• Jim Thompson auteur noir

    Périodiquement on revient vers Jim Thompson. C’est sans doute un des auteurs américains les plus fascinants et les plus attachants. Ce qu’il écrit est très sombre, il fait partie de cette lignée qui va de Hammett à Ellroy et qui ne laissent guère d’espoir au lecteur en ce qui concerne la noirceur de l’âme humaine. Les qualités d’écriture de Thompson ont fait que la critique l’a encensé, mais malheureusement le grand public n’a jamais suivi. Aujourd’hui Jim Thompson revient sur le devant de la scène à cause de la sortie d’un film The killer inside me. Le film est tiré de l’ouvrage éponyme traduit en français sous le titre du Démon dans ma peau qui vient d’être réédité en collection folio.

    L’histoire décrit la fin de parcours d’un tueur psychopathe qui camoufle ses pulsions criminelles sous des allures de bon garçon bien poli et sous son uniforme de shérif adjoint. Il va tuer cinq personnes, directement ou indirectement, accumulant au fil du temps les invraisemblances d’un scénario tordu. En effet, dans un premier temps il va se débrouiller pour faire endosser la paternité de ses meurtres par d’autres. Jusqu’au jour où d’une manière inattendu, il se fera coincer. C’est une des histoires les plus violentes de Jim Thompson. Et c’est cette violence qui met mal à l’aise le lecteur. Mais comme le récit est à la première personne, on rentre dans la logique même de Lou Ford. A défaut de l’excuser, on comprend que sa situation familiale, les formes sociales dans laquelle il s’inscrit montrent qu’il n’aurait pas pu agir autrement. Et Lou Ford nous le dit, dans la vie on ne peut pas agir autrement que les circonstances ne nous l’imposent.

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    Le cadre du roman est Central City, une petite ville qui doit sa prospérité au boom pétrolier d’après-guerre, mais qui est restée coincée dans des formes sociales hypocrites et désuètes. Tout est étriqué dans cette ville : c’est le magnat du coin, Conway qui règne en maître sur la ville, imposant ses choix aussi bien à la population qu’aux forces de police, humiliant au passage le shérif. Les syndicalistes sont considérés comme de dangereux agents provocateurs en guerre avec le mode de vie américain. Cette chape de plomb sur les relations sociales enferment tout individu épris de liberté dans des formes hypocrites de relations sociales où tout le monde ment. Tout le monde a peur. C’est d’ailleurs une peur diffuse, jamais directement explicitée. Et même si Lou Ford est tout à fait horrible, on comprend bien qu’il n’est guère plus horrible au fond que le reste de la population qui l’entoure. Cette veine romanesque a été très souvent explorée par les auteurs de romans noirs américains, entre autre par Hammett, mais dans un autre contexte, Horace McCoy ou encore par Charles Williams, autre auteur guère prisé dans son propre pays.

    Ce roman désespéré est très complexe, si d’un côté il est une critique acerbe de la vie américaine, il y a notamment une critique radicale de l’institution psychiatrique, de l’autre, il renvoie aussi aux propres frustrations de Jim Thompson lui-même. L’origine du mal-être de Lou Ford se trouve dans ses pulsions sexuelles qui le mène très jeune au crime, mais qui se traduisent par une vasectomie : Jim Thompson a en effet subi une vasectomie sous la tyrannie de son épouse qui ne voulait pas avoir d’enfant. Cette vasectomie est une forme de castration traumatisante dont Lou Ford porte les stigmates, pour faire l’amour il a besoin de se stimuler à l’aide d’injections médicamenteuses. Il est pourtant plein d’amour, mais ce besoin d’amour se traduit d’abord par une violence difficile à contrôler.

    C’est donc un des meilleurs romans de Jim Thompson. Même si on peut trouver désagréable que la traduction présente des lacunes. Le roman ayant été publié en américain en 1952, il est curieux de trouver dans la traduction en série noire une allusion à l’assassinat de Kennedy ! Et Amy est devenu Lucille ! Mais la série noire s’est toujours distinguée par la médiocrité de ses traductions en français[1]. Ce fut le cas pour Hammett, mais aussi pour Raymond Chandler dont les traductions de Boris Vian rendaient le plus souvent le texte complètement incompréhensible.

    Jim Thompson a été souvent adapté à l’écran avec très peu de succès d’ailleurs, sauf en ce qui concerne « The Getaway » - le roman en français s’appelait Le lien conjugal. C’est le seul succès de Jim Thompson au cinéma. Mais il faut dire que sur cette adaptation il fut particulièrement bien servi. Sam Peckinpah assurait la mise en scène et Steve McQueen portait le personnage principal. Je ne parlerai même pas des adaptations françaises que ce soit celle de Corneau ou celle de Tavernier, leur transposition dans la banlieue parisienne et en Afrique vidant l’histoire d’une grande partie de son contenu.

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    The killer inside me avait déjà été adapté par Burt Kennedy avec Stacy Keach dans le rôle principal en 1976. Le film n’avait pas eu de succès et en France il fut distribué sous le titre racoleur d’Ordure de flic.

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    La nouvelle version cinématographique signée Michael Winterbottom, sortie en 2010, possède deux atouts : elle est très soignée, notamment dans la reconstitution historique, et surtout elle est très fidèle à l’œuvre de Jim Thompson. Pour garder le ton d’un récit à la première personne, on a utilisé la voix off. En outre, le casting est excellent. Casey Affleck, qui s’était déjà fait remarquer favorablement dans L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (déjà il incarnait un Ford extrêmement ambigu) incarne de façon plus que convaincante Lou Ford et Jessica Alba Joyce Lakeland. Dans l’ensemble c’est un très bon film. Mais déjà il a été un échec cuisant aux Etats-Unis et en France il est sorti à la sauvette. On a dénoncé la violence du film l’attribuant à Michael Winterbottom, mais c’est un mauvais procès qu’on a fait à ce metteur en scène car cette violence respecte plutôt bien le propos de Jim Thompson. Ce qui veut dire que la violence de Thompson passe très mal à l’écran, particulièrement en 2010, à une époque où les forces de la réaction ne veulent voir dans le criminel qu’un simple ennemi de la société et non une victime de celle-ci. Je conseillerai évidemment aux amateurs de Jim Thompson de se précipiter sur le film de Winterbottom car il va disparaître rapidement des écrans.



    [1] L’ouvrage de Jim Thompson intitulé Pop. 1280 devint par un curieux hasard en série noire 1275 âmes ! En franchissant l’Atlantique la petite ville du Sud avait perdu 5 habitants !

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