• Miroir, Raymond Lamy, 1946

     Miroir, Raymond Lamy, 1946

    C’est un film un peu oublié dans la construction du mythe Gabin. En effet il apparait dans ce film à la fois comme un homme d’affaires élégant et arrivé, mais aussi comme un truand qui n’a pas oublié les origines de sa fortune. Il est également le père adoptif d’un avocat brillant. C’est donc un personnage assez complexe qui initie en grande partie tout ce qu’il va être dans ses films suivants.

     Miroir, Raymond Lamy, 1946 

    Pierre Lussac est félicité par le conseil d’administration 

    L’action se passe en 1935, avant la guerre donc. Sans doute pour donner un parfum de légende à l’histoire. En effet dans le milieu il a existé un « Miroir », un gangster aussi, un maquereau, dont on peut trouver la trace dans les ouvrages d’Auguste Le Breton. Le surnom de « Miroir » était donné en regard de son élégance et de la patience qu’il mettait à soigner sa tenue et à la contempler dans un miroir. Pierre Lussac est donc un homme d’affaires qui, la nuit, revient vers ses origines. Il gère en effet de larges trafics et, en homme de poids, est celui qui tente de mettre des règles dans le milieu, de façon à le policer et à le faire prospérer, de façon à éviter les conflits ruineux entre bandes rivales. Mais après qu’on nous ait présenté la doble réussite de Lussac, on commence à comprendre que les difficultés arrivent. D’une part le père de son fils adoptif vient de s’évader de prison, ce qui risque de réveiller des tensions non seulement entre le vrai père et le père putatif, mais également entre Lussac et son fils adoptif. Et puis, les Marseillais ont décidé de rompre les accords antérieurs pour des raisons qu’on pourrait dire économiques, et de déclarer la guerre à Lussac. Les affaires de Lussac qu’il avait patiemment montées vont se défaire peu à peu. Il va perdre ses appuis politiques, puis c’est son fondé de pouvoir qui l’abandonne.

     Miroir, Raymond Lamy, 1946 

    Folco prévient Lussac que les accords sont rompus 

    Ce film est toujours un peu minimisé dans la carrière de Jean Gabin. C’est pourtant un jalon décisif. Contrairement à ce que disent souvent les critiques, c’est avec ce film et non avec Touchez pas au grisbi, que Gabin, va inaugurer le personnage du grand boss du milieu qu’il va incarner tout au long du reste de sa carrière, un aventurier qui a réussi et qui a blanchi sous le harnais comme on dit. Ce personnage est pourtant plus compliqué qu’on ne le pense. D’abord parce qu’il est l’image de la nostalgie de la jeunesse. Lussac est en effet un ancien anarchiste qui est passé comme le dit Ruffaut de l’autre côté. Au fond il n’était pas fait pour ce monde-là. Dans le milieu de la haute bourgeoisie, Lussac joue un rôle pour lequel il n’est pas fait : il fréquente des curés, des hommes politiques, des nantis. Cette nostalgie est intrinsèque à l’acteur Jean Gabin. Il a toujours répété qu’il n’avait jamais voulu être un acteur, et que son rêve d’enfant aurait été d’être plutôt conducteur de locomotive !  Il ne se trouve bien pourtant qu’auprès de sa maîtresse Cléo. L’autre dimension du personnage est le mimétisme étonnant entre les chefs de gangs et les chefs d’entreprise : ils ont finalement les mêmes valeurs, s’imposer par la force pour accumuler encore plus de biens. Mais ce recul que Pierre Lussac prend par rapport à ce qu’il est et ce qu’il était, lui est fatal. Il ne peut plus continuer et se retrouve coupé de tous et de tout le monde. La scène qui l’oppose à son fils adoptif est édifiante à cet égard. Alors qu’il a tout fait pour que Charles ait une vie bourgeoise convenable, il se rend compte que celui-ci est devenu arrogant et bourgeois, craignant d’abord pour sa réputation.

     Miroir, Raymond Lamy, 1946 

    Lussac teste les nouvelles machines à sous 

    Le film a connu un bon succès, certes bien moins impressionnant que Touchez pas au grisbi. C’est encore un mythe qu’il faut dénoncer, les films de Gabin avant ce dernier film marchaient très bien. Et c’est bien pour cette raison que Gabin continua imperturbablement dans cette veine noire et mélancolique qui le conduira au film de Jacques Becker. Evidemment Lamy, dont c’est la seule réalisation d’importance n’est pas Becker. La réalisation reste un peu mollassonne. Il y a des scènes trop longues avec des dialogues superflus. Le combat de boxe est filmé aussi un peu n’importe comment, on s’attarde aussi un peu trop sur les formes sociales de la vie bourgeoise. Mais il reste des séquences très intéressantes, d’abord celle qui clôture le film dans le règlement de comptes du cimetière, mais aussi la maison où se sont réfugiés les deux anarchistes et qui se retrouve cernée par la police, rappelant évidemment la bande à Bonnot. En dehors de ces scènes d’action il y a aussi les retrouvailles entre Cloé et Pierre Lussac. La manière dont est filmé la boite de nuit <qui fait aussi salle de jeux, est intéressante, mais sans plus. On fera mieux par la suite. C’est que Lamy a du mal à trouver les bons mouvements de caméra.

     Miroir, Raymond Lamy, 1946 

    Balestra   se souvient d’une maison cernée par la police il y a vingt ans 

    La distribution est évidemment dominée par Jean Gabin. Le film est fait pour lui. Il est égal à lui-même si on peut dire, avec les mêmes emportements traditionnels quand il s’en prend à sa belle-mère et qu’il lui rappelle aussi ses origines un peu pourries. Vieilli, mais pas encore trop alourdi, il incarne déjà la sûreté et la force. C’est Colette Mars qui est dans le rôle de Cloé la plus étonnante. On se prend à regretter qu’elle n’ait pas fait une meilleure carrière à l’écran. Daniel Gélin est, dans le rôle de Charles, plutôt emprunté. Il avait déjà joué dans un film avec jean Gabin, Martin Roumagnac. Martine Carol joue aussi un petit rôle, la fiancée de Battling Joe. Les deux acteurs sont à l’aube de leur carrière. Il y a aussi des figures assez folkloriques pour incarner les Marseillais, avec en tête Antonin Berval un habitué de ce genre de rôle.

     Miroir, Raymond Lamy, 1946 

    Ruffaut s’est évadé et vient réclamer des comptes à Lussac 

    Ce n’est certainement pas un chef d’œuvre du film noir, il y a trop d’imperfections dans la mise en scène, mais c’est un film très attachant qui se revoit toujours avec plaisir.  Les dialogues sont bons et les acteurs aussi. Il démontre une nouvelle fois que le film noir français avait une vraie originalité.

    Miroir, Raymond Lamy, 1946 

    Fusillade au cimétière

    « L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985.Leur dernière nuit, Georges Lacombe, 1952 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :