• A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

     A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    Des films de prison, il y en a eu avant celui-là et il y en a encore eu plus après. En 1930, The big house de George W. Hill, avec Wallace Berry fut un gros succès, et par certains côtés il anticipe sur Each dawn I die. En 1940, Anatole Litvak tournait le très bon Castle on the hudson avec John Garfield, c’était un remake de 20 000 years in Sing Sing réalisé en 1932 par Michael Curtiz avec Spencer Tracy. Et puis ça a continué, et le film de prison est devenu un segment très  important du film noir pratiquement jusqu’à aujourd’hui. James Cagney a tourné dans au moins trois films sur ce thème, Each dawn I die, White heat[1] et Kiss me tomorrow goodbye[2]. Le scénario est tiré d’un roman de Jerome Odlum, un ancien journaliste qui s’est reconverti dans l’écriture de romans, mais qui a travaillé aussi directement pour le cinéma. Seulement deux de ses livres ont été traduits en français chez André Martel. Malgré l’originalité du sujet, on va retrouver des thèmes chers à William Keighley, notamment celui de l’amitié virile que d’aucun tente parfois de lire directement comme une célébration de l’homosexualité. C’est une vision un peu paresseuse à mon sens. Mais peu importe ce film est devenu une référence dans la carrière de James Cagney mais aussi en matière de film de prison. Le film est très proche du roman, sauf que dans le roman Ross est un infiltré – thème cher à Keighley pourtant – et non pas quelqu’un qui observe de l’extérieur, à travers une fenêtre, la réalité de la corruption. Le livre est sans doute un peu plus crasseux dans la description de la réalité de la vie carcérale. Mais, et c’est étonnant pour Keighley, il reste que cette dénonciation de la corruption ne se gêna pas pour remettre en question les institutions des Etats-Unis, la justice et le système pénitencier, le journalisme et le pouvoir politique. On a plus l’habitude de Keighley se rangeant sans trop de souci du côté de la loi et de l’ordre. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939  

    Frank Ross observe les manœuvres pour se débarrasser des livres de compte 

    Frank Ross est journaliste au Record. Il enquête sur des affaires de corruption qui impliquent un gros entrepreneur de travaux publics, la municipalité et le district attorney Hanley. Il surprend l’entrepreneur en train de brûler ses livres de comptes pour faire disparaître les preuves de ses turpitudes. Consécutivement Ross publie un article sur ce thème, avec l’accord du propriétaire du journal qui a été menacé. Cet article va valoir à Ross une agression. Il se fait assommer, on lui verse de l’alcool sur la tête et on envoie sa voiture dans le décor. Cela provoque un accident qui fait trois morts. Ross est arrêté et jugé pour homicide involontaire, le procureur requiert 20 ans de prison et le jury le suit. Il va être incarcéré à Rocky Point une prison dure, où les gardiens sont hargneux et le travail difficile. En sauvant la mise à un truand nommé Stacey que le sinistre Limpy Julien veut assassiner, il se lie d’amitié avec le caïd. Dehors ses amis et sa fiancée qui cherchent à l’aider n’avancent pas. Stacey a une idée. Il va s’évader de la prison et trouvera ensuite le moyen d’aider Ross. Pour cela il assassine un de ses ennemis d’un coup de stylet, Ross devra le dénoncer. Il passera en jugement, ce qui lui permettra de s’évader, grâce à ses complices, du tribunal. Ça se passe comme cela, sauf que Ross a l’idée saugrenue, par l’intermédiaire de sa fiancée, Joyce, d’alerter la presse et de faire prendre des photos de l’évasion pour son journal. Cela va mettre en colère Stacey qui du coup laisse tomber Ross. Celui-ci se morfond en prison, mis au trou, il devient désespéré et hargneux. Sa conditionnelle est refusée. Devant cette situation Joyce va rencontrer Stacey pour le convaincre de faire quelque chose pour Ross. Après des hésitations, il va prendre les choses en mains, il retrouve Snake Edwards qui parle et qui dénonce Limpy Julien comme l’auteur du coup monté contre Ross. Mais le mouchard Limpy Julien est en taule à Rocky Point. Aussi Stacey décide d‘y retourner. Là il va provoquer une émeute, et en mettant la main sur Limpy Julien, il le fait parler devant le directeur de la prison. L’émeute est cependant réprimée durement de nombreux prisonniers sont tués, dont Stacey. Mais Ross obtient sa libération et retrouve Joyce, tandis que le procureur Hanley va être poursuivi. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939 

    Le procureur Hanley fait condamner Ross à vingt ans de prison 

    Il ne faut pas chercher la vraisemblance dans ce scénario rocambolesque, mais la vérité est ailleurs. La fin est parfaitement improbable. Il y a pourtant beaucoup d’éléments touchants dans ce film. Le journaliste qui va être une figure importante du film noir, est ici le héros qui défie des institutions qui sont rongées par la corruption. Tout y passe, la justice, la municipalité, et bien entendu la prison. Ce sont des richissimes capitalistes qui sont à l’origine de ces prédations sur le bien public. Le journaliste est alors le représentant du peuple. Cette corruption est opposée au gangster Stacey qui apparaît comme la victime de la société. C’est celui qui n’a pas eu d’autre choix pour faire son chemin que d’enfreindre la loi. Cependant, contrairement à Limpy Julien ou à Snake Edwards, Stacey est un homme droit qui se reconnaît dans la droiture de Ross. C’est sur cette base que va se développer une amitié virile solide. Le paradoxe c’est que seul l’homme de l’underground est capable de faire quelque chose pour Ross, son journal et ses avocats sont impuissants à le tirer d’affaire. Pour faire surgir la vérité et le justice, il faut contourner la loi. C’est le premier message, mais c’est une constante des films noirs de William Keighley. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    En prison le travail est dur et les gardiens plutôt mauvais

    Cette amitié entre deux personnes issue de deux milieux différents ne peut exister que grâce à la prison. Sans elle au fond ils ne se seraient jamais rencontrés. La prison est donc un lieu singulier, comme les cimetières, où les classes se rejoignent au-delà de leur diversité et où seul compte le caractère. Mais au-delà de cette relation entre deux personnages, on verra que, dans l’adversité, les prisonniers qui ne sont pas très malins, trouvent le chemin de la solidarité. C’est ce qu’on voit à travers la description de la dureté des conditions pénitentiaires. Lassiter est malade, et mourra à la tâche, mais les prisonniers essaieront de le protéger le mieux possible de la vindicte du gardien Pete qui fait régner la terreur sur l’ensemble des prisonniers. Ce sera une des raisons de leur révolte. Mais le film ne se veut pas manichéen, et le directeur de la prison essaiera avec plus ou moins de réussite d’humaniser les conditions de vie de Ross. Le scénario est suffisamment bien écrit pour échapper à l’enfermement de la prison et de n’en rester qu’à une description semi-documentaire d’une sinistre réalité. Par contraste la prison existe en fonction de ce qui se passe dehors, que ce soit au tribunal ou dans le repaire de Stacey qui s’est évadé.   

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    Joyce et la mère de Ross sont venus le voir en prison

    Il y a une volonté d’inscrire cette histoire dans des conditions matérielles réalistes. On s’attardera donc sur les dures conditions de travail dans la prison. On comprend sans le dire qu’il s’agit là d’une exploitation éhontée des être humains, jusqu’à ce qu’ils crèvent. Le film est tourné entièrement en studio. Mais cela n’empêche pas qu’on s’attarde sur les machines qui filent le coton pour montrer à quel point les prisonniers sont aussi les esclaves d’elles. Quand les prisonniers se cachent pour échapper à la vigilance des gardiens, ils échappent aussi au rythme de la machine qui les tue. Ces machines permettent à Keighley de tirer des belles diagonales qui indiquent l’impasse d’un tel système inhumain. La mise en scène contribue à la mise en perspective de l’écrasement des hommes qui se sont fait prendre dans les rouages d’une société un peu aveugle. La scène d’ouverture qui voit Ross sous la pluie espionner l’entrepreneur de travaux public est remarquablement réalisée, avec de jolis travellings, des mises en perspectives d’un local isolé au milieu de nulle part. L’eau de la pluie protège Ross, tandis que le feu permet de faire disparaître les preuves de la corruption. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    Stacey va s’évader en sautant par la fenêtre du tribunal 

    Mais il faut aussi saluer Keighley parce qu’il arrive à donner beaucoup d’émotion à son film, la visite de la mère de Ross, la crise de dépression où on le voit pleurer devant le comité de probation. Et encore bien sûr la mort de Stacey dans les bras de Ross. Il y a toujours cette science perfectionniste dans le travail sur le cadre et le montage. Ça donne un rythme excellent, même aux scènes statiques. La photo d’Arthur Edeson est très contrastée. Ce n’est pas sans raison que ce dernier sera le photographe de The maltese falcon de John Huston qui est considéré comme le premier film noir du cycle classique. Avec Keighley il fait le lien entre le film de gangster de la Warner Bros et le film noir proprement dit. Edeson travaillera ensuite avec John Huston plusieurs fois, mais c’est lui qui fera la photo de Casablanca dee Michael Curtiz. Notez que les prisonniers vont voir un film qui n’est autre que Wings of the navy  de Lloyd bacon et dont la photographie est signée Edeson. Cette scène étonnante verra d’ailleurs les prisonniers  applaudir comme de bons patriotes au spectacle des avions de l’armée américaine, alors que la guerre est en train de devenir une issue presque certaine. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    Joyce est venue voir Stacey pour qu’il aide Ross à sortir de prison 

    C‘est un film à gros budget. L’interprétation c’est James Cagney et George Raft qui sont les deux grosses vedettes du moment. Leur duo domine clairement l’ensemble. Le premier tient le rôle de Frank Ross, défenseur de la morale et de la justice, sinon de l’ordre. C’est certainement un de ses meilleurs rôles. George Raft lui était abonné aux rôles de truands. Il est rarement bon, mais ici il est très bien en tant que Stacey. Les deux acteurs arrivent à projeter une vraie complicité. Du coup Jane Bryan dans le rôle de Joyce Connover est un peu effacée. On ne peut pas dire qu’elle soit mauvaise, mais elle ne crève pas l’écran. Cette actrice aurait due être la prochaine star de la Warner Bros, mais elle en a décidé autrement, elle fera un riche mariage avec un industriel et en 1940 elle abandonnera ce métier. Le reste de la distribution n’a rien de remarquable. Mais on trouve des gueules de prisonniers plutôt étonnantes comme Maxir Rosenbloom dans le rôle de Fargo, Abner Biberman dans celui de Snake Edwards, ou encore Joe Downing dans celui de Limpy Julien. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939 

    Les hommes de Stacey ont coincé Snake Edwards 

    Le succès critique et commercial fut au rendez-vous. Rien que le titre était très bien trouvé pour montrer le désarroi créé par un emprisonnement aussi injuste que sans horizon. Ce film a passé l’épreuve du temps, il est devenu grâce à son humanisme et à son savoir-faire un des piliers du film de prison dont on se souvient longtemps. C’est un très bon film noir avant la lettre qui peut se voir et se revoir sans ennui. On a la chance aujourd’hui de le trouver facilement dans des numérisation Blu ray. Ce film est très connu, mais on le voit plus comme un film de James Cagney que comme un film de William Keighley, c’est un tort, même si on considère que James Cagney était un superbe acteur avec beaucoup de finesse et d’énergie, il faut rendre hommage au metteur en scène qui n’était un simple technicien au service des stars.

    PS il est très probable que ce film ait inspiré Frédéric Dard pour Les salauds vont en enfer, aussi bien la pièce que le roman. 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    Stacey est revenu en prison pour faire parler Limpy Julien 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    L’armée va faire un carnage pour reprendre la prison 

    A chaque aube je meurs, Each dawn I die, William Keighley, 1939

    Stacey est blessé à mort

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-enfer-est-a-lui-white-heat-raoul-walsh-1949-a150994658

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-fauve-en-liberte-kiss-tomorrow-goodbye-gordon-douglas-1950-a114844682

    « Guerre au crime, Bullets or ballots, William Keighley, 1936Confession d‘une pécheresse, Die Sünderin, Willi Frost, 1951 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :