• Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973

     Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973

    C’est un film plus que mineur dans la carrière d’Alain Delon qui a produit ce film lui-même pour consolider sa position en Italie où il était très célèbre. Mais ce qui nous intéresse ici c’est qu’il est tourné au moment même où le poliziottesco est en plein essor, renouvelant le cinéma populaire en Italie, dans l’indifférence de la critique française il faut bien le dire. Il peut être considéré comme une sorte d’hybridation entre le film noir à la française façon Melville et le poliziottesco. Mais comme c’est Delon, et à l’époque il est au sommet de sa gloire, il ne va pas se contenter d’un budget médiocre, il va tenter de donner à cette histoire une sorte de vernis, de propreté que n’a pas souvent le poliziottesco, multipliant les lieux de tournage de partout en Europe. Le scénario est très simple, c’est un véhicule pour l’action et la valorisation des nombreux décors réels. Tout sera évidemment centré sur Alain Delon qui est présent à l’écran de bout en bout. L’année précédente il avait tourné La prima notte di quiete sous la direction de Valerio Zurlini avec qui il s’était très mal entendu, et à qui il avait imposé des choix artistiques qui avaient finalement conduit le réalisateur italien à renier son film. Mais le résultat était là, c’était un excellent film romantique et ce fut un triomphe en Italie, et si le résultat commercial fut nettement moins bon en France, la critique avait été enthousiaste chez nous, saluant la performance d’Alain Delon. Si ce film reprend des tics de la carrière de Delon dans le film noir, il ressemble plus à un produit marketing, un plan de carrière, qu’à un vrai projet artistique. Mais en même temps nous avons aussi l’image que Delon voulait renvoyer à son public. 

    Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973 

    Tony Arzenta rempli son contrat consciencieusement 

    Tony Arzenta est un tueur professionnel qui travaille pour une mafia internationale qui a des ramifications de partout en Europe. Bon père et bon époux, il s’en va faire un contrat qui lui prend peu de temps. Mais il voudrait que ce contrat soit aussi le dernier et qu’il puisse passer à autre chose, s’occuper un peu de sa petite famille. Il va donc signifier à Nick Gusto, un ponte de la mafia, qu’il veut cesser ce curieux métier. Nick qui l’aime bien le met en garde en disant que les autres ne seront peut-être pas d’accord. Lors d’une réunion qui a lieu à Paris, Nick plaide mollement la cause de Tony, mais les autres chefs de l’organisation pensent qu’il en sait beaucoup trop et donc qu’il faut l’éliminer. Ils piègent la voiture de Tony, mais c’est sa femme et son fils qui l’empruntent pour mener le gosse à l’école. La voiture explose tuant ses deux occupants. Tony est mortifié, il ne pense plus qu’à se venger. Il trouve de l’aide auprès du jeune Dominico, mais il préfère se débrouiller tout seul. Sa traque le mène à Copenhague. Il contacte un homme à qui il a rendu service, Luca, un tenancier de boite de nuit qui le cache et l’aide. Malgré les pressions Luca ne le vend pas. Tony va tuer Hans Grunwald, blessé dans la fusillade, il se réfugie chez Luca qui va l’aider à repartir en Italie. Malgré les tractations du père Don Mariano Tony va continuer sa vengeance. Il va assassiner Carré dans le train qui le mène à Milan. C’est la propre compagne de Carré qui a indiqué comment il pouvait s’y prendre, car elle est très maltraitée par le truand français. Evidemment l’organisation réagit, elle kidnappe Domenico pour le forcer à dire où se trouve Tony. Il parlera mais en mourra, broyé dans une casse automobile. Tony qui entre temps a récupéré la femme de Carré, la belle et loyale Sandra, a décidé de s’en prendre à Rocco. Tandis que de son côté Nick Gusto pense qu’il faut négocier pour arrêter l’hécatombe. Tony va s’introduire dans la maison de Rocco malgré ses gardes du corps et le tuer. A l’enterrement de Rocco, en Sicile, Nick contacte le père Mariano pour demander une négociation avec Tony. Celle-ci va avoir lieu le jour du mariage de la fille de Nick, comme si cela était un gage de paix. Mais en réalité c’est Luca qui va tuer Tony, ayant maintenant accepté la proposition de Nick de le faire monter dans la hiérarchie de l’organisation. 

    Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973

    La femme et le fils de Tony vont mourir dans l’explosion de la voiture 

    Le film marcha très moyennement en France, mais par contre fut un triomphe en Italie, bien mieux que les autres poliziotteschi du modèle courant. L’histoire est vide de sens et multiplie les poncifs avec assez peu de subtilité. Ce sera donc le portrait d’un homme seul et blessé en révolte contre l’institution qui l’a formé et l’a fait vivre. Avançant dans l’âge, il a voulu se séparer de cette première famille pour en fonder et développer une autre plus respectable. Bien que l’organisation avance des réalités pratiques pour justifier son élimination, on comprend que c’est la jalousie qui la guette. Car après tout, même si Arzenta sait beaucoup de choses, il n’y a que très peu de chances qu’il parle à la police. Et d’ailleurs quand la police tente de l’approcher pour lutter contre l’organisation, il l’enverra promener. Il est tellement seul après la mort de sa femme et de son fils qu’il ne va même plus s’intéresser aux femmes comme Jef Costello du Samouraï, il n’a pas de sexualité. La belle Sandra qui a eu des bontés jadis pour lui, avant de se mettre ne ménage avec l’ignoble Carré, n’arrive pas à motiver Tony pour les choses du sexe. Certes il a toujours le côté protecteur vis-à-vis du genre féminin, et c’est d’ailleurs comme ça qu’il se fera piéger par une pute qui est censément brutalisée dans un hôtel où se cache Tony, mais c’est plus une habitude qu’autre chose. Le second thème est bien entendu l’idée de trahison. Cette idée paranoïaque est bien plus qu’un effet de style. C’est la conséquence de l’individualisme forcené du tueur à gages, c’est la rançon de sa solitude revendiquée. On regrettera que le personnage de Domenico ne soit pas plus développé, après tout c’est bien le seul qui soit loyal dans cette histoire. Un détail curieux est que la trahison de Luca ne peut pas fonctionner sans que l’homme d’Eglise, le père Mariano, ne soit indirectement complice de ce complot. 

    Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973 

    Tony entretient le souvenir de sa famille 

    Finalement c’est moins l’histoire elle-même qui pose problème que le traitement. Tessari n’est pas Umberto Lenzi, il ne trouve jamais la bonne distance. Les personnages sont plutôt indéterminés. On comprend bien que ce qui doit dominer est l’action, le mouvement, mais tout de même on aurait pu donner un peu de psychologie, on aurait pu éclairer un peu les motivations. L’action prime sur tout le reste. Il y a donc pas mal de meurtres mais aussi beaucoup de poursuites d’automobiles. Celles-ci sont filmées d’une manière assez malhabile et paresseuse, on est loin de Bullit ou même de Franch Connection qui était sorti un peu avant. Les poursuites sont filmées de loin, on n’a pas accroché de caméra sur les voitures pour donner au spectateur l’ivresse de la vitesse et du danger, et c’est finalement assez peu haletant. Même le meurtre spectaculaire de Carré qui passe par la fenêtre du train reste assez mal filmé et peu visible. Mais au fond c’est plutôt le rythme de l’ensemble qui est défaillant. Malgré l’accumulation des scènes d’action, c’est mou ! Tessari ne sait pas filmer les exécutions comme par exemple Melville. Umberto Lenzi aurait pu faire quelque chose de bien mieux même avec une pareille histoire. Quand Tessari filme la Sicile, pourtant dans des décors naturels, il ne trouve pas la bonne distance qui nous fasse ressentir le climat particulier des lieux. La scène de mariage manque d’ampleur aussi. C’est bien en cela qu’il se distingue du poliziottesco, l’action semble hors sol, peu liée finalement aux décors. Ça pourrait se passer n’importe où finalement. Le Danemark aurait pu donner lieu à des scènes plus étonnantes, tant l’atmosphère de ce pays nordique est éloignée de celle de l’Italie et de la Sicile. Milan est mieux filmé et mieux compris. 

    Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973 

    Domenico se propose de l’aider à traquer ceux qui ont détruit sa famille 

    L’interprétation c’est Delon que je ne trouve pas au mieux de sa forme dans ce film, il est même un petit peu éteint dans le rôle de Tony Arzenta. Il garde le visage fermé, sans doute pour retrouver la posture du Samouraï, mais le contexte ne s’y prête pas vraiment et Tessari n’est pas Melville. Mais bon il a toujours de la présence. Les seconds rôles – puisqu’il n’y a qu’un seul premier rôle – sont tenus par des comédiens de talent. Carla Gravina dans le rôle de Sandra est très bien, même si elle n’a pas grand-chose à faire. A mon sens elle n’a pas fait la carrière qu’elle méritait. Roger Hanin est Carré, il ne reste pas longtemps à l’écran, il fait juste un numéro un peu cabotin de méchant qui ébouillante sa compagne ! On retrouve Marc Porel qui avait déjà tourné avec Delon dans le clan des siciliens. Richard Conte, un habitué des rôles de mafieux, joue Nick Gusto, le vieux parrain revenu de tout, N’ayant plus de travail aux Etats-Unis, Richard Conte tournait dans tous les poliziotteschi qu’on lui proposait. Ici il était usé jusqu’à la trame, il décédera quelques mois plus tard. C’est un acteur que j’aime bien en général, mais là il est plutôt éteint. Giancarlo Sbragia fait meilleure figure dans le rôle du fidèle Luca qui finalement trahi aussi Tony. On retrouve des acteurs très connus du cinéma italien comme Guido Alberti qui interprète le père Mariano. Il est très bon comme toujours, qu’il tourne pour l’excellent Rosi ou pour le terne Tessari. Corrado Gaipa, un acteur sicilien qui a tourné aussi dans The godfather, était très malade et ne se déplaçait qu’avec difficulté, il est ici le père de Tony. Sa présence à quelque chose d’assez émouvant. 

    Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973

    Tony reprend des forces après avoir échappé à la mort 

    C’est au final un film très décevant même pour ceux qui adorent Alain Delon l’acteur. Mais curieusement il sera un succès énorme en Italie. C’est assez mystérieux car en France le public l’a plutôt boudé, le jugeant plus sûrement. Si Delon a pu se satisfaire du très bon résultat commercial, je doute que ce film lui ait laissé un souvenir impérissable. Certains aujourd’hui le revalorisent comme une sorte d’épure du film noir à l’italienne, c’est d’ailleurs pour cela que je l’ai revu, histoire de voir si je n’étais pas passé à côté de quelque chose. 

    Big guns, Tony Arzenta, Ducio Tessari, 1973

    Tony va s’introduire chez Rocco 

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    Le coup fatal arrive d’où on ne l’attend pas

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