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Max et les ferrailleurs, Claude Sautet, 1971
Max et les ferrailleurs vient dans la filmographie de Claude Sautet juste après le triomphe des Choses de la vie, ce qui explique qu’il ait pu obtenir toute liberté pour faire exactement ce qu’il voulait. C’est vers ce film noir que Sautet revient tout au long de ses entretiens pour le désigner comme son film préféré. À l’origine c’est un roman noir de Claude Néron, publié chez Grasset en 1968. Néron avait été encouragé par Jean Paulhan et avait publié d’abord, en 1965, chez Grasset, La grande marrade que Sautet avait lu et avait projeté d’adapter au cinéma, cela deviendra Vincent, François, Paul et les autres. Néron n’a que très peu publié, deux romans, les deux adaptés par Sautet, et deux novellisations, l’une d’après le scénario de Mado, film de Sautet encore, et l’autre d’un scénario policier, Le bar du téléphone, publiée sous le titre Les chiens fous, sans grand succès. On voit que son œuvre est intimement liée à celle de Sautet, mais à l’inverse, on voit que Sautet doit beaucoup à l’univers brossé par Néron. Certainement aussi que sa langue l’a séduit. De Néron on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il a connu justement un policier semblable à Max, membre du Parti communiste qui officiait du côté de Nanterre. Il avait fait trente-six métiers, trente-six misères, y compris plus ou moins le ferrailleur du côté de Nanterre. Sautet aimait à rappeler que lui aussi était un banlieusard, de Montrouge. Ce qui avait son importance en ce temps-là. Comme on le sait la banlieue parisienne était dans la deuxième partie des années soixante, de couleur rouge par opposition aux beaux quartiers de la capitale. C’était une autre civilisation. Ce film a donc été tourné en 1971, dans la foulée du bouleversement de Mai 1968. Et ça se sent, non pas dans sa forme politique de remise en question des institutions et des valeurs, mais dans sa forme poétique, grâce à la stylisation que Claude Sautet va opérer. On pourrait dire que, au-delà de l’intrigue proprement dite, c’est l’histoire de la fin de la banlieue parisienne et le début de son intégration malheureuse à Paris.
Max est un policier déçu, il n’arrive pas à coincer des malfrats qui écument Paris et sa banlieue. Il sait pourtant qui ils sont, mais il n’a aucune preuve à présenter au juge d’instruction, il fait part de son désarroi auprès du commissaire qui tente de le calmer. Il lui vient alors l’idée de travailler en amont des hold-ups, afin de prendre les malfrats en flagrant délit. Au besoin il aidera un peu le destin. En enquêtant sur une voiture volée qu’aurait utilisée un gangster, il croise inopinément chez un receleur Abel Maresco qui traficote dans la ferraille et dans les voitures volées. C’est un ancien copain de régiment ! Il le suit et l’aborde dans la rue, comme si seul le hasard était pour quelque chose. Ils boivent un coup ensemble et il se fait passer pour un homme d’affaires. A partir de là, il va surveiller la bande d’Abel. Pour cela il va demander l’aide du commissaire Rosinsky, un policier de Nanterre qui connait la bande et qui juge que jamais ils ne passeront à la vitesse supérieure pour faire un hold-up. Il signale qu’il a un informateur parmi eux. Il les laisse faire leurs petits trafics, pensant que cela les empêche d’aller plus loin dans la délinquance. Grâce aux indications de Rosinsky Max remonte jusqu’à Lily, une pute, qui vit avec Abel, au milieu d’une bande finalement tranquille qui n’existe que dans les redents de la société.
Le commissaire explique à Losfeld pourquoi il doit démissionner
Max, grâce à son argent, il est riche par ailleurs, va louer un appartement en même temps que Lily avec qui il refuse de coucher. Il est très mystérieux, ce qui intrigue Lily auprès de qui il se fait passer pour un banquier. Peu à peu en le fréquentant Lily va trouver Abel terne et sans ambition et, fascinée par le faux banquier, elle va le pousser, sans trop le comprendre vers un hold-up. Max lui transmet des informations, mais Lily ne bouge pas. Rosinsky apprend par son indic, à son grand étonnement, que la bande d’Abel va commettre l’attaque de la banque que Max a indiquée à Lily. Après bien des hésitations, Lily va donner les informations sur une arrivée importante de fonds. La bande se réunit et prépare le hold-up. Mais de son côté Max organise le piège. Toutes les issues sont bouchées, l’attaque échoue, P’tit Lu est tué, et tout le reste de la bande est arrêté. Lily est effondrée. Et plus encore quand elle comprend que Max l’a manipulée. En se rendant chez Rosinsky, Max voit que Lily a été convoquée pour témoigner. Max ne le supporte pas, il ordonne à Rosinsky de l’élargir, mais celui-ci refuse. Max le tue. Il va être arrêté et le commissaire, son supérieur, va être contraint de démissionner.
Max en a assez de voir les criminels lui échapper et veut monter un coup
Ce n’est peut-être pas qu’un film noir, mais c’en est un, et un vrai. Mais enfin, les films noirs ne sont pas que des films noirs ! Il y a en effet beaucoup de films noirs avec des flics un peu dérangé et hargneux, à commencer par Dirty Harry ! L’intrigue est suffisamment complexe pour tenir en haleine le spectateur, mais suffisamment simple aussi pour servir de base à un portrait de cette société du des années soixante-dix. Le principal n’est pas la traque d’une petite bande de délinquant par un psychopathe, ni même la lutte entre les différents services de police. C’est le moment où Paris se trouve en lutte contre la banlieue qui la cerne, et qu’elle veut mettre au pas pour en faire en quelque sorte sa succursale. Et donc on peut voir ce film comme la défaite de la banlieue, Paris instrumentalisant une sorte de psychopathe aigre et malfaisant. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la haine de Max contre les banlieusards. Il leur envie leur liberté, ils sont toujours en train de rigoler et de s’amuser. Ils ne se plaignent pas, mais ils sont toujours à la recherche de combines plus ou moins douteuses. Max est un corrupteur, il se sert de son argent pour manipuler Lily, le maillon faible de la bande. Il se venge ainsi de sa solitude. On sait qu’il a été divorcé. Il n’est pas impuissant, mais il ne prend pas de plaisir à faire l’amour. Il l’annonce froidement à Lily.
Max retrouve Abel, un copain de régiment
La bande à Abel c’est un ramassis de glandeurs insouciants, jamais très loin de l’enfance, avec des rêves qu’ils ne réaliseront jamais. Vivant au jour le jour, peu exigeants finalement, ils se contentent de ce qu’ils ramassent au cours de leur pérégrinations. Si Max est déjà mort, la bande à Abel est bien vivante. La sympathie du spectateur va naturellement du côté des petits voyous de banlieue, c’est évident, même si quelque part on prend Max en pitié. La police, c’est une machine sans âme, et c’est sans doute cela que voulait corriger Max, à n’importe quel prix. Cependant à y regarder de plus près, il y a que Max envie la liberté d’Abel, de Lily et leur bande. Dans le trio Abel-Lily-Max, ce dernier est le trouble-fête, le jaloux, celui n’aura de cesse que de les séparer. Tout son travail qu’il cache derrière la nécessité de faire un flagrant délit, n’a qu’un seul but s’approprier de Lily, de son corps et de son âme. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne couche jamais avec elle, même si on comprend qu’il en a envie. Il veut l’extraire se son milieu, la purifier si on veut. Et c’est pourquoi il prendra très mal l’initiative de Rosinsky de l’interroger et de l’impliquer dans cette affaire. En vérité il n’a pas peur du témoignage de Lily, d’ailleurs, il n’est pas peureux. Mais il sait très bien qu’en l’impliquant dans le procès de la bande, elle perdra de sa pureté et apparaîtra à son tour comme ayant manipuler Abel et la bande. Il n’est pas question de savoir s’il l’aime ou non. Ce n’est pas un sujet de réflexion pour lui. C’est un homme qui vit avec des fantasmes de pureté. S’il a quitté la justice pour entrer dans la police, c’est parce qu’en tant que juge il n’était pas assez efficace pour combattre le mal.
Rosinsky, le policier de Nanterre surveille son secteur
Max est un homme malade, et c’est sans doute cela qui fascine Lily. Mais c’est aussi un séducteur. Quand il rencontre Abel près du métro, il quitte son air funèbre, devient chaleureux, l’invite à boire un coup. Il a cette même ambigüité avec Lily. Il lui donne de l’argent pour mieux la tenir, mais il n’hésite pas à la torturer avec ses silences, alors qu’il avait aussi fait des photos d’elle qui avaient plu à Lily. Cette ambivalence maniaque c’est ce qui lui sert pour la mener où il le veut. Colérique aussi, dès que la réalité le contrarie, il quitte ses bonnes manières bourgeoises et pique des crises qui peuvent l’amener jusqu’à tuer. Sa rage de convaincre que la bande d’Abel puisse être un repaire de futurs braqueurs de banques, l’amène à créer le chaos autour de lui. On voit à cet égard le rôle malfaisant de l’argent que Max possède en abondance. A défaut de créer la vie, ou de la protéger, il sème la mort avec obstination. Au fond Max est assez facile à comprendre, et Lily est en réalité bien plus compliquée. Aime-t-elle Abel ? Peut-être, mais il voudrait qu’il ressemble aussi un peu à Max qui la fascine. Elle pousse Abel et se rend trop tard qu’elle l’a mené en prison. En vérité elle a épousé, par jeu, ou pour d’autres raisons, la logique de Max, et elle s’amuse à le manipuler. Car Abel est faible, et il s’en fout.
Max est arrivé à entamer une étrange liaison avec Lilith
Le film est mené du point de vue du commissaire qui donne sa démission, et qui se demande pourquoi est comment il en est venu à suivre les élucubrations de Max. Ce principe fait qu’une partie de cette histoire va rester dans le flou, parce que le commissaire ne la comprend pas tout à fait. Le film est long flash-back, mais ce retour en arrière n’est pas là pour raconter une histoire, c’est l’effort du commissaire pour comprendre. La structure du scénario amène d’autres flash-backs, mais là ils sont comme le récitant qui donne des indications sur les protagonistes pour économiser du temps et aller à l’essentiel. On verra donc surtout des rappels pour ce qui est de la bande des ferrailleurs. Cela donne une forme d’éloignement par rapport à ce qu’ils sont, et on comprend qu’ils sont incompris dans la logique policière de Max. Seul Rosinsky qui les a approchés d’un peu plus près, semble les comprendre. Ces aller-retours, et cette voix off, en compliquant l’écriture du scénario va donner de la vie aux protagonistes. C’est peut-être le scénario le mieux écrit de Sautet avec Classes tous risques, mais dans ce dernier film c’était clairement du José Giovanni, d'ailleurs c'était Lino Ventura qui avait été cherché Sautet.
Il s’amuse à photographier Lily
On le sait, Sautet avait cette capacité de brosser des milieux d’une manière convaincante. Mais justement Max et les ferrailleurs montre qu’il ne s’agit en rien d’une vérité documentaire. Les personnages sont stylisés, Max a le visage blême, il porte des habits de croquemort ou de veuf. Les ferrailleurs sont aussi en uniforme, en uniforme de la mouise et du destin, ils sont par leur allure désinvolte, ils ne vivent pas seulement en banlieue sur le plan géographique, ils sont aussi en exil de la société moderne. Ils sont complètement dépassés, cernés par des usines et des grands immeubles qui ne leur laissent plus rien comme espace pour vivre leur liberté. Roger Pigaut reprendra cette formule, des inadaptés sociaux qui montent un coup qui les dépasse dans 3 milliards sans ascenseur[1]. Cette forme délibéré dans l’opposition entre la modernité parisienne et la banlieue archaïque, visuellement exposée par Sautet explique au fond le thème récurrent des gangsters qui se trouvent déphasés face à l’évolution de la société, que ce soit à propos de mentalité, ou parce que le truand est trop resté longtemps en prison et n’a rien compris. Le temps ne court pas à la même vitesse dans les deux parties, et ce ne sont pas les voyous qui donnent le la.
Le boulot des ferrailleurs est de plus en plus difficile
Le choix des décors est minutieux, moins sans doute en ce qui concerne le quartier ou travaille Lily, qu’en ce qui concerne la zone où vivent et traficotent les ferrailleurs. Dans ce dernier cas on voit une sorte de terrain vague cerné par des usines et donc promis à une éradication rapide. Évidemment les scènes de bistrot ressortent tout à fait, comme cette façon très personnelle que Sautet possédait de filmer à travers les vitres plus ou moins embuées des gens qui se parlent et dont on n’entend rien de ce qu’ils se disent, mais on le comprend. Cet effet allié à un travail particulier sur les couleurs, volontairement pastellisées, donne une forme de nostalgie du fait de l’éloignement du spectateur, et en même temps cette forme poétique renvoie la modernité à des formes dérisoires de vie sociale.
Lily se demande ce qu’elle fait à regarder Max réparer un réveil
La mise en scène est très précise, et cela est nécessaire dans ces moments où on voit les hommes s’agiter, que ce soit lorsque les ferrailleurs « travaillent » à voler des bobines de cuivre, ou dans la scène du hold-up sur le moment de l’arrestation. Sautet joue des rythmes différents, rapide dans l’action, plus lent dans le parcours des rues de Paris ou de la banlieue. C’est d’ailleurs cette lenteur qui va donner de la densité aux décors urbains, en assimilant les lumières différentes qui forment un tout. Il y a aussi énormément de gros plans, ils agissent comme une lecture des sentiments, même si Max le plus souvent les dissimule. C’est là que la direction d’acteur est précieuse. Claude Sautet disait que le tournage avait été euphorique – c’est le mot qu’il employait – mais qu’il avait été épuisant. Et je crois que les acteurs qui ont participé à ce projet y adhéraient totalement. Ça se voit à l’écran.
Le Dromadaire annonce à Rosinsky qu’Abel veut attaquer une banque
La distribution est complètement dominée par Michel Piccoli. C’est dans Max peut-être là qu’il trouve son rôle le plus subtil. C’est lui-même qui a choisi son costume et son chapeau qui le font ressembler à un croquemort ou à un envoyé du destin, un ange de la mort. Il a ce côté lugubre et morbide, violent et caractériel qui souvent échappe dans ses autres films. Il représente un faux calme, une violence qu’il a du mal à contenir. La scène qui s’achève par le meurtre de Rosinsky est très difficile à jouer parce qu’elle doit procéder d’une sorte de crescendo, passant d’une violence contenue à une rage démesurée, puis à l’hébétude d’avoir agi ainsi. C’était un homme qui savait prendre des risques, au faîte de sa célébrité, il n’hésitait jamais à tourner dans des films expérimentaux, à petit budget. Sautet et Piccoli s’entendaient très bien, ils feront quatre films ensemble, sans compter la participation de Piccoli comme narrateur à César et Rosalie. Il avait le physique et l’allure d’un grand bourgeois, mais il adorait interpréter des personnages qui camouflaient leurs turpitudes derrière un physique apparemment lisse. Il fait la paire avec Romy Schneider, autre habituée des films de Sautet, avec qui elle tournera cinq films. Cependant dans le rôle de Rosalie, même si elle ne démérite pas, elle n’a pas l’aura de Piccoli, il lui manque quelque chose, peut-être une touche de vulgarité ou de la colère, du tranchant assurément. D’ailleurs elle n’apparait qu’après le premier quart du film. Sautet disait que Piccoli et Schneider s’entendaient très bien, parfois même sur son compte !
Les ferrailleurs répètent le hold-up
Les autres rôles sont très soignés aussi. Bernard Fresson que Sautet appréciait beaucoup incarne Abel, d’une très belle manière. C’est en effet un comédien qui a été trop souvent sous-estimé, mais il possédait une très grande finesse dans son jeu. François Périer est impeccable, comme toujours, dans le rôle de Rosinsky, le commissaire qui ne sait pas trop comment s’opposer à la folie de Max. du côté de l’ordre il y a encore George Wilson qui est le supérieur de Max et qui par laxisme le laisse mener la barque jusqu’au désastre. Son rôle est assez bref, mais il est suffisant pour le faire remarquer. Et puis il y a les délinquants qui gravitent autour d’Abel, Bobby Lapointe c’est P’tit Lu, celui qui se fait descendre par la police, un être frustre et paumé, Michel Creton ou encore le très bon Henri-Jacques Huet dans le rôle de l’indic. C’est donc une distribution haut de gamme, avec Philippe Léotard dans l’un de ses premiers rôles au cinéma. Et cette distribution homogène est pour beaucoup dans la réussite du film.
Max prépare ses troupes pour coincer Abel et sa bande
Le succès critique et public sera au rendez-vous, même si ce succès sera moins fort que celui des Choses de la vie. Je pense qu’au fil des ans, le jugement de Sautet se confirme : c’est bien l’un de ses meilleurs films. Le film a fait l’objet de très nombreuses rééditions en numérique, la qualité de l’image de René Mathelin et de la musique de l’indispensable Philippe Sarde, le mérite très largement. L’affiche d’origine est un peu en décalage avec le ton du film, utilisant un graphisme proche de la culture Pop, elle est la marque aussi de l’époque. Bien entendu on peut regarder ce film d’une manière nostalgique, comme le reflet d’un monde perdu, qui n’existe plus. Mais c’est une erreur, lorsqu’on, trouve un film très bon, c’est bien au-delà de sa datation, c’est toujours parce qu’il fait partie de notre monde d’aujourd’hui.
C’est fini la police ramasse les restes de la bande
Lily découvre que Max est un flic
Max tue Rosinsky
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/3-milliards-sans-ascenseur-roger-pigaut-1973-a114844662
Tags : Claude Sautet, Claude Néron, Michel Piccoli, Romy Schneider, Bernard Fresson, François Périer, film noir, banlieue parisienne
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