• Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

     

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Le gros succès de Una sull’altra va encourager Lucio Fulci a continuer dans la voie du giallo.  Una lucertola con la pelle di donna est un beau titre, comme seules les gialli sont capables d’en donner. On dit que ce titre a été plus ou moins imposé pour répondre en quelque sorte à la trilogie animalière de Dario Argento qui avait été un immense succès. Mais en vérité c’est une phrase d’une des scènes finales du film et qui fait allusion à des rèves de drogués. Le France qui souvent se flatte  d’être le pays de la critique cinématographique, ce qui aboutit souvent à la surestimation de réalisateurs comme Hitchcock ou Clint Eastwood, n’a pas été au rendez-vous des gialli, et ce film a été diffusé bien après sa sortie sous le titre de Carole, seulement en 1976. Plus tard il reviendra dans le circuit renommé Le venin de la peur, titre assez idiot qui laisse supposer que les distributeurs du film le réservaient à des circuits marginaux. Fidèle à la formule qui a fait le succès d’Una sull’altra, une grande partie du film est tournée pour les décors extérieurs à Londres, ce qui a pour effet, non seulement de dépayser l’histoire, mais surtout d’utiliser le caractère supposé conservateur de l’Angleterre opposé à des hippies dégénérés. Comme si une telle histoire ne pouvait pas se dérouler en Italie, pays censé avoir une civilisation plus solide que Londres ! Ce film est considéré par les aficionados de Fulci comme son meilleur. Il a des qualités. Il existe aussi un site dédié à Lucio Fulci, très fourni, très détaillé animé par l’infatigable Lucien Grenier qui du reste participa à l’édition Blu ray d’Una lucertola con la pelle d’una donna[1]. Cette reconnaissance très tardive en France de Fulci était nécessaire, car si Fulci n’a jamais atteint le niveau de Bava ou d’Argento, il est clairement un des piliers du giallo, même si certains pensent que son apport à d’autres genres est aussi important. Sa carrière a été très prolifique, passant du western au giallo, de la comédie au film fantastique, du film d’espionnage façon James Bond du pauvre au polliziotescho.  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    Carole rêve qu’elle se retrouve dans un train entourée de personnes nues 

    Carole, la fille d’un avocat très en vue qui veut se présenter aux élections, fait des rêves étranges, toujours un peu les mêmes, elle traverse une foule nue dans le train, puis se retrouve avec sa voisine, Julia Durer dans une partie fine, et finalement elle la tue avec un poignard. Son mari, Frank Hammond s’inquiète pour elle et de la psychanalyse qu’elle suit. Elle semble fortement perturbée. Son père s’inquiète, demande à Frank s’il ne la trompe pas. Celui-ci répond que non, mais il passe la nuit avec sa maitresse. Cependant Julia Durer est assassinée. L’enquête policière va être confiée à l’inspecteur Corvin de Scotland Yard. Rapidement la police met la main sur une sorte de hippie, Hubert, qui avoue avoir tué Julia. Mais cela s’avère une fausse piste. L’enquête va se révéler difficile. Comme sur les lieux on a retrouvé le coupe papier de Carole, son manteau de fourrure et ses empreintes, la police l’arrête. Elle va en prison, mais n’y reste pas, son père versant l’énorme caution pour la libérer. Cependant les choses ne sont pas claires, les deux hippies la contactent, et lui donne rendez-vous dans une gare désaffectée par l’intermédiaire de Joan, la fille de Frank qui elle cherche à dédouaner son père des soupçons qui pèsent sur lui. Les choses tournent mal, à la gare Carole tombe dans un traquenard poursuivie par le hippie rouquin qui veut la tuer, elle n’est sauvée de la mort que par une homme qui intervient armé d’un fusil. Corvin avance cependant et commence à comprendre que l’assassin de Julia Durer ne peut être qu’un de ses familiers. Mais le père de Carole se suicide, et laisse une lettre en se disant coupable du crime de Julia. Mais Corvin n’y croit pas et avance maintenant que c’est bien Carole qui a tué Julia, en se forgeant un alibi selon lequel l’assassin aurait copié son rêve récurrent pour commettre son crime. En vérité le jour du meurtre les deux hippies étaient sous l’emprise du LSD et pouvaient pas comprendre ce qui s’était passé chez Julia où ils se trouvaient. Corvin comprend que Julia faisait chanter Brighton, parce qu’elle avait une liaison avec Carole, et que Brighton voulait éviter le scandale pour se présenter aux élections. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Edmond Brighton est inquiet pour sa fille 

    Comme on le voit l’intrigue est tirée par les cheveux, ce qui est souvent le cas de ce type de structure imitée des romans anglais d’Agatha Christie. L’histoire d’un alibi fondé sur des séances de psychanalyse n’a pas de sens. Mais le giallo n’est pas du naturalisme ! ce qui fait la différence avec le polar traditionnel, c’est la capacité à ajouter des scènes érotiques et des scènes de violence sanguinolente. Indépendamment de la cupidité de Julia Durer qui est la clé de son assassinat, c’est un film sur le désir lesbien. Celui-ci est opposé à la bourgeoisie anglaise collé monté, avec sa dose d’hypocrisie. Les policiers sont prévenus, Brighton est un potentiel élu du parlement, il doit donc être ménagé. Carole est une femme seule, délaissée probablement par son mari qui se partage entre ses affaires et sa maitresse. Manifestement il a fait un mariage dans le but de rejoindre un puissant cabinet d’avocats et d’y faire carrière. Chacun poursuit un but personnel sans tenir compte du reste de la famille. Dans cette famille recomposée, tout le monde s’épie et soupçonne tout le monde. Joan espionne sa belle-mère, Frank est espionné par son beau-père qui manifestement cherche à le coincer et à l’éjecter de sa famille. Le police par nature soupçonne elle aussi tout le monde et porte un regards désabusé sur le monde qu’elle cherche à comprendre et à pénétrer.    

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    L’inspecteur Corvin enquête sur la mort de Julia Durer 

    Bien que l’histoire soit située à Londres, la thématique est très italienne, du moins très représentative de l’amertume de l’Italie face à la décomposition du pays. De là à en faire un film politique comme certains ont voulu le voir, c’est abuser. C’est plutôt un film sur la décomposition et en cela la thématique se rapproche de celles des poliziotteschi. En effet les contestataires représentés par le couple de hippies ne sont pas meilleurs. Drogués, ils se vendraient l’un l’autre pour une dose. C’est ce que comprend Joan qui paye Jenny pour qu’elle lui dise où doit avoir lieu le rendez-vous. Egalement les policiers qui sont étroitement surveillés sur le plan politique, sont tout à fait désabusés. Mais le film déborde tout cela justement avec la prise en compte du désir féminin. Fulci n’est pas le seul réalisateur italien à en avoir fait le cœur de sa cinématographie. Mais lui le fait en mettant en scène des séquences quasiment pornographiques et surtout en montrant comment les femmes, délaissées par les mâles, les délaissent à leur tout. Ces amours saphiques cependant ne représentent aucune sororité comme on dit aujourd’hui, ni aucune pureté. Bien au contraire, ils accompagnent la décomposition sociale.  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Un jeune hippie avoue le meurtre de Julia 

    L’écriture du scénario mène cependant à un certain nombre de poncifs et de caricatures. Si le portrait de la bourgeoisie londonienne est assez réducteur, il passe encore, mais celui des hippies est plus difficile à avaler. La jeune femme peint en lançant des poignards par exemple. De même faire rouler l’inspecteur Corvin en Jaguar est assez osé ! Surtout que par ailleurs il est présenté et habillé comme un petit fonctionnaire, certes entêté et raisonneur, mais aussi comme obéissant à une routine. Certes la Jaguar était sûrement à l’époque une image de la voiture anglaise prestigieuse, mais pourquoi en faire une voiture de fonction ? Mais ces fautes de goût ne sont pas très nombreuses. Les scènes d’interrogatoire, ou encore celles qui nous montrent la recherche des empreintes sont suffisamment stylisées pour qu’on ne se pose pas la question de leur vraisemblance. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    Les empreintes de Carole trouvée chez Julia intriguent Corvin 

    On a dit que si Una sull’altra empruntait au Hitchcock de Vertigo et de Marnie, Una lucertola con la pelle di donna s’inscrivait dans la lignée d’un autre film d’Hitchcock, Spellbound, à cause des rêves reconstitués comme éléments de la résolution de l’enquête. Il est bien possible que ce soit là une intention consciente de Fulci qui, ne l’oublions jamais, écrivait lui-même ses scénarios. Mais en réalité c’est moins dans cette mécanique que dans la description de la frigidité apparente de Carole qu’il se rapproche d’Hitchcock. Les femmes hitchcockiennes sont le plus souvent frigides et souffrent de cette frustration. C’est le cas de Carole qui se donne à Julia qui la manipule et se sert d’elle pour faire chanter son père. Les rêves de Carole sont représentés à la fois par un train bondé, une partouze sous acide, et aussi des tableaux animés démarqués de Francis Bacon. Comme Argento, et comme beaucoup de cinéastes italiens, la peinture joue un rôle important, non seulement pour affirmer la richesse de la haute bourgeoisie, mais aussi pour donner un contrepoint au rêve. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Carole est arrêtée 

    Le film n’est pas vraiment horrifique, et les scènes comme celles des chiens martyrisés pour la gloire de la science, si elles sont horribles, s’inscrivent dans une volonté de faire apparaître une confusion entre le rêve et la réalité. Le film est un cauchemar pour Carole, les violences rêvées ou réelles qu’elle subit en sont la marque. Où se trouve la vérité ? Ce principe d’une ambiguïté de la vie même va guider la mise en scène. D’une part Fulci va répéter le rêve du train, en le filmant ou quand Carole le raconte à son psychanalyste. Et d’autre part Carole ne va pas comprendre pourquoi elle est poursuivi par des personnes qui manifestement veulent l’assassiner. Et donc cette ambiance de cauchemar va être révélée par la longueur des scènes plus ou moins érotiques, mais aussi par le choix des décors. Quand elle est poursuivie dans cette gare désaffectée, elle va être attaquée par des chauve-souris sans raison, nouvel hommage à Hitchcock de The birds. Dans la clinique où elle est poursuivie, elle va être conduite dans une salle où des chiens sont éventrés vivants et testés. Cette dernière scène a valu d’ailleurs à Fulci un procès pour maltraitance animalière, et il dut faire la preuve qu’il s’agissait d’un trucage. Les plaignants auraient pu s’épargner le ridicule d’un procès, étant donné que le trucage est tout à fait visible, que ce soit les organes qui palpitent ou encore la couleur du sang et des entrailles qui est bien trop vive.  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Brigthon va voir sa fille en prison  

    Les réalisation est bonne et bien rythmée, notamment la longue poursuite de Carole par le hippie qui nous fait visiter des sous-sols très étonnants. On grimpera des escaliers en spirale, comme une manière d’atteindre une vérité qui est restée à l’état d’inconscience. Manifestement Carole est à la poursuite d’elle-même, même si c’est elle la coupable. Le montage est habile et utilise des plans très courts, mais les mouvements de caméra sont tout aussi importants, que ce soit dans la séquence étouffante du train ou dans les scènes de poursuite qui jouent de la verticalité du décor, notamment la pénétration de l’orgue, puis de la profondeur du champ des souterrains. Cependant, les couleurs sont beaucoup moins travaillées que dans Una sull’altra. L’image est moins stylisée, ce qui empêche d’utiliser une palette d’effets beaucoup plus large. Peut-être voulait il se démarquer de Mario Bava et de Dario Argento qui commençait à devenir une référence centrale dans le genre. Les scènes dites érotiques apparaissent avec le temps assez maladroites et un peu trop longue. Fulci reviendra encore à cette fantaisie du split-screen, mais assez modérément. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Carole est poursuivie par quelqu’un qui veut la tuer 

    Sans être haut de gamme, la distribution est conséquente. En vérité les films de ce type étaient tournés très rapidement, ce qui permettait d’agréger des noms au générique sans alourdir l’addition. Le film est construit autour de la personnalité de Carole, et c’est donc tout naturellement Florinda Bolkan qui attire l’attention. C’est un de ses premiers films importants, cette actrice brésilienne de grande taille, fera par la suite une belle carrière dans le cinéma de genre en Italie. Très énergique, elle semble cependant en décalage quand elle doit jouer des scènes où manifestement elle est perdue. C’est une femme qui joue difficilement la passivité. Jean Sorel qui était déjà dans le premier giallo de Fulci, interprète son mari un peu volage. Il est un petit peu effacé dans ce film, et curieusement il a été reteint, sans doute pour lui donner un air plus respectable en le  vieillissant. Stanley Baker joue l’inspecteur Corvin. Son rôle est assez étroit pour un acteur de ce rang, mais il est tout à fait à sa place. Leo Genn incarne Brighton, l’avocat et homme politique conservateur. C’est un très bon acteur à la longue carrière, il incarne l’Angleterre telle qu’on s’en faisait une idée dans les années soixante et soixante-dix. Certes il donne parfois un peu trop dans le froncement de sourcils, mais dans l’ensemble il est très bien. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Ayant appris que Frank a une maitresse, il en vient à la soupçonner 

    Le cosmopolitisme de la distribution reflète le fait que ces films visaient au-delà du marché italien une diffusion internationale. Anita Strindberg assez décorative a un rôle quasi muet, mais elle est raide comme un piquet et n’exprime pas grand-chose, actrice suédoise, elle aura une carrière prolifique dans le cinéma de genre italien, sans qu’elle laisse un grand souvenir. Alberto De Mendoza, acteur argentin, qu’on avait déjà vu dans Una sull’altra interprète le sergent Brandon qui travaille sous la direction de Corvin, il n’est guère présent à l’écran. D’autres acteurs comme Silvia Monti ou le français Georges Rigaud qui joue le psychiatre ne font que passer. Plus intéressante est Ely Galleani dans le rôle de la fille de Frank qui apporte un peu de nerf à une interprétation qui en général en manque un peu. Mike Kennedy et Penny Brown qui figurent le couple de hippies dégénérés restent dans l’outrance et n’apportent pas grand-chose. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Dans le tunnel Carole fuit encore 

    L’ensemble est un bon film, mais il est moins passionnant qu’Una sull’altra. La musique est cette fois d’Ennio Morricone, preuve que les producteurs ont confiance en Lucio Fulci. Je la trouve cependant moins marquante que celle de Riz Ortolani dans le précédent giallo. L’accueil critique n’a pas été bon, mais le public a suivi. C’est seulement avec le temps que ce film a été réévalué, non pas comme un chef d’œuvre du genre, mais comme un giallo original. 

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    Le père de Carole s’est suicidé  

    Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971

    Carole se remémore une scène avec Julia Durer 

     

     Le venin de la peur, Una lucertola con la pelle di donna, Lucio Fulci, 1971 

    En 2015, Le chat qui fume sortait un Blu ray dans une édition combo qui est je crois encore disponible sur le marché français. Cette édition qui comprend de nombreux bonus, notamment des entretiens avec Jean Sorel et Anita Strindberg, une présentation de la vie et de l’œuvre de Lucio Fulci par Lucien Grenier, est très complète. La maniaquerie est poussée jusqu’à présenter la version VHS française !



    [1] http://www.luciofulci.fr/

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