The Killers de Robert Siodmak qui date de 1946.
Mike, dépité de ne pas avoir su retrouver Laurie peint son portrait
De là on pourrait croire que cette histoire n’a pas beaucoup d’originalité et qu’elle se résume à un trio classique, avec un boxeur au milieu. On se tromperait. En effet si cette trame véhicule beaucoup de lieux communs, le mari jaloux, l’amoureux transi qui recherche la femme qu’il aime, etc. il y a d’abord une atmosphère surprenante parce que les quatre personnages principaux sont complètement dépressifs. Mike est un raté qui se complait dans sa propre médiocrité. Durant cloué dans son fauteuil est totalement dévirilisé et voudrait bien vivre à travers le robuste corps de Mike. Quant à Laurie, elle est trop lâche pour fuir la domination de Durant et préfère user de l’argent de son mari. Quant à son frère, Arnold, il picole en attendant la mort, culpabilisant de n’avoir pas pu sauver Durant de cet handicap. Certes Durant domine et manipule son entourage, mais en même temps il est fasciné par Mike, il l’aime, il voudrait être lui. Tous ces gens se révoltent par intermittence. Laurie fait une escapade, Arnold finira par tuer Durant, et Mike tentera de se libérer de l’emprise de Durant. Mais il se révoltera aussi contre Laurie qu’il méprise parce qu’elle n’a pas assez de cran pour affronter son mari.
Par hasard Mike retrouve Laurie qui chante dans un cabaret
L’intrigue est compliquée par le personnage de Chris Sherwood. En effet celle-ci va tenter de de remettre Mike sur la voie de la raison, et lui montrer que le grand amour n’est pas forcément un but supérieur à celui d’une vie tranquille. Ce personnage va d’ailleurs permettre à Mike de retrouver Laurie. Chris ne s’attarde pas trop sur des considérations morales. En effet elle connait la vie, on devine qu’elle est une femme entretenue. Le film nous parle des difficultés des classes pauvres. New York est une ville où il est difficile de se loger. Mike n’a plus d’argent et s’abritera derrière cet argument un peu vaseux pour devenir boxeur professionnel. Évidemment comme dans de très nombreux films sur la boxe, le parcours de Mike vers le titre des moyens, est une sorte de rédemption, car si c’est pour l’amour d’une femme qu’il va encaisser des raclées, on comprend bie que pour être digne d’elle, il doit souffrir. Néanmoins, on comprend que ce parcours difficile est une sorte de punition qu’il s’inflige. Ses combats vont révéler en lui une violence sans borne. Idée d’ailleurs qui sera reprise par Scorsese dans Raging Bull. si on compare avec les films noirs qui prenaient pour thème la boxe, vers cette époque, ils étaient finalement assez optimistes, même le film de Mark Robson, The Champ qui voit le héros mourir juste pour la gloire éphémère de gagner un titre, . Ici rien de tel, et c’est sans doute pour ça que Mike va abandonner la boxe pour vivre avec Laurie et revenir à son point de départ, la Californie et ses plages sont présentées comme un endroit où on vit simplement et pauvrement. Ça changera bien sûr à la fin des années soixante. Le message est clair, en quittant New York, Mike retrouve sa simplicité naturelle.
Les hommes de Durant ont assommé Mike
Le récit est construit avec un long flash-back. Tandis que Mike se fait assommer, il revoit ce qu’a été sa passion pour Laurie. C’est dans l’air du temps, et cela montre aussi que Mike se demande bien ce qu’il fait là. En fait en revoyant sa vie, il en arrive à comprendre le sens qu’il peut donner à tout cela. Le scénario est construit en trois temps : la belle vie en Californie, l’amorce d’une passion. Puis dans un second la recherche de Laurie qui a disparu. On passe à New York avec tout ce que cela signifie de turpitudes. Enfin la troisième partie, c’est la recherche de l’émancipation vis-à-vis de Durant. C’est un budget moyen mais pas une série B. la plupart des scènes sont tournées en studio. Le rythme est enlevé, et appui les rebondissements. Le montage est très serré. Quoique quand Mike retrouve Laurie, on s’y attend très bien. On remarque que les combats de boxe sont filmés avec beaucoup d’inventivité.
Durant veut que Mike boxe pour lui
Film a budget très moyen, on le voit à la distribution. Darne Clark incarne Mike, c’est un des rôles les plus importants, car il était plutôt abonné aux seconds rôles. Rapidement il se tournera d’ailleurs vers la télévision. Il avait un physique un peu ingrat, mais il avait pour lui d’avoir été véritablement boxeur, en amateur, bien sûr. Mais sa prestation n’est pas mémorable. Ensuite il y a Alexis Smith, dans le rôle de la mystérieuse Laurie. Elle tient sa place dans un rôle assez gémisseur. Il est assez étrange qu’elle ait disparu rapidement des écrans, alors qu’elle avait eu des premiers rôles intéressants, notamment avec Humphrey Bogart. Plus intéressant est Zachary Scott, habitué à jouer les crapules, il présente un Durant, aigri et déphasé, tout en nuances. Il arrive en effet à faire passer ce qu’il éprouve pour Mike.
Durant asticote le docteur qui est le frère de Laurie
Jeffrey Lynn est très bon dans le rôle de l’ivrogne de service, Arnold le frère de Laurie. J’aime beaucoup aussi la pétulante Eve Arden qui tient le rôle de Chris Sherwood et qui voudrait bien se trouver un petit copain. Elle a de l’abattage et apporte beaucoup. Et puis il y a aussi S. Z. Sakall, dans le rôle du vieux Sam le confident conciliant qui aide du mieux qu’il peut – comme un père – Comme à son habitude il est excellent.
Mike devient sur le ring une vraie brute
Personne ne dira que ce film est génial, mais il est très intéressant, bien fait, typique aussi d’une époque, il recèle beaucoup de finesse dans le déroulement de l’action. A sa sortie il ne fut pas un succès aux Etats-Unis et du coup il n’avait pas été distribué en France.
Laurie avoue à son mari qu’elle aime Mike
Arnold annonce à sa sœur qu’il veut tuer Durant
Durant veut que Mike boxe pour le titre, malgré les coups qu’il a reçu sur la tête
Costello a abattu Arnold
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/sang-et-or-body-and-soul-robert-rossen-1949-a114844804
« Claude Aveline, Chroniques d’un cinéphile, Séguier, 1994.Duccio Tessari, La mort remonte à hier soir, La morte risale a ieri sera, 1970 »
Tags : Lewis Seiler, Darne Clark, Alexis Smith, Boxe, film noir
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