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Dans la gueule du loup, Jean-Charles Dudrumet, 1961
Si Dudrumet a pu tourner un long métrage à nouveau, c’est parce que La corde raide, son précédent, avait bien marché, du moins suffisamment. Mais il lui fallait trouver un nouveau sujet qui cadrerait avec son intérêt pour le film noir, puisqu’il aimait écrire aussi les scénarios de ses films. Comme beaucoup à court d’idées il allait se rabattre sur un ouvrage de la série noire. James Hadley Chase, auteur prolifique de romans noirs, a connu beaucoup d’adaptation de ses romans à l’écran. Mais sans contexte c’est en France qu’il y en a eu le plus. Une des raisons qu’on peut avancer est qu’il était l’auteur vedette de la Série noire, au point que ses romans étaient d’abord publiés en France que dans sa langue natale. Or la Série noire avait beaucoup de défauts – notamment ses médiocres traductions caviardées des grands auteurs américains – mais elle avait une grande qualité, elle avait un service qui s’occupait de vendre les droits des romans qu’elle publiait au cinéma. C’est d’ailleurs pour cette unique raison que Jean-Luc Godard fera semblant d’adapter des chefs-d’œuvre de la Série noire pour des films qui n’ont aucun rapport avec les textes soi-disant adaptés. Sans doute aussi que les droits ne devaient pas être très élevés car se sont principalement des films à petit budget qui ont été tourné à partir de l’œuvre de Chase, à quelques exceptions près comme par exemple The Night of the Generals d’Anatole LItvak. Nul n’est prophète en son pays. La France a produit 25 des 32 adaptations cinématographiques inspirées par un ouvrage de Chase, et juste derrière on trouve les Russes ! Chez Chase, il y a toujours des gars malins qui se font prendre pour des imbéciles par plus malins qu’eux, surtout si une femme se trouve à la manœuvre. Chase n’est pas un de mes romanciers favoris, loin de là, mais parfois il avait bonnes idées. Le scénario a été écrit par Michel Lebrun et Dudrumet. Michel Lebrun avait à l’époque une bonne cote, la réputation de travailler vite et bien.
Henri Barbier est un minable petit photographe de rue qui vit mal sa médiocrité. Il a des problèmes d’argent, n’arrivant même pas à faire réparer sa vieille automobile. Il en parle à sa femme qui elle doit faire un voyage de quelques jours en dehors de Paris. Un soir qu’il rentre chez lui un peu gris, il retrouve Barbara une ancienne liaison qui a fait fortune en épousant un très riche armateur. Profitant que sa femme n’est pas là, elle l’invite au restaurant. Elle va lui proposer une affaire de tout repos, elle volera ses propres bijoux, et Henri les négociera avec son mari contre 25 briques. La commission d’Henri sera de 5 millions. C’est une bonne affaire pour un homme qui végète et qui a des problèmes récurrents d’argent. Dans un premier temps il refuse, mais finit par se laisser convaincre. Par précaution il enregistre sa conversation avec Barbara sur un petit magnétophone. L’affaire se passe bien. Odette amène les bijoux, mais avant de rencontrer Henri, elle est interceptée par un ivrogne qui la bouscule et qui oblige Henri à intervenir. Il assomme l’intrus. Il imagine ensuite un plan ingénieux pour procéder à l’échange. Il téléphone à Yanakos et il lui donne rendez-vous dans un immeuble où il va bloquer l’ascenseur afin de procéder à l’échange sans être vu.
Barbara a invité Henri pour lui proposer un gros coup
Cependant Yanakos prévient la police qui va tenter de retrouver le butin. En rentrant chez lui, Henri va découvrir le cadavre d’Odette. Il faut qu’il s’en débarrasse. Il range le corps dans la voiture. Il est dérangé par sa femme qui est revenue plus tôt que prévu. Mais sous un prétexte un peu foireux, il va repartir pour trouver un endroit où l’abandonner. C’est une épreuve difficile s’il ne veut pas se faire repérer, mais après plusieurs tentatives, il finit par le jeter dans la Seine. En quelque temps après la police retrouve le corps et commence à enquêter sur cette jeune fille. Après avoir interroger les témoins, ils s’orientent vers Henri dont la voiture a été repérée lorsqu’il a tabassé l’agresseur d’Odette. La police arrive chez lui, mais il s’échappe et s’en va demander des comptes à Barbara. Il lui signale qu’il a enregistré leurs conversations. Il tente de s’approcher de son mari, mais celui-ci est en train de mourir. Revenu chez lui, il est agressé par le secrétaire de Barbara qui veut récupérer l’enregistrement sous la menace de son arme. Henri est forcé de lui donner. Mais il poursuit Roger dans la rue, jusque dans le marché aux Puces de Saint-Ouen. La police a été alerté et après une bagarre entre Henri et le secrétaire de Barbara ce dernier est arrêté. Henri retournera à son triste métier de photographe de rue.
Elle lui présente sa belle fille qui lui remettra les bijoux
Cette histoire en vaut bien une autre. L’histoire de la femme qui attire un malheureux imbécile dans ses filets est d’ailleurs récurrente chez James Hadley Chase. Parmi les meilleures adaptations de son œuvre en France dans ce genre on trouve Chair de poule de Julien Duvivier[1] ou encore le solide Une manche et la belle d’Henri Verneuil[2]. Le premier problème qu’on va rencontrer c’est d’abord la pauvreté des dialogues, pourtant signés Fred Kassak, un auteur de romans policiers le plus souvent tenté par des formes humoristiques. Les acteurs ont manifestement de la difficulté à les débiter. Voilà un homme, Henri Barbier, qui manifestement a envie de tromper sa femme qui se trouve en déplacement, aussi bien avec son ancienne maitresse Barbara qu’avec sa belle fille Odette, mais qui par excès de prudence n’arrive à assouvir aucune de ses pulsions sexuelles. Ce qui fait que sa démarche est assez mal comprise par le spectateur. On aurait aimé le voir un peu plus fougueux, dans la mesure où étant très frustré par sa situation professionnelle, il aimerait s’en affranchir en transgressant les codes dominants. Or sa participation à un faux hold-up ressemble à une opération commerciale sans risque. Le fait qu’il soit soupçonné par la police est moins le résultat d’une conduite déviante que d’une série de coïncidences. Ce point de vue tire le scénario vers le bas en l’écartant d’un film noir.
Par précaution il a enregistré sa conversation avec Barbara
Le cœur du film est une nouvelle fois l’opposition entre des gens riches, Barbara, son mari, et son secrétaire, et des pauvres, Henri et sa femme. Ce point de vue s’exprimera visuelle dans l’opposition entre le petit logement avec un petit lit du couple Barbier, et la vaste demeure des Yanakos. Barbier roule dans une voiture à bout de souffle, Barbara dans une belle Bentley rutilante. Les lieux où ces gens se rencontrent sont les restaurants, les bars ou les boites de nuit. L’appât du gain est donc le moteur efficace de la détermination d’Henri. La personne qui fait le lien entre les deux mondes c’est moins Barbara d’ailleurs qu’Odette qui non seulement vole son père mais qui manifestement trouve du charme à cette vie de semi-bohème qui est le lot d’Henri et qui voudrait bien avoir une relation sexuelle avec lui. Ce point important n’est toutefois pas développé. C’est pourtant là que les principes du roman noir de James Hadley Chase auraient été les mieux respectés. Mais ici on se contente d’évoquer l’existence de deux mondes parallèles qui ont peu d’occasions de se rencontrer et qui, quand ils le font, engendre une situation dramatique.
Henri appelle Yanakos pour lui proposer l’échange des bijoux contre de l’argent
Peu d’originalité donc dans ce scénario assez paresseux, si ce n’est l’échange des bijoux contre du liquide qui se fait dans un ascenseur bloqué pour éviter à Henri d’être reconnu. Les caractères sont très mal définis. Henri se méfie des propositions de Barbara, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi, donc quand il enregistre la conversation pour se protéger ça tombe un peu à plat. En effet on ne voit pas en quoi le fait d’enregistrer une conversation le dédouanerait auprès de la justice. De même le revirement de Yakonos se décidant à faire intervenir la police n’est pas expliqué. Il n’est pas à 25 briques près pourtant. Barbara se sert de son secrétaire Roger pour exécuter les basses œuvres, mais elle le répudie au mauvais moment justement pour s’en faire un ennemi mortel. D’autres fautes flagrantes dans le scénario apparaissent quand par exemple un vendeur du marché au puces voit que la poursuite entre Henri et Roger tourne au drame appelle la police, mais c’est le commissaire Rémy de la criminelle qui intervient sans qu’on comprenne pourquoi, normalement c’est police secours ou le commissariat du quartier qui à l’époque s’activait sur ce genre d’alerte.
Henri a bloqué l’ascenseur pour ne pas être reconnu par Yanakos
L’histoire suggère un double trio, celui qui est constitué par Barbara, Henri et sa femme Myriam, et celui qui est dessiné par Henri, Barbara et Odette. Mais malheureusement cela n’est pas précisé. On aurait pu encore signaler le trio formé par Yakonos, Barbara et Roger, le secrétaire à tout faire, mais celui là est complétement passé à la trappe. Or il est pourtant le cœur de l’histoire. La femme d’Henri fait de la figuration, elle est là puis disparait, puis revient sans qu’on comprenne quoi que ce soit à ce qu’elle ressent. Il y a une faiblesse dans la définition des protagonistes, sauf bien sur en ce qui concerne Henri. Le film est sans doute un peu bref, mais le commissaire Rémy aurait gagné à être caractérisé un peu plus profondément pour donner de la densité à l’histoire.
Yanakos s’est décidé à appeler la police
Même si le scénario comporte des défauts, il est très lisible et l’histoire se suit sans problème. La mise en scène est par contre plus problématique. Le manque de moyens se fait sentir, la photo est sombre et très mal éclairée. Les scènes de nuit sont particulièrement mal foutues. C’est la conséquence de vouloir tourner dans des décors naturels. Comme dans tout bon film noir, les décors urbains doivent parler. Ici nous avons deux sortes de décors, les bords de la Seine et ensuite le Marché aux Puces de Saint-Ouen. C’est un très bon choix. Quand Henri cherche un endroit pour se débarrasser du corps d’Odette, et que soudain un clochard surgit de dessous le pont, on a une référence directe à Chaplin dans City Lights, son chef-d’œuvre qui date de 1931. Mais l’utilisation de ces lieux n’est pas à la hauteur, le cadre est médiocre, et la perspective des quais mal assurée. Le Marché aux Puces n’est pas mieux utilisé, alors qu’il représente une forme labyrinthique extrêmement intéressante.
Odette est retrouvée morte chez Henri
Le montage est très souvent haché, les séquences manquent de fluidité. On mélange allègrement les gros plans penchés avec des plans plus larges, éloignés, sans que cela n’apporte rien de particulier. Quand Dudrumet filme la belle villa de Yakonos, c’est un peu mieux, avec plus de profondeur d’image. Il ne prend pas la peine non plus de nous montrer à l’image comment Henri se débarrasse du corps d’Odette. En fait on ne le voit pas, ce qui enlève beaucoup à la crédibilité de l’histoire. La musique de Jean Leccia c’est du jazz, comme ça se faisait à l’époque, elle n’est pas mauvaise, mais elle est souvent mal utilisée parfois elle couvre même les dialogues d’une manière assez pénible.
Le corps d’Odette a été repéché dans la Seine
Film à tout petit budget, la distribution s’en ressent. Le rôle principal est tenu par Felix Marten. Il se donne du mal pour incarner Henri, mais il n’est pas très bon. C’est un homme qui a mené une double carrière de chanteur et d’acteur. Il me semble avoir mieux réussi en tant que chanteur d’ailleurs, doté d’une belle voix grave, il donnait dans le genre crooner. Il doublait aussi Dean Martin. En tant qu’acteur, bien qu’ayant un bon physique, il était plutôt raide. Or évidemment Henri qui est au bord de la délinquance devrait être un peu plus décontracté. Il a aussi une diction qui pose problème. Derrière lui on a Magali Noel, belle femme plantureuse et fortement sexuée, elle a joué des tonnes de petits films noirs dans les années cinquante et soixante, le plus souvent à son avantage. Ici, dans le rôle de la cynique Barbara elle est plutôt éteinte. Françoise Vatel dans le rôle d’Odette donne un aspect un peu surréaliste, en effet sa toute petite taille donne un aspect étonnant à son rôle, hésitant entre la petite fille à peine adolescente et la femme adulte.
Henri vient demander des comptes à Barbara
Pascale Roberts dans le rôle de la femme d(Henri fait une brève apparition, le budget devait être trop petit pour la payer plus longtemps ! Au générique on retrouve des noms assez connus. D’abord Pierre Mondy qui a joué très souvent des rôles de commissaires ou de policiers. Ici il est le commissaire Rémy, mais il est assez transparent. Il est vrai que son rôle est étroit. Dans le rôle de Roger, le fourbe secrétaire de Barbara, il y a Daniel Ceccaldi, un très bon acteur. Jacques Dufilho et Pierre Doris sont des témoins interrogés par la police. On remarque aussi quelques acteurs de renom venu faire de la figuration intelligente, Bourvil et Daniel Gélin qui apparaissent au début du film quand Henri prend des portraits dans la rue. Les participations sans doute gratuites de ces acteurs connus à cette époque montre que Dudrumet avait des relations importantes dans le milieu du cinéma.
Yanakos est en train de mourir
On l’a compris le film n’est pas une grande réussite. Il n’est pas possible de dire ce qu’aurait pu faire Dudrumet avec un budget important. Parce que la taille du budget change tout, et en premier lieu le nombre de jours de tournage et le choix des acteurs. Dans l’échec artistique de ce film il y a aussi la responsabilité des scénaristes qui se sont révélés particulièrement paresseux. Ce film est indisponible sur le marché français et sans doute encore moins ailleurs. On n’en trouve guère que des copies d’assez mauvaise qualité sur la toile. Il est assez peu probable qu’un éditeur ait le courage de le ressortir de son anonymat, bien que les trois autres films de Dudrumet soient facilement accessibles en DVD.
Le secrétaire de Barbara vient réclamer la bande enregistrée
Henri course Roger dans le Marché aux Puces de Saint-Ouen
Tags : Jean-Charles Dudrumet, Félix Marten, Magali Noel, Pierre Doris, Daniel Ceccaldi, film noir, James Hadley Chase
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