• Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Ce film est considéré comme un chef d’œuvre du film noir. J’aime beaucoup Jules Dassin qui a fait évoluer le film noir du côté d’une interrogation fiévreuse de l’empreinte urbaine sur les comportements, The naked city, Thieves highway ou encore Du rififi chez les hommes. En outre, je trouve que le roman de Gerald Kersh est un excellent roman noir. En dehors de cet ouvrage on connaît peu de choses de cet auteur en France, quelques nouvelles, un livre sur la vie de Saint-Paul. Mais la plupart de ses ouvrages ne sont pas traduits chez nous. Ce film de Jules Dassin est son premier film en exil. En effet il s’était expatrié en Angleterre pour ne pas avoir à rendre compte de ses proximités avec le parti communiste. Il avait été dénoncé par Edward Dmytryk. Mais la Fox, le studio qui avait travaillé antérieurement avec Dassin, avait des fonds bloqués en Angleterre, fonds qu’ils ne pouvaient rapatrier, il fallait les utiliser pour produire un film. Tout cela explique pourquoi cette histoire qui initialement se passait à New York dans le milieu de la boxe, se retrouva tournée à Londres dans le milieu du catch. Je dois dire que, connaissant bien le livre, cette transposition m’a toujours un peu gêné. Mais je pense qu’on doit oublier le livre pour vraiment apprécier le film. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950 

    Harry Fabian est un petit combinard qui monte toujours des combines foireuses. Il joue les rabatteurs pour des cabarets, il vole sa petite amie pour payer son bookmaker qui le menace. Un soir il rencontre une vieille gloire de la lutte gréco-romaine, Gregorius. Il a alors l’idée de se lancer dans l’organisation de combats de lutte. Mais il lui faut de l’argent. Il s’adresse à Nosseross, le propriétaire du cabaret pour qui il fait de la retape et où travaille sa petite amis Mary. Celui-ci se moque de lui, il lui dit qu’il participera à son entreprise si Harry trouve de son côté 200 £, soit la moitié de la somme nécessaire. Harry cherche de partout, mais les gens qui ont un peu d’argent ne lui font pas confiance, et Mary juge la combine foireuse. C’est Helen, la femme de Nosseross qui semble amoureuse de lui, qui lui propose la somme demandée, à condition qu’il obtienne pour elle l’ouverture d’un cabaret qu’elle a acheté en douce pour pouvoir se séparer de son mari. Fabian va accepter ce marché. En même temps il provoque un catcheur, the strangler, pour défier Gregorius. Les choses semblent marcher à peu près comme il l’entend, sauf que pour toucher l’argent d’Helen il a dû faire fabriquer une fausse licence et que Kristo qui est le fils de Gregorius, mais qui est en même temps le patron des combats de catch sur la place est très hostile à Fabian, mais il ne peut pas s’opposer à la volonté de son père. Helen sa licence en poche annonce à Nosseross qu’elle le quitte. Celui-ci la laisse partir, mais il lui annonce qu’elle reviendra. Entre temps the strangler est venu à la salle d’entraînement de Fabian et se met à boire inconsidérément. Il s’ensuit une bataille sur le ring, Gregorius sort vainqueur, mais épuisé, il va mourir. Entre temps Kristo est arrivé sur place et Fabian comprend qu’il doit s’enfuir. Pendant ce temps Helen qui a ouvert son cabaret est piéger par la police qui lui dit qu’elle a une fausse licence. Il s’ensuit qu’elle revient vers Nosseross, mais celui-ci s’est suicidé, laissant tous ces biens à la vieille Molly et rien à Helen. Fabian pendant de temps est recherché par le milieu pour Kristo. Il a nulle part où aller. Le roi des mendiants dit qu’il l’hébergera, mais il va le vendre à Kristo. Fabian s’enfuit encore, il va finalement trouver refuge chez la vieille Anna qui a pitié de lui. Mais les hommes de Kristo ne sont pas loin. Mary est venue à sa rescousse, il lui propose alors qu’elle le vente à Kristo pour qu’elle empoche la prime proposée. C’est trop tard. Harry est pris par the strangler qui le tue et le jette dans la tamise. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950 

    Harry Fabian tente d’échapper au bookmaker à qui il doit de l’argent 

    En dehors du fait qu’on est passé du milieu de la boxe à celui du catch, de New York à Londres, Fabian a changé de combine. Dans l’ouvrage il vit essentiellement en achetant des objets à crédit qu’il revend au comptant, en faisant de la cavalerie, ce qui le pousse à être toujours plus endetté. A sa sortie on avait relevé des problèmes scénaristiques, et c’est exact. Par exemple l’ébauche de romance entre Mary et son voisin Adam Dunn est comme un cheveu sur la soupe, une digression oiseuse, certes elle permet de donner un peu plus d’étoffe au rôle de Mary qui n’en a guère, mais ce n’est pas très convaincant, d’autant que si ce Adam Dunne est vraiment amoureux de Mary, on ne comprend pas qu’il ne la protège pas plus, se contentant de dénoncer Harry qui est en train de la voler. De même le riche Nosseross apparaît un peu tendre et sans trop de détermination. Nous sommes censés être dans la pègre londonienne, les bas-fonds un peu crasseux, pourquoi pas, mais tous les personnages de cet univers apparaissent comme extrêmement négatifs, soit qu’ils soient des crapules et des vendus, soit qu’ils soient totalement naïfs. Autrement dit il manque une logique sociale à la détermination des agissements d’Harry. Il est menteur, voleur, probablement aussi rêveur, mais pourquoi ? On n’en saura rien. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950 

    Il cherche à racoler des clients sur Piccadilly 

    Harry Fabian est un homme entouré de femmes. Mary veut le protéger et en faire un homme honnête, Helen veut se l’approprier et s’en servir, Anna tentera de la réconforter à la fin de son parcours. Dans les trois cas elles le voient comme un homme faible, presqu’un enfant capricieux qui ne maitrise rien de ce qu’il fait. Mais cette façon de le regarder va déteindre aussi sur Nosseross qui se moque de lui comme on se moque d’un enfant rêveur. Il changera d’appréciation sur lui quand il s’apercevra qu’Helen a vendu sa fourrure pour lui donner de l’argent pour monter ses affaires. A ce moment-là il voudra le détruire. Kristo, lui, se place dans une rivalité fraternelle, il ne supporte pas que Fabian prenne sa place au côté de son père, mais avant cela il le méprisait et faisait tout pour l’écarter de son chemin. C’est peut-être ça qui est le plus intéressant dans le scénario, montrer qu’Harry Fabian est un être immature qui n’arrive pas à se situe dans ce qu’il considère être une grande et même famille. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950 

    Pour Fabian la rencontre avec Gregorius est une opportunité 

    La description du milieu londonien oscille entre naïveté et documentaire. Il faut être bien naïf pour croire que ça fonctionne comme ça, avec une telle porosité entre les bas-fonds représentés par Anna et le roi des mendiants et Kristo le gangster qui fait la pluie et le beau dans le milieu. Cette forme hiérarchique est asse gênante. Également qui peut croire que Gregorius et the strangler sont suffisamment idiots pour faire confiance à ce que raconte Fabian ? Tout cela conduit naturellement à un manque d’empathie pour les personnages, en quelque sorte ils perdent leur humanité bonne ou mauvaise. C’est seulement par moment qu’on verra une autre face de ces personnages. Ce sont principalement Fabian et Anna qui en profite. Mary reste à l’écart, c’est le personnage le plus raté dans la distribution. Kristo n’est pas vraiment porteur de l’ambiguïté qui devrait être la sienne. Tout cela donne de grands déséquilibres dans le film.

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950 

    Nosseross se moque de Fabian 

    La réalisation a cependant beaucoup de qualité, bien qu’en transposant l’histoire à Londres on lui donne un côté claustrophobique qu’elle n’aurait pas si elle était située à New York. Dassin tente bien de filmer Piccadilly comme il aurait filmé Broadway, mais ça ne marche pas tout à fait. Les faiblesses du scénario font que le plus souvent le film ressemble à un assemblage de séquences discontinues. Il a de très belles choses. A commencer par les tentatives de Fabian d’échapper à la vindicte de Kristo. La manière de filmer les quais est surprenante et à elle seule justifie de revoir ce film. Plongées, contreplongées, que ce soit en filmant le bureau de Nosseross ou les escaliers dans lesquels déboule Fabian, Dassin prend en compte cette verticalité qu’il aime tant depuis qu’il a fait The naked city. Cette verticalité est une manière singulière de filmer la ville et la nuit. Elle donne tout son poids à al solitude écrasante de Fabian. C’est très fort, elle est renforcée par la masse physique de Nosseross et de Gregorius. Même si la profondeur de champ est parfaitement utilisée, c’est bien cette verticalité qui domine et qui indique la place à laquelle est cantonné Fabian, tout en bas. La photo de Max Greene est excellente et recycle toutes les formes grammaticales du film noir, les éclairages latéraux, les formes brouillardeuses sur les quais, les ombres de la nuit. Le montage est serré et le rythme très bon. Dassin est tout de même moins à l’aise quand il s’agit de filmer les combats de lutte

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Le roi des mendiants refuse de lui avancer de l’argent 

    Les scènes du cabaret sont un peu moins bonnes, disons qu’elles sentent un peu plus le studio. Il y a aussi cette manière très propre à Dassin, avant qu’elle ne soit copiée un peu par tout le monde d’utiliser des effets de tunnel, comme des passages prometteurs entre deux mondes, et ici on voit le plus souvent un horizon bouché, malgré la lumière qui peut surgir dans le lointain comme une promesse. C’est aussi une manière de montrer comment l’univers de Fabian se rétrécit peu à peu. Film qui célèbre la nuit et ses mystères, il en montre la poésie, les séquences de jours sont moins réussies, plus plates. Le Royaume Uni a montré la voie en renationalisant les chemins de fer l’an dernier[1] 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Nosseross va donner de l’argent à Fabian, pour le détruire 

    L’interprétation c’est d’abord Richard Widmark qui donne un portrait étonnant de Fabian, dans la continuité de ce qu’il faisait à cette époque dans le noir. Son cabotinage récurrent est ici assez bien maîtrisé. Il arrive à être pathétique, même si on comprend que ses ennemis veuillent le tuer. Il court aussi très bien. Gene Tierney est absolument terne. Sans doute son rôle manquait il d’épaisseur dès le départ. Mais le reste de la distribution est très bon. D’abord Francis Sullivan dans le rôle de Nosseross. Il n’a fait carrière qu’en Angleterre, mais sa silhouette massive et la subtilité de son jeu l’imposent. Googie Withers est aussi dans le rôle d’Helen très bien. Hugh Marlowe est Adam Dunne, plutôt pâle on ne sait pas trop si cette pâleur est de la responsabilité de l’acteur ou de l’étroitesse de son rôle. Herbert Lom est très convaincant dans l’interprétation de Kristo. A cette époque il jouait beaucoup ce genre de rôles dans des films noirs britanniques. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Fabian a mis the strangler en colère 

    Et puis il y a Stanislaus Zbyszko qui est aussi très présent dans le rôle de Gregorius. C’était un vrai lutteur né en Pologne qui avait gagné des titres un peu partout avant de se retrouver dans les circuits américains. Il est très bien utilisé ici. Il ne fera pas carrière au cinéma pourtant. On remarque encore Mike Masurki dans le rôle de the strangler. Lui aussi est bien et tout à fait convaincant. Comme Stanislaux Zbyszko, il n’a pas vraiment besoin de savoir jouer la comédie, il lui suffit de paraitre. Il fera une très longue carrière, même si on se souvient de lui surtout dans le rôle de Moose Malloy, le géant désemparé dans Murder my sweet[2]. Il y a aussi et enfin l’excellente Maureen Delaney dans le rôle de la vieille Anna. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Fabian va voler Mary 

    Le film n’eut aucun succès à sa sortie, ni aux Etats-Unis, ni en Angleterre. Les critiques ont été assez féroces, quand bien même elles reconnaissaient une réelle maîtrise de Dassin sur la plan technique, elle critiquait la faiblesse du scénario, mais surtout que le personnage d’Harry soit finalement si négatif. Mais c’est à partir des années soixante, quand on a réhabilité le film noir qu’il a été réapprécié et qu’il est peu à peu devenu un film classique. Sans doute s’est-on aperçu au-delà de l’intrigue de la solidité de la mise en scène, et en prêtant plus d’attention à l’image qu’à l’histoire on en a magnifié la poésie.  On le trouve maintenant dans de très belles copies Blu ray. Comme on l’a compris ce n’est pas mon préféré de Jules Dassin, Du rififi chez les hommes est plus réussi, plus homogène[3]. Mais c’est tout de même un film très riche et très intéressant à voir et à revoir. Irwin Winkler en tournera un remake en couleurs et en 1992 avec Robert De Niro et Jessica Lange. Cette version est beaucoup plus proche du roman de Gerald Kersh, mais elle est assez ratée, malgré un budget conséquent peut-être parce qu’elle est située en 1192 et qu’à cette date le sujet n’était plus vraiment d’actualité. 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Gregorius a battu the strangler dans un combat qui l’a épuisé 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Sur les quais on recherche Fabian 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Fabian échappe de peu aux hommes de Kristo 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Fabian doit fuir encore 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    La vieille Anna a pitié de Fabian 

    Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950

    Harry veut que Mary le dénonce pour toucher la prime promise par Kristo 



    [1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/05/21/le-plus-grand-changement-ferroviaire-depuis-vingt-cinq-ans-au-royaume-uni-l-etat-reprend-le-controle-des-trains_6081008_3234.html

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/adieu-ma-belle-murder-my-sweet-edward-dmytryk-1944-a119648538

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/du-rififi-chez-les-hommes-jules-dassin-1955-a176847784

    « Ils ne voudront pas me croire, They won't believe me, Irving Pichel, 1947Les canailles, Maurice Labro, 1959 »
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