• Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950

     Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950

    Film à petit budget, Warner Bros recycle des scénarios et des acteurs dont ils ne savaient que faire par ailleurs. Ce qui est assez insolite, c’est qu’en 1950 on avait déjà dépassé le stade de ce genre de films noirs qui utilisaient essentiellement le studio et qui ne visaient pas à un naturalisme forcené. Richard Bare, essentiellement réalisateur de courts métrages et de séries télévisées, est surtout connu des étudiants de cinéma pour avoir rédigé un manuel du réalisateur[1]. Malgré ses quelques incursions dans le film noir, il est également connu comme le réalisateur qui a battu le record de longévité, décédant à 101 ans ! Le sujet est dû à Richard Sale, romancier et scénariste à succès dont plusieurs ouvrages furent traduits en français. Celui-ci avait suffisamment de talent pour mélanger une intrigue avec recherche du coupable, donc avec des rebondissements, et la création d’une atmosphère. Il est l’auteur entre autres du scénario de Suddenly[2]. Ici il s’agit d’une sorte d’hybridation entre le film noir et le gothique. La tonalité du film faisant penser à The uninvited de Lewis Allen tourné en 1944. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950

    David Cummins, sans le sou, contemple la vitrine d’un prêteur sur gages 

    Le désargente David Cummins se fait arrêter pour vagabondage alors qu’il regarde la vitrine d’un prêteur sur gages. Le lendemain matin, le juge le condamne à 50 $ d’amende ou à faire trente jours de prison. Il n’a pas d’argent et s’apprête à faire son temps lorsqu’un avocat qui l’a remarqué, Philip Cagle, se propose de payer son amende. L’ayant tiré de prison, il va l’amener à accepter une étrange mission, Cummins doit remplacer Malcom Taylor, un millionnaire qui a disparu depuis sept ans et auquel il ressemble comme deux gouttes d’eau. Cummins est un peu suspicieux, mais l’avocat lui présente l’affaire comme s’il cherchait à connaître le sort de Malcom, et puis ils négocient ensemble un tarif, 5000 $, qui convient à Cummins. Il est pourtant plutôt mal accueilli, aussi bien par sa femme que par son frère ou encore sa belle sœur, même son chien ne le reconnaît pas. Il a en effet la réputation d’un homme arrogant et manipulateur qui se moque de tout. On apprend que sa belle sœur Nadine a été aussi sa maîtresse et qu’il a été odieux avec sa femme. Il arrive à se faire passer pour le disparu, mais si tout le monde marche, Nadine s’aperçoit de la supercherie. Elle propose un marché à Cummins : lorsqu’il héritera des trois millions de dollars que lui a laissé son père, il lui en donnera un paquet. Cummins prévient l’avocat pour lui signaler que tout ne tourne plus comme ils le voudraient. Cagle fixe un rendez-vous nocturne à Nadine, sans lui dire qu’il est au courant de l’identité véritable de Cummins. Celle-ci vient au rendez-vous et la tue, la balançant par-dessus la falaise qui surplombe la mer. La police va conclure à un accident, mais Calder, le frère de Malcom Taylor, est fou de douleur, car il aimait sincèrement Nadine, même si celle-ci ne le lui rendait pas. Cagle sous un prétexte fumeux, celui d’éloigner le faux Malcom de la demeure familiale, va faire signer à Cummins une sorte d’autorisation au nom de Malcom Taylor pour que l’avocat puisse gérer la fortune de la famille. Puis il va assommer Cummins, et l’enfermer dans un puits, où il y a déjà les restes de Malcom Taylor. Revenu à la[jb1] , tandis que Cummins s’épuise à essayer de sortir du piège, il va monter Calder contre Evelyn Taylor qui elle voudrait bien fuir la maison. Tandis qu’enfin Cummins progresse dans son évasion, Calder tente de tuer Evelyn. Mais Cummins arrive juste à temps et donne une raclée à Calder qui s’enfuit. Cagle a entre temps appelé la police. Mais c’est Cummins qui réapparait ! Cagle tente de le tuer, sans succès, puis il s’enfuit, avec la police à ses trousses, ce sera en vérité le chien de Malcom qui se chargera de lui régler son compte. Cummins racontera la vérité à la police, mais Evelyn refuse de porter plainte, et ils vont vivre l’amour qui leur était promis. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950 

    Le juge le condamne à 50 $ d’amende ou à la prison 

    Le scénario contient d’énormes invraisemblances, même si on admet que deux hommes puissent se ressembler autant, la ressemblance pouvant tromper d’autant plus facilement que sept années ont passé, et même si on admet la rencontre fortuite de l’avocat et de Cummins au tribunal. Parmi les grosses ficelles du scénario, il y a cette naïveté de Cummins qui ne comprend les plans de l’avocat que tardivement, alors que n’importe quel spectateur a déjà compris que l’avocat est tout à fait véreux. Egalement on a du mal à admettre que Cagel ne liquide pas Cummins une fois qu’il l’a assommé. Un homme au fond du puits d’une propriété, ça ne meurt pas tout de suite, et il pourrait par ses cris rameuter quelque promeneur égaré. Il est également curieux que la rusée Nadine se laisse si facilement tromper par l’avocat, au point d’y perdre la vie. Mais rien ne sert de dresser le catalogue des invraisemblances, parce qu’en réalité elles sont sans importance pour le propos général. C’est donc un homme un peu paumé, dans la débine manifestement, qui va endosser l’identité d’une personne disparue, riche de surcroît. Evidemment s’il abandonne aussi facilement que ça sa véritable identité, c’est bien qu’au fond il n’en avait pas. Il cherche dont à renaître après avoir essuyé quelques tempêtes dont on ne saura rien. Mais en devenant Malcom Taylor, Cummins va redevenir Cummins ! On note qu’il ne redevient pleinement Cummins, non seulement après avoir avoué ses fautes, mais après avoir émergé du puits en passant par un trou. C’est une forme d’accouchement, mais aussi une sorte de référence à Edgar Poe, L’inhumation prématurée dont Roger Corman tirera un excellent film en 1962. Après avoir pourri sous la terre, Cummins va renaître. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950 

    L’avocat introduit Cummins dans son bureau 

    L’autre thème du film c’est l’arrivée brutale du faux Malcom Tayloir dans l’univers bien ordonné, quoique morose, de la maison familiale qui s’appelle ironiquement, et en français, Sans soucis. Il ravive les plaies ouvertes et les jalousies, comme les envies. Un peu à la manière du visiteur de Teorema de Pasolini ! Sa simple présence fait perdre toute prudence à Nadine qui voudrait qu’il lui revienne, Evelyn manifeste son dégoût avec une grande violence pour ce personnage qu’elle dit avoir aimé et qui l’a bafouée. Le frère supposé, Calder, clame ouvertement qu’il aurait mieux aimé le savoir mort et qu’il aimerait bien le tuer ! C’est beaucoup pour un seul homme. On peut suppose d’ailleurs que c’est l’image de maudit qui poursuit Malcom Taylor qui poussera Cummins à refuser de continuer la supercherie. Dans ces conditions la canaillerie de l’avocat est par comparaison peu de chose, il est rationnel, cupide, certes, mais logique, tandis que les autres membres de la famille perdent pied te ne savent plus ce qu’ils font, comme des pantins déréglés. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950

    Son frère et sa belle-sœur ne semblent pas heureux de le revoir 

    Les personnages féminins sont beaucoup plus intéressants que leurs homologues masculins. Nadine comme Evelyne est une femme frustrée, elles respirent une sexualité débordante, mais rentrée. Malcom n’a pas rempli ses devoirs d’époux auprès d’Evelyne, lui préférant des traînées et des femmes de peu. Nadine serait certainement prête à tout pardonner à Malcolm pour peut qu’il s’intéresse à elle. Notez que ce sont deux femmes oisives et entretenues qui veulent en plus être le centre de la sexualité d’un homme. Evelyn dit avoir été amoureuse follement de Malcolm, mais on peut mettre cette idée en doute, parce qu’elle ne réagit ni à la mort du vrai Malcolm, elle a l’air de s’en moquer, ni au fait qu’elle ait pu reporter son intérêt sur Cummins qui n’est pas Malcolm ! Du reste il est étonnant qu’une femme amoureuse ne se soit pas rendue plus rapidement compte que Cummins n’était pas Malcolm. Nadine en fera la remarque, c’est au fond elle qui était vraiment amoureuse de Malcolm puisqu’elle ne sera pas longtemps dupe, manifestement elle doute dès le début, et aura la preuve physique dès qu’elle s’approche vraiment de Cummins. A partir de ce moment-là, elle ne se fera plus chatte, mais au contraire deviendra exigeante pour partager l’héritage, le matérialisme reprendra le dessus, une fois l’illusion amoureuse dissipée. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950

    L’avocat a donné rendez vous à Nadine

    La mise en scène est dans l’ensemble très bonne, ramassée syr un temps assez cours, une heure et quart à peine. Bien aidée d’ailleurs par une photo à la hauteur de Carl Guthrie qui avait beaucoup travaillé avec Richard Bare, mais qui avait aussi fait l’excellent Caged de John Cromwell[3] ou le très bon Highway 301 d’Andrew Stone[4]. Le rythme est très bon, bien que l’histoire soit très dialoguée et que ce soit du pur studio. Il utilise magnifiquement les volumes de la luxueuse maison Sans soucis – en français dans le texte – les immenses escaliers mais aussi les hauteurs de plafond des salons cossus qui donnent une sensation d’étouffement, en filmant des plans larges. L’apparition de Cummins immobile dans la fenêtre de la demeure, alors que son faux beau frère joue du piano, renvoie l’idée d’un fantôme. La réalisation est moins convaincante quand il s’agit d’action. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950 

    Péniblement Cummins va grimper dans le puits à la force du poignet 

    L’interprétation est évidemment faite de seconds choix. Kent Smith qu’on a vu souvent dans des films noirs chez Siodmak, The spiral staircase, ou dans des films plus ou moins horrifiques, Cat people et The curse of the cat people, souvent cantonné à des rôles de gentils garçons un peu lisses, l’image même du bon Américain, trouve ici son meilleur rôle. Il est présent du début à la fin. Il est excellent par ses doutes et ses hésitations à endosser la peau de Malcolm Taylor. Il apporte une touche de dynamisme qui empêche le film d’être trop déséquilibré et de pencher vers l’avocat Cagle. Malgré son comportement scabreux, il rend le héros finalement assez sympathique. Viveca Lindfors, actrice d’origine suédoise, bien qu’elle soit la tête d’affiche et qu’elle ait une grande réputation de finesse, est beaucoup moins présente, très effacée dans le rôle d’Evelyn, elle hésite entre la jeune femme passive et romantique et la révoltée. Elle était très connue pour ses positions politiques très à gauche, s’étonnant publiquement qu’un acteur de seconde zone, le médiocre Ronald Reagan ait pu arriver à conquérir la magistrature suprême, les Américains ont fait pire dans le genre depuis avec le mandat de Donald Trump. Plus intéressante est Janis Paige dans le rôle de Nadine. Hargneuse, elle est tout à fait convaincante en jeune femme jalouse et battante derrière un physique marquant[5]. Robert Douglas qu’on a souvent vu dans des films de cape et d’épée dans des rôles de fourbes, incarne l’avocat véreux. Il est très bien. C’est un bon acteur qui a fait une très longue carrière à la télévision, où il fut également un réalisateur très demandé. Il arrive ici à nous faire croire qu’il embobeline le pourtant méfiant Cummins avec son débit rapide et ses sourires. Enfin il y a John Alvin dans le rôle du jeune frère de Malcolm Taylor. Nerveux, à la limite de l’hystérie, il incarne un homme faible et désorienté qui attend tout de sa femme qui le méprise. Lâche aussi, il s’enfuit dès lors qu’il est en infériorité physique. Mais il reste très en retrait. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950

    Tel un diable de sa boîte Cummins s’est extrait de sa prison 

    C’est dans l’ensemble un très bon film noir dont les astuces scénaristiques conservent l’attention du spectateur jusqu’au bout, même si ce n’est pas un chef d’œuvre. Bare arrive à créer une atmosphère qui fait que le film a bien passé les années. C’est probablement sa meilleure prestation. 

    Une étrange imposture, This side of the law, Richard L. Bare, 1950 

    Le retour de Cummins surprend Cagle



    [1] The Film Director: A Practical Guide to Motion Picture and Television Techniques, Wiley, 1971

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/je-dois-tuer-suddenly-lewis-allen-1954-a130390138

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/caged-femmes-en-cage-john-cromwell-1950-a114844926

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-temoin-de-la-derniere-heure-highway-301-andrew-stone-1950-a114844698

    [5] Toujours vivante, c’est la seule rescapée de cette aventure.


    « Le témoin à abattre, La polizia incrimina, la legge assolve, Enzo Castellari, 1973Le chat noir, The black cat, Edgar G. Ulmer, 1934 »
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