• A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

     A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Le film noir mène à tout, même à Godard. Celui-ci s’était gavé de films et de romans noirs avant de passer à la réalisation, et ils furent une source d’inspiration, mais il en fit bien autre chose. La volonté de la Nouvelle Vague, celle qui logeait dans Les cahiers du cinéma, était de démontrer que sur le plan de la forme le cinéma français – la qualité française comme disait bêtement Truffaut – était réactionnaire et rétrograde. Mais pour asseoir leur démonstration, ils s’appuyaient sur la qualité hollywoodienne, Hitchcock était leur maître, et seul Renoir trouvait grâce à leurs yeux, encore que dans Les cahiers du cinéma on trouvera une éloge inattendu du film de Vadim, Sait-on jamais[1]. C’était pourtant un académisme assez évident. Mais le but de cet hommage qui lui était rendu était moins de le célébrer que de discréditer des concurrents sur le marché français. Le plus virulent n’était pas Godard, ni même Chabrol, mais Truffaut dont la cinématographie sombra après Les 400 coups dans un conformisme besogneux. Chabrol s’attela quant à lui à l’élaboration d’une « œuvre » de très faible intensité, sans ambition ni formelle, ni thématique. Le seul qui conserva une forme d’intégrité formelle fut Godard, mais ce fut au prix de l’abandon de son public. Plus il cherchait à convaincre après 1968 qu’il travaillait pour le peuple, plus le public le boudait. Truffaut et Chabrol avait choisi la voie de l’alignement sur les normes d’un cinéma bourgeois et ampoulé qui ressemblait comme une caricature à ce qu’ils dénonçaient chez leurs prédécesseurs, la qualité technique en moins bien entendu. Car ce qui a marqué la Nouvelle Vague c’est cette incapacité à s’élever sur le plan technique, comme si celle-ci ne comptait pas. Dans un premier temps cette négation de la technique avait pu donner un parfum de liberté, elle rattrapa rapidement les réalisateurs qu’on range dans ce courant, sauf sans doute Godard et Rivette. Les trois réalisateurs qui collaborèrent pour faire A bout de souffle, avaient un point commun, celui de lire beaucoup de livres de la série noire et d’admirer le film noir du cycle classique. C’est sans doute là que Melville trouva son point de rencontre avec Godard. Godard a flirté avec le film noir, d’abord avec A bout de souffle, ensuite avec Bande à part qui était censé être adapté d’un excellent roman de Dolores Hitchens, puis ce sera Alphaville plus ou moins inspiré du personnage créé par Peter Cheney, Lemmy Caution, et enfin Pierrot le fou, qui était officiellement une adaptation d’un roman de Donald Westlake. C’est un film à tout petit budget, financé par Georges de Beauregard qui s’impliquera souvent dans des films innovants. Celui-ci avait exigé que Claude Chabrol soit « conseiller technique », sans doute pour que Godard ne déconne pas trop. Et puis Claude Chabrol avait fait ses preuves en faisant aboutir Le beau Serge et Les cousins. Deux films à petit budget qui avaient rapporté pas mal d’argent. De même Les 400 coups de Truffaut avait fait sensation à Cannes et s’était imposé auprès d’un vaste public. Pourtant c’est A bout de souffle qui finira par apparaître comme l’étendard de la Nouvelle Vague. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    A Marseille Michel Poiccard va voler une voiture 

    Michel Poicard est un voyou qui vole une voiture à Marseille et remonte sur Paris. Sur son chemin il tue un policier et la chasse à l’homme va être lancée. A Paris il cherche à joindre un nommé Tolmatchoff qui lui doit de l’argent. Puis il va retrouver Patricia Franchini qui vend le New York Herald Tribune sur les Champs-Elysées. Il est très amoureux d’elle. Mais elle semble peu décidée et tandis que Michel court après son argent elle va se commettre avec un journaliste américain qui se propose de l’aider à publier des articles dans le New York Herald Tribune. Puis Michel s’installe dans la chambre d’hôtel de Patricia qui le retrouve ainsi dans son lit. Ils passent du temps ensemble, parlent font l’amour. Mais la police est sur la piste de Michel. Un passant le reconnaît et le dénonce à la police alors qu’ilvient d’amener Patricia à son journal. Patricia part à Orly interroger Parvulesco, tandis que Michel tente de revendre une voiture volée à un marchand qui essaie de l’arnaquer ! Mais la police retrouve Patricia à son journal et demande qu’elle le dénonce. Elle ne le fait pas et rejoint finalement Michel après s’être débarrasser d’un policier qui la suivait. Finalement après être allé au cinéma, Michel va retrouver Berutti qui va encaisser son chèque et lui portera l’argent demain, rue Campagne Première. Sous la pression de Michel qui veut absolument qu’elle parte avec lui en Italie, elle le dénonce pour ne pas avoir à choisir entre son journal et Michel. La police arrive alors que Michel vient de recevoir son argent de Berutti. Mais la police l’abattra. Dans une dernière image on ne sait pas ce que ressent Patricia que Michel a traitée de dégueulasse. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Pendant qu’elle s’habille Michel vole Liliane 

    Le scénario initial avait été écrit – un simple synopsis de quelques pages à ce qu’on dit – par François Truffaut qui s’était inspiré d’une affaire bien réelle, celle de Michel Portail, une sorte de petit arnaqueur qui avait séjourné en prison aux Etats-Unis. L’épisode qui concerne le sujet du film est le vol d’une Ford Mercury à Paris. Poursuivi par la police, il abat un policier, et après plusieurs jours de cavale il sera arrêté et condamné à une lourde peine de prison. Mais il en sortira et viendra sur la Côte d’Azur ouvrir un restaurant. Qu’a voulu faire Godard avec ce mince scénario de Truffaut ? « Quand j'ai tourné À bout de souffle, je pensais que je faisais quelque chose de très précis. Je réalisais un thriller, un film de gangsters. Quand je l'ai vu pour la première fois, j'ai compris que j'avais fait tout autre chose. Je croyais que je filmais le Fils de Scarface ou le Retour de Scarface et j'ai compris que j'avais plutôt tourné Alice au pays des merveilles, plus ou moins, dira-t-il. » Si on regarde ce film soixante ans après les polémiques, on se rend compte qu’il a énormément vieilli, tout parait emprunté. Michel Poiccard n’a pas l’air d’un vrai voyou, Jean Seberg n’est pas une vraie étudiante et Daniel Boulanger n’est qu’un flic de pacotille emprunté à un théâtre de patronage ou à un film de Truffaut. La forme sature le fond, mais si ce film a eu du succès c’est moins dans sa forme que dans sa thématique importée des États-Unis des années quarante par un Suisse nonchalant. Nous voyons donc un petit voyou inconscient aller vers son suicide avec une allégresse pour ne pas dire une joie non dissimulée qui, au passage, martyrise une très jeune femme qui ne sait pas trop ce qu’elle veut. A côté de l’esprit rebelle de Michel Poiccard, il y a une confrontation entre les sexes qui fait le cœur du film. Patricia qui manifestement ne s’aime pas manque de caractère, incapable d’admirer Michel, elle le vendra à la police pour s’en débarrasser. Il ne s’agit pas vraiment d’une forme libertaire de relations sexuelles, du reste Patricia est une opportuniste qui accepte de coucher avec un journaliste totalement fade pour faire avancer sa carrière. Godard a toujours eu des problèmes avec les femmes. Est-ce que cela venait de son physique ingrat ? De son éducation luthérienne ? On ne sait pas. Mais en tous les cas la plupart de ses films regardables mettent au cœur de son discours une méfiance très grande envers la gent féminine. A l’inverse Michel Poiccard, tout délinquant qu’il soit, est un « ami » apprécié de la bande de petits voyous au sein de laquelle il évolue. C’est le reflet de la position du « professeur » Godard au milieu de la petite troupe des Cahiers du cinéma. On verra même Berutti qui tentera de le sauver en l’embarquant dans sa voiture. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960 

    Sur les Champs-Elysées Michel retrouve Patricia 

    L’autre thème de ce film noir parodique est Paris. Il déménage de Saint-Germain-des-Prés aux Champs-Elysées. Ce basculement a été rarement commenté. Il est pourtant crucial pour la Nouvelle Vague. C’est à la fois une manière de revendiquer l’argent du cinéma en abandonnant la bohème, et une rupture d’avec l’avant-garde lettriste. C’est sans doute une des raisons qui feront voir Godard comme un réalisateur de droite, comme Truffaut d’ailleurs. Cette ambiguïté durera jusqu’à l’engagement malheureux de Godard du côté de l’extrême-gauche maoïste. Cette nouvelle rupture dans la présentation de Paris est actée avec les prises de vue de la parade du général Eisenhower sur les Champs-Elysées, comme si Godard saluait l’impérialisme américain qu’il dénoncera par la suite. Le Paris qui nous est présenté ici est moderne, rempli de belles voitures américaines, les rues et les avenues sont larges, peu encombrées. On ne verra pas de pauvres dans ce film. Tout est lisse. Et dans cet univers aseptisé, Michel Poiccard apparaît comme en retard sur le progrès. Godard le condamne, et ce n’est pas un hasard s’il joue le rôle du délateur qui dénonce le voyou. Certes les logements des filles sont petits, assez pauvres, mais pas misérables, ils sont en adéquation avec des personnages qui se cherchent un avenir. L’ensemble de cette faune est animé par une quête de l’argent permanente, et pour arriver à ce but, elle s’assoit bien volontiers sur la morale ordinaire. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Michel cherche à joindre Berutti qui lui doit de l’argent 

    La forme c’est ce qui a été le plus discuté à propos de ce film. ce fut d’ailleurs l’argument de vente avancé. Avant que le film ne soit distribué, Georges de Beauregard par l’intermédiaire de Richard Balducci qui tient un petit rôle dans le film, avait lancé la publicité sur ce thème : ce film serait une révolution unique dans l’univers des images animées. C’est vrai si on ne s’en tient qu’à la France et qu’au cinéma des circuits commerciaux. Si on regarde d’un peu plus près, les nouveautés sont très relatives. Rappelons que juste quelques mois avant John Cassavetes avait sorti un film un peu du même genre, Shadows, où l’audace était bien plus grande. D’abord parce qu’il traitait d’un sujet grave et que sa production avait été non seulement encore moins onéreuse, mais aussi beaucoup plus improvisée, notamment le réalisateur avait engagé des musiciens de jazz, Shafi Hadi et Charles Mingus, qui improvisaient, contrairement à Martial Solal. Le film de Cassavetes ne sortira en France qu’en 1961, et donc il est douteux que Godard ait pu le voir avant de tourner A bout de souffle. Cela signifie que certaines possibilités nouvelles de tournage étaient en cours d’expérimentation un peu partout dans le monde, notamment parce qu’on pouvait utiliser des pellicules plus sensibles à la lumière et des caméras plus légères, ce qui permettait des mouvements de caméra plus nombreux qu’antérieurement. D’ailleurs il semble que l’histoire du cinéma se confonde avec la quête d’une mobilité de plus en plus grande de la caméra. En vérité A bout de souffle contient assez peu de scènes improvisées, même la très longue séquence dans la chambre de Patricia[2]. L’idée selon laquelle il aurait révolutionné les méthodes de tournage grâce à l’utilisation des décors naturels et d’une photo assez peu éclairée, est complètement fausse, il suffit de se référer aux films de Willy Rozier par exemple, notamment Les amants maudits qui, il est vrai, maniait moins que Godard la distanciation d’avec son sujet[3]. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960 

    Michel regarde Patricia s’éloigner avec le journaliste américain 

    Soyons juste, il y a quelques travellings astucieux, filmés par Raoul Coutard depuis une chaise roulante, quand le journaliste américain embarque Patricia et que Michel les suit du regard, ou quand Michel et Patricia traverse un passage d’un immeuble à double-entrée pour retomber sur les Champs-Elysées et ne pas avoir à payer le taxi. Mais certains plans sont complètement ratés comme la fin de Michel Poiccard qui court maladroitement dans la rue Campagne-Première avant de s’écrouler. La scène dans la chambre d’hôtel avec Patricia dure 24 minutes, c’est beaucoup trop. La séquence est très bavarde, on assène des phrases définitives qui sont ânonnées par deux acteurs très mal à l’aise. Également le cadre est difficile dans cette étroite pièce. Ces bavardages incessants qui font disparaitre l’image derrière le mot est en effet une invention de la Nouvelle Vague. Ecrivains rentrés, Godard et Truffaut aiment à gonfler leurs images de dialogues rabâcheurs et sentencieux, mais aussi de commenter avec des voix off. Godard écrivait ses dialogues au jour le jour, on trouve souvent des redondances, comme cette expression « ma petite fille » qu’on trouve dans la bouche d’à peu près tous ceux qui s’adressent à Patricia. Est-ce une manière de rabaisser la puissance de la femme fatale traditionnelle dans le film noir ? 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Patricia trouve Michel dans sa chambre d’hôtel 

    Godard étant incapable de diriger des acteurs, ça ne changera pas avec le temps, mais ça donne souvent lieu à des cabotinages de la part de ceux qui ne savent pas trop ce que le réalisateurs attend d’eux, comme Melville qui improvise Parvulesco, déversant des lieux communs sur les femmes, la vie, la mort.  On a beaucoup commenté un montage très surprenant. Il semble que ce montage doive beaucoup aux exigences du producteur qui trouvait le film trop long. Godard coupa donc à l’intérieur des séquences plutôt que d’en supprimer certaines. Godard, qui s’est immédiatement déclaré « meilleur monteur du monde », nommant sa collaboratrice derechef « meilleure monteuse d’Europe Au total, Michel Marie a recensé soixante-quinze sautes – coupant donc de façon brutale un plan sur six d’A bout de souffle – qui ont permis de réduire le film d’une bonne demi-heure, mais c’est ce qui donne un rythme étrange et saccadé au film[4]. mais il reste bien entendu une forme de légèreté et de mobilité dans l’utilisation de la caméra par Raoul Coutard qui venait comme on le sait de la cinématographie des armées et de l’Indochine. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Un homme dénonce Michel à la police 

    Une autre particularité de ce film ce sont les références permanentes qui nous expliquent combien Godard est un cinéaste attentif au cinéma. Ce sont les films qui sont cités, Westbound de Budd Boetticher, Tout près de Satan d’Aldrich, ou encore Plus dure sera la chute de Mark Robson. On verra aussi une affiche du Mystérieux docteur Korvo de Preminger que Godard appréciait. Puis ce sera la Mac-Mahon, cinéma emblématique de la bande des Cahiers du cinéma. Ces références s’étendent jusqu’à faire tourner dans des petits rôles des amis de la bande des Cahiers du cinéma. Un œil exercé reconnaitra par exemple Jacques Rivette, André Labarthe, Jacques Siclier. D’autres plus inattendu comme José Bénazéraf, le Godard du porno, ou Jean Vautrin qui fera une toute petite carrière de réalisateur dans un genre assez conventionnel. Roger Hanin qui passait par là et qui sans doute à cette époque hésitait encore entre des films commerciaux, il en fera plusieurs avec Claude Chabrol, et le cinéma d’auteur, on le verra par exemple chez Visconti dans Rocco et ses frères. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960 

    Patricia est à Orly pour interviewer Parvulesco 

    Mais dans l’ensemble l’interprétation si on peut dire est mauvaise. Certes Belmondo apporte sa touche personnelle mais il est nettement moins bon que dans Classe tout risque qu’il tournera la même année avec Claude Sautet. Il a un charisme et une énergie débordante qui font passer beaucoup de choses. Mais il a aussi de nombreuses scènes très hésitantes. C’est la même chose avec Jean Seberg qui se demande assez souvent ce qu’elle fait dans cette galère, elle a comme des absences. Elle a atterri là un peu par hasard, elle n’était pas le premier choix de Godard, mais le producteur la lui aurait imposée parce que ça lui faisait un nom en haut de l’affiche, et que Belmondo n’était pas encore connu. Le tournage se passa assez mal entre Jean Seberg et Godard qui respectait un peu plus Belmondo. On me dira que la justesse de la direction d’acteurs n’est pas le problème de Godard, qu’il s’agit là d’un artifice, ou encore que ces acteurs amateurs empruntés dans leurs mouvements cela ajoute un charme décalé avec l’œuvre elle-même. Un peu comme chez Éric Rohmer par exemple, quand tu vois Perceval le Gallois, tu ne sais pas exactement si ce ne sont pas les tombées de Monty Python sacré Graal que tu es en train de regarder.  

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Michel tente de vendre la Thunderbird à un marchand véreux 

    Si on fait abstraction de la trame policière de l’intrigue, il reste un film « progressiste » dans le mauvais sens du terme. C’est un film qui veut faire « jeune ». Et pour cause, Godard cherche une place dans le milieu du cinéma où il n’a alors qu’un strapontin. Et pour cela il faut qu’il représente la nouvelle génération face à l’ancienne, celle qui sait faire ce que cette nouvelle génération ne sait pas faire. A force de le répéter, Truffaut et lui vont le croire. Donc on va mettre des voitures américaines rutilantes parce qu’on entre dans l’ère de la consommation de masse, et qu’il s’agit de célébrer maintenant la compétition malsaine entre les individus – Godard deviendra plus tard le critique de la société de consommation avec Made in USA. En se focalisant sur des questions de forme, le point de vue critique du film noir est totalement oublié. On va en rajouter avec la musique de jazz de Martial Solal. C’est une bonne musique, même si elle est souvent utilisée à contretemps. On mettait du jazz dans les films noirs à cette époque, Godard suivait la mode initiée par Louis Malle avec Ascenseur pour l'échafaud  Cette célébration de la ville qui n’est pas l’ennemi du genre humain, conduit Godard à être attentif aux bruits de la rue. Ça donne en même temps une certaine forme de vérité – vérité que par ailleurs Godard méprise – mais aussi un côté un petit peu amateur. A travers les références utilisées, il se dessine une célébration en creux des Etats-Unis et un dénigrement systématique de la vieille France. Quoique l’allusion à Maurice Sachs, auteur juif et antisémite, classe par ailleurs Godard comme un auteur des plus conservateurs. Avec Truffaut il passait d’ailleurs pour un réalisateur de droite extrême, et Le petit soldat sera accusé, à cause de son relativisme, d’être un hommage à l’OAS. La Révolution culturelle de la Chine et Mai 68 changeront un peu cela, quoique le conflit israélo-palestinien ramènera Godard dans le camp des antisémites de profession. Mais à l’évidence Godard a toujours manqué de colonne vertébrale sur le plan politique. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    La police demande à Patricia de dénoncer Michel

    Sans doute l’effet de surprise tenait au fait que le film fut lancé comme un « vrai film » commercial, et que cela a surpris le public par le décalage qu’il subit avec les productions plus ordinaires. Mais il y a autre chose qui à mon sens tient à l’émergence d’une classe moyenne semi-instruite et qui commence à rechercher des formes de consommation cinématographique qui valorisent le cursus qu’ils ont pu suivre au lycée ou à l’université. C’est probablement là que se trouve le succès – tout relatif – de la Nouvelle Vague : s’être découvert un nouveau public en expansion rapide. Mais en même temps cette rupture d’avec les processus narratifs qui ira en s’accentuant chez Godard, dessinera un divorce définitif d’avec les classes populaires. Pendant longtemps le cinéma fut considéré comme un art inférieur, peu profond, rendant les spectateurs passifs devant des images en mouvement. Mais ceux qui ont voulu en faire un art comme les autres – donc ceux qui ont avancé l’importance des révolutions dans la forme – ont coupé cette forme de son originalité, celle d’être un art populaire dont se nourrissaient les classes dites inférieures. Ceux qui rêvaient de voir les formes anciennes dépassées se sont lourdement trompés. Les formes traditionnelles du cinéma sont restées en vigueur. Elles ont cohabité avec les exigences d’un nouveau public. C’est exactement ce qui est arrivé au Nouveau Roman et en général à toute cette littérature de la déconstruction et de l’autofiction. Pour parler de notre époque, la forme dominante de la fiction reste celle traditionnelle qui raconte une histoire. Mais il coexiste toujours une volonté latente de déconstruction, de remise en cause des canons dominants pour satisfaire un public qui se croit plus exigeant et plus moderne que les autres. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Michel et Patricia ont vu un film de Boetticher

    Le film connut un très bon succès inattendu et, et même s’il n’eut pas le même succès que Les 400 coups de Truffaut, ce qui rendit jaloux Godard, il rapporta beaucoup d’argent à son producteur, lequel continua sur ce créneau porteur de la Nouvelle Vague, avec un certain flair, mais avec un peu moins de succès il est vrai. Il continua à produire Godard, l’accompagnant dans ses bides, comme dans ses succès (Le mépris). Mais il produisait aussi Pierre Schoendoerffer lui aussi un ancien d’Indochine, Julian Antonio Bardem ou Robert Hossein. La critique était très divisée, et elle l’est toujours. Le film suscita des comptes-rendus dithyrambiques, ou des tombereaux d’insultes. Tout cela était exagéré. Le temps l’a ramené à de plus justes évidences. C’est un petit film noir, parodique, le reflet d’une époque qui voyait se mettre en place un gouvernement gaulliste qui hâtait la modernisation de la France. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Berutti accepte d’encaisser le chèque de Michel

    Le film eut une vraie postérité au point de désigner Godard comme le chef de file, le théoricien de la Nouvelle Vague. Des jeunes cinéastes ont tenté de copier sa manière d’une façon plus ou moins adroite, et des professeurs de cinéma – les professionnels de la profession comme dirait Godard – enseignent Godard comme la base de la formation d’un discours cinématographique. C’est pour cette raison qu’on a souvent dit que la Nouvelle Vague avait été sur le long terme le tombeau du cinéma français. Personnellement je ne le pense pas, parce que si dans les médias, les critiques de professions se sont révélés presque tous des zélotes de la Nouvelles Vague, au point d’être complétement dépassés aujourd’hui, non seulement ils ont eu de moins en moins d’importance, mais en outre, ce sont les films traditionnels qui remplissaient les salles jusqu’à l’aube des années 2000, jusqu’à ce que le cinéma français renonce à toute ambition. On retrouve aussi des influences de Godard sur Melville, par exemple quand Michel parle de la maison où il est né, c’est repris dans L’aîné des Ferchaux avec Michel Maudet qui parle de la maison où est né Sinatra. On a droit dans les deux cas à une vision rapide en contre-plongée d’un immeuble, image prise à partir d’une voiture en mouvement. Dans Le samouraï, Melville utilise également l’immeuble à double entrée des champs Elysées. Mais à l’inverse on pourrait déceler une parenté dans la manière de filmer entre A bout de souffle et Bob le flambeur ou même Quand tu liras cette lettre. Certains auteurs américains comme Scorsese diront s’être inspiré de la légèreté des tournages, notamment pour Mean streets, mais ils reviendront très vite vers des tournages plus lourds et plus sophistiqués. 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Patricia dénonce Michel 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Berutti donne l’argent à Michel 

     

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Le modèle de Michel Poiccard était un bon client pour Détective 

    A bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960

    Mise en place de la séquence de la chambre d’hôtel



    [1] Les cahiers du cinéma, n° 73, juillet 1957.

    [2] C’est ce que rapporte, documents à l’appui, l’hagiographe de Godard, Antoine de Baeque, Godard, Grasset et Fasquelle, 2010.

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-amants-maudits-willy-rozier-1952-a118093452

    [4] Michel Marie, La Nouvelle Vague, Nathan, 1998

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