• J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

     J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Robin Davis aime le roman noir et le film noir. Il a donc adapté, I Married a Dead Man en 1983, certainement en connaissant le film de Mitchell Leisen avec Barbara Stanwyck. C’est donc un remake, et comme on va le voir la trame est à peu près la même. Mais évidemment quand on veut faire un remake, il faut se demander pourquoi, et en quoi cela peut être intéressant. Il est très rare que les remakes soient aussi intéressants que leur modèle. La première justification peut être de vouloir en faire un film français, mais ce dépaysement pose toujours pas mal de problèmes, puisqu’en même temps on doit aussi respecter l’œuvre initiale. Les changements de lieux initient très souvent une transformation des personnages. À cette époque Robin Davis avait une très bonne cote. Il avait fait en 1979 La guerre des polices qui avait été un très gros succès et puis Le choc en 1982 avec Alain Delon et Catherine Deneuve, d’après un roman de Jean-Patrick Manchette. Contrairement à ce que certains malveillants ont dit, Le choc ne fut pas un échec au box-office, certes la critique avait été mauvaise, mais le public a suivi, même si ce ne fut pas un triomphe pour Alain Delon qui produisait le film. Par contre suite à J’ai épousé une ombre, il tentera une adaptation d’un superbe roman de Charles Williams, Hit Girl. Il avait essayé de faire un film simple, sans vedette. Ce film où les acteurs principaux étaient Florent Pagny et Nathalie Cardone, deux chanteurs de variétés, fut un vrai four. Sorti nulle part, il en a existé une copie qu’en VHS, et je ne l’ai découvert que récemment ! Cet échec commercial sonnera malheureusement le glas de la carrière cinématographique prometteuse de Robin Davis qui se rabattra sur la télévision pour continuer à faire son métier. Il avait été longtemps l’assistant de Georges Lautner qui selon moi n’a jamais eu grand-chose à dire sur le plan de la réalisation, et c’est sans doute là qu’il avait pris cette manière de viser un cinéma populaire dont le « noir » était le véhicule idéal. Ce segment, florissant sans les années soixante-dix et quatre-vingts, sera bientôt abandonné plus par les producteurs eux-mêmes, influencés par une critique « nouvelle vague »[1], que par le public d’ailleurs. Et c’est pour partie une des explications de la dégringolade du cinéma français aussi bien sur le plan commercial – les films français ont de grosses difficultés sur le marché international, alors que jusque dans les années quatre-vingts, le cinéma français était le deuxième à l’exportation – que sur le plan esthétique – on n’arrête pas de se lamenté sur la médiocrité du cinéma français, assis entre deux chaises – la volonté de faire des comédies stupides pour remplir les caisses et celle de faire un cinéma emmerdant, censé s’adresser à un public semi-instruit. Les films de Bob Swaim, La nuit de Saint-Germain des Prés, La balance, ou d’Alain Corneau, Police Python, La menace ou encore Le Choix des armes, marchaient très bien et se diffusaient facilement à l’étranger. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Frank va se séparer d’Hélène qui est enceinte de huit mois 

    Dans les régions de l’est de la France, Frank est un ouvrier sans travail à la recherche d’un emploi, dans la difficulté, il décide de se débarrasser d’Hélène, sa fiancée, qui est enceinte de huit mois. Désespérée elle prend un train pour Bordeaux. Pendant le voyage elle se lie d’amitié avec un jeune couple, Patricia et Bertrand Meynard. La femme est aussi enceinte de huit mois. Mais le train à un accident, et quand Hélène se réveille, elle est à l’hôpital où elle a accouché par césarienne d’un petit garçon. Comme les Meynard sont décédés tous les deux, elle va prendre sans le vouloir la place de Patricia. Les parents de Bertrand qui n’ont jamais connu Patricia, viennent la voir et l’adoptent comme leur belle-fille, ils s’en sentent responsables ainsi que du bébé. Les Maynard sont de riches vignerons du bordelais, ils aont également un autre fils, Pierre, qui travaillent avec eux, et bien qu’il ait une liaison avec une ouvrière embouteilleuse, il commence à s’intéresser à Patricia. Elle l’intrigue aussi parce qu’elle fait beaucoup de fautes et qu’elle paraît un petit peu louche. Quand Pierre lui offre un stylo, elle signe malencontreusement Hélène en l’essayant ! 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Dans le train Hélène se lie avec les Meynard 

    Les choses vont se compliquer parce que Fifo qui comprend que Pierre est attiré par Patricia, est jalouse. Lorsque Patricia commence à recevoir des billets anonymes, lui demandant qui elle est, elle pense que c’est Fifo qui les lui envoie, mais celle-ci se disculpe facilement. Près une période de chamailleries, Pierre et Patricia entame une liaison. Ce bonheur est toutefois troublé parce que Madame Meynard veut la coucher sur son testament, ce qu’elle refuse. Mais bientôt, c’est Frank qui réapparait. Il explique à Hélène comme il l’a retrouvée. Il exige d’elle de l’argent. Hélène refuse, mais Frank continue à exercer son chantage sur la mère Meynard, lui révélant l’usurpation d’identité. Quant Hélène apprend cela, elle donne rendez vous à Frank et le tue d’un coup de poignard. Pierre va l’aider à dissimuler le corps. La mère Maynard, sur son lit de mort, dicte une lettre à son notaire pour prendre le meurtre de Frank à sa charge, et dédouaner Hélène. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Les secours arrivent pour tenter de sauver les passagers 

    Si donc la trame est la même, le film de Robin Davis va faire plusieurs déplacements très importants. D’abord Frank, contrairement au Stephen de No Man for Her Own, n’est pas un voyou d’habitude. Certes c’est un salaud, mais il a comme excuse qu’il est dans une situation difficile, un ouvrier sans emploi. Sa malignité s’explique par sa situation matérielle. Et après tout, on peut comprendre qu’il est jaloux de la jeune femme qu’il a répudiée méchamment. Contrairement à Stephen, il est plutôt dans une situation d’échecs à répétition, et il semble chercher les ennuis. Il les trouvera. Il trimbale avec lui une haine de soi, parce qu’il fait tout pour être rejeter par à peu près tout le monde. Stephen sera en fait tué par une autre de ses maîtresses qu’il a abandonnée. Ici c’est Hélène qui le tuera. Ce qui change en même temps le caractère de l’héroïne puisqu’elle ira jusqu’au meurtre. L’autre changement important, c’est l’introduction d’une autre maîtresse de Pierre cette fois. Dans le film de Mitchell Leisen, William, l’amoureux d’Helen, n’a pas de relation autre qu’avec elle. Avec le personnage de Fifo, le trio traditionnel reconstitué, déplace le problème vers la question de la jalousie, Hélène elle-même va être jalouse de Fifo, et toutes les deux se disputent les faveurs de Pierre. Cette lutte entre femmes édulcore un peu le propos à mon sens. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Hélène tente de s’enfuir de la clinique 

    Il y a un déplacement aussi du statut des beaux-parents. Certes, ils sont assez riches, mais ce sont des vignerons, ils n’ont pas un statut équivalent aux Harkness qui sont richissimes et sophistiqués, ce ne sont pas des paysans. en dressant le portrait des Meynard c’est l’idée d’une opposition frontale entre les riches et les pauvres qui va disparaître. On verra ainsi Pierre Meynard, non seulement prendre une simple ouvrière comme maîtresse, mais aussi se mêler aux gitans qui participent à une fête de vendangeurs. Si Frank apparaît moins mauvais, relativement, que Stephen, Pierre est beaucoup moins déterminé que William dans la volonté de sauver Hélène. Il l’aide en effet à se débarrasser du corps, mais ce n’est pas lui qui jetterait un cadavre sur la voie de chemin de fer ! Ce parti prix amène Robin Davis à ne faire intervenir le maître-chanteur que dans le dernier tiers du film, alors que dans le film de Mitchell Leisen, Stephen arrive au beau milieu du récit. Ce qui prive Robin Davis d’éléments de suspense importants. Du coup il a éliminé ce passage où le maître-chanteur oblige Helen a se marié avec lui. Sans doute a-t-il pensé que cette hypothèse était trop irréaliste, ce qui est vrai, mais du coup ça diminue la tension, et le contraint à régler son compte bien trop rapidement à Frank. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Hélène est accueillie à la propriété des Meynard 

    Un scénario, ce sont toujours des choix difficiles. En gonflant un peu la romance entre Pierre et Hélène, il donne moins d’importance à la maladie de cœur de la vieille madame Meynard. Cela distant, à mon sens, les liens affectifs entre Hélène et sa belle-mère. On trouvera encore quelques, incongruités, par exemple Pierre et Hélène qui vont vendre le vin de la propriété sur les marchés au milieu des vaches ! Il est très douteux que de riches vignerons bordelais aient procédé un jour ainsi. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Pierre choisit un stylo pour Patricia 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Fifo est jalouse de Patricia  

    Il y a tout de même de l’inventivité dans la mise en scène. D’abord le choix des lieux. Contrairement au film de Mitchell Leisen, il ne semble pas qu’il y ait des scènes tournées en studio, sauf peut-être la chambre à l’hôpital. Robin Davis plante particulièrement bien les décors, d’abord la région industrielle de l’Est de la France, avec ses usines, ses nuisances et sa désespérance, puis le bordelais, apparemment plus calme et reposant, magnifiant ainsi l’opposition entre les villes et les campagnes. La plus grande partie du film a été tournée au Château Pontet-Canet, grand cru classé depuis 1855, aujourd’hui 5ème cru classé, dont les bouteilles se vendent aujourd’hui très cher. La photo de Bernard Zitzerman aide beaucoup, surtout quand Robin Davis filme le travail des ouvriers ou celui des vignerons. Pour le reste la réalisation est soignée, et il utilise très bien les larges plans qui saisissent dans un même mouvement des ensembles de personnes, comme la famille par exemple. Le film est assez long, il dure quinze minutes de plus que celui de Leisen, ce qui veut dire, étant donné que l’histoire n'est pas plus dense, que le rythme sera plus lent. Robin Davis a abandonné l’idée d’un flash-back, sans devait-il se dire que cela ferait un peu vieillot, mais ce faisant, il se prive de personnaliser le récit à partir d’Hélène et de ses ressentiments. Des scènes comme la balade sur l’eau de Pierre et Hélène me semblent aussi un peu longuettes. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Patricia entame une liaison avec Pierre 

    L’interprétation est plus problématique, même si Robin Davis n’est pas un mauvais directeur d’acteurs. Certes ce sont des acteurs français qui étaient en train de se faire un nom, mais Nathalie Baye, ce n’est pas Barbara Stanwyck. Dans le rôle d’Hélène, rôle qui a fait beaucoup pour le développement de sa carrière, je la trouve un peu sautillant, elle surjoue beaucoup. Francis Huster dans le rôle de Pierre est toujours aussi pâlichon et peu crédible qu’à l’ordinaire. Richard Bohringer joue le salopard de service, Frank. Curieusement il n’a pas beaucoup de temps de pellicule, et surtout, il ne s’applique pas beaucoup, comptant manifestement sur sa présence à l’écran et sur son charisme. Madeleine Robinson qui fut une très grande actrice, est ici la vieille madame Meynard. Robin Davis a dû l’apprécier parce qu’il la retrouvera sur son film Hors-la-loi. Elle a toujours une forte présence, et elle avait une longue habitude du film noir. Victoria Abril est aussi très excellente dans le rôle de la prolétaire hargneuse et vindicative, elle a beaucoup d’abattage, elle avait alors seulement 21 ans, mais déjà beaucoup de charisme avant d’aller se perdre chez Almodovar. Véronique Genest dans le rôle de la vraie Patricia Meynard est aussi très bien, malheureusement elle disparait rapidement, accident de train oblige. Mais malgré ces remarques la distribution reste tout de même assez homogène. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Frank révèle à Madame Meynard que Patricia a usurpé l’identité 

    Le film a plu, non seulement à la critique, mais aussi au public. C’est je crois le plus gros succès de Robin Davis. L’ensemble est agréable à regarder et n’a pas trop vieilli en tous les cas il n’y a rien de déshonorant, comme dans Mrs Winterbourne, autre remake de No Man for  Her Own. Il existe depuis quelques 2022 une bonne version en Blu ray, mais auparavant il avait souvent été réédité en DVD. 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983

    Hélène tue Frank 

    J’ai épousé un ombre, Robin Davis, 1983 

    Sur son lit de mort la mère Meynard disculpe Hélène du meurtre de Frank

      



    [1] Cette critique laissait entendre que le cinéma de genre était synonyme de cinéma commercial et non de cinéma d’auteur. On est revenu de cette sorte de débilité aujourd’hui, mais cette tendance a durablement bouleversé le cinéma français.

     

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