• La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982

     La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982

    Robert Benton n’est pas un cinéaste arrivé tout à fait à la consécration, il est assez mal connu malgré quelques succès retentissants et un travail de mise en scène sophistiqué. C’est une sorte d’autodidacte, il est arrivé à Hollywood avant les Coppola, les Scorses et les Spielberg, anticipant le courant qu’on a appelé le Nouvel Hollywood. Il s’est immiscé entre le vieux système moribond des studios et cette nouvelle vague. Ce qui était encore possible dans les années soixante-dix aux Etats-Unis, et qui maintenant ne l’est plus, ni à Hollywood, ni à Paris, on peut le regretter tellement le cinéma occidental est devenu totalement lisse et convenu. Benton a appris le cinéma principalement en regardant des films dans les salles d’Art et d’Essai, notamment des films français ! 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982

    Bonnie and Clyde, 1967 

    Robert Benton a commencé à se faire connaître pour avoir été le scénariste avec David Newman son complice de Bonnie and Clyde d’Arthur Penn qui a eu le succès planétaire que l’on sait. Il travaillera aussi à l’écriture du film de Joseph L. Mankiewicz, Le reptile, et également le Superman de Richard Donner. Robert Benton a toujours eu l’ambition d’être un auteur complet et donc écrire ses propres histoires. A quelques exceptions près, il a travaillé ses scénarios lui-même, souvent avec son complice David Newman. 

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    Bad Company, 1972 

    Robert Benton a finalement assez peu tourné, moins d’une douzaine de longs métrages, alternant les succès et les échecs commerciaux. En tant que réalisateur il a commencé à se faire connaître avec un néo-western ou un western révisionniste comme on disait en parlant de ces westerns sombres et peu optimistes qui décrivaient la face noire de la création de l’Etat américain, Bad company, en 1972, le film n’eut guère de succès, bien que la critique l’ait trouvé très intéressant. 

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    The late show, 1977 

    Ensuite il réalisa en 1977 The late show, un film noir plutôt parodique et fort drôle, un film à tout petit budget, mais qui avait l’intérêt de montrer tout le talent de Lili Tomlin dans une mise en scène volontairement relâchée. Il n’eut qu’un petit succès d’estime. De Bonnie and Clyde jusqu’à son dernier film, c’est la thématique un peu désenchantée du film noir qui reste dominante, notamment avec très chandlérien L’heure magique en 1998 avec Paul Newman et Gene Hackman. 

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    Kramer contre Kramer, 1979 

    C’est un film dramatique sur le divorce, Kramer contre Kramer qui fit triompher Robert Benton comme réalisateur et le fit connaitre du grand public en remportant plusieurs Oscars. Le film qui avançait dans les déchirements d’un couple se disputant la garde d’un enfant, signait la fin du modèle américain de la famille, il était porté par deux acteurs charismatiques au sommet de leur art, Dustin Hoffmann et Meryl Streep. C’était en 1979, comme clôturant une décennie exceptionnelle dans l’histoire du cinéma américain. Cette période avait été aussi bien un retour aux sources du cinéma hollywoodien que le dépassement de ce classicisme. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Robert Benton va dans son film suivant, La mort aux enchères, retrouver Meryl Streep dans un thriller très rythmé. C’est l’histoire d’un psychanalyste, Sam Rice, dont un des patients est assassiné et qui se croit tenu de découvrir pourquoi on l’a tué. Au cours de son enquête, il va tomber amoureux de la maîtresse de celui-ci, la belle et énigmatique Brooke Reynolds, alors que tout porte à croire qu’elle n’est pas innocente. Paradoxalement, plus les preuves contre elle s’accumulent, et plus il veut croire en elle ! N'est-ce pas une preuve d’amour ? A moins qu’on ne regarde cela comme une maniaquerie morbide. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Avec ce film Robert Benton avouait avoir voulu rendre un hommage à Alfred Hitchcock. C’est sans doute certainement vrai, mais c’est tout de même un petit peu plus que cela, Benton a en effet un peu plus de personnalité que Brian de Palma par exemple, il reste bien moins engoncé dans les normes et les conventions qu’on pourrait dire hitchcockiennes. D’ailleurs, il ne reprend pas les petites incises faites de blagues et d’allusions comiques toutes britanniques du maître. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Pour le cinéphile qui connait bien la filmographie d’Hitchcock, on va reconnaitre des scènes inspirées de La mort aux trousses – la vente aux enchères et le saut dans le vide final – de Fenêtre sur cour – Rice, jouant les voyeurs, observe Brooke par la fenêtre en train de se faire masser toute nue par un chinois énigmatique ! Et encore Pas de printemps pour Marnie, la blonde durement traumatisée par la mort de son père dont elle n’est pas responsable, Sueur froide aussi, avec cette obsession qui pousse le héros à inventer une femme qu’il suit un peu de partout, tentant de transformer un rêve en réalité. L’assassinat au couteau peut aussi évoquer Psychose et Frenzy. Le rêve de George Bynum est comme dans La maison du docteur Edwards la clé de l’intrigue. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Mais pourtant, cette saturation de références n’aubère pas l’originalité du propos, aussi bien sur le plan thématique que sur le plan de la forme. Le film est construit sur la personnalité confuse et solitaire du psychanalyste qui essaie de comprendre ce qui lui avait échappé dans ses relations avec son client assassiné. Par cette enquête parallèle qu’il mène, il montre que sa spécialité n’est finalement pas très utile, et c’est d’abord cela qui va le motiver avec le but de démontrer sa supériorité intellectuelle sur la routine du policier qui enquête. Et c’est ainsi qu’il va chercher à être utile à Brooke Reynolds qu’il pense être en danger. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    A partir de là, Rice va tenter de se positionner pour devenir un homme, reconquérir sa virilité. Il est piégé en réalité par les femmes qui le cernent, sa femme qui l’a rejeté et qui a obtenu le divorce, sa mère qui passe son temps à redresser son jugement et à le reconditionner. Et puis Brooke Reynolds qui lui apparait tellement mystérieuse qu’elle pourrait très bien le manipuler. C’est un velléitaire et d’ailleurs ce n’est pas lui qui sauvera Brooke Reynolds, mais le pur hasard. C’est donc totalement contraire à Hitchcock dans l’esprit puisqu’en général le héros avec bien des difficultés retrouve son statut de mâle qui sauve la belle blonde évanescente. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    De même la blonde un peu décolorée n’est pas coupable, elle est totalement innocente, et son sentiment de culpabilité vient d’un traumatisme lointain. Elle n’est pas du tout manipulatrice et n’enfreint aucune loi. Il vient donc que les rapports entre l’homme et la femme sont plutôt différents de ce qu’on peut trouver chez Hitchcock. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Le film a été catalogué comme film néo-noir, sans doute parce qu’il est tourné en couleurs et dans un format 1,85 : 1. Robert Benton fera plusieurs incursions dans ce domaine, avec Billy Bathgate, avec Dustin Hoffmann en 1991, puis avec L’heure magique avec Paul Newman et Gene Hackman, en 1998, une déambulation crépusculaire particulièrement réussie dans l’univers de Raymond Chandler. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Sur le plan formel, il y a dans La mort aux enchères une approche très personnelle et gracieuse qui, donne pourtant de l’humanité à ces personnages déboussolés. D’abord la manière dont est utilisé le flash-back, figure traditionnelle du film noir, il est ici à plusieurs étages. Le récit au passé du patient qui a été assassiné renvoie Sam Rice à son propre passé et le fait revenir à la prise en compte de ses notes d’analyse. Benton va donc mêler la présentation orale et la présentation écrite, comme si la confrontation de ces deux points de vue allait éclairer l’affaire, chacun contenant sa propre vérité. La répétition des flash-backs avec George Bynum nous le fait voir sous un jour changeant qui fait évoluer l’opinion de Rice. Il y a un dialogue incessant entre le psychanalyste et son client décédé par-delà la mort. 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982 

    Le rêve raconté par George Bynum qui est le point de bascule de l’intrigue, est très original. On y voit en effet une petite fille qui arrache l’œil d’un ours en peluche, et le saignement qui s’ensuit va tâcher sa chemise de nuit blanche, immaculée. C’est donc une petite fille qui grandit et le sang représente les premières règles. C’est l’image d’une fille qui se fait violer, et c’est très brutal dans sa présentation, puisqu’elle force George Bynum à prendre la fuite pour ne pas rester confronté à cette image de la mort. Ce genre d’image ne peut pas se trouver dans un film d’Hitchcock, elle est bien trop dérangeante. L’enfant est encore une fois pour Robert Benton une sorte d’obstacle à une vie paisible entre deux amants, exactement comme dans Kramer contre Kramer, mais il intervient ici comme une sorte de cauchemar. Cette remise en question du statut de l’enfant est typique des années soixante-dix, par exemple L’exorciste de William Friedkin et ses séquelles horrifiques. 

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    Mais ce qui me semble le plus original dans ce film c’est le traitement de la couleur. La photo est due au très renommé Nestor Almendros dont le principal de la carrière s’est fait en France. Il avait déjà travaillé avec Benton sur Kramer contre Kramer et retravaillera avec lui sur Billy Bathgate, Les saisons du cœur et sur Nadine. Mais si on compare son travail à celui qu’il a fait par exemple avec François Truffaut, on voit bien que c’est Benton qui est à la manœuvre. La chromatique est volontairement très proche de celle des giallos. Les couleurs ne sont pas pastellisées. Il y a une domination des rouges, des bleus et des jaunes, couleurs très saturées qui vont être opposées au beige et aux couleurs plus pâles dans une alliance non conventionnelle. Le rouge est sanguinolent, souvent tirant vers le brun. Le bleu très soutenu à des allures crépusculaires, comme le soir qui tombe trop brutalement. C’est ainsi que le film tire un peu plus vers Mario Bava ou même vers Dario Argento que vers Hitchcock. Benton est clairement influencé par l’esthétique du giallo. Mais il l’adapte à une forme plus américaine, un peu plus lisse. 

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    Les objets vont avoir une grande place. Après tout, nous sommes dans un milieu bourgeois et fortuné qui va être ici mis à distance. D’abord il y a les tableaux qui seront vendus aux enchères, des peintures mortes en quelque sorte, et qui sont très souvent présents dans le film noir comme pour montrer le caractère dépassé de la peinture face à l’art nouveau qui est celui du cinéma et donc du mouvement. On trouve cette approche dans Laura de Preminger, ou dans les films de Fritz Lang, La femme au portrait et La rue rouge, et même dans Sueur froide quand Madeleine va au musée admirer un portrait qui pourrait être son sosie. Le public qui assiste à la vente aux enchères est évidemment snob et participe à une compétition à coups de milliers de dollars. C’est plus un jeu pour assurer sa suprématie, que de l’amour de l’art. On remarque aussi que le couple Brooker-George fume des gauloises, ce qui est un hommage à la France et au cinéma français, mais aussi une autre forme de snobisme pour les bourgeois américains que de fumer des cigarettes prolétaires françaises ! 

    La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982

    Brooke Reynolds est une femme mystérieuse, pour illustrer cette évidence, Benton donne à la voir massée par un chinois énigmatique au prétexte qu’elle a des problèmes avec son dos. C’est en vérité un clin d’œil à Diaboliquement votre qui fut le dernier film de Julien Duvivier et qui est sorti en 1968, sauf qu’ici le chinois masseur est seulement un leurre. 

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    L’interprétation est tout à fait à la hauteur. Roy Scheider, excellent acteur, qui a cette époque tournait beaucoup dans des films d’action de qualité, est ici à contre-emploi dans le rôle d’un psychanalyste un peu peureux qui non seulement porte des lunettes roses, ce qui n’est pas un signe de virilité, mais qui en outre reste totalement passif quand il se fait agresser dans Central Park, le spectateur est pris à contrepied car il s’attend à ce que le héros massacre le pâle voyou. C’est la conséquence de sa passivité générale. On lui a blanchi les cheveux pour lui donner un peu plus de respectabilité, mais aussi un air un peu fatigué. Meryl Streep est très bien aussi, bien qu’elle soit un peu en retrait, sans doute pour lui donner un air mystérieux. Elle aussi a travaillé sa couleur de cheveux pour lui donner un ton hitchcockien. Contrairement à Hitchcock, le vrai coupable est assez effacé, bien qu’il soit incarné par une excellente actrice, Sarah Botsford. Son portrait manque de précision et ses motivations restent un peu superficielles. Il ne sera connu qu’à la fin. 

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    Le film n’a pas eu beaucoup de succès à sa sortie, sans doute parce qu’il n’y a pas vraiment de héros positif dans cette histoire, mais enfin, avec le temps il a couvert ses frais. Pour ma part je trouve qu’il est à redécouvrir, aussi bien pour sa thématique sous-jacente que pour son esthétique originale. On en trouve une très bonne édition de ce film en Blu ray chez BQHL, édition à laquelle j’ai participée. Pourquoi s’en priver ? 

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