• La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

     La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Joan Crawford, tout le monde la connaît, ce fut une actrice majeure du grand Hollywood, une légende, et les chefs-d’œuvre dans lesquels elle a joué ne se compte pas. Elle était peut-être dans la vie un montre comme l’affirmé sa fille, mais comme actrice, c’était un très grand talent. Elle a particulièrement brillé dans le film noir. Jeff Chandler est beaucoup moins connu. Cela ne provient pas de son manque de talent, mais plutôt du fait qu’il est mort très jeune. Il est décédé dans des conditions incroyables, il s’était fait opérer d’une hernie discale, mais le chirurgien ayant « oublié » son bistouri dans son corps avant de le refermer, il décéda d’une septicémie. Il a beaucoup tourné cependant, il interpréta plusieurs fois le rôle de Cochise et c’est ce qui le fit connaitre. Heureusement il n’a pas fait que ça. Il était doté d’un physique étonnant, très grand, athlétique, ses cheveux avaient prématurément blanchi ce qui lui donnait une certaine élégance. Il pouvait tout jouer, on le vit chez Aldrich dans Ten seconds to hell, un film de guerre, chez Delmer Daves qui lui donna le rôle de Cochise dans Broken arrow, chez George Sidney pour Jeanne Eagles où il partageait la vedette avec Kim Novak. Mais c’est avec Joseph Pevney qu’il tourna le plus, sept films en tout. Son dernier film sera pour Samuel Fuller, Merril’s marauders encore un film de guerre. Quelques années après son décès, il inspira également un personnage de Race Bannon pour un dessin animé télévisé, Jonny Quest. Ce n’est pas banal. Joseph Pevney va donc réunir ces deux grandes vedettes pour filmer ce qui était au départ une pièce de théâtre à succès, ce qui est toujours un exercice très délicat. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Le policier Galley enquête sur la mort d’Eloïse 

    Lynn Markahm, la riche veuve d’un joueur de Las Vegas vient prendre possession d’une maison au bord d’une petite plage. L’endroit lui semble idyllique, mais un drame a eu lieu quelques temps auparavant. Son ancienne locataire, Eloïse, est morte en tombant de la terrasse à travers la rambarde. Lynn semble vouloir vendre la maison, et une courtière en immobilier, Amy Rawlinson, doit l’aider dans cette tâche. Lynn remarque que la police enquête sur ce décès. Elle fait la connaissance du lieutenant Galley. Le lendemain elle fait la connaissance de Drummond, dit Drummy, une sorte de vagabond qui vit chez ses voisins et qui a amarré son bateau au ponton de la maison de Lynn. Ce Drummy est sans-gêne et tente tout de suite de la séduire. Lynn l’envoie promener et lui ordonne de virer rapidement son bateau. Mais Drummy lui dit que la pompe à essence est cassée et qu’il faut qu’il en commande une. Drummy est en fait coaché par le vieux couple Sorenson, voisin de Lynn, qui tente de faire en sorte que Drummy soutire de l’argent à Lynn, voire qu’il l’épouse. Lynn se rend bien compte que Drummy est un escroc, mais pourtant elle est attirée par lui. Une bataille entre eux est inévitable. Mais finalement ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Par hasard Lynn va tomber sur le journal que tenait Eloïse sur sa relation avec Drummy. Elle explique dans le détail comment, par le biais de son amant, les Sorenson lui soutirait de l’argent. Elle espérait l’épouser, mais c’était sans espoir. Cependant, la relation entre Lynn et Drummy va s’approfondir malgré tout, et comme cadeau de réconciliation, Lynn offre à Drummy une pompe à essence neuve ! Au point qu’ils projettent de se marier. Entre temps les deux tourtereaux ont viré les Sorenson de leurs relations. Amy ne l’entend pas de cette oreille et tente de s’opposer au mariage. Mais comme elle n’y arrive pas, elle va tenter de saboter le bateau de Drummy avec lequel les deux nouveaux mariés doivent partir en voyage de noces, en remettant en place la pompe à essence usagée. Le but est de faire couler le bateau afin que Lynn se noie et que Drummy s’en sorte. Lynn s’aperçoit du changement et croie que c’est son nouveau mari qui tente de l’assassiner pour s’emparer de sa fortune. Drummy tente de s’expliquer, mais Lynn l’assomme. Il se relève cependant, Lynn qui a peur se rapproche dangereusement de la rambarde. Mais elle est sauvé en réalité par la police qui entre temps vient d’arrêter Amy. Drummy s’explique rapidement et c’est la réconciliation finale. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Galley tente d’expliquer le drame qui a eu lieu dans la maison 

    Cette histoire invraisemblable ne pourrait pas être écrite de cette manière aujourd’hui. C’est excessivement bavard, ce qui est la conséquence de l’adaptation d’une pièce de théâtre. Il faut donc du talent à Pevney et à ses acteurs pour rester à suivre cette histoire jusqu’au bout. Pour cela il faut passer outre les grosses ficelles et s’attarder sur le sens que ce film peut avoir encore gardé aujourd’hui. Le premier aspect est le thème sulfureux d’un gigolo inconséquent qui va découvrir l’amour et faire amende honorable. Il y a dans la première partie du film un portrait étonnant, surtout pour l’époque, d’un homme sûr de lui et de l’attraction qu’il exerce sur des femmes mûrissantes et riches. Il est arrogant et bouffon. Une vraie tête à claques. Son cynisme est encouragé par un couple de vieux escrocs sans foi ni loi. Ajoutons à cet ensemble le policier Galley qui ne semble enquêter sur la mort d’Eloïse que pour le plaisir de draguer Lynn, et Amy qui, sous couvert de vendre la maison de Lynn, tente de la décourager de s’incruster non loin de Drummy dont elle est amoureuse, mais avec qui elle n’a aucune chance puisqu’elle n’est pas riche. Lynn est également une veuve vieillissante qui souffre d’une grande solitude et qui va tout faire pour se raccrocher au louche Drummy. Cette assemblée est fondamentalement amorale, et c’est ce qui fait sans doute l’intérêt de ce film. Les uns s’exercent au chantage, l’autre tente d’assassiner sa rivale, et Lynn elle-même a profité sans scrupule de la fortune de son mari décédé. Ce positionnement qui fait l’intérêt du film, rend invraisemblable l’évolution des personnages vers la rédemption. S’ils font semblant d’y croire, le spectateur ne peut pas les suivre sur ce chemin escarpé. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955 

    Drummond se retrouve dans la maison de Lynn, comme chez lui 

    Cet ensemble de portraits fait apparaître le modèle américain de la famille et de la réussite financière comme un mensonge, et en ce sens le portrait de Drummy qui ne veut pas travailler est assez réjouissant. Surtout qu’il affiche clairement la couleur : il préfère vivre petitement aux crochets de son entourage plutôt que de se confronter au dur labeur et de viser la réussite. D’ailleurs, en se mariant avec Lynn, il ne prétend pas faire autre chose que de vivre à ses crochets. C’est bien là l’ambiguïté du film qui d’un côté tente de nous vendre une romance entre un jeune homme séduisant et une femme vieillissante, et de l’autre nous prévient de l’insolence de Drummond. Ce thème a été abordé déjà par Tennessee Williams avec son roman The roman spring of Mistress Stone, roman paru en 1950 et qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1961 avec Vivien Leigh et Warren Beatty. Cette obsession selon laquelle l’argent peut tout acheter, y compris l’amour,  est donc ici férocement dénoncée dans le cadre idyllique de l’acquisition de biens matériels, la plage privée, la belle maison, le soleil et la mer. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Le couple Sorenson presse Drummy de séduire Lynn 

    Ces principes font que tous les efforts pour faire croire que Lynn ou Drummy pourraient devenir sympathiques à nos yeux échouent. On a beau rappeler que Drummy a été traumatisé par la mort de sa mère – ce qui a mécaniquement engendré un mépris de la gent féminine – on n’y arrive pas. D’autant que cela va être renforcé par une scène où il viole quasiment sous nos yeux Lynn qui est pourtant une dure à cuire. Le cynisme de ces gens est condamné sans le dire. Dans la relation entre Lynn et Drummy, il y a une lutte sans merci à travers le sexe pour le pouvoir. Mais la fin va apparaître comme un compromis hypocrite entre les deux amants. Il est remarquable d’ailleurs que les relations sexuelles multiples de Drummy soient étalées au grand jour. C’est inhabituel pour l’époque. Notez que dans les affrontements incessants entre Lynn et Drummy, il y aura une très longue interrogation pour savoir si le désir et l’amour finalement peuvent se confondre. Lynn avouera d’abord son désir sexuel pour Drummond, avant de dire que finalement elle l’aime. Son comportement est à ce propos à l’inverse de celui de la malheureuse Eloïse qui semble plus amoureuse qu désireuse d’avoir des relations sexuelles pour combler sa solitude. Et de ce fait elle est piégée par sa dépendance à ses sentiments. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955 

    Lynn découvre par hasard le journal d’Eloïse 

    Le fait que l’histoire soit une pièce de théâtre adaptée à l’écran rend la réalisation délicate, puisqu’il faut en effet aérer un peu ces lourdes scènes dialoguées en présentant la plage, en introduisant quelques scènes de bateau. L’usage du grand écran est censé venir en aide. C’est proprement filmé, mais sans trop de signification, on déplace la caméra pour donner du rythme, mais c’est insuffisant, on s‘attarde toujours sur le champ contre-champ dans des face à face interminables. Les seules scènes significatives du point de vue de la grammaire cinématographique sont celles qui regardent la maison de Lynn d’en haut, avec la rambarde cassée, ou d’en bas pour lui donner une force écrasante et donc la faire exister comme un personnage annonçant le malheur. L’utilisation du journal d’Eloïse pour justifier des flash-backs introduit naturellement une subjectivité qui ne peut que troubler Lynn qui est amoureuse de Drummond. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Eloïse donnait beaucoup d’argent aux Sorenson 

    L’interprétation c’est d’abord Joan Crawford dans le rôle de Lynn. Elle avait déjà la cinquantaine, et bien sûr sa différence d’âge visible d’avec Jeff Chandler qui malgré ses cheveux blancs n’avait que 37 ans, renforce le caractère morbide de cette relation. Mais elle occupe bien l’écran et passe facilement de la révolte à la soumission, de l’arrogance à la peur. Jeff Chandler montre ici qu’il n’est pas qu’un acteur athlétique et un homme d’action. Il manie pas mal d’ironie, avec sa voix de basse chantée. Il ne faut pas oublié qu’il s’était d’abord fait connaître par des émissions à la radio et qu’il avait aussi enregistré des chansons avec succès. Je le trouve très bien. Les seconds rôles sont aussi excellents. Jan Sterling comme à son habitude joue le rôle d’une garce criminelle. Charles Drake est aussi très bon dans le rôle du « policier de plage » qui semble chercher tout autre chose que le coupable d’un meurtre. Le couple Sorenson, incarné par les vieux routiers Charles Kellaway et Nathalie Schafer, sont aussi très bons. 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955

    Drummy n’est plus pressé de séduire Lynn 

    On ne peut pas dire que ce film est un grand Pevney, bien qu’on lui ait donné les moyens chez Universal de réaliser un produit haut de gamme. Mais cet échec vient comme on l’a laissé entendre d’une adaptation d’une pièce de théâtre. Au cinéma, il y a deux genres qui sont difficiles, l’adaptation des pièces de théâtre, et le biopic, qui donnent rarement de bons films. Également le fait que les personnages soient tous antipathiques n’aide pas vraiment à faire passer les invraisemblances. La photographie est dû au prestigieux chef opérateur Charles Lang. Elle est sans doute trop lisse, pas assez stylisée pour renforcer le caractère dramatique de l’ensemble. La musique est vraiment catastrophique. On trouve aujourd’hui de très bonnes copies de ce film en Blu ray. Et en tous les cas, malgré ses défauts, il permet de rendre hommage à deux excellents comédiens. 

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    Drummy tente d’expliquer à Lynn le remplacement de la pompe à essence 

    La maison sur la plage, Female on the beach, Joseph Pevney, 1955 

    La police a arrêté Amy 

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