• Le prolifique Claude Chabrol passe souvent pour un des maîtres du film noir à la française, mais aussi pour un des réalisateurs de cette Nouvelle Vague qui est censée avoir renouvelé de fond en comble la manière de faire du cinéma.

     

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    L’œil du malin appartient à cette veine d’une cinématographie qui se situe à mi-chemin d’une psychologie sommaire et du film policier. Je ne voudrais pas paraître critiquer Chabrol qui vient de décéder et qui semblait par ailleurs être un garçon sympathique, mais je doute simplement qu’il ait été un cinéaste important. C’est le sixième long métrage de Chabrol qui n’a plus l’excuse de débuter et d’apprendre le métier ! Au bout du compte, il ne paraît guère arrivé à la hauteur d’un Julien Duvivier ou même d’un Henri Decoin, tant il a semblé tout au long de sa carrière avoir de la difficulté à obtenir une maitrise technique de son outil. Albin Mercier, écrivain raté se retrouve en Allemagne pour y effectuer un reportage. Seul, ayant tendance à déprimer, il va rencontrer un couple franco-allemand qui présente l’image d’un bonheur bourgeois et paisible. L’homme est un romancier allemand célèbre, la femme, une française accueillante. Mais Albin va se montrer jaloux et envieux n’ayant comme seul but finalement que de détruire ce couple. Il y parviendra finalement.

     

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    Tourné en 1961, le scénario, bien que très médiocre est tout à fait démarqué de Plein soleil qui avait connu l’année précédente un énorme succès. Peut-être Chabrol avait-il l’intention de donner une leçon de cinéma à Clément ? Peut-être voulait-il simplement profiter du succès de Plein soleil. La référence est renforcée par le fait que Jacques Charrier aurait dû prendre la place d’Alain Delon, s’il n’en avait pas été empêché pour raison familiale . On peut trouver ça curieux étant donné la critique acerbe que les réalisateurs de la Nouvelle Vague manifestaient envers René Clément. Mais ici tout fonctionne de travers, le film semble long, comme c’est souvent le cas avec Chabrol, alors qu’il ne dure qu’une heure vingt. La multiplication des plans inutiles empêche qu’on s’intéresse à ce huis-clos. Par exemple, la traversée de la fête de la bière à Munich vire au reportage touristique, sans faire avancer l’histoire d’un pouce. Mais c’est souvent comme ça chez Chabrol, aussi bien dans ses films anciens que dans ses films récents. L’inconséquence du découpage scénaristique ne permet pas de comprendre le retournement final, l’attitude d’Hélène lorsqu’Albin tente de la faire chanter n’est pas en cohérence avec le caractère d’Andreas. Et si la scène d’humiliation d’Albin sur le lac s’apparente à celle d’Alain Delon tombant du bateau dans Plein soleil, on remarquera qu’il y a une faute de raccord que René Clément ne se serait jamais permise : sur le petit bateau à moteur, on peut en effet voir à certain moment Jacques Charrier assis à la gauche de la jeune femme qui le drague ouvertement, et parfois à sa droite !

     

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    Les références sont paresseuses, ainsi cette manie de montrer les deux hommes s’affronter dans une partie d’échecs, jeu destiné à montrer la ruse et le calcul des deux adversaires, mais aussi destiné à démontrer un grand raffinement d’esprit. On pourrait dire d’ailleurs que cette partie répond à la partie de cartes sur le bateau dans Plein soleil. Je passe sur la musique envahissante et démonstrative, saturant parfois les dialogues. Les interprètes ne sont pas en cause, si Walter Reyer est à la limite du cabotinage, Stéphane Audran est très bien et Jacques Charrier s’en tire avec les honneurs. Tourné en noir et blanc, l’image est bonne, comme c’est souvent le cas chez Chabrol lorsqu’il travaillait avec Jean Rabier.


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  • Patrick Pécherot, L’homme à la carabine, Gallimard, 2011. 

    Pécherot publie depuis plusieurs années à la Série noire. Après des débuts peu remarqués dans le polar contemporain car trop marqués des tics du  néo-polar, avec complots en chaîne et message politique appuyé, il s’oriente vers le roman noir à connotation historique. Tout comme l’extravagant James Ellroy, mais avec plus de conscience sociale (ce qui n’est pas bien difficile) et une meilleure écriture, il mêle des personnages réels et des personnages historiques dans le déroulement de ses fictions. Ce sont ses pastiches de Léo Malet qui l’avaient d’ailleurs fait remarquer au-delà du petit cercle des amateurs de néo-polars. Il avait imaginé la jeunesse de Nestor Burma à partir d’un titre de Léo Malet, Les brouillards de la Butte, une aventure de Nestor Burma au moment de la Guerre d’Espagne et aussi Nestor Burma pendant l’Occupation, au tout début de celle-ci. Il était ensuite revenu au polar contemporain avec Soleil noir, mais ce fut un ouvrage peu convaincant, versant dans les travers misérabilistes du début. Pécherot se trouve finalement plus à l’aise quand il revisite l’histoire récente, disons la première partie du XXème siècle, du temps que les classes sociales existaient en tant que classes et luttaient pour leur hégémonie. Manifestement la défaite du prolétariat a produit une société aseptisée et sans humanité.

    Ce retour en arrière permet à Pécherot de travailler sur le langage, revenir au parler populaire, ancré dans une classe sociale spécifique. En effet, le point de vue politique révolutionnaire de Pécherot est très clair : il ne s’accommode guère de la réalité économique et sociale capitaliste, et préfère défendre le point de vue des classes offensées, des marginaux, des pauvres et des exclus de toute sorte. Ce qui veut dire que la reconstitution de cette langue populaire n’est pas gratuite, elle désigne tout ce que nous avons perdu en termes de civilisation.

    Dans son dernier ouvrage, qui est publié à la blanche, alors que Pécherot le destinait à la Série noire, il s’intéresse à la trajectoire d’André Soudy, un second rôle de la bande à Bonnot qui fut exécuté pour des crimes que probablement il n’avait pas commis. Il l’avait déjà cité dans Belleville-Barcelone au milieu de quelques autres héros de l’histoire de l’anarchie comme Marius Jacob. Ici, il va reprendre son parcours, resituer sa trajectoire à travers une vie de misère et d’exploitation et un engagement dans l’anarchisme illégaliste. Tuberculeux en sursis, Soudy flotte dans sa vie comme dans ses habits qui paraissent trop grands pour lui.

    L’ouvrage est remarquable, que ce soit dans la description de la situation sociale et politique ou que ce soit dans la présentation de la répression policière qui s‘appuie à l’évidence sur l’ignorance du peuple. Pécherot esquisse (c’est d’ailleurs le sous-titre de son roman) plus qu’il ne décrit, suggérant des relations sociales complexes. Pour ceux qui se poseraient des questions sur la nécessité d’écrire de la fiction, la lecture de L’homme à la carabine les éclairera. C’est en effet par ce que Pécherot imagine être la vie de Soudy et de ses complices qu’il parvient à nous faire comprendre d’une manière « suprasensible » ce que furent ces temps où la lutte sociale s’effaçait lentement des mémoires et laissait la place à l’action individuelle.

    Avec le recul des années, il est inintéressant de prendre position pour ou contre l’illégalisme de Bonnot qui trop souvent est présenté comme un imbécile sans conscience sociale. Et ce n’est d’ailleurs pas le but de Pécherot qui resitue la course à la mort des « bandits tragiques » dans le développement du capitalisme industriel triomphant et son cortège de misère. Ce qu’il détruit, ce qui est perdu irrémédiablement c’est cette idée de solidarité, de partage qui caractérise justement la culture ouvrière.

    Si l’ouvrage de Pécherot nous touche c’est bien parce qu’il met en adéquation le langage de cette époque avec les actes et la situation politique. Découpé en petits chapitres courts, le roman utilise aussi plusieurs techniques d’approche. Parfois Soudy parle, parfois c’est Pécherot qui s’adresse à nous, mais on peut y lire des lettres, des rapports de police… Cette multiplication des points de vue, qu’on trouvait déjà dans Tranchecaille, n’est pas si facile à manier, et parfois elle peut paraître artificielle, mais dans l’ensemble elle procure une forte émotion, comme le portrait en creux qu’on découvre de Barbe, petite Bretonne à moitié idiote qui, fuyant la misère de ses campagnes échoue comme bonniche à Paris, avant d’être prise en affection par l’un des membres de la bande à Bonnot. Dans le corps du texte, Pécherot a inclus des photos qui rendent Soudy plus proche de nous et qui lui redonne un peu d’humanité.

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