• La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972  

    Après une comédie un peu érotique au titre imprononçable, Nonostante le apparenze... e purché la nazione non lo sappia... All'onorevole piacciono le donne, avec le comique Lando Buzanca, qui avait eu beaucoup d’ennuis avec la censure, mais qui avait été un succès mondial – sauf en France – Lucio Fulci va revenir au giallo, d’autant qu’il y a obtenu des bons succès. Tourné en 1972, le film ne sera distribué chez nous que six ans plus tard. Ce délais montre en quelle estime les distributeurs français tenait Lucio Fulci à cette époque. Le titre français frise l’escroquerie intellectuelle. Il n’a rien à voir ni de près ni de loin avec l’exorcisme, mais la distribution très tardive du film en France a tenté d’utiliser le titre du film de William Friedkin qui était un très gros succès public dans le monde entier et qui donnera d’ailleurs de nombreuses suites. Le titre italien est énigmatique et dans la tradition du bestiaire du giallo, et il a quelque chose à voir avec l’histoire, littéralement il signifie ne torturez pas un canard. Beaucoup ont vu ce film comme très original parce que ce serait un giallo dépaysé dans le sud profond de l’Italie, abandonnant une approche purement urbaine. En vérité les décors et une partie des protagonistes sont semblables à ce qu’on pouvait voir dans certain poliziotteschi qui traitait de la mafia sicilienne ou sarde, ou calabraise et qui resituait tout cela dans un contexte d’arriération des populations. Par exemple Sequestro di personna[1] ou certains films de Damiano Damiani comme il giorno dlla civetta[2]. A l’origine ce film devait être tourné en ville, à Turin, mais ce serait Lucio Fulci lui-même qui aurait voulu ce dépaysement. Le simple fait de passer du Nord au Sud change complètement le point de vue, puisqu’ainsi le film va apparaître aussi comme un combat pour la civilisation et contre une superstition entretenue par l’Eglise. Quoi qu’il en soit, ce film est le préféré de Lucio Fulci lui-même. Il a écrit lui-même le sujet, avec toujours la complicité de Roberto Gianviti. Il s’est dit que l’histoire avait été inspiré d’une série de crimes d’enfants bien réels qui firent les beaux jours de la presse transalpine. Contrairement aux deux précédent gialli de Fulci, on peut y voir un retour vers  le naturalisme, du reste c’est moins la découverte du coupable qui est importante que le contexte social dans lequel ces crimes ont eu lieu. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La mère du petit Michele lui demande de porter un jus d’orange à Patrizia 

    Une sorcière pratique la magie noire sur trois petites poupées. Dans un village perdu de Basilicate, des enfants, Bruno, Michele et Tonino, observent des prostituées qui viennent y vendre leurs charmes. Ils sont rejoints par Barra un simplet qu’ils moquent. Quelques temps après le jeune Bruno Lo Cascio est assassiné, mais ses parents croyant qu’il a simplement disparu reçoivent une demande de rançon. La police piège Barra qui est venu récupérer l’argent et qui avoue avoir trouvé le corps déjà mort du petit Bruno. La police le croit et le soustrait à la vindicte de la population du village. Mais un second meurtre va avoir lieu, celui de Tonino qu’on a noyé. Barra ne peut être coupable. Il faut chercher quelqu’un d’autre. Le journaliste Martelli enquête et se rapproche du curé Don Alberto qui s’occupe aussi des enfants. Patrizia, une jeune femme que son père a exilée dans le Sud pour la soustraire à la consommation de drogue provoque les hommes du villages et même le jeune Bruno à qui elle propose de faire l’amour. Par téléphone elle lui donne un rendez-vous. Il va s’y rendre, mais sur le chemin il croise Zio Francesco, une sorte de sorcier qui vit dans la montagne avec la Maciara. Bruno se cache, mais il va être lui aussi assassiné. Sur les lieux du crime, Martelli a trouvé le briquer de Patrizia. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    La police interroge les parents du jeune Bruno disparu 

    Le jour des funérailles du petit Bruno, la police remarque que la Maciara est venue à l’église, mais qu’elle en est sortie avant tout le monde. La police va la traquer. Les carabiniers l’arrêtent dans les bois. Interrogée elle avoue qu’elle les a tués tous les trois, mais qu’elle s’est servie surtout de la magie noire pour les punir d’avoir déplacer le corps de son fils qu’elle avait enterré. La police ne la croit pas coupable, surtout qu’un policier dit qu’il l’a vue le jour du meurtre à plusieurs kilomètres de là. Il faut la libérer contre l’avis du maréchal des carabiniers qui craint pour la vie de la jeune sorcière. Et en effet des villageois vont la piéger dans le cimetière et la tuer. Elle mourra sur le bord de la route dans l’indifférence des automobilistes qui partent en vacances. Martelli interroge Patrizia à qui il va rendre son briquet. Puis celle-ci est convoquée chez les carabiniers pour s’expliquer sur son emploi du temps. Elle va avouer qu’elle cherchait à acheter de la marijuana. Avec Martelli, elle va suivre une autre piste, celle d’une petite fille arriérée, Malvina, à qui Patrizia avait acheté un jouet représentant un petit canard, effigie de Donald, la créature de Walt Disney, et dont ils avaient trouvé la tête près du lieu du crime. Cette petite fille est la sœur du curé Don Alberto qui vit avec sa mère. Celle-ci a un comportement louche et va amener Malvina dans la montagne. Martelli et Patrizia pensent qu’elle va la tuer. Mais en vérité ils se trompent, elle s’enfuit pour éviter que Don Alberto tue la petite fille. Martelli va affronter Alberto, et celui-ci va mourir en tombant dans le précipice, mais Malvina sera sauvée. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Giuseppe Barra est désigné comme coupable 

    L’histoire est relativement simple et son dynamisme est orienté par la quête du coupable, éliminant les uns après les autres les suspects. Le scénario est suffisamment astucieux pour éviter de présenter les policiers comme des êtres bornés qui s’arrêtent au premier coupable potentiel venu, mais également il tente de montrer que ces habitants d’Accendura s’ils différent des gens du Nord dans leurs références culturelles comme dans leurs superstitions, ne sont pas forcément des abrutis. C’est un peu le point limite du scénario, car même avec de bonnes intentions, on comprend que ces villageois sont un peu en marge de la civilisation et doivent être civilisés. Cette confrontation entre le Nord et le Sud qui fit couler beaucoup d’encre en Italie et dont on voit les traces dans Rocco e i suoi fratelli par exemple, et le thème sous-jacent, avec cette interrogation de savoir si c’est une bonne chose ou non que de réaliser cette uniformisation de la nation italienne. La réponse visible à l’œil nu du spectateur est ambiguë. Quand la Maciara meurt au bord de la route, on voit des  voitures de vacanciers passer auprès d’elle sans s’arrêter. Autrement dit c’est la défaite de cette société villageoise traditionnelle et la modernité qui s’avance avec son lot de dégâts. Patrizia représente également cette modernité milanaise dégénérée, elle se drogue, habite une maison d’architecte qui défigure le paysage et roule dans de somptueuses voitures. Elle étale aussi une liberté sexuelle sans limite en tentant d’attirer dans son lit un jeune garçon, encore un enfant. Et puis elle se drogue et n’en fait pas mystère. Martelli, le journaliste enquêteur est fait du même bois, il apporte une vérité qui, si elle convient au curé, ne convient pas aux villageois. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Le journaliste Martelli rencontre le père Don Alberto 

    L’autre thème de ce récit est que les enfants ont une vie qu’ils tentent de dissimuler aux adultes. Travaillés dès leur plus jeune âge par le sexe, il s’agit de comprendre comment le machisme des hommes du Sud prend sa source dans une sorte de réalité géographique particulière : on transpire beaucoup ! Mais en ce début des années soixante-dix, les Italiens, surtout dans le cinéma, s’interrogent sur les désirs sexuels des minorités, les femmes et les enfants. Une des scènes emblématiques de cette approche est la rencontre entre Patrizia et le jeune Bruno, nue, en train de se faire bronzer, elle excite le garçonnet. Cette scène vaudra d’ailleurs un procès – un de plus – à Fulci qui n’avait pas le droit de faire paraître dans le même lieu, un mineur et une femme nue. Il gagnera ce procès contre la Démocratie Chrétienne corrompue, car c’est de ça qu’il s’agit, en démontrant que cette séquence est le résultat d’un champ-contre-champ dans lequel les deux personnes n’ont pas besoin de se trouver en même temps dans le même lieu. Mais cette approche très sexuée va plus loin. Le criminel est le curé, celui qui est justement chargé de la répression sexuelle ! Derrière ses airs débonnaires, vivant avec sa mère, il est très tourmenté par la mal qu’il assimile directement au sexe. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La police questionne Patrizia sur son emploi du temps 

    Le film, plutôt choral, est une série de portraits. C’était déjà un peu le défaut du précédent giallo de Fulci. A s’intéresser à trop de personnages on ne les voit plus. Mais ici ces portraits donne de la densité au village qui devient une entité vivante et mystérieuse. Le plus intéressant est celui de la Macaria. C’est en effet une autre manière de parler du sexe, non pas que la sorcière semble  travaillée par ses désires, quoiqu’elle avoue qu’elle a été enfantée par le diable – en réalité plus probablement par Zio Francesco. Mais c’est l’image qu’on voit à l’écran qui est celle du désir féminin. Il semble que pour son portrait Fulci se soit inspiré de La sorcière d’André Michel, sorti en 1956, avec Marina Vlady. La traque, la mort de la Macaria, figure luttant contre le rouleau compresseur de la modernité, sont comme jumelles. C’est le portrait le plus réussi de l’histoire. Le portrait de Patrizia, la jeune bourgeoise est aussi bien développé. Les hommes sont moins intéressants que les femmes. Ils sont tous un peu ternes, et seul le maréchal des carabiniers donne un peu d’humanité. Martelli est assez vague, le commissaire aussi. Le curé c’est un peu mieux, sans doute parce qu’on a choisi un jeune acteur à la figure lisse, presqu’adolescente, ce qui donne plus de poids à sa folie. Beaucoup de figures sont à peine ébauchées, comme celle de la mère du curé. Mais l’ensemble donne un tableau attachant, particulièrement les parents du jeune Bruno. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Les carabiniers traquent la Macaria 

    Bien entendu comme dans beaucoup de films italiens de cette époque, la critique de l’hypocrisie de l’Eglise est évidente. En vérité c’est le pendant de la critique sur le plan politique de la Démocratie Chrétienne, ce parti totalement corrompu, en bout de course et qui fit les pires ennuis à Lucio Fulci sur le plan de la censure. Mais le personnage de Don Alberto va au-delà et doit être relié avec ces scandales sexuels qui secouent depuis cette époque le Vatican. Car pourquoi Don Alberto veut-il tuer ces enfants, si ce n’est pour se les approprier ? Le puritanisme du jeune curé est bien sûr de l’ordre de la pédophilie, même si cette implication est indirecte. D’ailleurs la pédophilie est présente dans tout le film avec aussi le personnage de Patrizia, car si les enfants ont des interrogations légitimes sur les questions du sexe et de son apprentissage, il n’y pas de raison de les détourner. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    La police a libéré la Maciara 

    La réalisation est très soignée, et Fulci a adapté la qualité de la photo à la particularité des décors bien réels qu’il a choisi. Les couleurs s’éloignent de la stylisation des gialli antérieurs et se rapprochent plus de ce qu’on faisait dans le poliziottesco, traduire les couleurs singulières de l’Italie en image et en donner la profondeur. Même si le film est sombre, beaucoup de scènes se passent la nuit, les couleurs donnent vers les tons pastellisés, ce qui augmente l’allure de fable à l’histoire. L’usage du grand écran, 2,35 :1, et tout à fait justifiée. On reconnaît cette facilité de Fulci pour le découpage qui mène à un montage serré, fait de plans très courts. Les scènes de la chasse à la Maciara sont très forte, avec un sens de l’espace tout à fait étonnant, donnant du volume à la forêt, ou au village lui-même. Fulci est sans doute un peu moins à l’aise dans les dialogues. L’ensemble est plus sobre que d’ordinaire même si on peut trouver que certaines scènes sanguinolantes sont un peu trop complaisantes. La mort de Don Alberto apparaît un peu trop longue. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    Patrizia est de nouveau convoquée à la police  

    Production internationale, le film bénéficiait d’un bon budget, le tournage a duré deux mois. La préparatioon a été minutieuse, au point qu’on a économisé sur les jours de tournage des acteurs. Florinda Bolkan disait qu’elle n’avait pas croisé les autres acteurs principaux du film. L’interprétation c’est d’abord Florinda Bolkan qui avait déjà travaillé avec Fulci dans Una lucertola con la pelle di donna. Sans doute devait-il être un peu amoureux d’elle car celle-ci en garde un souvenir un peu mitigé sans trop détailler l’ordre de sa rancœur. En tous les cas, elle n’a jamais été mieux filmée que dans ce film. si elle a un rôle un peu muet, elle a toutefois de beaux accès de colère. C’est sans doute son plus beau rôle. Derrière, on trouve Thomas Millian, plutôt sobre, dans la peau du journaliste investigateur Martelli. Il reste cependant un peu terne et son rôle n’est pas très large. Il y a ensuite Barbara Bouchet qui cette fois ne fait pas que montrer ses nichons et son cul. Elle joue vraiment et arrive même à émouvoir. Il est vrai que son rôle est bien écrit. Marc Porel est Don Alberto. Cet acteur français qui a fait le meilleur de sa carrière en Italie n’était pas seulement une belle gueule, mais aussi un très bon acteur, il est parfait dans le rôle du curé tourmenté, on sedit qu’il aurait pu jouer très facilement l’abbé Mouret en lieu et place de Francis Huster dans le film de Georges Franju. Les petits rôles sont tout aussi intéressants, à commencer par les enfants. C’est Massimo Ranieri, grande vedette de la chanson et de l’écran à cette époque qui devait jouer ce rôle. Mais je pense qu’on n’a rien perdu au change. Georges Wilson fait une très brève apparition dans le rôle de Zio Francesco, rôle qui devait au départ être tenu par Fernando Rey. Le maréchal des carabiniers est joué avec finesse par Ugo D’Alessio, et il nous faut mentionner aussi Vito Passeri dans le rôle de Barra, le demeuré du village. Irène Papas qui incarne la mère de Don Alberto est plutôt éteinte, mais son rôle est petit. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972

    Martelli et Patrizia pénètre la famille du père Don Alberto 

    Fulci disait qu’il avait eu une bonne entente avec les producteurs qui lui laissèrent faire exactement ce qu’il voulait. Si le succès public a bien été au rendez-vous, la critique qui a toujours un temps de retard l’a copieusement dénigré à sa sortie. Mais au fil du temps il est devenu un jalon important du giallo, et en accord avec Fulci lui-même on peut convenir que c’est son meilleur film. il est revenu à la musique de Riz Ortolani, mais celle-ci n’a rien de remarquable, au contraire elle souligne avec des effets un peu lourds les moments forts, c’est reondant. Dans l’ensemble c’est donc un très bon giallo, très maitrisé et prenant, sa réputation est justifiée. 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    Donna Avallone emmène sa fille dans la montagne 

    La longue nuit de l’exorcisme, Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci, 1972 

    Martelli tente d’arracher la petite Malvina à Don Alberto 

       

    L’édition-combo en Blu ray par Le chat qui fume, date de 2017, elle est malheureusement aujourd’hui indisponible, en fait on la trouve sur Internet chez des spéculateurs qui la vendent au poids de l’or. Elle n’avait été tirée qu’à 2000 exemplaires. Et donc si j’en parle, c’est sans arrière-pensée mercantile ! Une réédition à un tarif normal s’imposerait. En effet comme les autres éditions du Chat qui fume, elle est très complète, sans parler du transfert du son et de l’image qui donne une vie nouvelle à cette œuvre. Les bonus sont très nombreux, on retrouve Olivier Père, grand amateur de gialli, Jean-François Rauger, mais plus intéressants, les interviews de Lucio Fulci et des acteurs. Florinda Bolkan parlant de son travail avec lui sur deux de ses films sur un ton assez particulier quant à la personnalité du réalisateur. L’ensemble de ces bonus dure plus de quatre heures, et donne à voir le contexte dans lequel ce genre de films pouvait se réaliser


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-sequestre-sequestro-di-persona-gianfranco-mingozzi-1968-a202486804

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-mafia-fait-la-loi-il-giorno-della-civetta-damiano-damiani-1968-a162038558

    « Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971L’emmurée vivante, Sette note in nero, Lucio Fulci, 1977 »
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