• Ils ne voudront pas me croire, They won't believe me, Irving Pichel, 1947

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947  

    Beaucoup d’éléments sont réunis ici pour qu’on s’intéresse à ce film. Irving Pichel n’est pas n’importe qui, même si on se limite souvent à le regarder comme seulement le réalisateur de The most dangerous game. Avant de passer à la réalisation, il avait été un acteur, conduisant sa carrière dans un peu tous les genres. J’ai salué ici l’excellent Quicksand qui avait offert un rôle un peu atypique à Mickey Rooney, film dans lequel on pouvait voir la sœur de James Cagney dans le rôle d’une femme franchement mauvaise[1]. Avant They won’t believe me, il avait tourné beaucoup de films de propagande anti-nazi pendant la guerre, plutôt du côté de l’espionnage et donc de la malice des agents nazis infiltrés ou camouflés. Mais à côté de ça il y a d’abord le scénario de Jonathan Latimer tout de même un très grand du roman noir américain et qui se trouve injustement oublié. Ce remarquable écrivain qui a beaucoup travaillé pour le cinéma, avec un art consommé non seulement de l’atmosphère « noire », mais aussi une science consommée du retournement inattendu de situation. Il écrivit une bonne dizaine de scénarios pour le réalisateur John Farrow. Comem dans ses romans il s’intéressait aux formes un peu paranoïaques des sciences occultes ou des éléments incompréhensibles qui peuvent advenir dans la vie d’une manière inattendue. A la fin des années soixante il y eut un regain d’intérêt pour ses histoires, puis il est progressivement retombé dans l’oubli. Tous les romans de Jonathan Latimer ne sont d’ailleurs pas traduits. Le scénario est dérivé d’un roman de Gordon McDonell, un romancier britannique qui s’exilera à Hollywood et qui construira l’histoire de Shadows of a doubt, un des rares films noirs d’Alfred Hitchcock et sans doute l’un de ses meilleurs, un peu loin des niaiseries habituelles[2]. On retrouvera d’ailleurs cette ambiguïté d’un méchant qui n’est pas tout à fait méchant mais qui finira tout de même par payer pour ses turpitudes d’une manière inattendue. Il y a encore un autre intérêt à regarder ce film, les vedettes féminines, Jane Greer et surtout Susan Hayward, ce qui n’est pas rien ! 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947  

    Larry Ballentine est jugé pour le meurtre de sa femme. Son avocat a décidé en guise de plaidoirie de le laisser raconter son histoire en espérant convaincre le jury non pas de son honnêteté, de sa droiture, mais plutôt de son innocence en tant qu’assassin. Larry est marié à Greta qui est très riche. Mais il la trompe avec Janice qui voudrait bien qu’il quitte sa femme et qu’il l’épouse. Comme il hésite, elle prépare son départ pour Montréal. Larry prétend qu’il va la rejoindre. Mais quand il se prépare à faire sa valise Greta intervient et lui explique qu’elle est au courant de sa liaison et qu’elle lui propose de partir avec elle pour Los Angeles où il pourra avoir un poste important et bien rémunéré. Il plie et se retrouve broker. Tout marche à peu près bien, mais une autre femme, la belle Verna le drague. Elle est la secrétaire de Trenton qui est le principal actionnaire de la compagnie et avec qui Verna entretien déjà une relation. Larry la voit régulièrement, mais un jour il retrouve par hasard Janice qui le voit avec Verna. Cette dernière devient au fil du temps plus exigeante, ne supportant pas qu’il reste avec Greta. Mais celle-ci apprend cette nouvelle liaison et pour protéger son mariage emmène Larry dans un ranch isolé où elle pense qu’il n’aura pas de nouvelles tentations. Mais cette vie recluse ne convient pas à Larry. Il reprend contact avec Verna, la revoit. Cette fois Verna exige qu’il divorce. Il s’y résout et lui dit qu’ils se marieront à Reno. Pour lui prouver sa bonne foi, il lui fait un chèque de 25 000 $ qu’il tire sur le compte de Greta. Sur la route de Reno, ils ont un accident. Verna meurt et Larry se retrouve à l’hôpital. Comme le corps de Verna est impossible à identifier, il prétend que sa femme est morte. Rentrant au ranch, il va trouver le cadavre de Greta qui est tombée accidentellement dans un ravin. Il camoufle le corps, sans doute pour s’approprier son argent. Désabusé il erre de ci de là, menant une vie de riche oisif. A la Jamaïque il va retomber sur Janice avec qui il renoue. Mais bientôt il s’aperçoit que celle-ci travaille avec Trenton qui recherche Verna. Janice lui avoue qu’elle a aidé Trenton par jalousie. L’ancienne colocataire de Verna va le piéger avec une soi-disant dette que lui devrait Verna pour une partie du loyer qu’elle ne lui a pas réglé. Il lui fait le chèque pour qu’elle ne se rende pas à la police. Il doit alors affronter Trenton qui a maintenant prévenu la police. Celle-ci veut visiter le ranch, elle ne trouve rien de louche. Plus loin, cependant, le cheval blessé de Verna qui a les pattes cassées attire l’attention des policiers. Ils décident d’abattre le cheval. Mais à cette occasion ils vont découvrir le cadavre en décomposition de Greta. Ballentine est arrêté et il va être jugé pour meurtre. En racontant son histoire il se rend compte de ses faiblesses et de ses responsabilités, même s’il n’a tué aucune des deux femmes. Alors qu’il attend le verdict que doit prononcer le jury, il reçoit la visite de Janice qui dit qu’il l’a convaincue et qu’elle fera tout ce qu’elle pourra pour l’aider s’il est acquitté. Mais au moment où le greffier doit lire le jugement, Larry tente de se jeter par la fenêtre du tribunal et il est abattu par la police. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947

    L’avocat demande à Ballentine de raconter tout simplement son histoire 

    Le film est construit directement sur l’antipathie que ressent le spectateur face au comportement de Larry. C’est une sorte de gigolo, un menteur pathologique. Il abuse de son pouvoir sur les femmes. Mais la structure du récit qui est une longue méditation de Larry sur son triste sort, montre qu’en réalité c’est bien lui la victime. C’est évidemment ce renversement qui donne toute sa force à l’intrigue. Bien entendu une lecture hâtive pourrait nous faire croire qu’il est victime du hasard. L’accident avec le camion qui tue Verna, la chute mortelle de Greta dans le cañon, ou encore la rencontre inopinée de Janice à la Jamaïque. Ces femmes qui l’entourent et le maternent le punissent aussi durement pour ses fautes. Elles sanctionnent sa mollesse et son indécision, son incapacité à prendre les choses en main et à se comporter comme un homme. Incapable de sortir de cette situation d’enfant capricieux et volage, il préférera se suicider plutôt que de connaître la décision du jury. Ce positionnement d’un individu face à des femmes prédatrices est un renversement radical de la place de la femme traditionnelle. Larry n’a pas de liberté, l’une le tient par une romance volontiers poétisée, l’autre par l’argent et la troisième par la possibilité qu’elle lui offre de rêver à une autre vie plus sensationnelle. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    Janice annonce à Ballentine qu’elle part pour Montréal 

    Greta manifeste une louche condescendance envers son mari, elle l’aide à faire sa valise, avec l’idée que cela ne lui servira à rien de vouloir fuir. Larry parlera du fil qu’il a à la patte ! Elle le laisse jouer au bout de sa laisse.  Cela nous aide à comprendre ce qu’est le crime, la possibilité de sortir d’une situation individuelle bloquée et sans issue. Car si Larry n’a tué personne, on comprend qu’il aurait bien pu les tuer toutes les trois pour s’en débarrasser. Si c’est plus évident avec Greta qu’il cherche en parcourant un revolver les pièces du ranch pour la tuer, c’est pourtant tout aussi vrai de Verna. En effet celle-ci pose des exigences auxquelles il ne sait pas résister, et l’accident n’en est pas forcément un dans la mesure où c’est la seule manière de se débarrasser d’une femme qui, il le comprend quand il s’arrête au bord du lac pour se baigner, s’arrange pour lui prendre l’argent qu’il a volé à sa femme. Mais Larry n’est pas le seul mâle qui est pris pour cible. Le puissant Trenton est tout autant une victime. Il est manipulé par Verna, puis quand celle-ci n’est plus là, c’est Janice qui va devenir son alliée contre Larry pour satisfaire sa vengeance. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    Greta annonce à Larry qu’elle part à Los Angeles et qu’il peut la suivre s’il le veut 

    D’autres dimensions du rêve en prennent un vieux coup. L’argent bien sûr qui semble passer avant tout, Greta achète Larry et le déplace d’une de ses propriétés à l’autre presque sans lui demander son avis. Trenton qui est vieux et laid, achète Verna pour coucher avec elle, et Larry tente d’acheter Verna qui lui accorde son amour justement pour ça. Elle trouve la preuve qu’il l’aime dans le chèque qu’il lui fait. Quand il parle de dépouiller sa femme de 20 000 $, elle lui en demande 25 000 $, car si elle obtient plus c’est bien la preuve qu’il l’aime plus ! Quand Trenton engueule Larry pour sa capacité à perdre de l’argent, ce dernier va être sauvé par Verna qui apporte la preuve qu’il a bien travaillé ! Et là évidemment Trenton se radoucît. Ces couples qui se forment et se déforment sont aussi des couples sans enfants. Des consommateurs donc qui parlent de la famille comme d’une abstraction dont le devenir est dans les limbes ou au fond d’un ravin. Larry parlera de ses costumes de ses restaurants et Verna admirera sa voiture ! C’est sans doute cela qui est plus pessimiste dans ce film que le devenir même de Larry. Quand il s’agit des cendres de Verna, Larry donne des billets, mais ne veut pas réfléchir à ce qu’il doit en faire ! C’est pourtant soi-disant son grand amour. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    Larry est devenu Broker chez Trenton 

    Tout le monde se méfie de tout le monde, c’est la base du contrat social et ne veulent pas donner des armes à leur ennemi, même s’il couche dans leur lit. Cependant ces personnages tentent périodiquement de s’extraire de leurs préjugés, de se simplifier la vie et de se faire confiance. On le voit quand enfin Larry se décide à quitter sa femme et à donner le chèque à Verna, ou quand celle-ci lui donne un autre chèque pour lui prouver sa confiance. Mais c’est seulement ponctuel, rapidement les défenses se reforment. Cette méfiance s’étend d’ailleurs à tout le monde, Trenton se méfie de Larry qui n’est chez lui que parce que ça femme a mis de l’argent dans son affaire. Le petit marchand qui possède un magasin près du ranch, espionne aussi le couple. Quand Larry retrouve Janice et qu’il aperçoit Trenton, il les espionne tous les deux. Tout ces gens ont une vie sans repos. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    Alors qu’il est avec Verna il croise par hasard Janice 

    Le scénario est admirablement bien construit, non seulement parce qu’il ménage de façon presque permanente des retournements inattendus de situation, mais parce qu’il nous fait croire que le hasard joue un rôle décisif dans cette histoire, ce qui permet à Larry de s’apitoyer sur lui-même dans un premier temps, avant que progressivement il comprenne qu’il est victime d’abord de la nonchalance de son caractère et de son immaturité. Croire au hasard est un leurre aussi bien pour Larry que pour le spectateur. Par deux fois, lorsqu’il croise Janice après leur rupture, il aurait pu l’éviter, mais il va volontiers au-devant du danger. C’est la même démarche qu’il suit avec Verna alors qu’il sait pourtant qu’elle le mène par le bout du nez. Sa longue explication devant le tribunal est une forme de psychanalyse qui va bien au-delà de la confession et de la recherche du pardon. Le fait que dans ce film il n’y ait aucun personnage qui suscite la sympathie peut rebuter le spectateur, mais c’est justement la force du film noir que de se saisir d’une humanité brute, faite de bric et de broc, de bons et de mauvais côtés. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947

    Pour lui prouver sa bonne foi, Larry fait un chèque de 25 000 $ 

    Cette position générale va être utile pour développer la structure du récit. Lorsque l’avocat Cahill demande à Larry de raconter son histoire, il demande qu’on lui fasse confiance, qu’on le laisse s’expliquer. La structure en flash-back ne sert pas seulement à mettre en lumière la subjectivité de Larry qui se trouve là comme à confesse, mais aussi à alerter le jury et le public sur l’ambiguïté des choses de la vie. Dans la réalisation proprement dite le flash-back sera articulé sur des scènes de tribunal qui vont faire respirer l’histoire. Le réalisateur va travailler à partir des oppositions entre les lieux décrits, les riches logements de Greta, la salle de trader de chez Trenton, les décors dans lesquels évoluent les riches oisifs au bord de la mer. Et tout ce faux paradis de carte postale se heurte à l’âme noire de ces riches bourgeois qui s’ennuient. A chaque séquence de rêve, est opposé une réalité brutale, l’accident du camion, la découverte de la trahison de Janice, ou encore cette magnifique séquence où Greta aide Larry à faire sa valise. Il faut revenir à la réalité et l’affronter. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    La voiture a eu un accident sur la route de Reno 

    La mise en scène est très fluide, avec une caméra très mobile qui fait merveille au cœur du tribunal pour en surprendre l’inscription spatiale et la densité. Pichel use parfaitement de ces plans généraux qui donnent la dimension de l’écrasement subi par les protagonistes. Cette science du mouvement s’appuie sur un découpage serré qui met les acteurs sous tension. La longue séquence qui voit Larry rechercher Greta une arme à la main pour la tuer est remarquable, c’est un très long travelling avant assez compliqué avec des ombres fuyantes qui surgissent du fait d’éclairages latéraux. La profondeur de champ est souvent privilégiée. On note le nom d’Albert S. D’Agostino à la direction artistique, c’est un des grands noms qui a donné une certaine homogénéité aux films noirs de la période classique. Tourné en 1,37 :1, l’image presque carrée convient tout à fait à ce type d’histoire en réduisant les espaces. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    Larry va découvrir le cadavre de Greta 

    Les acteurs sont tous très bons. A commencé par Robert Young dont le physique un peu mou révèle bien le manque de caractère de Larry. Il est toujours lui-même attiré par les raisons de sa propre perte, comme si la mort n’était que la seule manière de se libérer de ses tourments. Susan Hayward est Verna, la plus dynamique et la plus sournoise des trois femmes qui tiennent Larry. Elle est excellente, même si elle n’a qu’un temps de présence limité. Elle passe de la posture de la garce affirmée et fière de l’être, à celle d’une jeune femme encore rêveuse qui s’émerveille de la bague que Larry passe à son doigt. Jane Greer incarne Janice. Dans un premier temps on la prend pour une oie blanche qui se laisse plumer par Larry, mais bientôt elle révèle un caractère plus machiavélique, vouée à la perte de Larry. Son rôle est dans la lignée de ce qu’elle faisait à cette époque, juste après ce film elle tournera Out of the past le chef d’œuvre de Jacques Tourneur. Rita Johnson dans le rôle de Greta est aussi excellente. Ne pouvant jouer de son physique un peu ingrat, elle travaille ses sourires et ses gestes qui enveloppent Larry comme dans une toile d’araignée. Cette remarquable actrice vit sa carrière s’arrêter brutalement à cause d’un accident, elle eut le crâne fracassé et dût être opérée, elle perdit ses moyens et dût s’éloigner des studios. Si l’acteur qui incarne le jaloux Trenton n'a rien de remarquable, Frank Ferguson qui tient le rôle de l’avocat est tout à fait excellent. 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    A la Jamaïque Larry retrouve Janice 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947  

    Larry comprend que Trenton utilise Janice pour le piéger 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947 

    Janice vient voir Larry qui attend le jugement 

    Ils ne voudront pas me croire, , Irving Pichel, 1947

    Larry est abattu alors qu’il tente de sauter par la fenêtre du tribunal



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sables-mouvants-quicksand-irving-pichel-1950-a114844628

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/l-ombre-d-un-doute-shadow-of-a-doubt-alfred-hitchcock-1943-a142351124

    « Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020 Les forbans de la nuit, Night and the city, Jules Dassin, 1950 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :