• Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964

     Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964

    Dans ces temps-là, les années soixante, les Allemands qui ne savaient pas trop quoi faire pour remonter leur industrie du cinéma en pleine déconfiture, faisaient des petits films noirs, souvent avec des petits budgets, d’où la série des Edgar Wallace dont Vohrer avait tourné deux épisodes dont un qui eut beaucoup de succès, ou encore quelques petites adaptations de James Hadley Chase dont l’Allemagne était le meilleur marché après la France. C’était un peu du giallo avant la lettre, l’érotisme et l’humour en moins, évidemment. Le premier intérêt de voir ce film est sans doute Hildegard Knef, même si ici elle n’est pas tout à fait à son avantage et même si elle avait déjà un peu vieilli. Ces petits films criminels étaient fabriqués pour dépayser d’abord les Allemands de leur triste et gris quotidien utilisent souvent les décors de Londres ou de l’Italie. Rien ne doit rappeler l’Allemagne. Mais, et c’est la seconde raison de voir ce film, il reste dans une filiation d’avec le Fritz Lang d’avant-guerre, soit plus précisément avec le Docteur Mabuse. Il faut noter que le projet d’adapter le livre qui au départ s’intitulait The Snake Pit of Dr. Mabuse, devait être mené par Robert Siodmak qui finalement y renonça, peut-être trouvait-il que la maison Rialto[1] qui produisait le film n’était pas vraiment sérieuse. Il y a aussi une dernière raison de voir ce film, c’est que le chef du gang, un multimillionnaire cupide et insatiable autant que cruel est cloué dans un fauteuil à roulette, vieille figure finalement du film noir. On peut par ailleurs évidemment discuter des qualités littéraires des œuvres de James Hadley Chase, mais il a été un des piliers du roman noir d’après-guerre et a donné une multitude de sujets pour le cinéma, pour le meilleur et souvent pour le pire. Je ne peux pas dire qu’il soit un des romanciers favoris. Alfred Vohrer qui tournait les films de la série Winnetou à la chaîne se reconvertira à la télévision dans les réalisations de la série Derrick. Il n’a pas laissé un souvenir très fort en tant que réalisateur. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Un gang qui signe la tortue, rançonne le très riche Sir Cyrus Bradley. Mais le but n’est pas directement de le rançonner, mais de lutter s’il ne paye pas pour faire peur aux autres millionnaires qu’il se propose de rançonner. Le neveu de Sir Bradley, Donald Micklem veut se charger de la rançon et tenter de piéger le gang. A Londres, c’est Laura Lorelli, la maîtresse de Mario di Alsconi qui gère l’affaire. Elle engage un lanceur de couteau alcoolique pour faire le sale travail. Sir Bradley est tué, mais son neveu est parti avec son ami Harry à la poursuite du tueur qui s’est réfugié dans un hôtel un peu miteux. S’ils ne trouvent pas le lanceur de poignard, ils sont troublés par Laura Lorelli. Mais Scotland Yard arrive à filmer, malgré son changement de coiffure, la femme qui s’embarque pour l’Italie. Grâce à Interpol, elle est repérée comme se trouvant à Trieste chez di Alsconi. Dès lors Donald et Harry vont débarquer dans la ville italienne. Mais di Alsconi a prévu de les tuer en mettant une bombe dans leur valise. Ils sont cependant prévenus par une voix de femme et échappent à l’attentat. Di Alsconi est furieux et menace le traître qui se trouve parmi ses hommes. Laura se dénonce, et explique que puisque Donald est l’héritier de Bradley, il est préférable de le retenir prisonnier et de réclamer une rançon. Mais en réalité Laura en a un peu assez des mauvais coups que monte en permanence di Alsconi alors qu’il est déjà très riche. Di Alsconi va attirer Donald chez lui et va le retenir prisonnier. Mais entre temps son gang est en train de s’effondrer, to :ut le monde trahit tout le monde. Laura propose à Donald de l’aider, contre un chèque de 200 000 $. Felix ne l’entend pas de cette oreille et tente de retourner Laura de son côté. Lmaura et et Donald se retrouve enfermés dans une pièce sans issue. Di Alsconi enclenche un faux plafond qui va les écraser en descendant. Puis il tente de fuir en fauteuil à roulettes. Donald est finalement délivré in extremis par Harry. Mais Crantor va tuer finalement di Alsconi, avant de se faire occire à son tour par Donald. Ayant gagné la partie, il va finalement laisser partir Laura avec le bateau, lui promettant de lui verser l’argent promis. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    A Londres, Laura et Carntor contacte le lanceur de couteaux Shapiro 

    Comme on le voit l’intrigue est des plus simpliste, mais après tout c’est un peu la loi du genre, que ce soit Mabuse ou Fantômas, ces créatures insatiables qui ne vivent que pour faire le mal et s’enrichir toujours plus, possèdent toujours les mêmes motivations. De même elles sont toutes portées sur la technologie la plus sophistiquée, sous-entendant par-là que c’est bien de ce progrès que se nourrit le mal. Et donc ici, cette emprise sur la technique sera représentée par des écrans qui permettent à di Alsconi d’espionner sans être vu, le faux plafond prévu pour tuer et quelques autres joyeusetés. Comme le docteur Mabuse, il surveille ce loin ce qui se passe, ce que trafique son personnel, grâce à des caméras et des micros éparpillés sur son territoire. Il camoufle son regard derrière des lunettes noires. Son écran qui se trouve sur le bureau est dissimulé derrière le portrait de Laura qu’il semble aimer tout de même. Son personnel pourtant ne semble pas le craindre vraiment et passe son temps à comploter contre lui. Dénué de toute forme de psychologie, on ne sait pas pourquoi les personnages font ce qu’ils font. Certes il apparaît que le renforcement de la criminalité de di Alsconi est la conséquence de son handicap et de son impuissance sexuelle, mais pourquoi Laura le trahit-elle ? Est-elle tombée sous le charme de Donald ? Est-elle lassée de la surenchère criminelle de son compagnon ? De la même façon on ne comprend guère plus les raisons de la mansuétude de Donald envers elle. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Scotland Yard tente de repérer la femme qui à pris l’avion 

    Le personnage de Donald, riche oisif qui attend cyniquement le décès de son oncle et de sa tante pour hériter, voit ces traits de caractères assez douteux gommés par son goût de l’aventure qui peut ressembler aussi à une envie de se suicider. Il est affublé d’un acolyte, Harry, qui le suit un peu partout et l’aide dans ses entreprises foireuses à la manière d’un domestique qui n’existe que pour servir son patron. Le seul personnage intéressant de dette pellicule est le fauteuil à roulettes qui semble doué d’une vie propre. Le corps de di Alsconi est enserré dedans comme une partie de lui-même. Ils ne seront dissociés que dans la mort lorsque Crantor les propulsera tous les deux dans la mer où ils disparaitront. Le riche criminel est un aventurier par goût, mais son handicap l’oblige à ne vivre cette passion criminelle que par procuration. Il vit ainsi dans une forteresse ultra-moderne – du moins pour l’époque – mais derrière un décor prestigieux ancré dans l’histoire de l’Italie. Ici se révèle le caractère double de di Alsconi, il dissimule derrière un décor riche de tradition des instruments ultra-modernes de contrôle. Le lien entre la technologie de pointe et le développement du mal est facile à faire. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Laura se dispute avec di Alsconi

    Le film tente de masquer les insuffisances de son scénario très paresseux par la multiplication des décors réels. Evidemment on ne voit guère les acteurs dans cet environnement, l’ensemble c’est du studio. Deux décors sont opposés, celui de Londres, sombre et agité et celui de Trieste inquiétant et lumineux, cerné par la mer. L’attentat aura lieu dans la chambre d’hôtel du Savoy, hôtel prestigieux. Mais évidemment c’est un leurre, la plupart de l’action se passe dans les couloirs sans issus que ce soit dans le sordide hôtel de Londres où s’étale la prostitution, ou dans ceux de l’hôtel Savoy puis de la villa du chef de gang. Celle-ci est représenté par l’extérieur du castello di Miramare qui avait été construit par le frère de l’Empereur François-Joseph 1er comme une sorte de mainmise de l’Autriche sur l’Italie. Mais toutes les scènes d’intérieur qui sont les plus nombreuses sont tournées dans les studios de Hambourg. Dans cette opposition entre Londres et Trieste, il y a une volonté d’opposer le nord de l’Europe besogneux, honnête et sombre, à l’Italie, ensoleillée mais paresseuse et prompte à se lancer dans la criminalité. C’est une hantise qu’on trouve souvent chez James Hadley Chase, mais qui convient parfaitement à l’Allemagne qui aujourd’hui encore regarde les pays latins de haut. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Donald et Harry échappent à l’attentat

    C’est filmé en cinémascope pour tenter de donner un peu de corps à cette histoire. Il y a peu de génie dans la mise en scène de Vohrer. C’est le contraire qui eut été étonnant. Mais on trouve quelques plans de couloirs avec des profondeurs de champ troublantes qui sont assez bien. Pour ma part, je trouve que le fauteuil à roulette est assez mal filmé, on ne lui donne que rarement une importance dans le déplacement des personnages. Les roues sont assez inexistantes. Ceux qui savent mieux filmer ce genre d’appareillage se servent plutôt de contreplongées qui en saisissant aussi l’ensemble du fauteuil lui donnent une vie propre. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Donald est retenu prisonnier chez di Alsconi 

    Le point faible est l’interprétation. Hildegard Knef a vraiment l’air d’être ailleurs dans le rôle de Laura Lorelli. On la comprend. Mais peut-être est-elle tout simplement trop âgée et manque de sex appeal pour incarner une criminelle internationale de ce calibre. Götz George est insignifiant comme à son habitude. Ici il est l’héritier Donald Mlickem. Il est peu connu chez nous, sauf pour son rôle de Schimanski dans la série télévisée du même nom, du reste c’est principalement à la télévision qu’il fera carrière après quelques rôles dans la série Winnetou et dans la série des Edgar Wallace. Il sautille un peu, sourit niaisement comme s’il était content de se faire enlever et emprisonner. Klaus Kinski a un tout petit rôle, il est tué par Crantor rapidement. Il est le lanceur de poignard. Il est insignifiant, tout en essayant de jouer de son physique de grand nerveux. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Felix pense prendre la place de di Alsconi 

    Le film a coûté assez cher pour l’époque, mais le public ne fut pas au rendez-vous, et la critique ne s’occupait de ce cinéma de genre. Son échec est évidemment mérité, cependant il nous permet de mieux comprendre non seulement les ressorts du film noir, du moins d’une partie du film noir, mais également cette impasse dans laquelle se trouvait le cinéma allemand, incapable de s’élever à la hauteur de son histoire, ressassant avec obstination les mannes de Fritz Lang, la qualité technique et visuelle en moins. 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Felix conduit Donald dans une sorte de prison 

    Toujours au-delà, Wartezimmer zum Jenseits, Alfred Vohrer, 1964 

    Di Alsconi pense pouvoir prendre le bateau pour s’enfuir


    [1] Rialto financera beaucoup plus tard une autre production tirée d’un roman de James Hadley Chase, Just another sucker, publié en français par la Série noir sous le ditre de Mise en caisse, avec des acteurs prestigieux, Woody Harrelson, Gina Gershon et un réalisateur primé à Cannes, Volker Schlöndorff. Mais le film n’eut aucun succès et déchaîna les critiques négatives contre lui.

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