• Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    En 1966 nous sommes encore dans les débuts de la vogue du giallo, mais aussi dans les débuts de la carrière de Franco Nero – qui hésite encore entre Frank Nero et Franco Nero. En outre c’est le premier long métrage de Mino Guerrini qui jusque là n’avait tourné que des épisodes dans des films à sketches. Il s’illustrera essentiellement dans le cinéma de genre dont un poliziottesco, Gangster ’70, un Lando Buzanca. Peu de choses de lui sont retenues aujourd'hui. Bien entendu il ne faut pas oublier sa participation au scénario du film de Mario Bava, La ragazza che sapeva troppo[1], film considéré comme fondateur du giallo. Vers ces années là, le cinéma italien qui génère de très belles recettes aussi bien sur le territoire national qu’à l’exportation, s’émancipe. C’est d’ailleurs dans le cinéma de genre bien plus que dans le cinéma d’auteur que la transgression s’opère vis-à-vis des tabous hérités de la longue histoire italienne marquée par la domination morale de l’Eglise catholique. A cause de la modernisation à marche forcée de l’économie italienne – c’est l’économie européenne qui croit le plus vite avec l’économie française – cette cinématographie va tourner la page du néoréalisme et de la morale ordinaire. On va enfin pouvoir parler du sexe et des tourments criminels qu’il engendre, mais aussi de la famille et de l’Eglise ! De ce point de vue le cinéma italien des années soixante, est en avance sur la France et les Etats-Unis. Cependant il faudra des décennies pour que ce cinéma là soit reconnu à sa juste valeur, et en France ce n’est que récemment qu’on en célèbre la créativité. C’est un film à petit budget, tourné très vite. S’il y a beaucoup d’emprunts, notamment à Hitchcock, il n’en demeure pas moins que ce film représente une avancée dans la libération de la parole. Le scénario prétend s’être inspiré de l’histoire de Gilles de Rais, rien n’est moins vrai, le célèbre chevalier était un guerrier et un massacreur de masse versant dans l’horreur prédatrice. Mais c’était la mode, on trouve ça aussi chez Mario Bava, de prétendre s’inspirer des classiques de l’horreur, probablement que cela permettait de faire mieux passer la pilule auprès de la censure, et puis cela donnait une apparence de sérieux à l’ensemble. Des problèmes avec la censure, ce film en eu beaucoup et dut faire face à des coupes intempestives qui parfois nuisent à la continuité du récit ou à sa clarté. La fin qui représente un viol a été complètement édulcorée, au point qu’on ne comprend pas de quoi se plaint la victime. Curieusement le générique est anglicisé. James Warren c’est Mino Guerrini, Diana Sullivan, c’est Erika Blanc, et tout à l’avenant, alors que l’histoire se déroule bien en Italie. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Le comte Alberti est jaloux 

    Le comte Mino Alberti doit se marier avec la belle Laura Canti. Mais celle-ci n’est pas la bienvenue. Non seulement la mère de Mino ne veut pas de se mariage, mais Marta la servante non plus. Cela crée des tensions difficiles à supporter et Laura décide de partir en voyage. Tandis que le comte s’exerce à empailler des animaux, la jalouse Marta sabote la voiture de Laura. Celle-ci s’en va. Mais Mino qui l’apprend est furieux, il part à sa poursuite. Il tente de la rattraper, mais c’est trop tard. La voiture n'a plus de frein et finit par plonger dans lamer où Laura se noie. Pendant ce temps une violente dispute a lieu entre la mère de Mino et Marta. La servante fait chuter la comtesse dans l’escalier, puis l’achève. Quand Mino revient à la propriété, la police lui apprend que sa mère est morte et conclut à un accident. Mino est effondré, Marta joue la comédie de la tristesse, et prétend qu’elle va aider Mino a surmonter cette douloureuse épreuve. Mais Mino qui n’avait déjà pas toute sa tête, la perd complètement. Dans un cabaret, il va rencontrer une strip-teaseuse, Maria Mordan, qui est aussi un peu pute. Il la ramène chez lui. Celle-ci prend peur quand elle retrouve, dans le lit où Mino prétend la faire coucher, le cadavre de Laura. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    La comtesse Alberti espionne Laura 

    Mino l’assassine à son tour. Mais les cris de la jeune femme ont réveillé Marta qui vient voir Mino et qui constate qu’il a tué la jeune femme. Ne sachant trop quoi faire, Mino s’en remet à Marta qui propose de dissoudre le corps dans l’acide. Mais Mino ne maitrise pas ses pulsions, un soir il drague une prostituée et la ramène chez lui. Il la pay largement, mais celle-ci s’aperçoit qu’il y a le cadavre de Laura dans lelit. Il la tue également. Marta refuse de l’aider cette fois. Elle lui dit qu’il est complètement fou, et qu’elle l’aidera seulement s’il l’épouse. Désemparé, Mino accepte. Les choses semblent se calmer, mais voilà qu’arrive Daniela Canti, la sœur de Laura qui vient aux nouvelles pour savoir si on a retrouvé le corps. sa ressemblance avec Laura est tellement forte que Marta a été surprise. Mais Mino lui commence à croire que Laura est revenue. Il va commencer à parler de mariage à Daniela qui est évidemment stupéfaite. Mais Marta sentant le danger va tenter de tuer Daniela. Mino intervient et poignarde la servante. De plus en plus fou il prétend à Daniela qu’ils vont se marier. Ils s’en vont vers la mer. Mino menaçant Daniela d’un revolver, elle n’ose pas se rebeller. Cependant lors d’un arrêt à une station service pour faire le plein, elle s’arrange pour laisser tomber les papiers de  la voiture. Les employés de la station étant intrigués, ils appellent la police qui elle-même appelle chez le comte Alberti. Là ils tombent sur Marta agonisante qui leur dit de venir. Ce qu’ils font, elle dénonce Mino et les policiers partent à sa recherche. Arrivé près de la mer avec Daniela, Mino la viole brutalement. La police arrive cependant et l’arrête tandis qu’on emmène Daniela complètement choquée. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Le comte Alberti empaille des bêtes mortes 

    Les références à Hitchcock sont évidentes et assumées, ce serait donc du côté de Psycho qu’il faudrait regarder, la mère tyrannique, le travail de taxidermiste de Mino, la maison bizarre et isolée, et bien sûr la police qui est totalement dépassée par les événements. Cette histoire se serial killer est cependant assez compliquée. D’abord parce que si Mino Alberti est un assassin, il n'est pas le seul, la sournoise servante Marta est elle aussi une criminelle qui comptera au moins deux cadavres, elle ne sera arrêtée que par la folie encore plus grande de Mino. Il est difficile de trouver un seul des protagonistes un peu sympathique, encore que Mino apparaît comme une victime de son Œdipe non résolue. Mais le personnage principal est peut-être la maison. Cette vieille demeure est plus ou moins bien entretenue, mais en tous les cas elle représente un passé glorieux dont la famille n’a pas su faire le deuil. Le fait de faire ce film semble être une interrogation sur les rapports de l’Italie des années soixante avec le progrès économique qu’elle subit et qui transforme entièrement ses repères. Et je me demande si l’ensemble de ces gialli version horrifique, et tous ces films d’horreur, à commencer par les films de Mario Bava, ne sont pas une nécessité. Tout au long du film c’est le passé qui est interrogé. D’abord évidemment le passé de Mino, puis le passé de la servitude des domestiques que la famille Alberti avait l’habitude d’exploiter. La sournoiserie criminelle de Marta semble en être la conséquence. En jetant la comtesse dans les escaliers, elle prend le pouvoir sur la maison. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Marta a saboté la voiture de Laura 

    Mais le passé c’est aussi cette confrontation de Mino avec la vie moderne. La musique de jazz qu’il écoute dans un cabaret, la strip-teaseuse qui vend aussi son cul. Mino vit avec la mort, son travail de taxidermiste l’y pousse. Dès lors que ce soit Laura ou Daniela, ou les prostituées que Mino invite à la maison, toutes ces femmes apparaissent comme des pièces rapportées par rapport aux exigences de la vieille demeure, la gardienne du passé.  Le scénario un peu hâtif toutefois ne donne pas trop d’explications sur ce qui attire ces femmes qui se font trucider ou violer vers cette demeure. En effet on peu se demander si Laura est plus intéressée par Mino ou par son titre de noblesse et sa vaste demeure. Dès la scène introductive du film, on comprend bien que Mino trimbale de graves problèmes avec lui. Mais cette maison est aussi une sorte de prison pour tous ceux qui y habitent. La mère ressemble d’ailleurs à une gardienne de prison, non seulement par son autoritarisme sur tous ceux qui l’entourent, mais aussi par sa manie d’espionner ses invités à travers un œilleton. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    La police annonce la mort de sa mère à Mino 

    Le comte Alberti est fou, et cette folie provoquée par son Œdipe mal résolue le conduit à des pratiques sexuelles extrêmes qui incluent le meurtre comme adjuvant. Si parfois il semble se rendre compte de son malheur, il ne s’y attarde pas, et ne cherche pas à guérir, il cherche seulement à l’aménager. C’est le pacte qu’il passera avec Marta. On assiste donc à la montée en puissance de sa folie criminelle, celle-ci est toujours ravivée par un événement extérieur traumatisant, la mort de Laura, celle de sa mère, comme s’il cherchait dans le crime une compensation à ce qui lui a été enlevé. Après la mort de sa mère, il va hériter du problème créé par Marta. N’arrivant pas à la soumettre, il la tuera. Ses crimes sont donc toujours des réponses à d’autres crimes. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Marta joue la carte de la désolation 

    Plus discrètement, ce qui se joue c’est une méditation sur la famille et son rôle délétère. La famille, pourtant fondamentale dans la culture italienne, ne protège pas, au contraire elle est le ferment de la folie car elle bride les instincts les plus basique de la vie individuelle. Le comte Alberti est très riche, mais comme pour la famille, cet argent ne le protège pas de la folie, bien au contraire, cet argent l’enferme dans ses fantasmes et la possibilité de les réaliser. Ne travaillant pas, il a besoin de ce dérivatif pour exister. A la recherche d’une pureté totalement illusoire, il voudra que Daniela soit revêtue d’une robe blanche pour un mariage pourtant fictif. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Dans un cabaret le comte Alberti va rencontrer Maria Mordan 

    Film a tout petit budget, cela s’en ressent dans la mise en scène. On se trouve presque dans un décor unique, celui de la maison à la noble architecture. Il y a bien quelques scènes pour aérer le film, mais c’est assez restreint, du reste ces scènes qui confrontent Mino au monde véritable amènent chaque fois un meurtre. Mino Guerrini va donc s’atarder aux rapports entre les personnes. D’abord aux rapports que Marta entretient avec le reste de la maisonnée. On la voit dès le début tenter de prendre le pouvoir sur le corps de Laura qu’elle prétend masser pour la détendre. C’est d’ailleurs ce genre de scène qui a fait bondir les censeurs. Elles deviendront banales en Italie après 1968. Le viol de Laura sera tronqué comme je l’ai dit au début, toujours à cause de la censure, mais les meurtres aussi ne seront pas visualisés. C’est cependant un film très bavard, et les dialogues sont soutenus par des gros plans et unn montage assez sommaire. Mino Guerrini n’est pas un théoricien de la pellicule. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Mino commence à croire que Laura est revenue d’entre les morts 

    Cependant, il y a de bonnes idées, à commencer par le choix des lieux qui servent de décors. L’idée d’une maison vieille et maléfique va devenir récurrente dans les gialli, chez Mario Bava, Dario Argento ou encore Pupi Avati. Cette maison permet d’utiliser les longs couloirs comme un labyrinthe dans lequel les personnages se perdent. On y verra Marta y errer un grand couteau de cuisine à la main, partant à la recherche de Daniela pour la tuer. Là encore c’est une allusion non dissimulée à Hitchcock. Cela amène de jolies travellings et une bonne utilisation de la profondeur. Mais enfin, il n’y a rien à attendre d’excellent sur le plan technique, même si la photo d’Alessandro D’Eva – crédité ici sous le nom de Sandy Deaves – est bonne. Ce bon directeur de la photo se sera fait les dents sur des films de genre, avant de travailler sur de nombreux films de Dino Risi. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    Marta cherche Daniela pour la tuer 

    La distribution est construite autour de Franco Nero dans le rôle du comte Alberti, il n’avait pas encore beaucoup de métier, il est parfois raide, parfois filmé de façon grotesque quand il roule des yeux pour simuler la folie. Mais enfin, ça passe. Il y a ensuite Erika Blanc qui tient le double rôle des sœurs Canti. Elle avait déjà une bonne douzaine de films à son actif, mais elle ne brille pas particulièrement ici. La mère de Mino est incarné par Olga Solbelli, ici sous le pseudonyme d’Olga Sunbeauty. C’est une vétérante qui avait commencé à tourner avant la guerre, très à l’aise et convaincante. Gioia Pascal incarne Marta la sournoise domestique. Cette actrice n’a fait que deux films dans sa vie. Elle est intéressante, mais son jeu est forcée. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    A la station service Daniela laisse un indice 

    Le film a connu un bon succès commercial, ignoré évidemment par la critique, mal diffusé en France. Sans être un film remarquable, il est très intéressant aussi bien pour découvrir les développement progressif du Giallo, que pour ce qu’il raconte en creux des tourments de l’Italie de cette époque. Il n’est pas ennuyeux, malgré quelques longueurs notamment lorsque Marta rampe vers le téléphone pour appeler au secours. Il va de soi que vous ne trouverez pas ce film en version  numérique dans votre supermarché préféré de la culture. Film oublié et méprisé, il vaut pourtant le détour. 

    Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966

    La police a rattrapé Mino


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-fille-qui-en-savait-trop-la-ragazza-che-sapeva-troppo-mario-bava-19-a212730005

    « Quentin Tarantino, Cinéma spéculations, Flammarion, 2022Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974 »
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