• Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939 

    C’est un film un peu compliqué, essentiellement à cause d’un scénario un peu biscornu, bien qu’il soit inspiré d’une histoire de W. R. Burnett. C’est l’adaptation d’un roman, intitulé Dr Socrates et publié en plusieurs livraisons initialement en 1935 dans le prestigieux magazine Collier‘s. Ce roman n’a été publié sous forme de livre qu’en 2007 chez O'Bryan House Publishers, LLC. L’histoire est en effet assez mince, mais en outre le scénario n'a pas été écrit pas Burnett lui-même. Ça se voit, Burnett ne se serait pas permis de traiter aussi mal le héros de cette histoire, Joe Gurney pour finir par en faire une sorte de clown imbus de lui-même. En maniant une ironie lourdingue à ce propos le message débouche nécessairement sur la propagande bourgeoise réactionnaire selon lequel le crime ne paie pas, au lieu d’une tragédie. Cette approche me semble être plus en relation avec le très conservateur Vincent Sherman qui signe le scénario. Le tournage s’est très mal passé, essentiellement parce que la Warner voulait punir Kay Francis et la couler, au point de faire figurer son rôle soit au bas de l’affiche, soit en le faisant disparaître. Bogart n’aimait pas ce genre de bêtise. Warner reprochait beaucoup de choses à Kay Francis, d’abord de mener une vie dissolue comme on dit, alimentant la presse à scandales à la manière d’Hedy Lamarr ou de Mary Astor, mais aussi d’être en perte de vitesse auprès du public et de leur coûter très cher. Sur ce film, elle aurait touché 200 000 $, ce qui était une somme considérable à cette époque à Hollywood. Bogart était moins bien payé et rapportait beaucoup plus. Néanmoins, on va retrouver quelques thèmes chers à Lewis Seiler, la relation entre la situation sociale d’origine et le crime, l’importance ambivalente des médecins dans les rapports sociaux ou l’impossibilité d’échapper à son destin. Également ce film est intéressant parce qu’il marque une avancée sur le plan de la maîtrise technique de Lewis Seiler. La mise en scène est bien plus audacieuse, plus aérée, avec des insertions d’extérieurs bienvenus. Ajoutons que ce scénario avait déjà été traité par William Dieterle sous le titre de Dr Socrates en 1935 avec Paul Muni dans le rôle-titre, sauf que les rôles sont inversés par rapport au film de Lew Seiler, c’est la femme du médecin qui est morte et le Dr Socrates qui ramasse une jeune fille qui fait du stop sur la route ! Les inversions de genre dans la construction du remake de Lewis Seiler ont une signification profonde qui conduit à déviriliser l’histoire comme on va le voir. Dans la première mouture le médecin proposera à la bande de truand de se faire vacciner contre un hypothétique empoisonnement de l’eau et leur administrera un puissant sédatif qui va permettre à la police de les arrêter. 

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939 

    Les docteurs Carole et Niles Nelson sont des médecins très compétents. Un jour la police leur amène un gangster blessé d’une balle près du cœur et qu’il faut opérer. Ils s’en sortent très bien, et se font remarquer par le chef de bande Joe Gurney. Comme ils sont mal payés et que Niles est flambeur, ce dernier accepte de travailler pour Gurney qui le paie très bien, Carole n’est pas au courant. Les Nelson mènent grand train, tandis que Gurney continue de piller des banques. Comme Carole commence à se douter de quelque chose, elle suit Niles qui part travailler pour Gurney. Mais la police est en train de cerner la maison. Une fusillade éclate, Niles est mortellement blessé. Tandis que la police soupçonne Carole d’être de mèche avec Gurney, celle-ci décide de se venger. Elle aura le temps cependant de croiser Bill Stevens que la police soupçonne un temps, alors qu’il ne faisait que passer par là. Elle déménage avec sa tante dans une petite ville où, croit-elle, Gurney se cache. Elle est très mal accueillie par le médecin du village qui a peur qu’elle lui vole sa clientèle. Alors qu’il revient d’un hold-up, Joe Gurney croise sur sa route Bill Stevens, un écrivain fauché qui fait du stop. Il sympathise avec lui et va l’engager pour qu’il écrive ses mémoires. Mais comme il a été blessé, il demande à ses hommes d’aller chercher Carole Nelson pour qu’elle le soigne. Ce qu’elle fait, mais comme elle a été conduite chez Joe les yeux bandés, elle ne peut assouvir sa vengeance. Cependant elle est surprise de retrouver Bill Stevens qu’elle apprécie en train d’écrire les mémoires de Joe. Mais comme Joe l’a payé pour ses services avec un billet de 100 $ marqué comme volé, les flics vont lui tomber sur le paletot. Elle met alors un plan au point, elle va aller voir Joe et lui faire croire que ses yeux sont infectés et qu’ils doivent être traités. Ce faisant, elle va injecter à Joe et sa bande un produit qui va leur troubler la vue et permettre ainsi à la police d’arriver. Carole va sauver Bill et Joe va être abattu par la police. Carole va se marier avec Bill et faire des enfants. 

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939

    Les Nelson vont opérer un membre de la bande de Joe Gurney 

    Après Dust be my destiny, c’est tout de même un peu une reculade de la part de Lewis Seiler, surtout après le succès du film avec John Garfield. Si le point de départ est intéressant, traitant d’un médecin dévoyé qui se vend à des truands pour assouvir sa passion du jeu, même au risque de perdre l’amour de sa femme, le scénario se termine dans des invraisemblances assez difficiles à avaler, sans doute à cause d’un manque de travail des scénaristes. D’abord n’importe quel spectateur même somnolant, verra que lorsque Carole rend visite à Joe pour le soigner, elle a les yeux bandés, elle dit d’ailleurs qu’elle ne saurait pas retrouver la planque. Mais ensuite, elle retrouve toute seule ce même chemin et l’indique à la police. Il y a aussi le fait que le prudent Joe Gurney qui se méfie de tout le monde ne se méfie pas de Carole et de sa volonté de traiter toute la bande avec un sérum de sa composition. Sur le plan psychologique, on relèvera que Carole veut se venger de Joe parce qu’il a contribué à faire abattre son mari, mais en même temps elle va changer d’objectif en se donnant pour mission de sauver Bill Stevens. Mais en fait ces invraisemblances dans le comportement de Carole ouvre la voie à autre chose. Le thème est d’abord celui d’une femme forte qui passe son temps à sauver ou à manipuler des mâles assez irresponsables. Son mari est en effet rongé par le démon du jeu, elle arrivera trop tard pour le sauver. Elle éprouve de la sympathie pour Joe, comme une mère envers un enfant un peu trop turbulent, mais en même temps elle le conduit à sa perte en le livrant à la police. Quant à Bill Stevens, portrait caricatural de l’intellectuel introverti, il est mou comme une chique et devient une proie pour Carole la prédatrice. 

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939 

    La police veut coincer Joe Gurney dans son repaire 

    Burnett est souvent le portraitiste de ces femmes fortes capables de tout donner pour sauver le monde. Sauf qu’ici les mâles sont de vraies couilles molles, et de surcroit Joe est un semi-imbécile qui ne comprend rien du tout. Burnett, même quand il n’aime pas les voyous qu’il met en scène se garde bien de les assimiler à des abrutis. Il apparaît alors que la femme – Carole en l’occurrence – est maître du jeu. La chronologie des évènements laisse à penser qu’au fond c’est elle qui a provoqué la mort de son mari, incapable de le redresser, puis elle se débarrasse d’un autre prétendant, en l’occurrence Joe Gurney, pour finir par choisir un hurluberlu qui ne la contrarie pas dans ses projets de créer une famille tout à fait conformiste. Elle apparaît alors comme le pilier de la société américaine dans cette volonté de créer un nouveau modèle de civilisation.   

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939

    Carole vient d’apprendre que son mari est mort dans la fusillade 

    Le film propose cependant une autre ambiguïté dans l’opposition entre les gangsters et les médecins. Ces derniers apparaissent comme des gens rusés qui mentent, à qui on ne peut pas faire confiance, contrairement aux gangsters, qui, même si ce ne sont pas des gens recommandables, font au moins ce qu’ils disent sans tricher. Le film présente trois médecins, l’un est un flambeur qui ment pour cacher son vice, l’autre tente d’éliminer sournoisement la concurrence, et la troisième combinarde qui au lieu de soigner ses patients les aveugle et les livre à la police ! La vengeance serait-elle un idéal compris avec le serment d’Hippocrate ? Reste à comprendre le statut de l’écrivain, Bill, qui renvoie en réalité  à celui des scénaristes qui écrivent cette histoire contraints et forcés parce que c’est la loi des studios qui se comportent comme des truands. L’allusion est transparente il me semble. Mais l’écrivain n’en pense pas moins et c’est comme cela qu’il défend son intégrité. 

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939 

    Carole rencontre le farfelu Bill Stevens 

    Il y a des formes bizarres qui sont utilisées. Les protagonistes de cette affaire sont tous des somnambules. Ils sont soit les yeux bandés, et ne savent pas où ils vont, soit ils sont aveuglés par la confiance qu’ils accordent à la belle Carole qui leur inocule un sérum qui les prive de la vue. Cette démarche castratrice correspond à une volonté de ne pas regarder la vérité en face et de biaiser avec elle. Car au fond Carole est très attirée par Joe qui représente la force et la virilité, mais elle a peur de se laisser entrainer par la passion et de se livrer, aussi elle l’aveugle pour le rendre impuissant. Bill est amené en aveugle à collaborer avec Joe pour l’écriture de ses mémoires. Impuissant, c’est le cas de le dire, il est toujours couché, il ne prend jamais de décision, Carole les prend à sa place, elle le guidera vers la fin vers la sortie, un peu comme on mène un animal à l’abattoir. Bill c’est la viande qu’elle a achetée sur le marché de la séduction. Cette récurrence des scènes à l’aveugle est tout à fait remarquable. Les policiers d’ailleurs ne voient rien non plus et ne comprennent pas ce qu’il se passe ! Ils savent juste qu’ils doivent arrêter Joe Gurney parce que c’est l’ennemi public, mais en réalité ils aident Carole à se débarrasser de son désir ! 

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939 

    Bill arrive les yeux bandés dans le repère de Joe Gurney 

    Comme je le disait au début de ce billet, Lewis Seiler a fait beaucoup de progrès sur le plan technique depuis Crime school. Il est plus audacieux dans les mouvements de caméra. Il multiplie les angles difficiles, notamment dans les séquences finales quand Gurney cherche Carole et Bill dans la maison, avec des passages très fluides et millimétrés d’une pièce à l’autre. les scènes dans l’escalier, avec Gurney qui tombe de tout son poids avant de s’effondrer au pied des policiers est aussi excellente. Les passages qui sont tournés en dehors du studio permettent de donner plus de vérité à l’ensemble dans la mesure où le rapport à la nature rappelle aussi que le plus souvent les truands de ces années-là, les pilleurs de banque, sont des paysans sans beaucoup de culture. La séquence de l’opération, au début du film est aussi promptement enlevée, avec une caméra perchée en hauteur pour capter l’action du chirurgien. Dans le jeu de l’ironie distanciée, Lewis Seiler n’est pas très à son aise, et se laisse très souvent déborder par des dialogues un peu boursoufflés, le film est extraordinairement bavard. 

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939

    Les hommes de Joe lui emmènent Carole 

    La distribution s’organise autour du duo Kay Francis-Humphrey Bogart, deux acteurs chevronnés de cette époque. Mais c’est bien Kay Francis qui attire la lumière à elle plus que Bogart. C’était une belle femme de grande taille, dynamique et robuste, avec comme on disait jadis un nez spirituel. Elle est excellente dans le rôle de Carole, le médecin qui n’a peur de rien. Tour à tour vengeresse et protectrice, elle est l’image de la passion amoureuse. Bogart retrouve ici une fois de plus Lewis Seiler, dans un rôle de truand assez traditionnel pour lui. Il est Joe Gurney, mais à dire vrai, s’il est toujours Bogart bien entendu, il a bien du mal à se faire passer pour un abruti. On n’y croit guère. Cet éternel trio est complété d’abord par le très fade John Eldredge, le mari qui meurt si bien pour laisser la place libre. Puis ensuite c’est le mollasson James Stephenson dans le rôle de Bill Stevens qui le remplace. Il est assez mauvais et ressemble à un acteur anglais en train de réciter son texte.

    Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939

    Carole fait croire à Joe qu’il peut devenir aveugle 

    Malgré les gros défauts qu’on a soulignés, qui sont surtout des défauts dans le scénario, le film est très plaisant à regarder surtout à cause du duo Humphrey Bogart-Kay Francis, mais il est sans surprise.

     Hommes sans loi, King of the underworld, Lewis Seiler, 1939 

    Joe cherche Carole et Bill, mais il ne voit pas très bien

     

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