• La fin de carrière de cinéastes réputés

     La fin de carrière de cinéastes réputés

    Il est assez connu que les jeunes gens sont plus remuants et révoltés que lorsqu’ils avancent dans l’âge. Enfin du moins était-ce vrai dans le temps. Pour les cinéastes, c’est la même chose. Au début des années soixante-dix des cinéastes comme Martin Scorsese, Steven Spielberg ou Brian de Palma ont lancé leur carrière avec des œuvres qui se voulaient des critiques plus ou moins radicales du capitalisme. En abandonnant tout point de vue critique, ils ont en même temps trouvé le chemin du public et connu des succès énormes. Mais leur fin de carrière se réalise dans l’indifférence générale, avec des œuvres de très peu d’intérêt. Martin Scorsese et Steven Spielberg développaient une vision anarchiste et pessimiste de l’Amérique. Le premier réalisait Boxa Berha, une adaptation calamiteuse de l’ouvrage de Ben Reitman, Sisters of the road, en 1972. La révolte était à la mode, et les anarchistes aussi. Le film n’eut guère de succès, bourré de contradictions et plutôt filmé paresseusement, il mettait pourtant en avant des idées assez iconoclastes y compris du point de vue féministe[1]. Mais enfin, on se disait que c’était là une des premières œuvres de Scorsese – en fait le second long métrage après Who’s that knocking at my door – et qu’il avait de bonnes intentions et l’avenir devant lui. La qualité de ses films a commencé nettement à décliner avec ses collaborations avec Leonardo Di Caprio qui est pourtant un très bon acteur. Mais on est arrivé carrément au lamentable avec The Irishman, ressassant sans éclat des vieux thèmes de mafia et du syndicalisme corrompu. Le film était mauvais, techniquement parlant, du fait de sa longueur, de ses effets spéciaux ridicules, mais aussi fondamentalement puisque si Boxcar Bertha défendait le syndicalisme contre la répression patronale, The Irishman, à l’inverse, traitait seulement de la corruption de la bureaucratie syndicale, à la manière idiote du défroqué Elia Kazan qui justifiait ainsi le fait qu’il ait vendu tous ses copaines à l’HUAC[2]. Cette fantaisie avait coûté 160 millions de dollars ! Quelque temps auparavant, Scorses avait commis Hugo Cabret, film sur le cinéma qui n'a pas connu le succès attendu, compte tenu de son coût initial. Cette tarte à la crème du film sur le cinéma, on nous la ressort un peu tout le temps, pour masquer qu’on a rien à dire. Tout le monde n’est pas Vicente Minelli et capable de réaliser The bad and the beautiful. Aujourd’hui ça donne Babylon le bide noir de Damien Chazelle, ou encore Empire of light de Sam Mendes, un autre insuccès ruineux, produit encore et toujours par Netflix qui ne se sert des salles de cinéma et des festivals uniquement pour la promotion de sa plateforme. Il est d’ailleurs curieux que Scorsese qui se plaint de la disparition des films en salles se soit laissé acheté par Netflix, alors qu’il était déjà très riche, et qu’à la fin de sa carrière, il n’avait pas de nécessité matérielle particulière pour participer à cette entreprise de destruction du cinéma par les plateformes de VOD et de streaming. Hugo Cabret arrive dans la cinématographie de Scorsese comme un regret de ce qu’il aurait pu faire, s’il ne s’était pas fourvoyé dans des combines juteuses financièrement, mais lamentables cinématographiquement. La nostalgie qui sourd de ce film, n’est pas celle d’un âge d’or du cinéma qui s’inventait, mais celle d’un constat qui a vu Scorsese gâcher ses belles dispositions. Car en effet, Scorsese est sur le plan technique sans doute un des meilleurs réalisateurs encore vivants, novateur par son style et sa science du mouvement, mais il se laisse entraîner, sans doute par opportunisme, par des sujets mal maîtrisés ou sans intérêt. On ne le dira pas assez, les plus grands succès – je ne parle pas du point de vue financier – de Scorsese, ce sont les films avec Robert De Niro, sauf évidemment The Irishman. Nous verrons bien si malgré son âge Killers of the flower moon est un sursaut, nous le souhaitons d’autant plus que le livre est excellent. 

    La fin de carrière de cinéastes réputés  

    Descendons d’un cran en dessous. Steven Spielberg qui a habitué le monde avec des niaiseries pour vacances scolaires et les cinéclubs de la paroisse, est lui aussi un cinéaste contrarié. Après quelques bricoles, il commence sa carrière avec Sugarland express en 1974, un film clairement anarchiste à la gloire des en-dehors et des bandits de grands chemins[3]. C’est un film subversif, et sans doute est-ce pour cette raison qu’il n’a pas connu un très grand succès. Tourné deux ans après Boxcar Bertha, il disposait d’un budget assez restreint, mais enfin un bon budget tout de même. Les choses vont changer avec Jaws, un film de requins dont on se demande bien quel sens cela peut avoir d’aller regarder cette histoire dans un cinéma, mais ce fut un immense succès planétaire, et le marché s’en contentera. Il continua dans la niaiserie friquée avec Close Encounters of the Third Kind, encore un cran en dessous dans l’imbécilité confite à la gloire du progressisme et de la « science ». Cahin-caha, il enchaîne les succès et les bides sont très rares, il tire comme ça jusque dans les années 2010. De temps à autre il refait un Indiana Jones pour se refaire une santé quand le public semble le bouder. C’est bon pour son portefeuille, on dit qu’il a perdu plusieurs millions de dollars dans les combines de Madoff. Si les années 2010 marquent une chute très nette dans le succès, les années 2020 le voit enchaîner les bides ruineux. D’abord l’inutile remake de West Side Story – déjà on peut se demander si le premier valait le déplacement – qui plonge complètement et qui montre que Spielberg ne comprend plus son public. Ensuite, il y a The Fabelmans une nouvelle niaiserie sur le cinéma et sur le pourquoi du comment Spielberg s’est intéressé à lui. Mais la vie de Spielberg ne passionne pas les foules, et sa nostalgie du cinéma d’antan, non plus. Partant d’une glorification des exploits d’en-dehors, il dérive jusqu’à devenir un cinéaste des plus conformistes. Il est conformiste non seulement dans le choix de ses sujets, c’est de la bonne conscience paresseuse, mais aussi sur le plan technique. Il filme plat, autant que Clint Eastwood si ce n'est plus, et contrairement à Scorsese qui a toujours des idées originales – sauf dans The Irishman – pour filmer, des angles de prises de vue particuliers surprenants, ou des mouvements inattendus de caméra. Dans le début de sa carrière, il était vu d’ailleurs comme un médiocre technicien par des revues comme Les cahiers du cinéma ou Positif. Mais le cinéma ayant perdu ses meilleurs talents, il est salué maintenant comme un grand réalisateur, même si peu de gens seraient capables de nous expliquer en quoi il possède une grammaire cinématographique particulière.   

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    Descendons d’un cran encore. Voilà Brian De Palma qui a débuté avec Robert De Niro dont on ne soulignera jamais assez l’importance comme catalyseur du Nouvel Hollywood. En effet on trouve le personnage de Jon Rubin dans Greetings et dans Hi, Mom, en 1968 et 1970. Ce sont des pamphlets sur l’Amérique, son racisme, son engagement dans la Guerre du Vietnam, et même les formes traditionnelles de la famille. Mais on n’a pas remarqué que ces deux films sont aussi une réflexion sur le cinéma, la télévision et la manipulation des images. D’une manière moins naïve, De Palma amorce une réflexion sur le cinéma, il commence là où Martin Scorsese et Steven Spielberg terminent leur course. A défaut d’être très sophistiqués, ces films avaient au moins du cœur. De Palma par la suite trouvera un peu le chemin du succès en tournant des films d’un intérêt très limité, oscillant entre film noir au goût de giallo, Carrie, Obsession, et blockbuster, du passable The untouchables, au franchement calamiteux, Mission : impossible. Mais il essuiera de plus en plus de déconvenues. Si Carlitp’s way tient parfaitement la route – sans doute ce qu’il a fait de mieux, bien que le succès ne soit pas au rendez-vous – après Mission : impossible, le succès le fuiera aussi bien sur le plan critique, ce qui peut se surmonter, que sur le plan public, ce qui est rédhibitoire. Son dernier film, Domino, ne couvrira même pas ses frais de lancement. Cette descente aux enfers du box office est le résultat de cette incapacité de De Palma de se fixer une conduite, hésitant entre le système et sa critique, l’un et l’autre ne lui pardonneront pas. 

    La fin de carrière de cinéastes réputés 

    Le nouvel Hollywood se fait vieux 

    Le Nouvel Hollywood se fait vieux, tout le monde vieillit, mais courir après sa jeunesse en pratiquant un conformisme hors de saison est une très mauvaise tactique.


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/boxcar-bertha-martin-scorsese-1972-a114844718

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-irishman-martin-scorsese-2019-a177715326

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/the-sugarland-express-steven-spielberg-1974-a127010170

    « La mort aux enchères, Still of the night, Robert Benton, 1982De minuit à l’aube,Between Midnight and dawn, Gordon Douglas, 1950 »
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