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Mathieu Delaporte & Alexandre de La Patellière, Le comte de Monte Cristo, 2024.
J’ai mis beaucoup de temps pour regarder ce film, j’avais comme un a priori, l’acteur possède un physique qui ne me plait pas, cette version est la vingt-quatrième au cinéma, et on compte aussi une bonne douzaine d’adaptations pour la télévision, la dernière est italienne et date de 2024, comme le film de Delaporte et de La Patellière qui a connu un succès énorme. Même Depardieu, grand amateur de biopics moisies, a interprété le Comte de Monte Cristo pour la télévision. C’est dire si c’est bien peu original. Je me suis donc obligé à regarder ce film, histoire au moins de comprendre quels ont été les ingrédients de son triomphe, car il ne suffit pas d’adapter un grand roman pour en faire automatiquement un succès, l’échec récent de l’adaptation des Trois mousquetaires, autre roman célèbre d’Alexandre Dumas, par Mathieu Bourboulon est là pour le vérifier. Le roman d’Alexandre Dumas, sans doute l’un de ses meilleurs, est arrivé à toucher le public du monde entier, est presque aussi célèbre que Les Misérables de Victor Hugo qui compte 38 adaptations cinématographiques et une douzaine d’adaptations télévisuelles, plus quelques comédies musicales, sans parler des pièces de théâtres. Que ce soit dans le cas du Comte de Monte Cristo, ou dans celui des Misérables, les adaptations sont internationales, étatsuniennes, italiennes, russes ou encore en langue espagnole. On notera que ce genre d’entreprise ressort aujourd’hui plutôt de l’esprit de système. Ce sont en effet les mêmes Chapter 2 et Pathé, qui ont produit Les trois mousquetaires de Mathieu Bourboulon Le comte de Monte Cristo, et ce sont dans les deux cas Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière qui en ont conçu le scénario. L’idée est de ne pas prendre de risque en écrivant un scénario original, mais de vampiriser une œuvre très connue qui a fait ses preuves dans le commerce des images animées. L’énorme succès du Comte de Monte Cristo compensera et au-delà le bouillon des Trois mousquetaires. L’histoire du Comte de Monte Cristo est une superbe histoire de vengeance, de souffrance et de mort. Un jeune marin marseillais, promis à un avenir brillant, va devoir faire face à une coalition de jaloux qui pour des raisons diverses veulent sa peau. Ayant échappé à leur vindicte, il mettra en place une vengeance diabolique.
Je ne vais pas résumer l’intrigue du film, tout le monde la connait. Ce qui frappe dans cette énième mouture, c’est que les scénaristes qui sont aussi les réalisateurs, se pensent plus malins qu’Alexandre Dumas et corrige son histoire sans vergogne. Je ne vais pas faire la liste de toutes ces « corrections » toutes plus inutiles les unes que les autres, on y passerait la nuit. Il y en a plusieurs majeures cependant. D’abord le cadre marseillais de l’histoire, ce qui lui donnait son cachet, n’est pas respecté. Et donc alors que Mercédès dans le roman vit sa vie essentiellement à Marseille, on la voit dans un immense château, puis galoper dans une plaine qui ne ressemble en rien à la Provence ou aux abords de Marseille. Ensuite tous le contexte historique et politique de l’histoire est complètement gommé, or c’est bien celui-ci qui explique l’opportunité que les conspirateurs saisissent pour se débarrasser d’Edmond Dantès. Également à la fin quand Edmond Dantès repart sur son bateau, dans le roman c’est un départ sans retour, alors que le film reste ouvert sur la possibilité qu’Edmond Dantès et Mercédès se retrouvent un jour. Or la logique veut qu’Edmond Dantès en vérité ne peut pas admettre la trahison de Mercédès. C’est une faute de sens, parce que si elle n’est pas l’instigatrice de la trahison, elle s’est rabaissée à ses yeux en épousant Morcerf.
Edmond Dantès a retrouvé Mercédès et galope avec elle dans la campagne
C’est un film cher pour une production française, 39 millions d’euros, et une grande partie du budget est passé dans les reconstitutions luxueuses et le dépaysement du tournage dans des tas de lieux divers et variés, un peu partout en France et aussi à Malte et en Espagne. Malgré ces moyens colossaux, les réalisateurs se découvrent incapables d’utiliser correctement le Château d’If qui est pourtant par son décor unique la clé de toute l’histoire. C’est en effet en s’évadant astucieusement de son cachot que Dantès va changer radicalement de monde et de caractère. Ici c’est à peine si Dantès fait un plongeon un peu hardi dans la Méditerranée. Pour la demeure du Comte de Monte Cristo, on a choisi un château très propret, mais modifié bêtement par des effets numériques superflus, ce qui fait que du coup le château est vidé de son caractère singulier et ressemble presque à un cauchemar d’architecte moderne.
Le jour de son mariage, Edmond Dantès est arrêté
Le roman est un gros roman, il se passe énormément de choses, mais ici malgré les simplifications, ça traine en longueur, le film dure près de trois heures, et à mon sens il y a une bonne heure de trop. Ce qui nous entraine vers un rythme lent et languissant. Paresseusement, le scénario joue d’ellipses incongrues, marquées par des cartons qui nous disent, dix ans après ou un an plus tard. Le rythme n’est pas bon, les personnages secondaires apparaissent et disparaissent intempestivement, sans qu’on sache d’où ils viennent, ni où ils vont. On ne comprend pas non plus pourquoi le Comte de Monte Cristo a pris Haydée sous son aile.
Edmond Dantès passera des années seul dans sa cellule du Château d’If
Le film est saturé d’anachronismes. Déjà voir une partie de poker dans la première partie du XIXème siècle est plutôt curieux, meme si on sait que ce jeu a été introduit vers cette époque. Mais plus encore les dialogues sont bien trop modernes, trop peu policés pour nous faire croire que nous sommes dans les années 1810-1830 dans un milieu d’aristocrates et de riches parvenus. C’est aggravé par le choix des acteurs dont la voix et la diction est assez insupportable, mais surtout dont le physique est complètement anachronique, je pense notamment au malheureux Vassili Schneider qui incarne avec des petites bouclettes un jeune précieux qui ressemble à un étudiant de Sciences Po ! Sur le plan technique, c’est très mauvais, avec des cadres aléatoires qui font entrer et sortir les protagonistes de l’image d’une manière plutôt bizarre. La photo est assez laide, mais cela est aggravé encore par les mouvements de caméra à contretemps ou parfois par l’utilisation de la grue qui permet de saisir l’action depuis le plafond !
Avant de mourir l’abbé Faria va lui indiquer comment récupérer son trésor
Les réalisateurs ne maitrisent pas la grammaire du cinéma, alors ils tentent des mouvements de caméra, ou des effets de montage sans trop savoir quand on doit faire un plan large ou un plan rapproché. Outre l’effondrement technique de la réalisation, on remarque que les acteurs sont outrancièrement maquillés, je passe sur les fausses barbes et les perruques qui semblent vouloir se décoller à tout moment !
De retour en France, le comte de Monte Cristo réunit autour de lui ceux qui l’ont fait souffrir
Les acteurs sont presque tous mauvais, à commencer par Pierre Niney qui incarne Edmond Dantès et qui semble être atteint d’un zona de la face. Il parait que c’est l’acteur le plus doué de sa génération ! Il est doté d’un physique assez peu avantageux, mais surtout il est assez inexpressif, comme s’il avait des difficultés d’élocution. Anaïs Demoustier est Mercédès. Elle est complètement sinistre, maquillée à la truelle pour masquer ses boutons, elle parait être la mère de ce malheureux Edmond Dantès et non sa promise. Si Laurent Laffitte s’en tire à peu près dans le rôle de Villefort, l’interprétation de Bastien Bouillon dans le rôle de Morcerf est catastrophique et outrancière, avec ou sans perruque.
André de Villefort dénonce son père en plein tribunal
Je me suis infligé ce pensum pour tenter de comprendre l’engouement du public pour cette fantaisie, j’ai clairement échoué. Je n’ai pas compris comment ce film a pu obtenir autant de bonnes critiques et pourquoi le public l’a applaudi, alors que manifestement Les trois mousquetaires produit par les mêmes personnes et suivant le même schéma a été relativement boudé. Je trouve ce produit plutôt laid, sans grâce. Ma diatribe passera évidemment inaperçue et n’entravera pas la marche en avant de ce succès. Je me souviens que dans ma jeunesse on critiquait vertement les films de cape et d’épée d’André Hunebelle qui faisaient des millions d’entrées. En 1955, ce cinéaste très oublié aujourd’hui avait réalisé lui aussi un Comte de Monte Cristo, avec une grande vedette de l’époque, Jean Marais. La critique n’était pas tendre avec ce film, disant que c’était du simple commerce, au mieux un spectacle pour les enfants. Mais je ne vois vraiment pas ce que le film de Delaporte et de La Patellière possède de plus, à mon sens il est moins bon parce que trop prétentieux.
Albert de Morcerf a provoqué le comte en duel
Comme je l’ai dit en commençant ce petit billet d’humeur, il y a bien d’autres adaptations de ce magnifique ouvrage d’Alexandre Dumas. Si on peut se passer facilement de la série avec Depardieu qui est franchement laide, on peut toujours voir celle de Claude Autant-Lara tourné en 1961 avec l’excellent Louis Jourdan dans le rôle d’Edmond Dantès et la superbe Yvonne Furneaux dans celui de Mercédès.
Un duel s’engage entre Morcerf et Edmond Dantès
Tags : Mathieu Delaporte, Alexandre de La Patellière, Pierre Niney, Alexandre Dumas
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