• Jean Meckert, Chez les anarchistes, Joseph K, 2021

     Jean Meckert, Chez les anarchistes, Joseph K, 2021

    Jean Meckert est plus connu sous le nom de Jean Amila ou de John Amila pour ses récits publiés à la Série noire, c’est-à-dire par une production littéraire et scénaristique qui fait dans le « noir ». Frank Lhomeau fait partie de ceux qui s’efforcent de le faire mieux connaître et donc de rééditer des textes difficiles à trouver. Bien que Jean Meckert ait été rapidement reconnu comme un grand romancier, bon styliste, pour son ouvrage Les coups publié par Gallimard en 1941, à la Libération il végète et se retrouve dans le camp de ceux qui trouvent que les espoirs mis dans la fin de l’Occupation ont été déçus. C’est un homme du peuple dont il connait et partage l’existence précaire et dont il parle la langue. Lhomeau a rassemblé des textes très peu connus tirés de revues. Essentiellement il y a ici des articles issus de Essor, journal destiné aux étudiants, et issu de la section jeune de de l’OCM, organisme de la Résistance à laquelle Jean Meckert participera. Mais cette revue qui avait essayé de persister au-delà de la Libération ne put guère fonctionner au-delà. La table ronde eut un peu plus de succès en devenant d’ailleurs une maison d’édition qui devint le réceptacle d’une partie de la droite anciennement collaborationniste, éditant notamment Antoine Blondin, Roger Nimier, Paul Morand et quelques autres qui avaient échappé à l’épuration. Son but était de concurrencer Les temps modernes, la revue de Sartre, en prenant des positions ouvertement anticommunistes. 

    Jean Meckert, Chez les anarchistes, Joseph K, 2021 

    Mais peu importe les supports, même si Essor semble plus naturel que La Table Ronde pour Jean Meckert, le ton est celui de la littérature prolétarienne. Les articles d’Essor sont plutôt des reportages et des sortes d’entretiens, et les textes de La Table Ronde des courtes fictions. On y a ajouté quelques textes égarés ici et là. L’ensemble est passionnant. Les articles d’Essor sont tout à fait dans la lignée de la littérature prolétarienne. Le sujet est le petit peuple travailleur et ses difficultés. Il y a une attention particulière donnée aux femmes prolétaires ou aux femmes de prolétaires. Mais l’intérêt va au-delà du sujet. Le style est direct et plaisant, sobre. Il y a une volonté de montrer sans fioriture, sous une lumière crue, mais sans trop d’apitoiement non plus. Meckert donne la parole à des gens qui généralement ne l’ont pas pour qu’ils expriment avec leurs mots et leur sensibilité ce qu’ils pensent et comment ils se voient dans une société qui leur est hostile. C’est une esthétique au fond différente de celle du naturalisme. C’est une plongée dans l’existence matérielle des petites gens à la Libération, avec les déceptions que celle-ci à engendrées quand on s’est rendu compte que pour reconstruire le pays on allait à nouveau reconstruire une hiérarchie arrogante fondée sur le pognon, mais aussi beaucoup connaissent la maladie du fait des mauvaises conditions de vie. La banlieue est présente comme une forme d’espérance mais aussi de relégation à la périphérie. Dans La maison paternelle, Meckert montre à travers le portrait d’une toute jeune fille comment le patron sous couvert de religiosité exploite une jeunesse désemparée. Meckert a toujours sur le plan politique navigué entre anarchisme et communisme façon PCF. Sa peinture de SPECTRES est à la fois ironique et d’une grande méfiance vis-à-vis des dérives sectaires de certains anarchistes. 

    Jean Meckert, Chez les anarchistes, Joseph K, 2021

    Aubervilliers, 1946 

    Comme beaucoup d’écrivains prolétariens, Meckert rend un hommage appuyé à Zola qui a été un maître pour eux, même si tout le monde savait qu’elles étaient ses origines bourgeoises. Ce texte prend le contrepied du discours de Céline que celui-ci avait prononcé juste après son prix Renaudot pour Voyage au bout de la nuit et qui s’intitulait Hommage à Zola et où, au contraire, il marquait toute sa différence d’avec l’auteur des Rougon Macquart[1].  Toute la différence entre Meckert et Céline, est que le premier vient du petit peuple de Paris et le second de la bourgeoisie boutiquière. Il y a aussi un texte très intéressant sur l’affaire Dominici, publié à l’origine dans France Dimanche, une sorte d’introduction à l’ouvrage que Meckert écrira un peu plus tard, avec un regard fraternel sur le monde paysan qui aujourd’hui n’existe plus[2]. Notez que Jean Giono qui écrira lui aussi un petit ouvrage sur l’affaire Dominici était un des fondateurs de la littérature prolétarienne[3]. 

    Jean Meckert, Chez les anarchistes, Joseph K, 2021 

    Il ne faudrait pas croire que cet ensemble est fait des rebuts de l’œuvre de Meckert. Il a une autonomie propre et un style bien affirmé. Curieusement il y a beaucoup d’humour, ce dont les romans de Meckert-Amila sont le plus souvent dépourvu. Cette ironie est maniée comme une arme, même si elle masque assez mal le désespoir. Les petites nouvelles publiées à La Table Ronde sont tout aussi criantes de vérité que les petits reportages publiés dans Essor. Ça sent le gaz traite de la solitude et de la tentation du suicide. Curieusement, après la Libération le taux de suicides en France avait brusquement remonté, laissant perplexe un peu tout le monde. Mais Meckert rassemble des témoignages qui laissent entendre que les conditions de salaire et d’emploi s’était fortement dégradées à la Libération par rapport à ce qu’elles étaient avant l’Occupation – Sautez sur le client.

    Cet excellent petit ouvrage ravira aussi bien les admirateurs de Jean Meckert ou de Jean Amila que ceux de la littérature prolétarienne.



    [1] Louis-Ferdinand Céline, « Hommage à Zola », Céline et l’actualité littéraire 1932-1957, Cahiers Céline, no1, 1976. En 1933, à Médan, Céline prononça ce discours, le seul de sa carrière littéraire. Robert Denoël en publie le texte en 1936, dans une plaquette : Apologie de Mort à crédit.

    [2] La tragédie de Lurs, Gallimard, 1954.

    [3] Notes sur l’affaire Dominici, Gallimard, 1955.

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