• Edward Bunker, L’éducation d’un malfrat, Rivages, 2001

     Edward Bunker, L’éducation d’un malfrat, Rivages, 2001

    Bunker est un personnage singulier. Il a écrit quelques ouvrages de fiction dont au moins trois ont donné lieu à des transpositions à l’écran, No beast so fear a été adapté excellemment en 1978 par Ulu Grosbard sous le titre Straight time, avec pour une fois un très bon Dustin Hoffman. En 2000 Steve Buscemi avait porté à l’écran Animal factory et en 2016, Paul Schrader a réalisé Dog eat dog. Ayant eu une longue carrière de malfrat et de prisonnier, il a été aussi conseiller technique sur des films comme American heart. Il a travaillé au scénario non seulement de Straight time, mais aussi du très méconnu et très bon Runaway train de Konchalovsky. Il a fait aussi une petite carrière d’acteur, sans doute à cause de son physique particulier. On peut le voir outre dans les films auxquels il a participé en tant que scénariste, dans Reservoir dog¸ dans le rôle de Mr. Blue. Il était né en 1933 à Hollywood.

    Cet ouvrage n’est pas de la fiction, mais des sortes de mémoires. Et en les lisant, on se rend compte que ses ouvrages de fiction se sont inspiré de ses propres tribulations. Donc il s’est fait malfrat, mais sans le côté glamour de la chose. Il s’est bloqué pas mal d’années de cabane aussi. Issu d’une famille faite de bric et de broc, il va trainer rapidement de maison de redressement en centre fermé pour adolescent. Il se décrit comme enragé, sans doute victime de la dureté avec laquelle ont traité les délinquants à cette époque. Pourtant à travers toutes ces tribulations malheureuses, il va rencontrer une femme qui va l’aider : il s’agit de la propre femme du grand producteur Hal B. Wallis, Louise Fazenda, à l’époque une actrice sur le retour dont l’heure de gloire est passée. Celle-ci se prend d’affection pour Eddie, lui offre une belle machine à écrire, une voiture, l’habille de la tête au pied, elle tente de le protéger, mais rien n’y fait, entre ses propres conneries et la malchance qui le poursuit, il va vivre une vie de bâton de chaise, tout en cherchant déjà assez jeune à écrire des romans et des scénarios. C’est seulement arrivé à la quarantaine qu’il va réussir à se faire éditer, et ses livres auront du succès. Il n’en a écrit que sept.

    Entre temps il aura connu un peu tout, les casses, les arnaques en tout genre, le jeu, mais aussi la dope. Sans être un accro, il va se shooter assez régulièrement, fréquenter tout ce qui est infréquentable, les putes et les drogués, les voyous sans beaucoup d’envergure il faut bien le dire. Ses mémoires sont très intéressantes, bien que la vie d’un truand, ce soit toujours un peu le même chose. Mais pour nous qui nous intéressons au crime, il y a dans les mémoires de Bunker une sorte d’analyse historique sur ce que c’était la truanderie du temps de sa jeunesse. Par exemple, les relations entre noirs et blancs étaient moins frontales à l’intérieur des prisons. Ou encore l’appareil judiciaire était bien plus féroce que de nos jours, que ce soit en ce qui concerne les enfants ou en ce qui concerne les agents de probation qui faisaient régner une terreur cruelle sur les malfrats qui tombaient dans leur filet.

    Mais Bunker est aussi un homme de goût, en dehors de la littérature qu’il dévorait, il aimait le jazz. Art Pepper, Sarah Vaughan et d’autres encore. Art Pepper, drogué jusqu’aux sourcils et lui aussi malfrat d’occasion quoique saxophoniste génial. La relation qu’il a entretenu avec Louise Fazenda laisse perplexe. Non pas qu’elle se soit passée sur le plan sexuel, mais plutôt que celle que Bunker appelait Maman a rapidement perdu la tête, distribuant son argent tout autour d’elle sans trop d’attention. Mais surtout parce que Bunker laisse entendre que finalement elle lui a donné des goûts de luxe et l’a confirmé qu’on pouvait vivre sans travailler. Cependant de cette relation étrange, il tire des pages très émouvantes quand on sent Louise qui commence à déraisonner. 

    Edward Bunker, L’éducation d’un malfrat, Rivages, 2001 

    Louise Fazenda que Burke appelait Maman 

    Rebelle de naissance, Edward Burke va se heurter naturellement aux institutions, et notamment à la partie psychiatrique qui doit définir qui est fou et qui ne l’est pas, et qui en même temps va user de méthodes nazies – c’est le mot que Burke emploie – pour soi-disant traiter les malades, mais en réalité, il s’agit de les faire tenir tranquilles par tous les moyens, cachets, électrochocs, camisole de force. Bunker va se retrouver à Folsom, sans doute la prison la plus dure de Californie où les gardiens ont quasiment un droit de vie et de mort sur les prisonniers. A la fin des années soixante, il va assister au développement de la révolte des prisonniers noirs. Son vécu le laisse perplexe, il présente d’ailleurs George Jackson comme un imbécile et Angela Davis comme une militante communiste qui se laisse intoxiquer par ses propres principes politiques plus ou moins marxistes et qui était recherchée par le FBI pour avoir fourni des armes à Jackson. Le mensonge a été de présenter Jackson et ses amis comme des prisonniers politiques, alors que c’était des délinquants ordinaires, une technique aujourd’hui bien rodée, mais à l’époque assez inédite. C’est en effet à partir des prisons que la révolte des noirs a pris une allure insurrectionnelle. Pour Bunker en développant un racisme anti-blanc très violent, les prisonniers afro-américains se trompent de cible, et leur combat est condamné à l’échec. La violence qu’il décrit a disparu aujourd’hui, et à ce titre on peut dire que les Etats-Unis ont réalisé à la fin des années soixante une véritable révolution culturelle, même si tous les problèmes raciaux sont loin d’avoir disparus. La spécificité des prisons américaines qu’a fréquenté Bunker, c’est que les blancs y étaient encore majoritaires par rapport aux noirs et aux Chicanos, alors qu’en France c’est la population d’origine immigré qui y est le plus largement représentée. Tout le passage sur Folsom est superbement écrit et terrible.

     Edward Bunker, L’éducation d’un malfrat, Rivages, 2001 

    Angela Davis donnant une conférence de presse peu après son arrestation 

    Mais c’est vers ce moment que Bunker va connaitre la rédemption si je puis dire, il n’a en effet jamais cessé d’écrire. C’est cette voie qu’ont suivie les taulards qui se sont recyclés, comme Alphonse Boudard ou José Giovanni en France. Et finalement après des multiples refus, il va être édité. Il aura du succès et ses ouvrages seront adaptés à l’écran. Il a eu le temps de méditer sur le style. Comme tous les autodidactes, il développe un style très direct sur lequel le fond semble primer sur la forme. C’est un style sec de conteur, quelqu’un qui a l’habitude de raconter des histoires, et quelqu’un qui en a beaucoup entendu aussi. Il y a cependant beaucoup de drôlerie et de dérision, comme une méditation sur la vanité de ceux qui poursuivent un but dans l’existence. Ce style correspond aussi bien à une volonté de transmettre qu’à une volonté de méditer sur sa propre condition. Bref on ne peut rien y faire, Bunker est un personnage particulièrement sympathique qui mérite d’être lu.

     Edward Bunker, L’éducation d’un malfrat, Rivages, 2001 

    Edward Bunker fait l’acteur sur Runaway train en 1985


     

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