• L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938  

    Lewis Seiler est un cinéaste oublié, bien à tort à mon avis, car il est un des chaînons des plus importants dans la formation du cycle classique du film noir. C’était un réalisateur extrêmement prolifique, il avait commencé quasiment avec le cinéma en réalisant des films muets, des westerns un peu idiots avec Tom Mix, il toucha à tous les genres. Mais malgré cette caractéristique importante, il brilla plus facilement dans le film noir à la fin des années trente, et jusqu’au milieu des années cinquante. Parmi ses autres titres de gloire, il joua un rôle décisif dans l’éclosion d’Humphrey Bogart, au moins autant que Raoul Walsh. Ensemble ils tourneront cinq films. Crime school est un film Warner, ce qui veut dire un vrai film noir avec une plongée dans les bas-fonds ou les quartiers difficiles comme on dit aujourd’hui. L’affiche nous prévient d’entrée, ce sont les Dead end kids dont le nom est plus important que celui de Bogart qui sont les vedettes de ce film. La même année, la Warner tourne un autre film du même genre, Angels with dirty faces, de Michael Curtiz, avec James Cagney, Pat O’Brien et déjà Humphrey Bogart, et avec les mêmes gosses. En effet ils traitent tous les deux de la question des gosses qui grandissent plus ou moins dans la rue et qui sont confrontés à la délinquance. Crime school s’inscrit dans ce courant qui consiste à avancer des solutions pour la jeunesse, et donc pour cela va montrer le danger qu’encourent les gosses d’une manière crue. Mais en montrant cette violence, ce cinéma se risque à en faire la promotion. C’est d’ailleurs au motif que ce film pourrait donner le mauvais exemple à la jeunesse, que Crime school sera interdit au Canada. Le scénariste de ce film c’est d’abord Crane Wilbur. Il a beaucoup œuvré dans le genre « noir », aussi bien en tant que réalisateur qu’en tant que scénariste. On lui doit par exemple Crime wave d’André de Toth[1], ou encore The Phoenix city story de Phil Karlson[2]. Il s’est aussi beaucoup intéressé au film de prison, avec House of women qu’il dirigera en 1962, ou Canon city qu’il dirigera aussi en 1948, ou encore Inside the Walls of Folsom Prison, en 1951 avec l’excellent Steve Cochran qu’il scénarise et filme. Chaque fois il s’intéresse à l’idée de rédemption, et donc il combat l’idée d’une justice punitive pour tenter de la faire évoluer vers l’éducation. Par ailleurs il fut aussi le scénariste de I was communist for FBI du très réactionnaire Gordon Douglas[3]. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938

    Dans un quartier pauvre de la ville les gosses sont laissés à l’abandon 

    La bande de Frankie vit à même la rue et commet des petits vols. Ils ont tous des situations difficiles et détestent la police. Un jour, alors qu’ils sont en pleine discussion avec un recéleur, ils se battent avec lui, pour une histoire de quelques dollars, Spike l’assomme et le laissant pour mort ils s’en vont. La police arrête Spike et ensuite toute la bande. Mais ils ne veulent pas dire qui a assommé le louche recéleur. Le juge les envoie en maison de redressement pour deux ans, sous les yeux de Braden qui a remarqué aussi la sœur de Frankie. Les conditions de vie dans cette institution sont difficiles, le directeur, Morgan, mène son monde à la baguette. Il applique des châtiments corporels. S’opposant à Frankie, ce dernier s’enfuit, mais se fait rattraper contre les barbelés. Il sera fouetté et mis ensuite à l’infirmerie où un médecin négligent oublie de le soigner. Sur ces entrefaites, Braden qui a une conception plus humaniste de la rééducation, arrive pour inspection. Se rendant compte des disfonctionnements, il démet de leurs fonctions Morgan, le médecin ivrogne et plusieurs gardiens. Cooper le second de Morgan est épargné. Braden va tenter de réapprendre à vivre aux jeunes délinquants, mais il semble se heurter à un mur. Pendant ce temps il entame un flirt avec la sœur de Frankie. Les jeunes cependant dans un mouvement irréfléchi de révolte font exploser la chaudière. Braden sauve Squirt de l’incendie.  Mais Cooper qui complote pour faire revenir Morgan, va apprendre que Spike est celui qui a assommé le recéleur. Il va le faire chanter. Spike pousse alors les jeunes à s’évader et Frankie à aller se venger de Braden qu’ils veulent surprendre avec sa sœur. Ces mauvaises intentions échouent, Braden une fois de plus sauve la face aux jeunes délinquants, et finit par faire arrêter Cooper et Morgan qui avaient volé beaucoup d’argent sur la nourriture des jeunes. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938 

    La police surveille les gangs de rue

    L’histoire est parfaitement linéaire et facile à comprendre, elle suit le schéma d’un film à message : Celui qui ouvre une école, ferme une prison, disait Victor Hugo. Nous sommes en 1938, Hollywood est passé en quelques années des films de gangsters du type Scarface d’Howard Hawks, ou Public ennemy de William Wellman, qui mettaient en scène des voyous sans possibilité de rachat, à des films plus compatissants qui, au lieu de dénoncer seulement l’origine de la criminalité dans la misère et le manque d’éducation, va s’efforcer d’ouvrir la voie à la réforme. Notez que ce film est tourné la même année que Angels with dirty faces de l’excellent Michael Curtiz, qui brasse un peu les mêmes thèmes, et juste un an avant Each dawn I die[4]. C’est donc un sujet qui interroge l’Amérique rooseveltienne, par réaction à ce qui se faisait avant, disons juste avant la Grande Dépression.  Au fond ce que dit Crime school, c’est que les institutions, la justice, la prison, ou la maison de redressement, ne fonctionnement pas correctement, elles sont confiées à des gens qui sont soit des escrocs, soit qui manquent d’empathie. Plus encore, les hommes qui sont censés représenter la justice sont des fieffées canailles, bien pire sur le plan moral que ceux qu’ils sont chargés de redresser. Le cruel directeur Morgan est un escroc, son adjoint aussi, mais plusieurs gardiens ont été virés de la police pour des actes délictueux. Si les jeunes délinquants ont des excuses, ceux-là n’en ont pas. Donc on comprend que les lois, les règlements ne suffisent pas à assurer la justice, si ceux qui sont chargés de l’appliquer n’ont pas de morale. Car s’il faut éduquer ces malheureux jeunes gens, il faut aussi éduquer pour les humaniser ceux qui ont la responsabilité de les former et de les redresser. Le spectateur attentif se rend compte à travers le personnage de Braden, que les plus misérables ne sont pas ceux qu’on croit. Il sera plus dur avec ces adultes faux-jetons qu’avec les gosses qui vont devenir sur la fin ses complices pour ramener l’ordre et la morale. Cooper et Morgan, les deux horribles, n’iront pas en maison de redressement, mais bien en prison pour un très long séjour. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938

    Le recéleur est assommé par Spike 

    Tout cela laissera croire, lors d’un visionnage superficiel, à une simple fable lénifiante et moralisatrice, débordant de bons sentiments. C’est en vérité un peu plus compliqué que cela. D’abord parce que manifestement ces jeunes délinquants ne sont pas vraiment responsables : ils sont les victimes d’une société de classes. Ce sont des enfants de prolétaires qui sont laissés à l’abandon.et donc le personnage de Braden qui semble avoir eu un parcours un peu similaire à ces enfants qu’il veut sauver, va manifester une sorte de culpabilité. Il est le symbole de la méritocratie. Il a beaucoup travaillé pour se sortir de la classe d’où il arrive. Il se doit à ses semblables. Mais en vérité c’est aussi un retour vers sa classe sociale d’origine, puisqu’en effet, il va choisir la belle Sue pour en faire sa femme. Il va de soi que s’il se sert des efforts qu’il fait pour sauver Frankie, c’est aussi la conséquence d’un opportunisme amoureux. C’est ici qu’il va apparaître comme particulièrement ambigu, ce qui n’échappe pas ni au sombre Cooper, ni aux autres jeunes qui gravitent autour de Frankie. Pour arriver à ses fins, il va prendre le pouvoir, affronter Morgan et sa clique. Il se sert du pouvoir qu’on lui a confié pour cela. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938

    Devant le juge, les gosses de veulent rien dire 

    Des films de gosses, il y en a eu beaucoup vers cette époque, entre autres raisons, parce que la Grande Dépression avait projeté sur le bitume des grandes bandes de gosses un peu partout dans la nature, abandonnés par leurs parents pour cause de misère, montrant à quel point le modèle américain fondé sur la valorisation de la famille mononucléaire était en faillite et devait être restauré. William Wellman fut le prophète de cette démarche, il avait fait Beggars of life en 1928 avec Louise Brooks et Wallace Beery que nous avons salué ici[5], mais aussi l’excellent Wild boys of the road en 1933. Des films très marquants sur le sujet. Si le film de gosses marginaux et marginalisés par la vie se portait bien en ces années-là, c’est parce que ces enfants représentaient l’avenir, une alternative au mode de vie égoïste mis en place par le capitalisme sauvage. Ici on remarquera que ces jeunes garçons vivent en groupe, dans une sorte de démocratie égalitaire où la solidarité peut être rompue à tout moment par des éléments extérieurs, c’est ce qui se passe lorsque l’infâme Cooper profite de la faiblesse de Skipe pour atteindre par ricochet Braden. Mais après un moment d’égarement Skipe va retrouver ses esprits et revenir à une philosophie plus saine de la vie. Au passage on remarque que les corrupteurs sont d’abord motivés par l’appât du gain, que ce soit le recéleur, ou que ce soit Cooper et Morgan qui affament littéralement les enfants. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938

    Frankie tente de s’évader 

    La mise en scène n’a rien d’exceptionnel, c’est filmé presqu’exclusivement en studio, ce qui donne un côté un peu emprunté à l’ensemble. Si le quartier pauvre dont sont issus les gosses est bien travaillé, le décorateur est à la hauteur, on ne le voit pas très longtemps. Il n’y aura pas de mouvements savants de caméra, le rythme étant donné plus facilement par le montage que par les déplacements de la caméra. C’est un film aussi extrêmement bavard parce qu’il se veut didactique. Ils ne se contente pas de montrer, il explique en sus. Les espaces photographiés sont très étroits. Seiler fait preuve d’inventivité seulement quand les enfants rentrent en action, par exemple quand ils se laissent aller à l’ivresse de faire exploser la chaudière, on li sur leurs visages un grand contentement de faire advenir l’Apocalypse ! On remarque aussi qu’il évite les scènes de cruauté. Par exemple quand Frankie se fait fouetter, on ne le voit pas, on l’entendra seulement. Il y a une pudeur qui va disparaître justement avec le cycle classique du film noir quand on verra comme dans Brute force de Jules Dassin (1947) ou dans Kiss the blood off my hands de Norman Foster (1948)[6], on verra Burt Lancaster se faire maltraiter dans des prisons où règne un sadisme assumé. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938 

    Braden se rend compte que Frankie a été fouetté 

    Comme l’affiche l’indique, ce n’est pas Bogart qui est la tête d’affiche. Ce sont les Dead ends, on les retrouvera ensuite dans Angels with dirty faces, puis ensuite ils feront des carrières individuelles plus ou moins intéressantes. Ces jeunes sont assez étonnants. Parmi cet ensemble, si Billy Halop dans le rôle de Frankie a le plus de temps, il n’est pourtant pas le plus remarquable du lot, il retrouvera Bogart dans un autre film de Lewis Seiler, You Can't Get Away with Murder l’année suivant. C’est Leo Gorcey dans le rôle de Skipe qui est le plus étonnant de la bande. Il joue très bien de son physique un peu ingrat, mi enfant, mi sournois. Mais tous ces jeunes ont une allure un peu souffreteuse et c’est ce qui donne une certaine vérité à l’ensemble, surtout si on les oppose aux bourgeois, juge, directeur de prison ou autre. Bogart est très bien dans le rôle de Braden, ce qui n’est pas une surprise. Pour une fois il joue un honnête homme, un caractère positif, qui non seulement évite le malheur pour lui-même, mais aussi pour les autres. Il retrouvera plus tard un rôle similaire avec Knock on any door de Nicholas Ray en 1949. Ici il est tout de même un peu en retrait par rapport à ce qu’il faisait à la même époque. Gale Page qui ne percera pas vraiment dans le milieu cinématographique, incarne Sue Warren, elle retrouvera Bogart et Billy Halop dans You Can't Get Away with Murder. Les crapules sont plutôt bien réussies, d’abord Cy Kendall dans le rôle du vicieux Morgan, puis Frank Otto dans le petit rôle du recéleur, et enfin, Weldon Heybunr dans le rôle du tortueux Cooper. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938

    Cooper va se servir de Spike pour discréditer Braden 

    C’est dans l’ensemble un bon film noir qui annonce un segment prolifique du cycle classique, le film de prison.  La copie DVD que je possède est plutôt médiocre, très sombre, peu contrastée. Je ne crois pas qu’il en existe en Blu ray. En tous les cas, c’est un petit film oublié qui marque non seulement l’évolution de Bogart vers un peu plus de complexité, mais aussi du film criminel vers le film noir. Le film est un peu oublié aujourd’hui, voire dénigré, mais à l’époque il fut apprécié du public, ce qui encouragera la Warner à persister dans  le sens du film criminel-social dont elle se fera une vraie spécialité. 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938 

    Spike pousse Frankie à attaquer Braden 

    L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938 

    Braden s’en prend à Cooper 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/chasse-au-gang-crime-wave-andre-de-toth-1954-a158447560

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-phenix-city-story-1955-phil-karlson-a114844904

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/i-was-a-communist-for-the-fbi-gordon-douglas-1951-a114844636

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/a-chaque-aube-je-meurs-each-dawn-i-die-william-keighley-1939-a211806626

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/les-mendiants-de-la-vie-beggars-of-life-william-wellman-1928-a183166896

    [6] http://alexandreclement.eklablog.com/les-amants-traques-kiss-the-blood-off-my-hands-norman-foster-1948-a114844790

    « Marcel G. Prêtre, La cinquième dimension, Fleuve noir, 1969Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939 »
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