-
L’enquête mystérieuse, The frightened city !, John Lemont, 1961
La première chose que nous devons admirer dans ce film noir anglais c’est l’affiche originale du film. La femme sort du lot et domine par sa taille, comme une géante, un ensemble masculin occupé à se disputer, armes à la main. Le décor est urbain, donc par nature hostile, plongé dans une nuit bleutée. Plus bas, une autre femme tient un homme dans ses bras, sans qu’on sache très bien si elle le menace ou si elle veut le protéger. C’est aussi un des premiers rôles importants de Sean Connery, juste un peu avant James Bond. Le sujet du film est proche de ce que feront les Italiens avec le poliziottesco. Bien entendu avec une autre approche sur le plan cinématographique, le cœur du film sera la question de l’application de la loi pour combattre le crime organisé. John Lemont n’est pas connu, et il n’y a pas de raison de vouloir le connaître. Il a très peu tourné de films, et s’est consacré plutôt à la télévision pour laquelle au fond il était fait. On ne peut pas dire que sa technique soit éblouissante, c’est même l’inverse. Ce film serait bien oublié sans la participation de Sean Connery. Il faut cependant le regarder comme un exemple de ce que le cinéma anglais – à l’époque on ne disait pas britannique – disait de la pègre londonienne, notamment en la présentant comme une émanation de l’étranger. Dans les années soixante-dix on trouvera la même chose dans le poliziottesco qui ponctuellement tentera de montrer que la pègre italienne est sous la coupe des Français, ou plutôt des Marseillais !
Les racketteurs veulent faire payer les commerçants
Le racket des boites de nuit, des bars et des restaurants de Londres prend des dimensions qui préoccupent l’inspecteur Sayers. Mais il pense que tant que les gangs ne sont pas organisés, les dégâts seront limités. Mais Zhernikov, un financier un peu véreux a justement l’idée de créer un syndicat. Il va passer par l’intermédiaire de Foulcher, un propriétaire de boîte de nuit, pour les réunir. Tout marche bien selon les plans de Zhernikov, en outre celui-ci place Anya sa protégée dans la boîte de nuit de Foucher à la place de Sadie. Celle-ci est la fiancée du casseur Damion. Damion travaillait comme monte-en-l’air avec Wally qui, à cause d’un accident de travail, ne peut plus travailler. Foulcher va engager Damion comme encaisseur, il a des réticences, mais il a besoin d’argent pour tenter de faire soigner Wally. Rapidement la police repère les agissements de Damion, mais Sayers ne veut pas le faire arrêter, non seulement parce qu’il n’a pas assez de preuves, mais aussi pour tenter de comprendre qui se trouve à la tête de l’organisation. Zhernikov a d’autres ambitions. Il veut racketter des grosses entreprises en provoquant des retards ruineux. Ça marche encore, mais Alf Peters ne veut pas suivre ce mouvement. Il veut se désengager du syndicat. Cela va déclencher une guerre féroce. Entre temps Damion a connu la belle Anya et délaisse Sadie. Anya est en réalité l’espionne de Zhernikov. Celui-ci va rencontrer Damion et tenter de le gagner à sa cause pour éliminer Peters. Mais Anya va vendre Damion à la police, Sayers l’arrête et le met en taule pour avoir racketter des commerçants. En taule où il se morfond, Damion reçoit la visite de Wally qui l’enjoint de laisser tomber Foulcher. Avec la complicité de la police, Damion va s’évader. Il contacte Sadie pour qu’elle l’aide et va régler ses comptes avec Zhernikov. Il va finir par tuer Foulcher dans une bagarre farouche et provoquer l’arrestation de Zhernikov, ce qui lui vaudra les félicitations de la police !
Sur les conseils de Zhernikov, Foulcher réunit les gangs de Londres
Le premier problème rencontré par ce film est la logique du scénario. Celle-ci s’épuise dans son incapacité à ne pas choisir son point de vue, ça démarre sur les difficultés de la police qui est entravée par la loi, puis ça dérive sur la mise en place d’un syndicat du crime et les guerres intestines qui le mine, et enfin sur le portrait d’un casseur qui veut finalement se tenir à l’écart d’une logique collective manipulatrice. Cet éclatement fait que beaucoup de choses vont rester dans l’ombre. Si on comprend Zhernikov dans sa logique de devenir le roi de Londres, il est plus difficile de comprendre pourquoi Alf Peters se rebelle et se lance dans une guerre de gangs. De même on ne comprend pas pourquoi Damion tout d’un coup se transforme en auxiliaire de la police. Qu’un cambrioleur de métier mette en jeu sa réputation pour se faire délateur n’est pas dans la morale du personnage. La question de l’évasion de Damion peut s’expliquer par la nécessité de ne pas trop rallonger la sauce dans un film à petit budget. Malgré cet éclatement, et sans doute bien malgré les intentions du réalisateur, il ressort que le personnage le plus intéressant à suivre est celui de Damion. Non pas parce que c’est Sean Connery qui l’incarne, mais parce que c’est le seul qui soit véritablement ambigu. Il hésite entre deux femmes, l’une plus fidèle et plus popote, et l’autre plus sulfureuse qui transpire la sexualité par tous les pores. C’est une sirène ! Et d’ailleurs elle chante pour prendre dans ses filets les malheureux qui passent à sa portée. Damion a d’ailleurs d’autres hésitations, travailler ou non pour Zhernikov au nom de son amitié pour Wally.
Foulcher à besoin d’un homme de main
L’ambiguïté de Damion est renforcée par les relations de culpabilité qu’il entretient avec son partenaire Wally maintenant handicapé. En tous les cas il tente de lui rester fidèle. L’image d’une police rusée et manipulatrice est insuffisamment développée à mon sens, car l’inspecteur Sayers ment ouvertement pour arriver à ses fins. De même les rapports entre Zhernikov et Foulcher ne sont pas très faciles à comprendre, même du point de vue de l’appât du gain. Dans cette description d’un milieu interlope comme on dit, les femmes apparaissent comme en retrait mais tout de même jouant un rôle décisif. D’abord parce qu’Anya et Sadie se jalousent, mais aussi parce qu’elles apparaissent comme deux faces du beau sexe. L’une est destructrice et fortement sexuée, l’autre est plus maternelle et fidèle, ravalant sa jalousie pour aider son fiancé à se tirer d’un mauvais pas.
Wally ne veut pas que Damion s’acoquine avec Foulcher
Les britanniques n’ont jamais trop brillé dans le développement du film noir, à quelques exceptions près bien entendu. Le film est presqu’entièrement tourné en studio, c’est sans doute la plus grande différence d’avec le poliziottesco qui saura utiliser si bien les décors naturels. Le simple fait de tourner en studio nuit forcément à la vivacité du récit, les décors limitant les déplacements de la caméra et les angles de prises de vue. Le générique va se dérouler sur une vision de Londres la nuit, c’est une technique empruntée au film noir américain. Mais le format de l’image 1,85 :1 fait qu’on classe souvent ce film dans le néo-noir. Mais cela n’apporte rien, justement parce que la quasi-totalité du film est tournée en studio. Et Lemont a du mal à sortir de la logique champ-contrechamp. Il y a une distance entre l’intention et la grammaire cinématographique utilisée. Il manque toujours de profondeur de champ. Le budget semble également étroit et les décors sont pauvres.
Damion et Tanky encaisse la protection
Il y a quelques scènes d’action, les bagarres entre le gang de Peters et la bande de Foulcher, et bien entendu la scène finale où Damion est sensé se déchaîner contre Foucher et Zhernikov, mais ce n’est pas très fluide. Comme quoi les scènes d’action ne sont pas si faciles à tourner. Le manque de savoir faire de Lemont est flagrant quand les hommes de Damion provoquent une bagarre dans le restaurant de Sanchetti.
Damion est fasciné par la belle Anya
L’interprétation était censée être emmenée par Herbert Lom dans le rôle de Zhernikov. Mais c’est assez raté. Il reste finalement en retrait, passif. John Gregson ets plus intéressant dans le rôle de l’inspecteur Sayers, une sorte de Maigret qui tend des pièges. Mais rapidement il doit s’effacer vu la construction du scénario pour laisser la place à Sean Connery qui, dans le rôle de Damion, leur vole la vedette. Il a déjà le charisme nécessaire que le rôle de James Bond va ensuite révéler au monde entier. Mais on connait ses qualités. Par contre j’ai trouvé Yvonne Romain excellente, et en plus elle est très jolie, je ne comprends pas pourquoi elle n’a pas fait une meilleure carrière. On l’avait déjà remarquée pourtant dans un très bon film de Terence Fischer, The curse of the werewolf. Sans doute s’est-elle trop laissée enfermée dans des films d’épouvante et de genre, restant finalement une actrice de la télévision. Alfred Marks dans le rôle du cauteleux et cruel Foulcher est aussi très bon et très intéressant, relevant un niveau général qui reste assez terne tout de même.
Peters a engagé des hommes de main pour faire la guerre à Foulcher
Ce n’est pas un chef- d’œuvre, on l’a compris, mais il se voit assez bien et il est aussi très représentatif d’une cinématographie anglaise qui n’a su que très rarement s’adapter à la logique du film noir. Le film ressortira ensuite en mettant en avant Sean Connery qui entretemps avait reçu l’adoubement du public international. La musique est bonne, les chansons aussi, et sur le générique on entendra un morceau des Shadows qui sera un succès.
Damion a été arrêté par l’inspecteur Sayers
Wally est venu jusqu’à la prison pour inciter Damion a s’écarter de la bande de Foulcher
La fiancée de Damion est venue l’aider dans sa cavale
Damion veut régler ses comptes avec Zhernikov
Tags : John Lemont, Herbert Lom, Sean Connery, racket, film noir, Londres
-
Commentaires