• JOSE GIOVANNI RATTRAPE PAR SON PASSE ?

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    José Giovanni participant à un tournoi d’échecs

     José Giovanni est un auteur des plus importants dans la Série noire et plus généralement dans le film et la littérature noirs. Si son œuvre littéraire et cinématographique est inégale, une partie de celle-ci est de excellente, que ce soit ses premiers ouvrages publiés chez Gallimard ou les quelques films que j’ai pu critiquer sur ce blog. Mais sa vie est aussi un roman noir et une tragédie. Il se trouve que par ailleurs j’ai assez bien connu José Giovanni – encore qu’on puisse se demander si on ne connaît jamais bien quelqu’un.

    L’excellente revue Temps noir, vient de publier son numéro 16 dans lequel de longs développements sont consacrés à José Giovanni. Frank Lhomeau qui explore les arcanes de la Série noire et qui en refait l’histoire, notamment en s’intéressant aux auteurs français, avance un certain nombre de faits. José Giovanni aurait été membre du PPF, et pire encore il se serait livré à des actions criminelles sous son couvert. Il ajoute également que les actions qu’il a revendiquées, comme le passage de Juifs en Suisse, ou des actions anti-allemandes du côté de Nantes, seraient seulement des inventions.

    Il est vrai qu’avant ces révélations de Frank Lhomeau, plusieurs indices laissaient entendre que le passé de José Giovanni au moment de l’Occupation était plutôt trouble. En 1993, un journaliste suisse avait rappelé les condamnations de José Giovanni.

    Quels sont ces faits ? Le premier est sans doute que José Giovanni a été soutenu dans ses débuts littéraires par Stephen Hecquet, qui avait ouvertement choisi la Collaboration, qui était aussi son avocat et un ami de Roger Nimier. Au passage on peut se demander quel a été le rôle justement des gens comme Stephen Hecquet et Roger Nimier dans le recyclage des anciens collabos du côté de la Série noire.

     

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    Ensuite, il y a évidemment le magnifique ouvrage de José Giovanni, Classe tous risques. Cet ouvrage n’aurait aucune signification politique particulière si le personnage principal ne se nommait Abel Davos – à peine démarqué du véritable Abel Danos qui fut un collaborateur assidu de la rue Lauriston et qui fut même photographié avec l’uniforme allemand. Certes, Abel Danos ne semblait pas être très impliqué idéologiquement dans la mise en place des nouveaux régimes en Europe, et qui semble plutôt avoir agi par opportunisme. La question qui se pose et pour laquelle on n’a pas de réponse, c’est pourquoi José Giovanni a-t-il choisi de conserver une référence transparente à un personnage condamné à mort pour des faits avérés d’intelligence avec l’ennemi. Est-ce pour rappeler les ambiguïtés de la Libération ? On sait par exemple que Danos fit équipe avec Raymond Naudy – qui porte le nom très transparent de Raymond Naldy dans l’ouvrage de José Giovanni – qui participa activement à des actes de Résistance. C’est très curieux d’appeler ses personnages Abel Davos et Raymond Naldy, alors que leur comportement n’a strictement rien à voir avec les personnages réels dont ils sont plus ou moins inspirés.

    Egalement on peut pointer du doigt le fait qu’il s’était inscrit dans les Chantiers de Jeunesse, groupe Jeunesse et montagne, où il semble avoir pris justement le goût de la montagne.

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    On savait également que le frère de José Giovanni, Paul Damiani, avait été un membre de la Milice, probablement proche de la rue Lauriston. Mais on ne savait pas que José Giovanni ait été impliqué en quoi que ce soit avec la Collaboration. Certes un ouvrage comme Mon ami le traître, paru en 1977, donnait une vision très ambigüe de la Résistance et de la Collaboration, mais elle avait été compensée par Le prince sans étoile, publié en 1998.

    José Giovanni n’a par ailleurs jamais caché qu’il avait été condamné à mort à la Libération pour avoir avec son oncle et son frère racketté et tué Haïm Cohen qui se serait livré au marché noir. Mais il a toujours présenté cela simplement comme un crime de droit commun, laissant entendre qu’il avait été entraîné dans cette affaire par son oncle et par son frère.

    Ce qu’on savait moins  c’est qu’il avait été condamné pour trois affaires distinctes. La première est liée à son inscription au PPF, avec celui-ci il aurait donc participé à des arrestations de Français d’origine étrangère. Egalement il a été jugé pour avoir racketté à Lyon avec un dénommé Orloff – nom qui servira à un personnage très probe et élégant du Deuxième souffle – des négociants juifs en 1944.

    Ces révélations s’appuient sur les archives de la justice, et donc elles ne souffrent guère la contestation. Il reste beaucoup de points obscurs pour autant. Le premier est factuel, pourquoi José Giovanni est-il venu à Marseille où il se serait inscrit au PPF sur l’instigation de son père ? Cette question est importante parce que son frère lui était resté à Paris et les collaborateurs de la rue Lauriston y sont restés eux-aussi jusqu’au bout. A l’évidence il n’appartenait pas à ce cercle. Après l’arrestation du gang qui avait torturé et tué Haïm Cohen, son frère s’évadera, puis se fera flinguer dans un bar de Nice, mais lui sera arrêté pour s’être blessé avec sa propre arme.

    Ce sombre passé est lié aux années de jeunesse de José Giovanni. Né en 1923, il avait à peine vingt ans lorsque ces fiats se sont passés. Et bien sûr on se dit que José Giovanni aurait tout aussi bien pu regretter ouvertement des actions de jeunesse en les mettant sur le compte des temps troublés. Sauf que cet aveu lui aurait valu les pires ennuis, car on aurait été examiné justement l’ensemble des trois affaires pour lesquelles il a été jugé.

    Quand j’ai connu José Giovanni dans les années quatre-vingts, je ne savais rien évidemment de tout cela. J’ai discuté pendant de longues heures d’un peu de tout et d’un peu de rien. De cinéma bien sûr, de littérature, et aussi de politique.

    C’était un homme plutôt cultivé qui avait fait de bonnes études secondaires au lycée Janson de Sailly, interrompues par la guerre. Homme ouvert et très curieux d’un peu tout bien sûr une grande partie de sa culture relevait de l’autodidaxie. Mais en tous les cas ses références culturelles n’avaient rien à voir avec les références habituelles de l’extrême-droite. Bien au contraire, tout son discours allait dans le sens d’une vision anarchiste, donc critique des formes autoritaires du pouvoir. De la même manière, je ne l’ai jamais entendu produire une réflexion raciste, au contraire, il racontait à quel point le peuple gitan qu’il trouvait maltraité, lui plaisait. Du reste, il intitula un de ses films Le gitan. Je ne pense pas qu’il cherchait à me vendre quoi que ce soit, ni même à me démontrer quelque chose.

    Il m’a seulement parlé à mots couverts de son action dans la Résistance du côté de Nantes pour me dire qu’il avait à c e moment-là pris des risques importants. Sur le plan politique il était assez critique vis-à-vis de son ami Lino Ventura qu’il trouvait tout de même un peu trop à droite !

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    Cependant, pour qui sait lire entre les lignes, José Giovanni n’a jamais été un collaborateur, et surtout pas de conviction.

    Deux points me semblent importants : d’abord le fait qu’il a été condamné à mort pour un crime de droit commun à l’encontre d’un juif, mais ce juif-là était justement un collaborateur qui travaillait avec le bureau d’achat allemand, et le moment où ce crime a été commis intervient juste après la Libération, ce qui veut dire qu’on ne peut pas le classer comme un crime collaborationniste. Ensuite, le fait que José Giovanni donne dans ses mémoires, notamment Il avait dans le cœur des jardins formidables, qu’il appelle d’ailleurs roman, Antonini, Marcel Benda et Valcourt, qui ont témoigné de ses activités de résistant lors de ses multiples procès.

    Enfin, dernière pièce apportée au procès, quand on lit, Il avait dans le cœur des jardins formidables, ou même ses Mémoires, il est évident que José Giovanni regrette son passé d’avant sa condamnation. Il considère qu’il y avait le jeune et violent Joseph Damiani, tête brûlée qui manquait de discernement et ensuite à partir de la publication du Trou José Giovanni, un autre qui essaya, même si ce fut un peu difficile au début de s’éloigner de ce passé maudit et encombrant. Il attribue ses errements et ceux de son frère principalement à son oncle qui se réfugia en Espagne à la Libération. Pour lui c’est important car Santos était le frère de sa mère, et tout son ouvrage lui sert aussi à réviser l’image qu’il a eu trop longtemps de son père, il signale que comme de nombreux adolescents il avait choisi dans les querelles familiales le côté de sa mère. Ces souvenirs sont du reste centrés sur la mécanique d’une famille fracturée, ce qui n’est pas une excuse, mais peut être une explication.

    Mais il y a d’autres faits plus connus qui démontrent assez facilement qu’il ne pouvait plus être considéré comme un homme d’extrême droite, quel que fusse son passé par ailleurs. Plusieurs de ses films, Le rapace, Où est passé Tom, sont des critiques sans illusion des formes autoritaires du pouvoir. Au moins trois de ses films sont des plaidoyers contre la peine de mort, Un aller simple, Deux hommes dans la ville et bien sûr Mon père, il m’a sauvé la vie.

    Par ailleurs il était aussi très lié à Alain Corneau qui lui était un militant révolutionnaire d’extrême gauche.

    La revue Temps noir, toujours dans son dernier numéro, publie également une très longue interview de Bertrand Tavernier qui travailla avec lui et qui fut son ami pendant de longues années. Celui-ci ne croît pas une minute au passé de collabo de José Giovanni, il le défend d’une manière attachante, ce qui équilibre la vision que Frank Lhomeau développe par ailleurs. Ce qui veut dire qu’à tout le moins cette question n’est pas vraiment réglée et que le passé de José Giovanni recèle encore bien des mystères.

    Je ne sais pas si tout cela permet de mieux comprendre José Giovanni. En tous les cas pour moi il n’était pas, au moment où je l’ai connu, un homme d’extrême-droite, comme Audiard, Simonin qui restera sur ses positions politiques jusqu’à la fin de sa vie, ou Ange Bastiani. Il était plutôt lié à Auguste Le Breton dont il parlait volontiers, décoré quant à lui pour faits de résistance, et quand il mit en scène Mon ami le traître il fit appel à Claude Sautet et Alphonse Boudard pour l’écriture du scénario, deux hommes qui n’ont jamais rien eu à voir avec l’extrême droite.

     

    Sur Abel Danos, on peut lire le très bon livre d’Eric Guillon, Abel Danos, dit le Mammouth, Fayard, 2006.

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