• Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974 

    Exhumons aujourd’hui un poliziottesco pratiquement d’outre-tombe. Un film fait de bric et de broc, avec des bouts de ficelles, et c’est à peine si Roberto Curti le mentionne dans sa bible sur le film criminel italien[1]. Un film donc passé par pertes et profits, une série C comme disait lui-même son réalisateur Vincenzo Rigo qui ne le défendait pas. Il le trouvait déjà vicié dans son scénario, des dialogues, n’en parlons pas. Et donc me direz-vous si son réalisateur ne veut pas le défendre, même un peu, pourquoi donc je le défendrais. Au nom de quoi ? L’affiche est très bien, la musique aussi, mais cela ne serait pas suffisant. En vérité ce film possède une vraie valeur dans l’histoire du film noir à l’italienne. D’abord parce qu’il est une sorte de croisement entre le poliziottesco et le giallo. Ensuite parce qu’il est l’exact contemporain de Cani arrabbiati, l’excellent film de Mario Bava qui pour des raisons que j’ai tenté d’expliquer n’a pas pu être achevé et montré du vivant de son réalisateur[2]. On ne sait pas grand-chose de Vincenzo Rigo, si ce n’est qu’il a été un chef opérateur et qu’il a réalisé trois films assez obscurs et un épisode d’une série télévisée. On ne peut pas se faire vraiment une idée de ce qu’ont été ses ambitions ni même ses intentions, même quand on a écouté son interview en bonus de la version Blu ray publiée par Le chat qui fume à la fin de l’année 2022

    Les tueurs sont nos invités, Gli assassini sono nostri ospiti, Vincenzo Rigo, 1974

    Les gangsters attaquent la bijouterie Genaro

    À Milan, Eliana vole une voiture au nez et à la barbe - c’est le cas de le dire – d’un travesti. Plus tard, un gangster surveille depuis un établissement où il boit un café une bande der quatre malfaiteurs qui dévalisent une riche bijouterie. Tandis que l’un d’entre eux attend dans la voiture, les trois autres remplissent leurs sacs sous la menace de leurs armes. Malgré les consignes du bijoutier qui ne veut pas de mort, un de ses employés se rebelle et une fusillade éclate. Deux personnes sont mortes dans la bijouterie, et un des gangsters a été blessé. Ceux-ci arrivent à s’évacuer sous l’œil vigilant de leur chef Eddy. Ils semblent que leur fuite va réussir, mais ils ont un accident, le chauffeur est gravement blessé, Mario l’achève d’une balle dans la tête puis emporte le reste des bijoux. Eliana soutient Franco et tous les trois rejoignent la deuxième voiture qu’ils pensent ne pas être recherchée par la police. Cherchant un docteur pour soigner Franco, Eliana cherche dans l’annuaire du téléphone et trouve le docteur Malerba. Ça tombe bien, il est tout seul dans sa belle maison. 

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    Eliana soutient Franco pour aller vers la voiture de secours 

    Les trois gangsters investissent les lieux. Eliana menace de tuer le docteur s’il n’opère pas Franco tout de suite. Malerba va faire ce qu’il peut. Bientôt son épouse Mara arrive. Elle comprend la situation mais se dispute avec son mari qu’elle trouve lâche. Pendant ce temps le commissaire Di Stefano enquête et tente de retrouver les gangsters. Eddy la tête pensante du gang sa retrouver son contact dans une boîte de nuit, afin d’écouler les diamants. Dans la maison du docteur Malerba, les choses évoluent, Eliana a un flirt poussé avec Mara. Puis c’est Mario qui tente de la violer. Mara n’échappe à l’outrage que grâce à l’intervention d’Eliana. Finalement Eddy va venir à la maison pour récupérer les bijoux. Mais la police arrive. Sous la menace des gangsters, Malerba va finalement s’en débarrasser. Puis c’est Sergio, l’amant de Mara qui débarque avec ses amis, pour s’amuser. Elle se débarrassera de lui en lui offrant quelques privautés sous les yeux de son mari. Eddy se sent mal, drogué, il a besoin d’une piqure. Pendant qu’à l’étage Mario viole Mara, cette fois avec son consentement, le docteur Malerba lui administre un produit qui va le tuer. Quand Mario redescend de l’étage, le docteur le tue à son tour, puis il tue Mara. On comprend alors que le docteur et Eliana sont de mèche depuis le début et qu’Eliana cherchait juste à savoir à qui elle pourrait revendre les bijoux volés. La police vient constater les dégâts, le docteur faisant mine d’avoir été blessé dans la bagarre finale. Le commissaire Di Stefano va rechercher le quatrième homme qu’il soupçonne d’être une femme. Mais après les constats il s’en va. Pour le docteur et Eliana la voie semble libre. Mais à l’aéroport ils sont attendus, le commissaire Di Stefano les attend. Eliana a été dénoncée par le travesti à qui elle avait volé le véhicule.  

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    Le docteur Malerba est contraint d’opérer Franco

    Le cœur de l’intrigue est centré sur les relations qui se développent entre les gangsters qui investissent la maison du docteur, et leurs otages. C’est un vieux thème du film policier dont le meilleur exemple est sans doute The Desperate Hours de William Wyler qui date de 1955 avec Humphrey Bogart. On trouve ça également dans Le tueur triste, roman de Frédéric Dard qui a été adapté pour la télévision en 1984 par Nicols Gessner. Les intrus amènent ainsi avec eux une nouvelle vérité dans la vie des otages. Ils servent de révélateur aux mensonges avec lesquels « les bourgeois » vivent. Et donc il vient qu’il semble plus que ce soit la vérité qui effraie les bourgeois que les gangsters eux-mêmes. Bien entendu, par-dessus cette évidence, va se greffer une relation d’attraction-répulsion qu’on appelle maintenant le syndrome de Stockholm pour représenter la transformation de la vision que les otages se font de leur situation. Ici le véhicule c’est Mara. Elle est d’abord attirée par Eliana qui la caresse longuement devant les yeux de son mari. Puis c’est le sinistre Mario qui tente de la violer, ensuite c’est son amant Sergio qui vient la tripoter, et enfin elle consentira à être prise par Mario. Elle passe de mains en mains, c’est un objet, mais c’est aussi le lien entre les deux parties apparemment opposées qui sont cloitrées dans la maison. 

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    Eddy va chercher son contact pour vendre les bijoux 

    Elle passe du statut de rebelle à celui de fille soumise au désir masculin le plus brutal, et ce qu’on comprend c’est que si elle trompe son mari, c’est parce que celui-ci ne la viole pas plus souvent ! N’est-ce pas au fond ce que veut Mara ? Provoquer un désir sans fin. De cette première approche découle la seconde, à savoir l’idée que le sexe c’est d’abord le pouvoir. Les gangsters investissent les corps comme ils ont investi la maison, et comme ils ont pillé la bijouterie. Les gangsters sont des transgresseurs et leur sexualité n’en est que la, prolongation. Le scénario a été écrit hâtivement et on peut supposer qu’au départ il devait donner une plus grande place à l’enquête du commissaire Di Stefano qui passe totalement au second plan. Si on avait choisi cette piste on aurait été dans le sens d’un poliziottesco classique avec une méditation endémique sur la violence des gangsters et l’insécurité de l’Italie des années soixante-dix. 

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    Eliana flirte avec la femme du docteur 

    En s’insérant dans le mode de vie des voyous, le film devient autre chose, comme Cani arrabbiati de Bava. Ce n’est pas tout à fait une apologie des conduites déviantes, mais cela s’en approche. Il s’agit de comprendre une dynamique sociale à l’œuvre. Comme dans le film de Bava les gangsters ne sont pas ce qu’on croit, et d’ailleurs de mettre en scène une femme comme moteur du groupe en est le signe : c’est bien tout un monde qui bascule dans la délinquance au motif que c’est bien plus drôle que la vie ordinaire. Le docteur Malerba est bien plus attiré par Eliana que par son épouse. Elle représente la passion et l’aventure tandis que Mara représente la fourberie et la misère sexuelle. Le film milite donc, comme beaucoup de films italiens de cette époque, pour une libération des mœurs. On aura droit non seulement au viol consenti de Mara par le méchant rouquin, mais aussi au travesti prostitué ou encore aux scènes de lesbianisme qui excite le voyeurisme de Malerba et de Mario. Je ne parle même pas de Sergio, l’amant imbécile de Mara qui se masturbe en se frottant contre elle. Eddy lui est ailleurs, il est drogué. Mais généralement le sexe débridé mène à la mort. Dans cette sarabande, le malheureux Franco est seulement une pièce rapportée qui interroge ses coéquipiers sur leur degré de bonté. Certes Eliana veut bien tenter de le sauver – Eddy lui en fera grief d’ailleurs – mais Mario ne se gênera pas pour l’étouffer dès lors que ses râles risquent d’alerter la police. 

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    Mario tente de violer Mara 

    Ceci nous amène à un point clé du film : ce sont les femmes qui mènent la barque. D’abord Eliana qui apparaît courageuse et tout en maitrise, ne paniquant jamais devant les contretemps. Ce qui fait tomber à plat l’argument d’un des gangsters qui prétend que c’était une mauvaise idée que de partir au combat avec une femme. C’est évidemment un reflet de la prise de pouvoir croissante des femmes dans la société italienne à cette époque qui remet en cause les rôles en fonction des sexes. Il est significatif de voir Eliana affronter le travesti – un homme – lui ôter sa perruque et le jeter sur la chaussée. Le travesti se vengera à la fin en lui tirant la langue après l’avoir dénoncée à la police ! Mais à côté d’Eliana, Mara n’est pas en reste. Elle aussi prend en main sa destinée, à sa manière. Elle humilie son mari, le traitant de lâche, puis elle avoue qu’elle a bien un amant, Sergio, et se donne enfin librement au sombre Mario

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    Eddy vient pour récupérer les bijoux et mettre de l’ordre 

    L’intrigue comprend trois aspects. D’abord le hold-up, ensuite l’enfermement dans la maison du docteur Malerba, et enfin les deux retournements finaux surprenants de la situation. Ces trois temps de l’intrigue indique dans quel sens la réalisation doit travailler. La première partie est remarquable, très inspirée de Jean-Pierre Melville, elle met en scène un Milan plongé dans le brouillard. Il y a une vraie grâce dans l’usage du décor urbain et dans la manière de filmer la course poursuite. La seconde partie est plus difficile. Rigo multiplie les gros plans et les montages alternés. Sans doute visait-il à donner une atmosphère claustrophobe à son film, mais ces plans serrés donnent une allure de feuilleton télévisé qui n’est pas très heureuse. Il y a très peu de mouvements de caméra, or on sait que c’est bien le mouvement qui magnifie l’étroitesse des espaces. Il est très vraisemblable que cette pauvreté visuelle soit le résultat de la faiblesse du budget, l’obligeant à tourner au plus vite. L’ensemble manque de respiration. 

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    La police vient interroger le docteur Malerba 

    La maison est assez mal filmée et manque de personnalité, la caméra, manque de recul et ne tire pas partie des volumes extérieurs comme intérieurs. Même les déplacements d’Eddy quand il part à la rencontre de son contact pour vendre les bijoux manquent d’ampleur. Toutes les scènes de rue par contre sont adroitement filmées, notamment le prologue quand Eliana vole la voiture, se bat avec le travesti puis circule dans Milan. 

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    Sergio insiste devant la porte pour entrer 

    C’est un petit film vraiment très fauché, avec très peu d’acteurs, et donc très peu d’acteurs connus et chers. En tête de la distribution on a Anthony Steffen. C’est un acteur d’origine brésilienne, de grande taille, affligé d’une sorte de zona de la face, il n’a fait que du cinéma de genre, catégorie B, C ou plus bas encore, plutôt dans le western spaghetti. Son inexpressivité illustre le désarroi finalement du docteur Malerba. Il est toujours très raide, surtout quand il s’agit de jouer l’impassibilité. Plus intéressante est Margareth Lee. Elle aussi a fait une carrière presqu’uniquement dans le cinéma de genre italien et le western spaghetti. Elle a cependant fait une incursion chez Chabrol dans le très médiocre Le tigre se parfume à la dynamite. Actrice d’origine britannique, elle a pourtant quelque chose d’intéressant dans le regard. Curieusement elle a quasiment arrêté de tourner avec ce film. Les autres acteurs sont assez peu connus et reconnu. Livia Cerini qui en dehors de ce film n’a pas fait grand-chose est plutôt intéressante dans le rôle complique de Mara. Elle ne fait pas que montrer ces seins. C’est un peu la révélation.

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    Cette fois Mara accepte que Mario la viole 

    Luigi Pistilli, un autre abonné des westerns spaghetti, fait une toute petite apparition dans le rôle du commissaire Di Stefano qui est menacé de déportation en Sardaigne s’il ne se bouge pas un peu plus. Il y a également le rouquin Giuseppe Castellano dans le rôle de Mario, la brute épaisse. Si son nom est peu connu, par contre il a une filmographie impressionnante, toujours dans le rôle de la brute, et donc on reconnaît son visage. Il a tout de même fait une apparition chez Argento dans L'uccello dalle piume di cristallo. Je pense que c’est ici qu’il trouve son rôle le plus important. Comme on le voit le huis-clos permet de faire des économies substantielles sur le casting ! 

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    Le docteur a tué Mario 

    Le film jouit d’une très mauvaise réputation. Mais comme on vient de le voir, il y a des aspects intéressants aussi bien dans le scénario – et ses différents retournements – que dans la conduite du récit. Les 20 premières minutes sont de ce point de vue excellentes et méritent le détour. Vu la faiblesse du budget il est très possible que ce film ait été rentable. Il n’est jamais sorti en France dans les salles, mais il a été exploité aux Etats-Unis où le film de genre italien avait tout à fait pignon sur rue. 

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    Mara est tuée à son tour 

    Exhumé de l’oubli – c’est le bon côté du numérique – ce film est maintenant disponible en Blu ray chez Le chat qui fume, boutique spécialisée dans le film rare, avec des tirages relativement faibles. Il est accompagné d’une interview de Vincenzo Rigo qui est assez longue, mais qui est en contradiction avec ce qu’il disait de ce film avant qu’on ne le ressorte. Ce qui confirme que la patine du temps confère parfois une survaleur à des films ou des livres d’une manière assez inattendue. 

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    La police vient constater les dégâts 

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    Arrivés à l’aéroport Eliana et le docteur sont attendus par la police 

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    [1] Italian Crime Filmography, 1968–1980, McFarland, 2013.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-chiens-enrages-cani-arrabbiati-ou-semaforo-rosso-mario-bava-1974-a212853051

    « Le froid baiser de la mort, Il terzo occhio, Mino Guerrini, 1966Des nouvelles de Frédéric Dard et de son double ! »
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