• L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

     Ce sujet adapté d’un roman de Vieri Razzini, Terapia mortale, non traduit en français, était un vieux projet de Lucio Fulci qui, pour des raisons très confuses, n’avait pas été réalisé. Ceux qui ont lu le roman nous disent que le rapport entre le livre qui a mauvaise réputation et le film est très succinct. Mais entre l’excellent Non se seviza un paperino et ce quatrième giallo, il n’était pas resté sans rien faire, il avait tourné deux Croc-blanc avec Franco Nero et Virna Lisi qui avaient eu un bon succès, un Lando Buzzanca, un western un peu gore et une comédie érotique avec Edwige Fenech. Cette prolifération désordonnée a d’ailleurs nuit à sa crédibilité en tant qu’auteur comme on disait dans Les cahiers du cinéma. Ces films n’avaient rien de remarquables et en tous les cas n’étaient pas représentatifs de son talent. Le scénario avait été réécrit plusieurs fois, et on a cité comme source possible par exemple le film de Claude Chabrol adapté de Frédéric Dard, La magiciens. Cela n’est en vérité guère probable parce que si le film de Chabrol est sorti un peu avant, Fulci travaillait sur ce projet avant Les magiciens soit mis en production, dès 1972 selon Roberto Cuti. Le fait cependant que plusieurs projets cinématographiques traitent dans le même moment de la prémonition, de la voyance et des visions est significatif d’une époque. En Italie, dans la retombée du Mai rampant italien, les sciences paranormales étaient à la mode. C’est sans doute pour ça que le livre de Frédéric Dard porté à l’écran, médiocrement, par Chabrol a été produit en Italie et non France  du reste. En 1975 Dario Argento avait sorti Profondo rosso qui intégrait la voyance[1]. Mais plus généralement on trouve ce thème très tôt dans le film noir, par exemple dans The Night has thousand eyes de John Farrow en 1948, sur un sujet adapté d’un roman de William Irish. L’autre thème est bien sûr celui de l’emmuré ou de l’enterré vivant cher à Edgar Poe et à Roger Corman. Pour ces dernières raisons, Roberto Curti ne veut pas voir dans ce film un giallo, mais plutôt un gothique féminin[2]. Mais si on regarde l’idée de voyance comme une manière de poursuivre une enquête, on ne peut pas le suivre sur ce terrain.  

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977  

    En 1959, alors qu’elle encore enfant, Virginia qui est en pension en Angleterre à la vision de la mort de sa mère qui s’est suicidée. Beaucoup plus tard, devenue adulte, elle s’est mariée avec le riche Francesco Ducci. Elle a l’idée de restaurer une maison qui lui appartient. Avant d’y arriver, elle a des visions en traversant des tunnels. Ces visions traitent d’une femme morte violemment et emmurée vivante. En visitant la maison, elle va découvrir un squelette de femme qui manifestement a été emmurée. La police avertie va interroger le mari et l’incarcérer car il avait eu une liaison avec cette jeune femme dont on a découvert seulement les  os. Le meurtre sembleremonter à quatre ou cinq ans en arrière. Virginia avec l’aide de Luca, un parapsychologue qui est amoureux d’elle en secret, va tenter de l’innocenter. Francesco prétend en effet que, au moment des faits, il était aux Etats-Unis. Or le portrait de la jeune morte qui illustre une photo détenue par Francesco, est celui que Virginia a vu dans ses visions à la une d’un journal hebdomadaire. En enquêtant, ils vont être mis sur la piste d’un chauffeur de taxi qui a son tour va leur indiquer celle d’un riche collectionneur de tableaux nommé Rospini. Virginia le rencontre, mais elle se fait éconduire. Il semble que ce soit lui qu’elle ait vu dans ses visions en train de tuer une malheureuse. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    La mère de Virginia s’est suicidé 

    Virginia avec Luca va chercher dans les musées une image qu’elle avait associé au meurtre. Mais si elle ne la trouve pas, elle tombe sur une reproduction d’une oeuvre de Vermeer sur laquelle elle avait vue une adresse. Tandis qu’elle continue son enquête, Francesco s’impatiente de sortir. Rencontrant un palefrenier et lui montrant la photo d’un magazine de 1973, celui-ci indique que le cheval avec lequel a été photographiée la défunte, ils en conclut que sa mort ne peut pas remonter à 1972, et donc que Francesco est innocent. La justice tarde à libérer Francesco et Virginia est encore victime de visions. Celles-ci vont l’attirer chez Rospini. Quand elle arrive chez lui, elle trouve du sang qui dégoutte de l’étage. Rospini la voit, et tente de la rattraper. Elle s’enferme d’abord dans un salon rouge, le même qu’elle avait rêvé, puis s’enfuit, elle se retrouve dans une église, toujours poursuivie par Rospini, elle grimpe dans le clocher, Rospini arrive, tente de la rejoindre, mais sous ses pas une planche cède et son corps se fracasse au sol. Francesco a été libéré, il rejoint Virginia qui vient de découvrir une lettre compromettante pour Francesco. Pendant ce temps Luca de son côté va comprendre le sens des visions de Virginia et se dépêche d’intervenir en la rejoignant. Rospini de son côté a fait des révélations sur Francesco, l’accusant de meurtre. Mais Francesco assomme Virginia et l’emmure dans une nouvelle cachette. Luca arrive avec la police. Au premier abord ils ne trouvent rien, mais Luca devine le lieu où Virginia a été emmurée. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia se propose de restaurer une maison de son mari 

    Le scénario est très riche, et très embrouillé et beaucoup d’aspects de cette histoire restent énigmatiques. Qui est cette vieille femme qui hante les visions de Virginia ? La fin du film est assez étrange. Pour certains, les visions de Virginia indique qu’elle a vu sa propre mort, et donc que même si Francesco sera démasqué, il est bel et bien morte. Mais ce n’est pas clair, on peut aussi imaginer que Luca ayant trouvé la cachette, il a encore le temps de sauver Virginia. Chacun se fera son opinion. Si le film navigue entre le rêve et la réalité, sa structure est celle d’un film noir. L’influence de Phantom lady de Robert Siodmak[3], sauf qu’ici l’homme que la femme protège et veut innocenter est bel et bien coupable. Tout va reposer sur l’analyse des visions de Virginia. Parlent-elles du passé ou de l’avenir ? Se tromper sur leur signification conduit à sa perte. La voyance n’est pas tout à fait le sujet du film, mais elle a un double intérêt : d’abord de devenir une sorte d’auxiliaire de l’enquête et qui donc permet de contourner les obstacles de la vraisemblance des situations. Ensuite de mettre en évidence une idée selon laquelle le temps ne s’écoule pas que dans un sens. En effet, si on peut prévoir l’avenir, c’est bien que celui-ci a existé avant le présent ! 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    L’avocat explique à Virginia et à sa soeur pourquoi la police garde Francesco 

    Une autre interprétation de ces visions, est que Virginia en réalité à travers l’enquête se cherche elle-même puisque d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’interprétation que l’on donne à la fin, toute l’intrigue aboutit à elle-même. Pour signifier cela on verra la sœur de Francesco offrir une montre à celle-ci. Cette montre qui déclenche au mauvais moment une sonnerie, est une parabole sur l’inexorabilité du temps qui s’écoule. Mais laissons là cette discussion sur la temporalité. Au cœur du film, on va trouver une analyse du rapport à l’image. Les tableaux jouent un rôle décisif. D’abord parce qu’ils ont figés le temps, ils sont présentés dans une quasi obscurité. On retrouve cette fréquente utilisation de la peinture dans le giallo justement. Retenant la leçon de Preminger avec Laura[4], cela permet de faire du cinéma et de ses images animées un art supérieur et vivant. Mais l’image figée est aussi source de mensonge. Ça c’est la vieille idée d’Antonioni dans Blow Up, idée récupérée souventes fois dans les gialli. Il faut savoir la lire, et Virginia, comme Luca, a toujours un temps de retard dans la compréhension de ce qu’elle a vu. C’est là l’ambiguïté du réel qui interdit les interprétations univoques. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia va voir Francesco en prison 

    Au-delà de ces aspects qui donnent du caractère au film, l’intrigue est construite autour de l’idée du trio. Et il n’y en a pas qu’un ! Le premier et le plus important est celui formé par Francesco, Virginia et Luca. Ce dernier est évidemment amoureux de Virginia qui s’est bêtement donnée à Francesco le meurtrier. Luca est un savant, mais Francesco est riche ! Virginia est donc trompée par les apparences. Le parapsychologue est sans doute jaloux, mais il sait se tenir. Ensuite le deuxième trio est formé par Virginia, Francesco et son ancienne maîtresse assassinée. Autrement dit il y a une concurrence entre la vivante et la morte, bien que Francesco ait caché cette liaison, et que Virginia fait mine de lui faire confiance puisqu’il lui dit que c’est du passé. Mais justement c’est un passé qui ressurgit par la volonté de Virginia, en mettant au jour le cadavre, elle met à nue l’âme perverse de son mari. Ces figures se multiplient, quel est le rôle de la sœur de Francesco ? La femme de Rospini avoue que celui-ci lui prend son argent et le dépense avec d’autres femmes. La fidélité est la chose la moins bien partagée dans cette Italie des années soixante-dix. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Bruna a retrouvé le chauffeur du taxi jaune 

    La mise en scène est remarquable, en ce sens qu’elle utilise des formes qui sont adéquates aux principes de l’intrigue. Il y a d’abord le passage de Virginia dans les tunnels. Ces tunnels représentent une traversée de l’Italie qui, à cette époque, doute de son identité. Ils ajoutent à l’atmosphère clautrophobique du films. Mais ces tunnels successifs sont comme des passages à travers des niveaux de conscience différents qui ne mènent qu’à la révélation du fait que nous sommes mortels. Un aspect important du comportement de Virginia réside dans le fait qu’elle est attirée en permanence par les murs, et qu’elle veut toujours ouvrir ces murs sur lesquels elle se heurte. Elle apparaît donc en quête de son propre échec. Et elle le trouvera ! L’aspect claustrophobique du film est encore renforcé par la séquence où Virginia, fuyant Rospini, elle ne trouve rien de mieux que de s’enfermer dans une pièce dont elle ne peut sortir. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977

    Luca et Virginia recherche un tableau qu’elle a vu dans ses visions 

    Lucio Fulci reprend bien sûr le thème de la maison comme personnage maléfique, on l’a vu déjà dans de nombreux gialli, que ce soit chez Bava ou Argento, et encore plus précisément chez Pupi Avati dans l’excellent La casa dalle finestre che ridonne[5]. Ces maisons sont toujours chargées de mystère, souvent abandonnées, elles se vengent sur les vivants. Cette attention délicate à une architecture qui renvoie à un passé plus glorieux de l’Italie, permet de jouer sur les contrastes de couleurs, d’un côté le rouge profond typique du giallo, et les couleurs délavés des maisons qui sont un peu mortes. C’est comme si, dans les images de ces pièces préservées, ne restaient dans ces maisons que leur cœur qui bat encore au milieu des décombres. Cela permet de renouveler la signification de ce rouge profond. On remarquera que Fulci film une église abandonnée. Celle-ci lui permettra d’utiliser lamontée du clocher comme une référence à Vertigo d’Hitchcock. Mais en même temps cette église vide n’est d’aucun secours à Virginia, elle a été abandonnée par Dieu ! La religion étant supplantée par la voyance et les sciences dites paranormales. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Le palefrenier indique la date de la prise de la photo 

    La réalisation est rigoureuse, la photo de Sergio Salvati est bonne. Sergio Salvati deviendra par la suite un des pilier du système de Lucio Fulci, ce qui veut dire que le réalisateur avait trouvé là quelqu’un capable de rendre compte de son esthétique. Mais si les scènes de poursuite, l’enquête sont bien travaillées, il y a des critiques qu’on peut adresser à Lucio Fulci. D’abord cette manie de filmer les dialogue de profil exclusivement, avec une opposition gauche-droite, privant la caméra de mobilité et donc d’une meilleure emprise sur l’espace et sa profondeur. Ensuite il y a des effets de zoom, Franco Bruni, le’ chef opérateur, parlait d’un usage frénétique du zoom pour appuyer les effets des découvertes de Virginia, avec un gros plan bien lourd sur les yeux et les pupilles horrifiées de Virginia. Notez que cette fois Fulci ne filme pas trop les corps sanguinolents qui sont projetés dans le vide et qui se fracassent sur les rochers. Mais ne chipotons pas, le rythme est bon, sauf peut-être vers la fin avec l’arrivée de Luca qui tarde à se concrétiser, le montage est serré. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Virginia se retrouve dans le salon dont elle avait rêvé 

    La distribution n’est pas terrible, elle manque de charisme. Jennifer O’Neil incarne Virginia. Cette actrice américaine qui avait eu du succès dans le film de Robert Mulligan, Summer of ’42, n’a par la suite eu que peu de rôles marquants, mais pour l’exportation, il fallait des américains aussi. Elle n’est pas très bonne à vrai dire et se retrouve très souvent à contretemps. Ensuite il y a Gianni Grako, vedette de westerns spaghetti à petit budget. Il est Francesco, le fourbe mari. Plus intéressant est la prestation de Marc Porel dans le rôle de Luca le parapsychologue. Il avait déjà tourné avec Fulci dans Non si sevizia un paperino. Et justement en voyant ces deux films on voit qu’il aurait pu faire une belle carrière, puisqu’entre les deux films il passe d’un curé austère et criminel un parapsychologue débonnaire et amoureux. Si Evelyn Stewart est à peine décorative dans le rôle de la sœur de Francesco, Jenny Tamburi est éclatante dans celui de la jeune fille qui mène l’enquête pour le compte de Luca. Gabriele Ferzetti est assez inconsistant, mais son rôle est étroit. 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Dans l’église abandonnée, Virginia voit Rospini arriver 

    Il se dit que le film n’a pas eu de succès en Italie. C’est bien possible, en France il n’est sorti que quatre ans plus tard dans un circuit un peu misérable, comme si les distributeurs français voulaient mettre l’embargo sur le giallo ! Mais depuis il a été redécouvert. Certains pensent même que c’est là le sommet de l’œuvre de Fulci. C’est un très bon film, mais je le trouve tout de même un peu inférieur à Non si sevizia un paperino, non seulement pour la, thématique, mais aussi pour son esthétique[6].   

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Rospini sur son lit de mort se confesse 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Francesco récupère la lettre qui l’accuse 

    L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Luca arrive pour confondre Francesco 


     L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 

    Les qualités de ce film sont très suffisantes pour vouloir le conserver et le revoir. C’est Le chat qui fume qui en a sorti une belle version en Blu ray, même si je trouve les analyses de Jean-François Rauger un peu insuffisante. On y trouvera à côté des témoignages de Dardano Sachetti, le scénariste avec qui Fulci travailla soiuvent, et de Fabio Frizzi le compositeur de la musique qui lui aussi deviendra un alter ego de Fulci.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-frissons-de-l-angoisse-profondo-rosso-dario-argento-1973-a213265539

    [2] Italian Gothic Horror Films, 1970-1979, McFarland & Company, 2017.

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/les-mains-qui-tuent-phantom-lady-robert-siodmak-1944-a148583314

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/laura-otto-preminger-1944-a154702974

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/la-maison-aux-fenetres-qui-rient-la-casa-dalle-finestre-che-ridono-pup-a213042705

    [6] http://alexandreclement.eklablog.com/la-longue-nuit-de-l-exorcisme-non-si-sevizia-un-paperino-lucio-fulci-1-a213812679

    « La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972Young Adam, David McKenzie, 2003 »
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