• Accused of murder, Joe Kane, 1956

    Accused of murder, Joe Kane, 1956

    On pourrait dire que ce film doit être vu à cause de l’affiche qui est très originale, ou encore que ce film noir est tourné dans des conditions – faux cinémascope, dit Naturama, couleurs flamboyants, dites Trucolor – mais ce ne serait pas tout à fait juste. En effet c’est d’abord un excellent roman de W.R. Burnett qui est ici porté à l’écran. Et Burnett est pour nous un des piliers de ce système qui a fourni autant d’excellentes histoires. Auteur très prolifique, il a écrit des dizaines de romans, et participé à environ soixante-dix scénarios, et non des moindres, puisqu’il est à l’origine des films noirs d’avant la Seconde Guerre mondiale, dont The little Caesar de Mervyn Le Roy en 1931 avec Edward G. Robinson et le fameux Scarface d’Howard Hawks en 1932. Ses histoires de voyous doivent être considérées comme à l’origine du film noir. Ceux qui me suivent, savent que nous rencontrons son nom périodiquement. C’est le plus souvent intéressant, même si la qualité n’est pas toujours égale. Joe Kane, le réalisateur, était à l’origine un violoncelliste, puis il s’est reconverti dans le cinéma où on pouvait gagner un peu plus d’argent. Et il devint un réalisateur prolifique pour Republic Picture, avec qui il sera fidèle jusqu’à la fermeture de ce studio en 1959 où il avait eu la difficile charge de faire de Vera Ralston, l’épouse du patron de Republic, Herbert J. Yates, une grande star. Il dirigea bien plus qu’une centaine de films. Il travaillait très vite et proprement. Spécialisé dans les westerns, dont ceux avec John Wayne au début des années quarante, il avait commencé sa carrière du temps du muet. Il fera quelques incursions dans le film noir, il était aussi crédité très souvent en tant que producteur, il connaissait le cinéma dans les coins. A l’époque où Accused for murder est tourné, c’est déjà un vétéran qui a presque terminé sa très longue carrière qui s’achèvera difficilement en 1975. 

    Accused of murder, Joe Kane, 1956 

    Un avocat véreux, joueur invétéré, Frank Hobart, est en bisbille avec Chad Bayliss, un chef de la pègre. Celui-ci lui a envoyé un tueur à gages, Stan Wilbo pour le mettre à la raison. Hobart est dans un cabaret où il espère enfin que la chanteuse Llona Vance cédera à ses avances. Mais elle le repousse et lui explique qu’elle ne l’aime pas. Hobart emmène Llona et ils s’arrêtent devant un dancing d’où une entraîneuse, Sandra Lamoreux, aperçoit Stan Wilbo alors qu’elle vient d’entendre un coup de feu. La police va découvrir que l’avocat Hobart a été tué d’une balle de révolver. Le lieutenant Hargis et le sergent Emmett Lackey vont enquêter. Très vite la conviction du sergent est faite, c’est Llona qui a tué Hobart. Mais Hargis est plus dubitatif. Cependant, Sandra va tenter de faire chanter Stan Wilbo qu’elle menace de dénoncer à la police. Celui-ci accepte de payer, mais menace Sandra de tous les maux si elle continue. Le sergent de son côté trouve un revolver qui est sans doute l’arme du crime. Le témoignage de Whitey Pollock semble impliquer Llona. Mais Hargis va tout faire pour écarter les soupçons qui tombent sur Llona dont il est tombé amoureux. Lackey les surprend en train de s’embrasser, ce qui lui attire un pain dans la gueule. Sandra qui a bu plus que de raison décide de relancer Wilbo. Une amie à elle va prévenir la police. Celle-ci arrive, mais Sandra a été méchamment amochée, elle arrive toutefois à dénoncer Wilbo.  Alors que celui-ci s’apprête à disparaitre, Hargis intervient et l’arrête. Wilbo avoue alors très facilement que c’est Bayliss qui l’a payé 5000 dollars pour descendre Hobart. Ceci disculpe Llona. Mais cependant, elle avoue à Hargis la vérité, craignant que Wilbo passe sur la chaise électrique pour un meurtre qu’il n’a pas commis. En effet, la mort d’Hobart est le résultat malencontreux d’une dispute entre elle et l’avocat véreux. Celui-ci ayant sorti un revolver pour se suicider, Llona tente de l’en dissuader. Mais le coup part malgré tout. Llona va donc se dénoncer. Mais elle sera acquittée et Bayliss et Wilbo seront condamnés pour avoir fomenté l’assassinat, sans toutefois l’avoir exécuté. Llona pourra reprendre son travail de chanteuse de cabaret et probablement trouver l’amour dans les bras du lieutenant Hargis. 

    Accused of murder, Joe Kane, 1956

    Stan Wilbo et venu menacer l’avocat Hobart 

    Le point de départ est le faux coupable, vieux thème qui traverse le film noir pratiquement depuis les débuts du cinéma. Ce thème se suffit à lui-même non seulement parce qu’il interroge le spectateur sur la façon dont le faux coupable peut bien s’en sortir ce qui soutient son attention, mais aussi parce qu’il avance cette idée tout à fait catholique selon laquelle tout le monde est coupable, ne serait-ce que d’être né. On sait l’usage qu’Hitchcock en fit dans The Wrong Man, un des rares films vraiment noirs d’Hitchcock[1]. L’intrigue repose sur un retournement de situation final plutôt bien amené. Mais à partir de cette idée, elle va développer toute une série de confusions des sentiments. Le héros est censé être le lieutenant Hargis, mais à bien y regarder, il ne résout rien du tout, ballotté par les évènements dont la logique lui échappe complètement, il se trouve dans la même position que le lieutenant McPherson dans Laura de Preminger.  Il suit le mouvement, et il s’avère encore plus borné que son subordonné le sergent Lackey, qui lui avait tout de suite saisi la culpabilité de Llona. Hargis va tout le long du film nier l’évidence, comme s’il possédait un savoir qui le situait au-dessus du commun. Et finalement s’il ne perd pas tout à fait la face, ce n’est que parce que les aveux de Llona viennent à son secours. 

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    Hobart insiste pour avoir une conversation avec Llona 

    Il aura donc vécu cette aventure comme dans un rêve parce qu’il est tombé amoureux d’une femme qu’il désire sauver. Le sentiment amoureux est alors à double tranchant, d’un côté il met en mouvement le lieutenant, mais de l’autre il en devient le point aveugle de l’enquête. Il se retrouve alors prisonnier de son amour pour la chanteuse de cabaret, s’isolant du reste de la police. Il se heurte aussi bien à son sergent qui le moque pour sa naïveté lorsqu’il le surprend en train d’embrasser la coupable potentielle, qu’à son capitaine qui oppose la rigueur de l’enquête à la vérité de ses sentiments. L’observation de la règle devant le ramener à la raison. Cette situation est inextricable et oblige Hargis à évoluer entre deux mondes – celui du mensonge et de la pègre et celui de la loi et de l’ordre. Le retour à la normale ne procédera pas de l’intelligence d’Hargis ou de sa pugnacité, mais simplement de l’aveu de Llona. Le scénario est sur ce point assez inconséquent parce qu’il suppose que les simples aveux de la chanteuse suffisent non seulement à la faire acquitter, mais également à sauver le balafré de la chaise électrique. Cependant cette entorse au réalisme le plus élémentaire apparaît nécessaire dans cette logique de rédemption. Les uns après les autres, tous les personnages vont rentrer dans l’ordre. D’abord le sergent Lackey qui, certes même si ses intuitions étaient justes, n’avait pas compris Llona en profondeur, au-delà de ses mensonges. Ensuite la chanteuse qui reconnaitra ses fautes parce qu’elle ne veut pas être à l’origine d’une injustice. Sandra également qui finira par dénoncer Wilbo à la police. Jusqu’à Wilbo, lui-même, qui éprouvera le besoin de dire enfin la vérité. 

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    Sandra Lamoreux a vu Wilbo en train de s’enfuir après le coup de feu 

    L’ensemble est encadré et soutenu par deux histoires d’amour. La première concerne Hobart l’avocat véreux qui est repoussé par Llona qui lui avoue qu’elle ne l’aime pas, malgré les cadeaux qu’il s’efforce de lui faire pour la séduire. C’est d’ailleurs cette histoire d’amour qui tourne mal qui sera à l’origine de tout le drame, puisque la personnalité douteuse de l’avocat va immédiatement faire soupçonner un meurtre. La seconde histoire est celle de Llona avec Hargis. Celui-ci se range de son côté envers et contre tout, et c’est son sentiment amoureux qui se révèle au-dessus de la logique policière et qui triomphera. La morale est que l’amour est une entreprise dangereuse et risquée qui risque de nous amener dans des endroits inexplorés. L’arrogant Hobart perdra la vie pour ne pas avoir compris cela. Les histoires d’amour semblent également susciter la jalousie et le dépit. La malheureuse Sandra en est l’exemple et on peut même penser que si elle fait chanter Wilbo, c’est une manière de le séduire. Le policier Lackey est lui aussi un jaloux, il a beau jouer l’ironie, quand il voit Hargis et Llona s’embrasser il est très déçu. 

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    Le sergent Lackey est alerté de la mort d’Hobart 

    Cette histoire est filmée pour le grand écran, avec le procédé Naturama qui pour intéressant qu’il soit, n’a pas été exploité au-delà de Republic Pictures. A la base il s’agit d’un objectif anamorphoseur développé par une firme française au début des années cinquante. Il avait l’avantage d’être moins lourd et moins coûteux que le CinémaScope qui lui aussi avait été développée en France dans les années trente. Le taux de compression étant le même, le spectateur ne peut pas se rendre compte de la différence réelle des deux procédés. Le procédé utilisé pour les couleurs est le Trucolor, procédé qui n’a été utilisé que par le studio Republic Pictures, principalement pour ses westerns. Ce procédé a été très critiqué pour son absence de réalisme dans le rendu des couleurs, pire encore que le Technicolor. Mais en vérité c’est bien cela qui lui donne son intérêt. Et c’est visible ici dans ce film. il crée une opposition radicale entre les couleurs saturées et insaturées. Cela donne un côté kitsch à l’image, approche de la couleur qui sera ensuite généralisée en Italie dans le giallo dans les années soixante-dix. Cela est censé donner un aspect « riche » à la production, alors que c’est un film à tout petit budget. C’est totalement tourné en studio, rehaussé par l’utilisation de superbes voitures américaines rutilantes. La photographie de Bud Thackery, un directeur de la photo qui a travaillé principalement pour la télévision, est superbement éclairée. 

    Accused of murder, Joe Kane, 1956 

    La police interroge les clients du bar, et Sandra s’adresse à Hargis 

    Mais il ne faudrait pas croire pour autant que la mise en scène soit bâclée. Au contraire, et c’est assez surprenant, elle tire le film vers le haut. Il y a de très beaux mouvements de caméra, dans les scènes d’action comme dans la scène du bal ou même encore les chansons soi-disant interprétées par Llona devant un petit orchestre de jazz, tout est en place. L’usage du rapport 2,35 :1 permet des effets panoramiques bienvenus, par exemple quand Sandra regarde par la fenêtre de la salle de bal, ou lorsque Hargis se cache dans le couloir pour surprendre Wilbo. Et pour les dialogues, Joe Kane ne se laisse jamais aller à un ronronnant champ contre-champ, multipliant les angles de prises de vue pour donner un bon dynamisme à l’ensemble. 

    Accused of murder, Joe Kane, 1956

     Le soupçonneux sergent ne croit pas Llona 

    Le point faible est la distribution. Certes un petit budget n’autorise pas les grands acteurs, mais le couple censé être la tête d’affiche est franchement calamiteux. David Brian, acteur en bois, sans expression, incarne le lieutenant Hargis. Normalement ce devrait être un jeune premier flamboyant, là il à l’air d’être à l’âge de la retraite. Il n’a comme qualité que sa haute taille. Il ne fera pas carrière au cinéma. Les cheveux prématurément blanchis, il semble toujours être ailleurs. Son rôle le plus mémorable fut au côté de Joan Crawford dans Damned dont cry. Mais rapidement il fut destiné à la télévision. Vera Ralston incarne avec une grand mollesse la chanteuse Llona. Elle n’était là que par la volonté de son mari qui était comme je l’ai souligné plus haut le patron de Republic Pictures. Actrice d’origine tchèque, dotée d’un fort accent, elle a un air très popote qui jure avec le monde de la nuit auquel elle est censée appartenir.   

    Accused of murder, Joe Kane, 1956

    On a retrouvé l’arme du crime

    Heureusement les seconds rôles sont très bons. Ce sont presque tous des « caractères », dotés d’un physique toujours singulier et reconnaissble. D’abord on retrouve Lee Van Cleef dans le rôle du sergent un peu sournois, un peu jaloux, Lackey. C’est déjà ça. Ensuite, il y a Warren Stevens dans le rôle du balafré qui a une très bonne présence. On retrouve aussi Barry Kelley dans le rôle du chef de la police Smedley – costume qu’il a dû endosser cent fois tant il donne de la vérité par sa corpulence et ses froncements de sourcils. Si ces acteurs sont tous très bien, le pompon revient certainement à l’excellente Virginia Grey dans le rôle de Sandra Lamoreux qui veut faire chanter Wilbo. Elle a de l’abattage. Et puis il y a un vétéran du film noir, Elisha Cook Jr, dans le petit rôle de Pollock. Ce sont tous des visages familiers dans ce type de films. Et ils l’habillent très bien de leur présence. 

    Accused of murder, Joe Kane, 1956

    Sandra veut faire chanter Wilbo 

    Un peu oublié, parfois discrédité, Accused of murder est un très bon film noir, malgré les limites qu’on a évoquées ci-dessus, il soutient l’intérêt du spectateur jusqu’à la fin. Il a le parfum des films un peu anciens, du temps où les Américains roulaient dans de superbes voitures et qu’ils écoutaient du jazz. Il n’existe pas sur le marché français avec des sous-titres français. On n’a accès qu’à des VOD sur le marché américain, mais comme on le voit à mes captures d’écran, avec une très bonne qualité d’image. Par ailleurs, je n’ai trouvé aucune information sur l’accueil que le public et la critique lui ont fait. 

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    Pollock témoigne contre Llona 

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    Sandra a été massacrée par Wilbo 

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    La police prend les empreintes digitales de Llona 

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    Hargis va coincer Wilbo


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-faux-coupable-the-wrong-man-alfred-hitchcock-1956-a144244422

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