• Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

     Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Le titre américain est excellent et annonce mystère. The midnight story a été dépaysé à San-Francisco, une des trois villes les plus importantes en ce qui concerne le film noir. Bien que les auteurs de l’histoire et du scénario n’aient rien à voir avec ceux qui ont concocté Six bridges to cross, il y a une grande proximité entre les deux films, et pas seulement parce que Tony Curtis est présent dans les deux titres. D’abord une proximité thématique, l’amitié entre un policier et un criminel qui va se heurter à la nécessité sociale de combattre le crime. Ensuite, cette idée de situer socialement l’histoire dans un contexte matériel réaliste, ce qui impliquera d’utiliser au maximum les décors naturels de San Francisco. San Francisco a été longtemps la grande ville rebelle des Etats-Unis avec Chicago, l’idéal socialiste y était fortement représenté. Mais c’était aussi une ville autant criminelle que prolétaire, dans les années quarante et cinquante, elle est présentée comme particulièrement besogneuse. C’est une ville coincée par les éléments naturels, une ville dont on ne peut s’évader qu’en franchissant des ponts qui sont comme la promesse d’un ailleurs plus ou moins idyllique, ou alors par la mer. Cette ville chère à Jack London et à Dashiell Hammett est un personnage en soi, et on va voir que le newyorkais Joseph Pevney va en faire le meilleur usage.  Le scénario est dû à Edwin Blum, un scénariste originaire de San Francisco. Il a fait quelques Tarzan, un Sherlock Holme. Il restera plusieurs années sans travailler, ce qui me laisse croire – mais je n'en suis pas sûr – qu’il a été tenu à l’écart lors de la chasse aux sorcières. Mais il avait une renommée de ghost writer. Il est par ailleurs l’auteur du scénario Stalag 17 de Billy Wilder qui est sans doute, avec The midnight story ce qu’il a fait de meilleur. Et puis il a lancé en 1968 la célèbre série Hwaï Five-O. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe Martini vient revoir l’orphelinat où il a été élevé 

    Le père Tomasino a été lâchement poignardé dans son quartier. Cet assassinat émeut tout le monde car il était très aimé. Joe Martini, un policier de la circulation, est particulièrement affecté. Le’ jour de son enterrement, alors qu’il porte le cercueil, il est surpris par l’émotion de Sylvio Malatesta. Il va en parler à ses chefs qui ne prennent pas ça au sérieux. Mais Joe et obstiné. Il se retire de la police et va s’approcher de Sylvio. Il se rend compte que celui-ci est un homme bon et généreux. Ils sympathisent. Sylvio qui tient une sorte de restaurant de poissons et de fruits de mer, embauche Joe et se propose même de l’héberger. Joe va faire connaissance avec la famille. Il y a là la mère de Sylvio, son jeune frère, mais aussi sa cousine, la belle Anna. Tout en s’intégrant à la famille, Joe commence à collecter des informations. Il accompagne Anna au club où la famille a ses habitudes, mais il se rend compte que Sylvio n’est pas resté toute la soirée au jeu de cartes à son club comme il le prétendait le soir du meurtre de Tomasino. L’idée que Sylvio puisse être coupable ronge Joe. Il va remonter jusqu’à un certain Charlie Cueno qui est venu voir la famille Malatesta. Mais celui-ci dit devant tout le monde que Sylvio était avec lui le soir même du meurtre. Joe qui aime bien Sylvio est soulagé. Il annonce alors qu’il va se marier avec Anna à qui il plait et dont il est amoureux. Mais la police vient le voir, et lui indique qu’il a des informations sur Cueno qui en réalité n’était pas au club avec Sylvio, mais avec une certaine Veda Pinelli qu’il avait l’habitude de fréquenter sans que sa femme ne le sache. Tout est à recommencer. La police se propose d’arrêter Sylvio, mais Joe dit qu’il n’y a pas de mobile, ni de preuves pour le déférer devant un tribunal. Devant cet état de tension, Anna va faire sa propre enquête sur Joe et se rend compte qu’il est de la police. Elle est profondément choquée. Elle a une explication avec Joe qui lui ment et qui lui raconte qu’il a un problème qu’il doit régler tout seule. Le soir il va rejoindre Sylvio dans son restaurant et ils s’expliquent. Sylvio lui raconte que dans le temps il a tué une femme, en Italie, parce qu’elle se refusait à lui. Joe comprend que c’est pour cela qu’il a tué le père Tomasino, puisqu’en effet, après sa confession, le père lui a conseillé de se rendre à la police. Mais Sylvio ne l’a pas fait parce qu’il pensait que cela rendrait le reste de sa famille malheureuse. Quand Sylvio apprend que Joe est un policier, il est enragé, il pense qu’il a agi malhonnêtement y compris en prétendant épouser Anna. Ils se battent. Sylvio s’enfuit, mais il est renversé par un camion. Il décédera à l’hôpital. Avant de mourir il demandera à Joe de lui pardonner et lui demande aussi de veiller sur sa famille, maintenant qu’il va disparaître. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe pense que Sylvio Malatesta est peut-être coupable 

    Joe est un orphelin à la recherche d’une famille, mais en la trouvant, il va la détruire en éliminant son chef, le sympathique Sylvio. Joe est donc un personnage ambigu puisqu’en s’introduisant dans la famille Malatesta il va la trahir pour assouvir un désire louche de vengeance. Cette position le laisse amer et plein de culpabilité. Et cette culpabilité enfle encore plus quand il tombe amoureux d’Anna et que cette relation est encouragée officiellement par Sylvio. Mais celui-ci n’est pas moins ambigu, il est en effet un homme généreux et bon, accueillant avec Joe, distribuant à manger aux enfants pauvres du quartier, mais c’est aussi un assassin. Il aura commis deux meurtre le second n’est que la conséquence du premier qu’il avait commis sur un coup de tête. Dès lors la famille apparaît soudée sur ses secrets, et il vient que si ces secrets étaient révélés, la famille n’y survivrait pas. La famille est le lieu du mensonge, c’est la seule manière qu’elle perdure. On comprend alors que la famille n’est pas vue comme un idéal, pas plus que comme une institution qui empêche les gens de vivre leur vie. Ici elle est liée à la communauté italienne. Ce sont tous des Italiens immigrés de plus ou moins longue date et qui reproduisent aux Etats-Unis les formes originelles du clan. C’est de cette manière qu’ils sont attachés à l’Eglise catholique et à leur prêtre qui est aussi un des leurs

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe s’est fait embaucher par Sylvio

    Périodiquement Joe retournait à son orphelinat, et de même il s’attachera à la famille Malatesta. Son choix va être cornélien, le devoir lui impose de livrer Sylvio, son cœur ne le peut pas. L’accident le sauvera de ce dilemme. Joe est en permanence à la recherche d’un père, c’est comme ça qu’il voit son supérieur dans la police, le sergent Gillen, c’est aussi comme ça qu’il voit le père Tomasino et même Sylvio qui le prend spontanément sous son aile ; sans rien lui demander et évidemment en luttant contre lui Joe fait le travail de l’émancipation, du meurtre du père.  Cette famille Malatesta est faite de solitaires qui se serrent les coudes. La mère est veuve, Sylvio a perdu son amour et ne peut se résoudre à se marier, Anna est orpheline comme Joe. Personne n’a confiance en personne, Joe ne dit rien de ce qui le tourmente à celle-ci, ou il lui ment, et Anna à son tour enquête sur lui. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Dans une salle de billard il obtient des informations sur Sylvio 

    Dans conduite du récit, les séquences d’enquête sur Sylvio et son alibi alternent avec les scènes de la vie de famille, du labeur, des fêtes qui ponctuent l’ordinaire. Il y a un équilibre parfait entre les deux. L’excellence de la mise en scène tient d’abord à l’utilisation du cinémascope qui fait sortir ce film du cycle classique du film noir. Cela permet à Pevney d’intégrer de nombreux éléments du quotidien de la ville de San Francisco. Cependant, il évite de filmer le Golden Gate, ou le pittoresque du quartier chinois, ou les rues en pente forte. Dans le film on verra du reste le sergent Gillen se moquer des touristes. Pevney préfère regarder la ville de loin, du haut des collines qui l’entourent et qui l’enferment comme dans un écrin, ou alors il travaille sur l’atmosphère besogneuse du port. Le format large commande l’action et ne permet pas de s’attarder sur les gros plans, il est plus exigeant. Il implique aussi d’avoir une photo moins contrastée, plus réaliste et de travailler un peu plus la profondeur de champ. C’est ce qui donne une allure moderne et qui accompagne la musique plutôt jazzy dans l’ensemble. Cela va bien avec la volonté de réalisme qui est celle du film. Les décors, les ambiances, sont très travaillées. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Charlie Cueno donne des indications qui semblent innocenter Sylvio 

    Les scènes où les mouvements de foule sont requis sont particulièrement réussies, que ce soit l’enterrement du père Tomasino, ou le bal, ou encore l’annonce du mariage prochain de Joe avec Anna. Pevney s’attarde sur les gestes de Joe ou de Sylvio quand ils travaillent dans le restaurant. Les scènes de bagarres sont plus banales. Mais il y a pas mal d’astuce dans le scénario qui permettent d’ancrer l’histoire dans le quotidien, par exemple cette femme, Veda Pinelli, qui trompe son mari et qui a l’air d’une ménagère ordinaire, plus très jeune, mais qui manifeste encore des envies certaines. 

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    Joe annonce son mariage avec Anna devant tous les invités 

    L’interprétation est très homogène et excellente. D’abord Tony Curtis dans le rôle du jeune Joe Martini, tourmenté, mais allant de l’avant. C’est à mon sens un de ses meilleurs rôles, et il a bien progressé depuis Six bridges to cross. Gilbert Roland est le grandiloquent et généreux Sylvio. Il est remarquable quand il exprime tour à tour la tendresse, joyeuse, puis les tourments de l’assassin qui n’arrive pas à oublier ses crimes. Il for(me un beau duo avec Tony Curtis. Marisa Pavan est elle aussi excellente dans le rôle d’Anna, à la fois coléreuse et éplorée. Cette artiste d’origine italienne, qui vit maintenant en France sur la Côte d’Azur, avait commencé sa carrière avec John Ford. Elle était la sœur jumelle de Pier Angeli qui fit, elle aussi, une brillante carrière. Je pense qu’elle était meilleure actrice que sa sœur. Mais elle n’a pas poussé très loin son avantage. Les seconds rôles sont très choisis. Jay C. Flippen dans le rôle du sergent Gillen est excellent, comme toujours évidemment. On reconnaitra aussi Ted de Corsia dans le lieutenant Kilrain, très bien aussi mais le rôle est petit. Argentina Brunetti qui incarne la mama Malatesta est aussi remarquable de justesse. Cette interprétation haut de gamme contribue pleinement à la force émotionnelle du film. Peggy Maley dans le rôle de Veda Pinelli qui trompe son mari parce qu’elle ne peut pas s’en empêcher vaut aussi le détour. Un œil exercé reconnaitra Kathleen Freeman dans le petit rôle de Rosa Cueno. Cette actrice devait par la suite devenir célèbre à cause de ses rôles dans les films de Jerry Lewis qu’elle tourmentait en permanence ! 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe revient sur l’innocence de Sylvio 

    C’est peut-être le meilleur film de Joseph Pevney. En tous les cas c’est un excellent film noir. Il est l’annonce du néo-noir et ce glissement vers un renouvellement de l’esthétique du genre. En France on trouve ce film en DVD dans une version récente, mais pourrie, chez ESC. C’est à, partir d’elle que j’ai fait les captures d’écran, l’image est terne et mal définie. En plus les sous-titres fonctionnent de manière capricieuse et de temps en temps ils ne sont plus là ! Ce film qui a eu du succès à sa sortie, a maintenant obtenu une reconnaissance critique certaine. Je ne suis pas le seul à en dire du bien. Il aurait mérité une plus belle facture dans une version numérisée en Blu ray par exemple. Mais comme le marché est assez étroit, je doute qu’on le voit sous ce format avant longtemps. 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Anna apprend que Joe est un policier 

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Sylvio est mort, renversé par un camion  

    Rendez-vous avec une ombre, The midnight story, Joseph Pevney, 1957

    Joe va pardonner à Sylvio avant de recevoir l’extrême onction

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