• L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985.

    Tout le monde vous le dira, Michael Cimino qui vient de disparaître est un très grand cinéaste reconnu. C’est entendu, et bien sûr comme il a réalisé The deer hunter, on peut dire qu’il a marqué l’histoire du cinéma. Ses fresques sont très appréciées, même si pour ma part je n’aime que moyennement Heaven’s gate que tout le monde encense aujourd’hui. Je lui préfère ses films noirs qui a mon sens sont sous-estimés. Il a très peu tourné, sept longs métrages en tout, dont trois films noirs de très bonne facture : Year of the dragon, Desperate hours et le très méconnu The sunchaser. On présente à tort Cimino comme un cinéaste maudit. En vérité, la carrière de Cimino s’est arrêtée d’elle-même par un manque d’audience ou peut être par manque d’envie. Sur les sept longs métrages seuls trois ont connu le succès public, le médiocre Thunderboldt and lightfoot, The deer hunter et Year of the dragon. Heaven’s gate par les caprices de son réalisateur a ruiné United Artits, un des studios hollywoodiens historiques, quant à The sunchaser, s’il a été médiocrement exploité en France, il n’est même pas sorti en salles aux Etats-Unis. Le ratage artistique et commercial de The sicilian n’a pas fait pour arranger les affaires de Cimino.

      L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985.

    Cinq ans après le cuisant échec de Heaven ‘s gate qui l’a mené à être banni des studios, Cimino revient brillamment à la réalisation en adaptant avec Oliver Stone, autre cinéaste trop négligé à mon sens, un roman noir très solide dû à la plume de Robert Daley, le même Robert Daley qui est à l’origine de plusieurs films de Sidney Lumet, dont Prince of the city que nous avons commenté avec enthousiasme il y a  quelques semaines[1]. Daley est newyorkais, ancien policier et s’est spécialisé dans l’analyse de la corruption du NYPD, tout en conservant un regard compatissant sur l’underground et les difficultés des différentes communautés new-yorkaises à vivre ensemble. Michael Cimino a donc mis tous les atouts de son côté pour faire un film qui plaira à un large public, et il obtiendra un budget conséquent pour le mettre en œuvre.

    L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Tracy Tzu commente l’enterrement d’un parrain de Chinatown 

    Stanley White, fraichement nommé à Chinatown, se donne pour mission de débarrasser le quartier de l’emprise de la pègre chinoise. Il va rapidement se heurter à un gros trafiquant, Joey Tai qui, lui, tente de prendre le contrôle de la pègre chinoise. Il va jouer le jeu de la provocation avec l’aide plus ou moins consentante d’une jeune journaliste chinoise, Tracy Tzu, dont il tombe amoureux. Evidemment cela n’arrange pas les relations tendues qu’il a avec sa femme qui se sent vieille et délaissée. Provocateur il se heurte à sa hiérarchie qui ne veut pas faire de vagues avec les pontes de la communauté chinoise. Ancien du Vietnam, le policier le plus décoré de New York, il se sert de cette gloire passée pour pousser ses actions. Les choses vont mal évoluer, sa femme va être assassinée par des truands chinois qui veulent ainsi le mettre au pas. Pendant ce temps Joey Tai est en voyage en Thaïlande afin d’importer directement de l’héroïne aux Etats-Unis.  Mais Stanley qui a mis sur écoutes illégalement Joey Tai va finir par savoir que celui-ci importera prochainement presqu’une tonne d’héroïne. Entre lui et Joey Tai, c’est une lutte à mort qui va se déclarer, avec au milieu des innocents qui vont le payer très cher. Mais au bout du compte il aura sa victoire.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Stanley White s’adresse directement aux pontes de la communauté chinoise 

    Il y a plusieurs manières de voir ce film. C’est évidemment un film de mafia, avec tout ce que cela comporte de règlements de comptes sanglants et de rivalités entre les communautés. Mais c’est aussi en quelque sorte l’histoire d’un trio dans lequel Tracy Tzu est un enjeu indirect. C’est donc à partir de Stanley le portrait de deux hommes qu’en apparence tout oppose et qui pourtant se ressemblent dans la violence qui les anime. Ils se comprennent finalement tellement bien qu’à la fin du film, Stanley confiera son arme de service à Joey pour qu’il se suicide. Ces deux hommes en effet ne savent pas reculer et  risquent la vie de ceux qui les entourent, ils sont tous les deux seuls. Butés dans leurs certitudes, au fond ils ne savent pas trop ce qu’ils veulent, Stanley aime en même temps Tracy et sa femme, indirectement il est responsable de la mort de celle-ci et du viol de la journaliste chinoise. Il déçoit tout le monde, mais Joey Tai aussi, il déçoit sa propre famille, mais aussi les gangs rivaux qui lui ont fait confiance. En important de la drogue, en rackettant et en affrontant les autres gangs newyorkais, est-il aussi mauvais que ce que Stanley prétend ? Ne contribue-t-il pas lui aussi à l’économie et à l’équilibre de la ville ? Tout comme Stanley cependant, il met en cause l’équilibre antérieur, même si c’est pour des raisons différentes. Stanley est opposé à sa hiérarchie qui veut le calme et la paix à n’importe quel prix, comme Joey Tai est opposé à la sienne, les vieux parrains cherchent le compromis aussi bien avec les autorités locales qu’avec les Italiens. La similitude des deux protagonistes est renforcée par l’exhibition de leurs blessures. Au pansement qui résulte du nez cassé de Joey Tai, répond le pansement de Stanley qui est le résultat de la fusillade avec les tueurs que Joey lui a envoyés.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Louis Bukowski sermonne Stanley White 

    La journaliste chinoise est elle-même tout autant incertaine, venant d’un milieu aisé et éduqué, contrairement à Stanley qui conserve un côté prolétaire, elle découvre l’underground de la communauté chinoise et les misères qui vont avec. Comme dans tous les ouvrages de Rober Daley, il y a une interrogation non seulement sur l’ordre social que la société est sensé protégé et promouvoir. On va donc retrouver cette haine qui est le résultat d’une cohabitation difficile entre les différentes communautés. Stanley est raciste, et dès qu’il s’éloigne de sa propre communauté, les Polonais, il le paye le prix fort. Ayant été marqué par la guerre du Vietnam, il hait tellement les jaunes, les bridés, les asiates, qu’il tombe éperdument amoureux de Tracy ! Et celle-ci le lui rend bien, elle déteste les blancs arrogants et macho comme lui, mais elle est tout autant attirée par lui, malgré ou à cause de sa grossièreté et de son manque de raffinement, si bien que le récit de la relation amoureuse entre Stanley et Tracy ressemble plus à un affrontement permanent qu’à un conte de fée. L’opposition des sexes se doublant d’une opposition raciste et d’une opposition de classes. Il suffit de voir la différence entre le pavillon ordinaire qu’habitent Stanley et sa femme avec le lofts ultra-moderne et richement décoré de Tracy qui surplombe le pont de Brooklyn.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Stanley s’est installé chez Tracy pour continuer son enquête 

    Visuellement c’est un film sur la multitude, ça grouille dans tous les coins, aussi bien dans le quartier de Chinatown que dans la jungle thaïlandaise. Ça convient très bien à Cimino qui a été un maître pour filmer les mouvements de foule. On reconnaitra cette patte lors de la scène d’ouverture qui mélange la procession avec les règlements de comptes. Il est d’ailleurs impossible de ne pas penser au Parrain II qui l’a certainement inspirée. C’est ce même mouvement qui clôturera le film avec l’enterrement de Joey Tai, tandis que Stanley est agressé par la foule qui l’a reconnu. Ça grouille aussi dans les sous-sols où sont employés des Chinois à de curieuses besognes  comme la culture des racines de soja. Les scènes de violence, dans le restaurant, comme dans la boîte de nuit, se passent à travers cette foule indistincte. Evidemment, même si la mise en scène de Cimino ne se résume pas à cela, cette chorégraphie précise et maîtrisé de la foule frappe l’imagination. Il y a une aisance dans les mouvements d’appareil qui est assez rare : utilisant souvent le travelling arrière, il imprime ainsi une dynamique très forte à l’action. Ce ne sont plus seulement des scènes de violence entre gangs ou entre flics et mafieux, mais une lutte à mort pour la survie de l’espèce.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Joey Tai vient négocier directement dans le Triangle d’or 

    L’utilisation des décors urbains est également très importante, pas seulement dans la description de Chinatown, mais aussi dans ces illusoires protections que semblent offrir la richesse et la célébrité. Tracy Tzu possède un magnifique appartement avec une vue imprenable sur le pont de Brooklyn, mais cela ne l’empêche pas de se faire violer par trois racailles chinoises. C’est ce qui va la ramener d’ailleurs à une plus juste perception de la réalité. C’est presque tout le film qu’il faudrait citer, comme ces visites dans les arrières cuisines louches des restaurants chinois, ou encore bien sûr la rencontre fatale de nuit et sur le port entre Stanley et Joey. La lumière y est glauque, opaque, les installations portuaires sont menaçantes. La photographie d’Alex Thomson est excellente, non pas parce que les images sont « belles », mais parce qu’elles s’inscrivent dans une utilisation très particulière des couleurs. C’est très personnel à Cimino, Alex Thomson n’ayant pas de style particulier. On partira ainsi des couleurs violents saturées de rouge lors de la procession, pour aller vers la froideur des bleus qui inondent le règlement de comptes final. Cimino joue aussi de cet usage paradoxal des costumes blancs qui sont semble-t-il d’usage dans les enterrements chinois.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985.

    Stanley abat une des tueuses chinoises qui ont abattu Herbert 

    L’interprétation est dominée par Mickey Rourke. Acteur prometteur au début de sa carrière, il tournera avec Coppola, puis il connaitra la gloire avec 9 semaines et demi, et après avoir tourné quelques bons films, il retournera à une vie décadente qui alimentera les chroniques de faits divers, plus que les rubriques cinéphiliques. En tous les cas ici il est très bon. Il est même relativement sobre dans son jeu. C’est sans doute son rôle le plus complexe, il n’a jamais été meilleur. Le film est écrit et réalisé à partir de lui. Tracy Tzu est interprétée par Ariane Koizumi. Elle est censée être une métisse issue de grands parents chinois. En réalité elle est d’origine japonaise, mais aussi allemande. La particularité de son physique donne un côté androgyne à son personnage, ce qui renforce l’homosexualité latente de l’opposition entre Stanley et Joey. Si au cinéma elle n’a pas fait grand-chose, il faut reconnaître qu’ici elle est parfaite, passant du mépris et de l’arrogance de classe à un côté plus humain quand elle pleure et quand elle est en danger. Le troisième personnage, Joey, est interpréta par John Lone. C’est un acteur qui en général est abonné aux rôles de Chinois dans des films sans importance, un hongkongais élégant et racé. Ici il est très bon, froid, calculateur, courageux aussi. Dans une distribution étincelante, il faut souligner encore l’excellente Caroline Kava dans le rôle de Connie. Elle avait déjà joué sous la direction de Cimino dans Heaven’s gate. Elle est ici remarquable de dignité et de colère renfermée.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Stanley cherche à trouver la drogue sur le Kaziemer Pulaski 

    Le film n’aurait pu se faire sans l’intervention de Dino de Laurentis producteur italien qui finit par s’imposer à l’Amérique et au monde entier. Ses succès sont innombrables dans des registres très différents cependant. Ici il a su trouver un budget important pour mettre en scène toutes ces foules aussi bien à New York qu’en Thaïlande. Le succès fut au rendez-vous et la réception critique plutôt bonne, bien que beaucoup n’ai considéré ce film que comme un polar parmi tant d’autres, juste un peu mieux léché à cause du savoir-faire technique de Cimino. Le film est bien plus que cela, bien plus qu’une commande d’un producteur rusé qui retravaillera d’ailleurs avec lui sur Desperate hours. En le revoyant des années après sa sortie, on est surpris par la maîtrise du sujet à tous les niveaux. Quelques critiques américains bien misérables ont taxé ce film de raciste et de méprisant pour les Chinois. C’est parfaitement idiot, parler du racisme ou des difficultés de cohabitation des différentes communautés ne fait pas de vous un raciste ou même un ennemi de ces communautés. C’est posé un problème qui existe bel et bien. Du reste Cimino qui est d’origine italienne, ne traite guère mieux cette communauté. Mais le politiquement correct a ses raisons que la raison ne connait pas. C’est exaspérant, mais c’est ainsi. En tous les cas le film de Cimino est grandiose, et s’il n’atteint peut-être pas The deer hunter, c’est certainement un très grand film noir.

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Stanley White affronte Joey Tai

     L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. 

    Stanley White a enfin coincé Joey Tai 

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-prince-de-new-york-prince-of-the-city-sidney-lumet-1981-a126186994

    « Requiem pour un caïd, Maurice Cloche, 1964Miroir, Raymond Lamy, 1946 »
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