• Alain Delon et le commerce des images

      Alain Delon et le commerce des images

    Il y a quelques semaines maintenant qu’Alain Delon s’en est allé. Je ne crois pas me tromper en disant qu’aucun autre acteur français n’aura eu autant de « unes » de journaux et de magazines qu’Alain Delon consécutivement à son décès. Et cette curieuse gloire s’est étalée comme on l’a vu dans le monde entier. Ce qui veut dire que le personnage dépassait de très loin ses qualités d’acteur. J’ai déjà dit qu’en tant qu’acteur il avait atteint les sommets et construit au fil des années une très belle cinématographie. Mais si ses qualités d’acteurs, sa présence, le choix de ses films, le rangent parmi les acteurs les plus marquants du cinéma mondial, il est arrivé, peut-être sans l’avoir vraiment voulu d’ailleurs, à produire une sorte de mythe. S’il a incarné une certaine exigence cinématographique, il est apparu aussi comme le porte-drapeau de l’exception française avec une pointe d’arrogance. Un peu sans doute comme Brigitte Bardot, bien que la qualité de leurs cinématographies respectives ne soient pas du tout comparables, en qualité comme en quantité.  C’est sans doute en ce sens qu’il représentait la France, celle des flamboyantes années soixante qui fascinaient le monde entier, des Etats-Unis à la Russie et jusqu’aux pays asiatiques en passant par tous les pays d’Europe. Il avait même mis en scène sa relation à trois avec Mireille Darc et Maddly, dans un film assez mauvais et peu intéressant, Madly, mais qui révélait beaucoup de son caractère provocateur. Ce film n’eut d’ailleurs aucun succès. 

    Alain Delon et le commerce des images   

    La plupart des photos choisies à la une des journaux et des magazines sont celles d’un Alain Delon encore jeune et plein d’énergie, quelques malveillants se sont attardés sur des photos plus récentes comme pour s’essayer à s’attaquer à une icône dont le caractère flamboyant exaspère. L’Humanité qui fait profession de traquer le fascisme même là où il ne peut être trouvé, le qualifie de « diable » et cela au moment même où cet organe officiel du Parti communiste perd son temps à dénoncer la dédiabolisation du Rassemblement National, oubliant stupidement qu’il a travaillé aussi avec le communiste Luchino Visconti ou le non moins communiste, victime du maccarthisme, Joseph Losey. Je ne vais pas discuter ici des positions politiques d’Alain Delon que je ne partage pas, mais je rappellerais juste que s’il s’est toujours définit comme gaulliste, il a toujours dit aussi qu’il ne votait pas pour Jean-Marie Le Pen et ni pour le Front National ou le Rassemblement National. Je n’ai jamais connu Alain Delon, et donc je me garderais bien d’émettre un jugement sur sa personne. Mais je peux juger de sa cinématographie et des images de lui qu’il projetait, mais certainement pas vraiment de l’homme. Alain Delon disait qu’il avait été ami avec Jean-Marie Le Pen, mais d’autres l’ont été aussi, par exemple Claude Chabrol qui au début des années cinquante faisait la fête avec lui[1], pour ne parler que du cinéma ou encore Laurent Joffrin, chantre de la gauche morale et bien-pensante qui passait ses vacances avec lui !  

    Alain Delon et le commerce des images  

    Revenons à notre sujet. Très souvent l’illustration choisie par les journaux qui ont parlé de son décès, est toujours un peu la même comme si les photos de Delon manquaient de diversité. Au premier regard on se rend compte qu’il représentait aussi une sorte d’éternelle jeunesse, un peu sombre, parfois tourmentée, une forme d’adolescence prolongée, tandis que Jean-Paul Belmondo à l’inverse représentait cette forme d’ironie rigolote et souriante qui pouvait tout à fait le présenter comme un grand frère bienveillant qui aimait rigoler et faire la fête. Du reste  le caractère sombre de Delon se retrouva dans sa manière de multiplier vers la fin de sa vie les propos remplis d’amertume sur ce qu’était devenu la France, un pays qu’il ne reconnaissait plus dans son identité – il n’est pas le seul. Des propos qui pourraient d’ailleurs être aussi regardés comme l’adieu désespéré à sa jeunesse. Des propos que Belmondo n’aurait jamais fait siens par exemple. Jean Gabin aussi râlait beaucoup, bien avant la fin de sa carrière cinématographique, en permanence contre les vicissitudes de l’époque, mais il le faisait en tant que patriarche de la profession. Delon qui ne tournait plus depuis des années ne pouvait pas pourtant tout à fait quitter la scène, donnant des interviews à tous ceux qui le lui demandait, transformant, d’après ce qu’on en sait, sa propriété de Douchy en une sorte de musée de lui-même. Ainsi la majorité des photos illustrant son décès sont issues des années soixante, ce qui renforce évidemment cet aspect d’homme du passé.  

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    Jusqu’au bout de sa vie il posera pour les photographes, utilisant son sourire mélancolique et ses yeux bleus, comme si c’était là son métier, sans doute pour qu’on ne l’oublie pas. Et la plupart des illustrations des médias qui ont accompagné son décès sont le plus souvent des sujets posés que des extraits de films, où, par nature, il est selon moi plus à son avantage. Ces poses figées renforcent ce caractère intemporel que donnent les images à cet icone du 7ème art. si on le compare à Jean Gabin, ce dernier dès la fin de la Seconde Guerre mondiale paraissait vieux et âgé, tandis que Delon semblait devoir préserver sa jeunesse jusqu’à un âge avancé. Si la cinquantaine passée Delon arrivait encore à jouer les hommes d’action, bagarreur, sautillant, Gabin, lui avançait à petits pas, certes solides, mais lentement sans se hâter. Si Delon a été assez bien identifié avec le héros de son film L’homme pressé, c’est bien parce que cette hâte est la marque d’une adolescence prolongée, période où l’on croit qu’on va dominer le monde. A l’inverse de Delon, Gabin affirmait souvent que la seule chose qu’il savait était justement qu’il ne savait rien ! C’était la parole d’un vieux sage. Libération, ennemi intime d’Alain Delon aussi bien sur le plan politique que sur le plan cinématographique parle de plein sommeil, se croyant malin de parodier ainsi le chef-d’œuvre de René Clément, mais ce faisant il touche assez juste en ce sens que le monde d’Alain Delon, les années soixante justement, n’est pas celui de Libération des années deux-mille et quelques !  

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    Les titres qui accompagnent les photos en hommage de sa disparition ne font pas preuve d’une grande imagination. Vient en tête Le dernier samouraï. Puis ensuite Le dernier monstre sacré. Lui qui voulait être le premier, le voilà donc déclassé ! Certains plumitifs ont été jusqu’à parler bêtement du dernier empereur du cinéma. Mais en même temps cette idée selon laquelle il serait le dernier monstre sacré, nous renvoie à l’idée maintenant assez évidente que le cinéma en France, comme partout en Occident a cessé d’être un loisir populaire de qualité. Bien entendu je ne dirais pas que le cinéma ne pourra pas renaitre un jour de ses cendres, mais il est évident que la qualité aujourd’hui n’est plus là. C’est sans doute aussi cela qu’expriment les illustrations de son décès. La fin d’une époque où le cinéma était le loisir dominant et aussi bien entendu un art. Closer qui est sans doute le pire de la presse racoleuse s’est distingué par une photo de Delon âgé et fatigué, arguant qu’il ne voulait plus se battre. C’est une manière de jouer les originaux parce qu’en réalité, ils n’en savent absolument rien  

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    Ces images que j’ai collationnées dans un petit moment de désœuvrement donnent à voir en réalité un homme à la fois sûr de lui et dominateur, mais aussi un homme sombre qui doute de tout et de lui-même, ce qu’il ne cachait d’ailleurs pas. Et c’est certainement cette ambiguïté affichée qui a intrigué la presse et irrité une partie du public. Mais c’est aussi sans doute pour cela que le public féminin lui était acquis. Les hommes se divisaient en deux, ceux qui l’admiraient et le prenaient pour modèle – les voyous par exemple l’aimait bien – et puis les jaloux. Les hebdomadaires ont fait leurs choux gras de ce décès auquel Paris Match a consacré deux couvertures coup sur coup. Que ce soit les hebdomadaires politiques, dits généralistes, comme Le Nouvel Obs ou Le point, et bien entendu les magazines de programmes de la télévision qui se sont cru obligés de le mettre en couverture. Cette obligation ressort de ce qu’on peut appeler le commerce des images : celui qui esquive l’évènement risque de perdre des parts de marché, même s’il n’en gagne pas !     

    Alain Delon et le commerce des images  

    Si le point de départ de l’image de Delon est son activité dans le cinéma, elle devint par la suite une marque de fabrique. Il vendait le droit d’utiliser son nom et son image pour des cigarettes, The taste of France, preuve que c’est bien la France qu’il représentait, ou encore du champagne, produit français par excellence. Même s’il investit ailleurs dans des écuries de chevaux de course, dans une petite compagnie d’aviation, ou encore dans l’achat d’œuvres d’art ou dans le cinéma, le fait qu’il ait aussi monnayé son image est significatif de ce qu’il en comprenait !  

    Alain Delon et le commerce des images  

    Parmi les nombreuses promotions de marques que Delon a soutenu par son image, il y a les parfums Dior. Les clichés utilisés pour la promotion du parfum Eau sauvage, étaient ceux qui avaient été pris entre 1960 et 1966. À cet égard on peut facilement comprendre la force du mythe Delon en comparant ces clichés, avec ceux de son second fils, Alain-Fabien, qui a tenté de prendre la suite de son père dans ce type d’entreprise. Cela lui a sans doute rapporté un peu d’argent, mais ne peut laisser beaucoup plus de traces dans les mémoires, il est bien difficile de mettre ses pas dans ceux de son père quand celui-ci est devenu une icône populaire. En vérité en mettant en avant le fils Alain-Fabien, c’est encore l’image du père qu’on met en avant, car le fils n’a comme tire que d’être le fils de son père. Les publicités de Dior supportées par l’image d’Alain Delon ont été exceptionnellement remarquées, alors même qu’il était déjà un homme vieillissant, comme si Dior en célébrant Delon ne faisait pas que vendre du parfum, mais signait aussi la fin d’un certain cinéma français. Les principaux clichés sont prix dans les années soixante, et pas après, et le second est tiré du film Les aventuriers où Delon donnait une image moins lisse de ce qu’il était, s’étant laissé pousser la barbe ! Ce sont d’ailleurs les images des publicités pour Dior qui ont été parmi les plus sollicitées pour accompagner le décès d’Alain Delon. 

    Alain Delon et le commerce des images  

    Enfin si tout cela révèle l’importance du mythe Delon, je crois qu’au bout du compte c’est tout de même l’acteur à travers ses films qui nous restera dans les mémoires. En effet je n’ai guère de gout pour la publicité et encore beaucoup moins pour les parfums d’homme !


    [1] Antoine de Baeque, Chabrol, Stock, 2021.

     

    « Dans la gueule du loup, Jean-Charles Dudrumet, 1961Le témoin du troisième jour, The Third Day, Jack Smight, 1965. »
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