• Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991

    Ridley Scott n’est pas un réalisateur que j’apprécie particulièrement, je trouve qu’il manque, malgré son application évidente, de style. Mais dans son œuvre très diverse, il y a quelques films très intéressants. J’en compte au moins deux qui sont d’ailleurs devenus des films culte comme on dit bêtement : Blade runner et Thelma & Louise. Ces deux réalisations entretiennent d’ailleurs des rapports très étroits avec le film noir. Le premier revisite d’une manière étrange le film de détective dans un univers futuriste sombre, peuplé d’androïdes, et le second reprend le vieux thème des amants traqués qui a donné de très beaux films, comme High Sierra de Raoul Walsh ou Tomorrow is another day de Felix Feist[1]. Certes Thelma et Louise ne sont pas lesbiennes, quoi qu’on en ait dit. Mais le principe est le même comme on va le voir, à défaut d’une relation sexuelle, elles sont liées par une très forte amitié, et cette amitié les fait renoncer à toutes les règles de la vie normale. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Thelma et Louise partent en vacances 

    Louise est serveuse dans une sorte de snack et s’ennuie dans son travail. Thelma elle s’ennuie avec son mari, une sorte de bougon pas très drôle dont le seul centre d’intérêt est son travail. Première transgression Thelma et Louise ont décidé de partir pour un week-end à la montagne, sans rien dire, ni ne demander à personne. Elles sont très heureuses de ces mini-vacances et de se retrouver ensemble loin des ennuis de la vie quotidienne. Mais la fatalité s’en mêle, alors qu’elles ont fait halte dans un bar rock’n roll où on boit, on dans et on drague, Thelma est victime d’une tentative de viol de la part d’un rustre qui la frappe. Mais Louise veille et descend le violeur. Cela va être le début d’une longue errance. La police est sur le coup, Hal le policier chargé de l’enquête doit les arrêter. Mais Thelma et Louise ne veulent pas se rendre à la police, elles ont peur de passer de longues années en prison. Elles décident donc de passer au Mexique. Le chemin est long, et pour cela il leur faut de l’argent. Louise appelle Jimmy, son petit ami. Celui-ci doit lui envoyer de l’argent à Oklahoma City. En fait il va venir de lui-même en avion, non seulement pour apporter l’argent, mais pour offrir une bague à Louise qu’il demande en mariage. Mais celle-ci refuse et ne dit pas pourquoi, bien qu’elle assure l’aimer. Après avoir confié l’argent à Thelma, elle passe la nuit avec Jimmy. Pendant ce temps, Thelma se laisse séduire par un petit escroc de bas étage. Le lendemain matin, J.D. a disparu et a embarqué l’argent de Louise. Les deux filles sont désespérées. Alors Thelma, pour se racheter, va commettre un hold-up. Pendant ce temps Hal va ramasser J.D. et le faire parler car il a compris par Jimmy qu’il a volé l’argent de Louise et que donc il est responsable indirectement du hold-up de Thelma. C’est J.D., une vraie balance, qui va d’ailleurs apprendre à la police que Thelma et Louise veulent rejoindre le Mexique. Les filles sont maintenant poursuivies pour meurtre et pour attaque à main armée. Elles n’ont plus le choix, elles doivent foncer droit devant pour tenter de rejoindre la Mexique. C’est une course sans espoir. Sur la route, elles vont encore mettre dans le coffre un flic qui les a arrêtées, et régler son compte à un chauffeur routier un peu trop entreprenant. Elles sont finalement repérées par la police. Traquées par des forces de l’ordre en grand nombre, il ne leur reste plus que le choix de sauter dans le vide, avec en arrière-plan le magnifique site du Grand Canyon. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Louise sauve Thelma qui était en train de se faire violer

    Ce n’est pas tout à fait un road movie, c’est une fuite vers la liberté nécessitée par des circonstances dramatiques, ici la liberté est représentée par le Mexique, comme dans les vieux films noirs des années 40-50. En allant vers le Sud, c’est en réalité la civilisation américaine que les deux filles fuient. Au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de l’Arkansas, elles découvrent en elles-mêmes la volonté de faire des choses hors du commun, et donc se laissent aller à leurs instincts. Mais elles prennent conscience aussi de leur propre attachement l’une à l’autre. Les interdits vont sauter les uns après les autres, elles vont tuer, voler, faire exploser un camion-citerne, Thelma va s’envoyer en l’air, elle qui n’a connu jusque-là qu’un seul homme dans sa vie, et tout ça dans l’ivresse du moment qui est en réalité bien plus qu’une vengeance ou un règlement de comptes. C’est tout simplement un changement de mode de vie. Tous les segments de l’American way of life sont remis en question, la famille, les enfants, le travail, et même la justice et l’ordre social. Quand elles rencontrent un bandit, en la personne de J.D., c’est un bonhomme aussi abominable que les autres, peut-être même pire puisqu’il se donne l’apparence du rebelle alors qu’il n’est qu’un triste salaud. Vivre l’instant et ne rien regretter devient leur devise.

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Jimmy est venu demander Louise en mariage 

    On a dénoncé le caractère misandre du film. S’il est vrai qu’il s’intéresse d’abord à l’oppression des femmes, il ne trace pas que des portraits négatifs des hommes. Jimmy est un homme attentif et bienveillant qui laisse toute sa liberté à Louise et qui la soutient sans ostentation dans l’adversité. De même Hal, le flic, comprend très bien les difficultés de Thelma et Louise et tente de les aider du mieux qu’il le peut. Le plus intéressant est bien sûr la transformation du caractère de Thelma qui change ses critères de réflexion dans le cours des événements, en découvrant des aspects de la vie qu’elle ne connaissait pas. Néanmoins, cette quête de la liberté, ces transgressions répétées ne peuvent pas être tolérées par la société. L’individu dans ce qu’il a de plus cher sera détruit. Le fait que l’action de se film se situe dans des paysages naturels un peu désertiques renforce cette critique de la société dominée par la technique et les objets les plus inutiles ou les plus nocifs comme les camions et les automobiles. Louise troquera d’ailleurs ses bijoux contre le vieux chapeau d’un vieux bonhomme comme un renoncement aux fastes de la société consommatrice. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Le petit escroc J.D. séduit Thelma 

    Sur le plan de la réalisation, on a une esthétique assez conventionnelle, une photographie bien léchée qui donne de la grandeur à la nature, avec l’usage de l’écran large, 2.35 : 1. Mais il y a tout de même un contraste affirmé entre cette Amérique de la consommation et des pans entiers de l’Amérique qui échappent à cette logique : on croisera sur la route de Thelma et Louise, non seulement des pauvres rejetés à la périphérie de la société, mais aussi des populations abêties dans des loisirs aussi vulgaires qu’imbéciles. Il y a des longueurs excessives. Par exemple ce cycliste noir qui escalade la route tout en fumant un joint et qui va trouver le policier dans le coffre de la voiture. Ça ne fait pas avancer l’histoire et ce n’est pas très drôle. On peut trouver également que la poursuite finale entre la Thunderbird de Thelma et Louis et les véhicules de la police est un peu trop longue. Mais l’ensemble se tient. C’est suffisamment nerveux pour retenir le spectateur. Il y a des petites coquetteries que Ridley Scott aurait pu s’épargner, comme l’image du conducteur de camion qui se reflète dans l’enjoliveur de la roue avant. C’est un brin chichiteux. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Thelma enferme le flic qui les a arrêtées dans le coffre de sa voiture 

    En fait la réussite du film repose beaucoup sur l’abattage des deux actrices principales. Susan Sarandon est Louise, d’abord leader du couple, elle se laissera aller ensuite à donner plus d’initiative à Thelma. Elle a ce côté prolétaire et désabusé qui donne beaucoup de force à son rôle. Geena Davis qui incarne Thelma est sans doute plus étonnante. C’est une femme très grande qui sait parfaitement jouer aussi bien de son charme – même si elle n’est pas très belle – et donc jouer les ingénues, que de son énergie lorsqu’elle se libère. Au fil du film son visage devient plus dur, ses gestes plus affirmés et moins timides. Elle est excellente. Les autres acteurs comptent moins. Harvey Keitel est le flic humaniste avec justesse et sans trop de cabotinage. Il est aussi très bien. Mais son rôle est assez monolithique et un peu bref. Brad Pitt trouve ici un de ses premiers rôles importants. Il est J.D. Mais il cabotine, abusant de son sourire qui se voudrait désarmant et d’une nonchalance un peu trop travaillée. Comme il joue un escroc sans envergure, ça passe assez bien. On peut citer aussi Michael Madsen dans le rôle de Jimmy. Pour une fois qu’il joue un personnage sympathique, profitons-en. Dans le rôle du mari de Thelma, on peut trouver aussi Christopher McDonald trop caricatural.

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Hal assiste impuissant à la fin des deux jeunes femmes 

    Qu’on ne se fasse pas d’illusion, c’est un très bon film, son succès à travers les années est mérité, mais il ne faudrait pas en faire un chef d’œuvre pour autant. Il y a bien trop de lacunes dans le scénario : par exemple le mari de Thelma est présent presque jusqu’à la fin du film, mais curieusement Jimmy, le compagnon de Louise est escamoté. Il disparait trop rapidement. On ne voit pas pourquoi si on nous fait par des réactions du ridicule mari de Thelma on oblitérerait celles de Jimmy. Parfois aussi le film hésite entre des genres assez différents : le film d’action et de poursuite automobile, ou le film noir avec ses héroïnes marquées par la fatalité. Si la critique en Europe a été plutôt ravie par ce film, outre-Atlantique cela n’a pas été le cas. La critique s’en est emparé bien après, quand il est devenu un film culte pour la jeunesse.

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

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