• Pierre Gauyat, Jean Meckert, Jean Amila, encrage, 2013

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    Commençons par saluer cet ouvrage, car en effet, les ouvrages sur les auteurs importants de la littérature noire sont bien trop rares. Or ce sont aussi eux qui donnent à celle-ci sa place et sa légitimité et qui permettent d’en mesurer toute l’importance. L’ouvrage de Pierre Gauyat est, à ma connaissance, le seul qui ait été consacré à Jean Mecket dit Jean Amila. Jusqu’à présent il n’y avait eu que des numéros spéciaux dans les revues spécialisées pour lui rendre hommage. C’est un travail universitaire qui ressemble un peu à démarche de Cédric Perolini à propos de Léo Malet. Il complète utilement tout le travail qu'ont fait les éditions Joseph K. et la revue Temps noir.

     

     

    Pour moi ce qui en fait l’intérêt premier c’est que Gauyat relie directement Jean Meckert à Jean Amila, et ce faisant, il fait du roman policier, du moins pour sa meilleure part, la continuation directe de la littérature prolétarienne. Or la littérature prolétarienne, selon les canons définit par Henri Poulaille, avait ceci d’original qu’elle était produite par des personnes issues de la classe ouvrière et souvent autodidactes. Il va donc mettre sur un même plan l’œuvre d’Amila et celle de Meckert, la seconde étant plus connue que la première tout de  même. L’ouvrage tombe à pic puisqu’en ce moment on s’active beaucoup pour essayer de faire sortir de l’ombre cet écrivain.  Le rapprochement avec la littérature prolétarienne est d’autant plus judicieux que c’est celle-ci qui explique d’abord, bien avant la littérature policière l’usage de l’argot et des formes parlées dans la littérature. Rappelons que L. F. Céline dans sa première manière, celle qui lui valut le Renaudot, s’est largement inspiré de celle-ci, notamment de sa proximité avec Eugène Dabit. Meckert d’abord, puis Amila ensuite, est l’héritier de ce courant qui va de Charles-Louis Philippe à Louis Guilloux en passant par l’incontournable Poulaille. Comme on le sait Meckert est issu d’un milieu prolétarien et il n’entend pas le renier. Il le rapproche justement d’autres auteurs qui ont fait dans la littérature noire, Léo Malet bien sûr et André Héléna.

    Ensuite Gauyat analyse la production de Meckert/Amila du point de vue des thématiques, notamment celle assez dominante de la guerre, que celle-ci soit celle de 14, ou de 39-45. Il en dévoile ainsi les racines dans ce qu’on peut connaître de sa vie, Meckert étant souvent en contradiction entre ses tendances anarchistes avérées et ses tentations communistes qui reviennent périodiquement.

    Cette façon de faire de la littérature, policière ou non, est à l’évidence à la précursion de ce qu’on nommera le néo-polar, Manchette, Daenninx, ADG, etc. Sauf évidemment que Meckert, même quand il écrit des petits polars, possède une langue que les autres n’ont pas. Je pense à Motus, une histoire banale et bâclée, mais elle possède un charme évident avec dans la première partie toute la description de l’univers des mariniers. D’ailleurs souvent les histoires de Meckert/Amila se passent au bord de l’eau. Et Gauyat rappelle les éléments biographiques qui expliquent l’usage de ce type de décor.

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    Gauyat analyse très longuement les variations nuancées des positions de Meckert vis-à-vis de la guerre et de la Résistance et en s’appuyant notamment sur le grand ouvrage d’Alain Guérin, il démonte un certain nombre d’idées reçues qui malheureusement font encore recette, que ce soit la passivité de l’armée française ou le peu d’engagement des Français dans la Résistance. Rien que cette référence montre de quel côté Gauyat se situe et explique bien pourquoi il s’est intéressé à Meckert/Amila.

    L’ouvrage de Gauyat est très intéressant donc, mais on ne peut s’empêcher de faire quelques remarques. Si Gauyat montre l’originalité stylistique de Meckert/Amila, il ne s’attarde pas sur le fait que pourtant les ouvrages signés Amila, à l’exception notable du Boucher des Hurlus, malgré leur intérêt sont écrits souvent un peu à la va-vite, comme si au moins dans les premiers temps de l’usage du pseudonyme d’Amila Meckert ne l’avait pas pris au sérieux. Les coups c’est tout de même autre chose que La bonne tisane.

    La seconde remarque vise le fait que Meckert n’a pas publié que sous le pseudonyme d’Amila, il a aussi usé d’un grand nombre d’autres noms et produit sous leur couvert toute une littérature dont on ne sait rien : Marcel Pivert sûrement inspiré par Marceau Pivert le leader de la gauche du parti socialiste, Edouard Duret, Mariodile sous lequel il a publié tout de même une vingtaine d’ouvrages semble-t-il destinés aux jeunes filles. Gauyat ne s’y est pas intéressé. Il faut dire que ces ouvrages sont très difficiles à trouver. Pourtant il aurait été intéressant de savoir si sous ces autres noms, il était arrivé à développer sa thématique personnelle.

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    On notera aussi quelques approximations, comme lorsqu’il fait un partage hasardeux entre la Série noire, censée être de gauche et le Fleuve noir, de droite. Il oublie au passage que la collection créée par Marcel Duhamel a recyclé quelques collaborateurs lourdement condamnés : Albert Simonin pour le pamphlet qu’il avait cosigné avec Henri Coston contre les Juifs et qui prendra 7 ans à Frontevault, ou encore Ange Bastiani, ancien de la Milice qui ira au ballon pour des faits de torture et de racket. Sans même parler d’ADG. On peut également lui reprocher de mettre en avant le lieu commun selon lequel la littérature noire d’inspiration truandière est une sorte d’apologie de la morale particulière du milieu, rien n’est plus faux. Que ce soit José Giovanni, Auguste Lebreton ou même Simonin, ceux-ci passent leur temps à montrer que la fameuse morale des truands n’est qu’une légende.

    Incidemment, il opère un rapprochement entre Nous avons les mains rouges et Le haut fer de José Giovanni. Suggérant au passage que celui-ci se serait inspiré de celui-là. Cela va bien sûr m’obliger à relier les deux ouvrages, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Mais ces deux auteurs peuvent être rapprochés aussi parce qu’ils ont été des militants contre la peine de mort, José Giovanni ayant lui-même été condamné à mort pour un règlement de comptes dans un bar de Pigalle.

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      1. Léo Malet, mauvais sujet, L’atinoir 2010.

        2. Alain Guérin, La Résistance, Chronique illustrée 1930-1950, six volumes, Livre Club Diderot, 1972-1976

    « Pitfall, André de Toth, 1948Des voleurs comme nous, Thieves like us, Edward Anderson, La manufacture de livres, 2013 »
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