• Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

     Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    En règle générale le film noir anglais est assez pauvre de contenu et pauvre de par la forme, mais évidemment il y a de belles exceptions pour soutenir cette règle. La première raison de s’intéresser à ce film est l’auteur du roman qui a servi de base au scénario, il s’agit d’Arthur La Bern. Cet auteur anglais a été assez peu traduit en français, mais il a donné le très excellent roman It Always rains on sunday, qui sera adapté de belle façon à l’écran par Robert Hamer sous le même titre[1]. Et puis, un peu plus tard, un de ses romans, Goodbye Piccadilly, Farewell Leicester Square, sera porté à l’écran par Alfred Hitchcock sous le titre de Frenzy[2]. La particularité de Always rains on Sunday et de Good-time girl c’est le réalisme social, une sorte de pendant au néoréalisme italien en quelque sorte, sauf que le principal de ces films est tourné en studio[3]. Cette ambiance noire, spécifique au pessimisme d’après-guerre, apporte un intérêt soutenu aux classes dites inférieures, marquées par des conditions matérielles difficiles. Le réalisateur David MacDonald n'est pas très connu. Fils d’une famille de propriétaires terriens, plutôt riche, il était parti faire un peu le tour du monde, notamment en travaillant en Malaisie. Puis, passant par Hollywood il s’intéressa au cinéma. C’est auprès de Cecil B. de Mille dont il fut l’assistant, qu’il apprit son métier. Il collabora donc à plusieurs films du célèbre metteur en scène, notamment sur The sign of the cross.  Il complètera ses classes avec King Vidor, Henry Hathaway et Raoul Walsh. Il commença à réaliser des longs métrages en Angleterre en 1937. Puis pendant la guerre, trop vieux pour être mobilisé sur le terrain, il fut rattaché au service cinématographique des armées, et ses films furent très remarqués. Sa filmographie hétéroclite reflète un goût prononcé pour le mélodrame. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Gwen Rawlings est victime de la fatalité. Son patron, avec qui elle ne veut pas coucher, l’accuse à tort de l’avoir volé et la renvoie. Son père, un ivrogne, qui apprend ce licenciement la bat. Elle s’enfuit de sa famille et se retrouve dans une petite chambre. Son voisin de palier, le louche Jimmy Rosso qui est barman au Blue Angel, lui trouve un travail au vestiaire dans ce cabaret dirigé par Max. Parmi les membres de l’orchestre le pianiste, Red, la prend en sympathie et tente de l’éloigner de ce milieu. Mais elle gagne bien sa vie. Jimmy Rosso trouve Gwen à son goût et veut la sauter, mais comme elle résiste, il la bat. Max voyant cela le chasse. Mais Jimmy est rancunier, il paye des voyous pour taillader Max à coups de rasoir. Il veut aussi se venger de Gwen, et ayant volé les bijoux de sa logeuse, Madame Chalk, il lui demande de les vendre à un prêteur sur gages. Par la suite, pour la protéger, Red la loge chez lui, le temps qu’elle trouve un appartement. Il plait à Gwen, mais semble obnubilé par la séparation d’avec sa femme. Mais quand Gwen s’installe dans son nouveau logement, la police vient lui reprocher d’avoir volé les bijoux. Elle passe devant un tribunal pour mineurs où officie la sinistre Madame Thorpe. Celle-ci préfère croire la version de Jimmy Rosso que la sienne, elle n’écoute même pas le témoignage de Red qui la défend, et décide d’envoyer Gwen dans une maison de redressement. Là celle-ci va se lier avec Roberta qui lui explique comment se comporter. Mais un jour qu’il y a une bagarre dans le réfectoire, Gwen s’enfuit, elle rejoint Londres, demande à Max de l’aider, ce qu’il va faire. Cependant elle va s’acoquiner avec Danny, un trafiquant qui aime faire la fête et avec qui elle se saoule. Ivre, elle conduit la voiture de Danny et renverse un policier qui meurt des suites de l’accident. Elle fuit Danny, mais celui-ci la rattrape dans le train, la bat à nouveau et lui vole son manteau et ses affaires. Assommée, elle est prise en charge par deux militaires, déserteurs, avec qui elle va commettre des quatre-cent coups. Jusqu’au jour ces militaires vont attaquer une voiture conduite par Red qu’ils vont assassiner. Reprise, elle va rester enfermée pour quinze ans. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Miss Thorpe pour faire la morale à la jeune Lyla, raconte l’histoire de Gwen Rawlings 

    L’histoire est comptée sous forme de flash-backs par la sinistre Miss Thorpe elle-même à une jeune fille elle aussi rebelle, pour lui expliquer comment il faut se soumettre si on veut éviter la taule. C’est d’abord le portrait d’une jeune fille rebelle. Issue d’un milieu défavorisée, maltraitée par son patron, la fatalité va faire le reste. Certes elle est naïve et manque de discernement dans ses fréquentations, mais elle n’a que seize ans. Avide de jouir de la vie, elle va s’enfoncer dans le milieu des boîtes de nuit qui ne lui vaut rien. Max ne la traite pas mal, Red est probablement amoureux d’elle, mais il est bien trop obsédé par le départ de sa femme pour aller plus loin dans la protection qu’il voudrait accorder à Gwen. Ce qui fait que lui aussi ne vient pas vraiment en aide à Gwen. Celle-ci est complètement paumée et ne sait pas à qui se raccrocher, la conséquence est qu’elle préfère s’étourdir avec n’importe qui. La fatalité fera le reste, les mauvais choix succèdent aux mauvaises rencontres, elle est amenée sur un chemin qu’elle n’a pas vraiment choisi. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Le patron de Gwen l’accuse de vol 

    Victime de la société, elle est piégée par le rigorisme anglais. Le film m’a rappelé La moucharde, l’excellent film de Guy Lefranc[4] qui, peut-être a été inspiré par Good time girl. En vérité le principe de ce film va bien au-delà du simple drame social, il déborde en effet sur le mauvais sort qui est fait à la jeunesse en ces années qui ont succédé à la fin de la guerre. Il décrit des rapports hiérarchiques qui, en marginalisant la jeunesse, permettent des abus incroyables. Même si Gwen tente de se défendre, elle est toujours en état d‘infériorité, face au margoulin Jimmy Rosso, à son patron, à son père, à Danny. Du reste nous voyons les femmes très dominées. La mère de Gwen elle-même craint les débordements de son ivrogne de mari. La police, la justice, la sinistre Miss Thorpe, tous abusent de leur pouvoir sur cette jeunesse qui a du mal à trouver sa place. Toutes ces jeunes filles qui sont enfermées dans une maison de correction représentent cette haine des générations plus âgées justement pour leur goût de la liberté. Gwen deviendra amie avec Roberta, justement parce qu’elles sont toutes les deux révoltées. Dans cette maison de correction, la sévère madame Mills confisque les lettres que Red écrit à Gwen pour lui soutenir le moral. C’est tout simplement amoral, comme le sont la plupart des institutions qui sont chargées de défendre et d’expliquer la morale, mais qui au fond ne participent qu’à un dressage. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Gwen quitte la maison familiale

    Le film est construit bien entendu sur deux longs flash-backs. Le premier introduit la jeune Lyla qui a fautée et à qui on va faire la morale. Le second intervient au milieu du film, c’est-à-dire juste avant qu’on ne raconte comment Gwen va précipiter sa chute. Le film est construit comme une succession de personnages qu’on découvre en même temps que Gwen, au fur et à mesure qu’elle évolue. A chaque étape une nouvelle déception l’attend. En apparence la morale est sauve, mais le spectateur ne peut s’empêcher sévèrement la sinistre Madame Thorpe qui au nom de la morale précipite Gwen dans la turpitude. En effet pourquoi fait-elle confiance au témoignage de cette crapule de Jimmy Rosso, si ce n’est pour mieux punir Gwen ? Les images – et non le scénario – parlent d’elles-mêmes. La figure de Madame Thorpe, revêche, triste, incarne la jalousie face à la jeunesse chargée d’une forte sexualité de Gwen. Jimmy Rosso qui n’a pas pu baiser Gwen la trahit et l’enfonce. Jusqu’à son ancien patron qui prétend qu’elle a volé pour se venger de sa déconvenue. On voit donc une jeune fille attirante sur le plan sexuel qui est victime de ses refus et donc de sa jeunesse. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Jimmy Rosso propose un travail à Gwen dans une boîte de nuit 

    Le film ne veut pas tomber dans le manichéisme, et Max le patron de la boîte de nuit n’est finalement pas le pire. Du moins n’essaie-t-il pas de nuire à Gwen ou d’abuser d’elle. Il est pourtant le plus puissant. Même Danny qui la prend comme maîtresse n’est pas complètement mauvais. Quand Gwen provoque un accident mortel, il ne l’enfonce pas et au contraire cherche à l’en tirer. Mais il ne supportera pas de la voir le quitter, il la battra et lui reprendra tout ce qu’il lui avait donné. Elle apparaît ainsi plus qu’une jeune fille révoltée, le symbole de la liberté. Jimmy Rosso lui est, sous ses airs de voyou émancipé, un bouffon et un lâche, il prend plaisir à enfoncer Gwen. C’est le personnage le plus médiocre et le plus sournois. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    La mère de Gwen est venue la voir 

    Le personnage clé est sans doute Miss Thorpe, non pas qu’elle soit très présente à l’écran, mais parce qu’elle se propose de « sauver » ces jeunes filles contre elles-mêmes. Les images prouvent, sans que cela ne soit jamais dit, que c’est une perspective fausse et vouée inévitablement à l’échec. Ce qui manque à ces jeunes filles, c’est moins une leçon de morale qu’un peu d’amour. Ce qui est remis en question ici c’est l’ordre sur lequel repose cette servitude qui aboutit à l’écrasement de la liberté. On voit qu’ainsi on s’éloigne du misérabilisme que la critique un peu désinvolte a cru voir dans ce film. C’est en effet la volonté de Miss Thorpe de vouloir faire le « bien » qui va entraîner des réactions en chaîne qui mèneront Gwen à l’alcoolisme et à l’abandon d’elle-même. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947 

    Red a mis Gwen en garde contre ses fréquentations

    La mise en scène est intéressante. Bien entendu c’est filmé à la manière anglaise, c’est-à-dire un peu à plat sans rechercher les profondeurs de champ. Quand MacDonald filme le train et la gare, il film au plus près des portes du train, sans prendre cette distance qui pourrait donner du relief à l’ensemble, par exemple en filmant en diagonale pour dessiner des lignes de fuite. C’est un film qui se passe essentiellement la nuit, le titre de l’ouvrage décrit très bien cet univers sombre comme dans un tunnel. Il y a d’excellents passages, quand sous la pluie le louche Jimmy Rosso engage Gwen à aller porter les bijoux volés au prêteur sur gages. Ou ces coins de rue avec des escaliers filmés d’un peu loin pour donner de la densité à l’espace. Les scènes qui se passent dans la maison de redressement sont bien menées, c’est-à-dire qu’elles mettent bien en avant l’exubérance de ces jeunes filles enfermées et qui enragent de se retrouver ainsi coincées, faisant basculer le film pour un moment vers le film de prison pour femmes. La séance du tribunal qui voit Gwen condamnée avant même qu’elle ait été écoutée est dramatique, avec cette bourrique de Miss Thorpe qui coupe la parole chaque fois que quelqu’un, Gwen ou Red, tente d’approfondir les explications. Il y a de bons mouvements de caméra et le montage donne un rythme soutenu à l’ensemble. L’époque obligeait à ne pas parler des relations sexuelles de Gwen directement, mais on comprend qu’elles sont abondantes. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Jimmy Rosso demande à Gwen de porter des bijoux au prêteur 

    L’interprétation c’est d’abord bien entendu Jean Kent dans le rôle de Gwen. Actrice britannique peu connue chez nous, elle trouve là sans doute son meilleur rôle. Certes, elle était déjà un petit peu âgée pour jouer le rôle d’une jeune fille de seize ans, mais elle a deux qualités intéressantes. D’abord elle est puissante. C’est un corps robuste et sensuel qui exprime bien sa volonté d’émancipation. Et on comprend que c’est cela qui va séduire les hommes qu’elle rencontre. Mais dans son jeu, elle arrive à nous montrer une évolution de la gamine naïve, mise à la porte par son patron, vers la fille à voyou, beaucoup plus cynique et beaucoup plus désespérée. Peter Glenville interprète cette petite crapule de Jimmy Rosso. Il introduit pas mal de finesse dans son jeu, montrant Jimmy Rosso comme un voyou certes agressif et sournois, mais aussi comme mortifié de ne pas être arrivé à séduire Gwen. Il aura quelques succès ensuite en tant que réalisateur. Flora Robson est remarquable dans la peau de Miss Thorpe, démontrant sa dureté derrière une apparente compassion. On reconnaitra Herbert Lom dans le rôle de Max le patron de la boîte de nuit. A cette époque il ne tournait que ce genre de rôles. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Gwen est enfermée pour trois ans dans une maison de redressement 

    C’est un très bon film noir, bien que typiquement anglais. La photo est bonne, la musique un peu moins, mais on fait avec. Bien entendu, il y a quelques ellipses dans le scénario, par exemple quand Gwen se retrouve embarquée par les déserteurs qui l’entraîne carrément vers le crime. Mais son personnage est tellement attachant qu’on passe outre. 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Gwen n’écoute pas Max et préfère suivre le trafiquant Danny 

    Les ailes brûlées, Good-time girl, David Mac Donald, 1947

    Avec deux déserteurs, Gwen monte de méchants coups



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/il-pleut-toujours-le-dimanche-it-s-allway-rains-on-sunday-robert-hamer-a114844854

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/frenzy-alfred-hitchcock-1973-a142350372

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/la-moucharde-guy-lefranc-1958-a158447328

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