• Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971  

    Cette fois c’est un giallo assumé, d’autant plus qu’il est inspiré d’un livre d’un auteur écossais D. M. Devine qui était publié chez nous au Masque, maison d’édition française qui faisait son beurre avec les sottises d’Agatha Christie ou de Charles Exbrayat. Cependant, l’ouvrage qui a donné naissance à ce film, The Fith Cord, n’est pas traduit en français. C’est d’ailleurs sous ce titre que le film sera diffusé aux Etats-Unis. Apparemment il s’agit d’un film de commande, les producteurs pensant rééditer le succès de Dario Argento avec L'uccello dalle piume di cristallo[1]. Ce sera donc un film sur le thème du tueur en série, avec l’idée que les motivations de celui-ci soient totalement indéchiffrables, jusqu’au moment de la révélation de son identité. L’histoire n’est pas très originale, c’est un suspense standard, mais par contre la réalisation est complètement originale et porte la marque de Bazzoni, quelles que soient les influences qu’il ait assumé  sur ce film. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971 

    Le soir du réveillon du jour de l’an, un assassin annonce sur une bande magnétique les crimes qu’il va commettre. Un des participants, John Lubbock, un professeur australien qui semble être jaloux d’Isabel Lancia qui flirte avec Edouard Vermont, un autre enseignant, quitte la soirée, mais il se fait agresser méchamment dans un tunnel. La police enquête et Andrea Bild va être chargé de faire un reportage pour son journal. Lui-même était à cette soirée. Il pèche quelques renseignements auprès de la police. Il tente d’interroger une jeune prostituée, mineure, Giulia Saovi, qui semble avoir vu quelque chose, mais elle refuse de lui parler. Cependant la femme du docteur Binni, une infirme, va être assassinée tandis que son mari est sorti et qu’elle n’a plus d’aide. Un gant avec un doigt coupe est laissé sur place. Sans doute pour indiquer que d’autres meurtres vont suivre. Andrea qui essaie de se rapprocher de sa femme avec qui il est en instance de divorce, rencontre le docteur Binni qui ne manifeste aucune empathie pour sa défunte épouse. Mais les questions d’Andrea le dérangent, et comme il est actionnaire du journal, il va le faire virer de l’enquête. Obstiné, Andrea décide de continuer. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    John Lubbock se fait agresser dans un tunnel 

    Il entretient une liaison plus ou moins décousue avec Lu. Mais son frère qui connait Giulia Saovi, est louche. Il le prend en chasse et le retrouve avec le docteur Binni qui regarde, en train de s’exhiber sur scène en train de faire l’amour avec Giulia. C’est maintenant lui que la police soupçonne parce qu’à chaque meurtre, Andrea n’a pas d’alibi, soit il saoul, soit il est seul chez lui. C’est maintenant Trevi un homme du journal d’Andrea qui est tué dans un parc. Là encore on va retrouver un gant avec un doigt coupé. Cependant Giulia va être assassinée à son tour. L’assassin va téléphoner à Andrea pour lui annoncer encore d’autres meurtres. Celui-ci va rencontrer John Kubbock qui s’est remis de son agression, bien qu’il porte encore une minerve. C’est maintenant le tour d’Isabel Lancia d’être menacée et se fait tuer. Il ne reste plus qu’un meurtre. C’est le fils d’Andrea, qu’il a eu avec Helene son ex-femme, qui est menacé tandis que celle-ci est à l’étranger. Les crimes ayant lieu chaque fois un mardi, Andrea en déduit que le criminel est du signe du bélier ! il part chez son ex-femme, arrivant juste à temps pour empêcher que le petit enfant soit tué, une course poursuite s’engage, il rattrape et capture le criminel qui n’est autre que John Lubbock qui en réalité était jaloux de Isabel Lancia car il était amoureux de son amant Edouard Vermont ! 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Andrea Bild est chargé d’enquêter 

    Comme on le voit, l’intrigue est plutôt banale, on cherche l’assassin, mais il est caché parmi les victimes. Le personnage d’Andrea est aussi assez convenu, le journaliste désenchanté, alcoolique par désespoir, un raté qui tente de remonter dans sa propre estime en résolvant un mystère. Et pourtant la réalisation va se servir de ce canevas pour démontrer que les images racontent une autre histoire que celle qui peut se dire. Cette disjonction qu’il peut y avoir entre l’image et l’intrigue était au cœur de la cinématographie d’Antonioni. A propos de La donna del lago, Antonioni était la référence qu’on avait trouvée pour le style de Bazzoni. Mais c’est encore plus vrai pour La giornata nera per l’ariete. Il y a une attention particulière à l’architecture, le fil a été tourné à Rome, en grande partie dans le quartier de l’EUR – un résidu du règne de Mussolini EUR pour Espozitione Universale di Roma, et qui aujourd’hui est le quartier de l’Europe, étrange filiation ! Le jeu des oppositions nous fait voir une modernité vide et bourgeoise et des redents de cette modernité qui se traîne dans des ruines d’un passé lointain et prestigieux, ou des logements de pauvres. Le Personnage de Giulia Saovi est exemplaire, elle se prostitue à l’ombre d’une bretelle d’autoroute en béton et loge dans une masure. Le Giallo est souvent friant de ces formes architecturales décomposées et morbides qui pourtant possèdent une poésie que le béton ne peut pas porter. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Il interroge la police 

    Au fond ce que traque Andrea c’est moins un tueur en série qu’une certaine bourgeoisie dégénérée dans ses mœurs et son  intimité. Il affronte ceux qui ont du pouvoir, le patron du journal, le docteur Binni et une femme très riche. Mélancolique, il ne sait pas trop ce qu’il veut et se comporte plutôt mal avec les femmes, passant de l’une à l’autre, restant attiré par sa femme qui est en instance de divorce. A cette époque c’était une vraie galère que de divorcer en Italie. Il néglige Lu, la frappe, mais par contre il se montre compassionnel avec Giulia Soavi la prostituée. Il est donc non-conformiste par principe et affirme son individualisme justement en poursuivant son enquête. Ce gant qui perd ses doigts au fur et à mesure que l’enquête avance, n’est-ce pas aussi une image de la castration d’Andrea ? Quoiqu’en même temps que les doigts sont coupés, il se rapproche de plus en plus dangereusement de la vérité.

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Giulia Soavi, jeune prostituée refuse de parler à Andrea 

    La première chose qui frappe dans ce film c’est la couleur, c’est un film bleu et cette couleur reflète la froideur du monde moderne. Le traitement des couleurs est magnifié par le génial directeur de la photographie Vittorio Storaro. Ils étaient cousins et Storaro connaissait déjà professionnellement Bazzoni pour avoir fait en 1966 un court métrage avec lui, mais entre-temps il s’était perfectionné avec Bernardo Bertolucci et surtout avec Dario Argento sur L'uccello dalle piume di cristallo. Sauf qu’à la différence de ce dernier film, il va y ajouter des touches plus sombres, plus délicates qui font penser au Mauro Bolognini du début des années soixante-dix. Storaro tournera souvent avec Bertolucci et Coppola, c’est lui qui fera l’image d’Apocalypse Now. Il reviendra vers Bazzoni pour un western curieux Blu gang vissero per sempre felici e ammazati. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    La femme du docteur Binni a peur 

    Tout cela n’empêche pas Bazzoni d’utiliser les formes standards du film noir. D’abord ces escaliers à spirale qui annonce non seulement la difficulté, mais le fait qu’on tourne en rond. C’est dans cette spirale qu’on perd aussi la raison. Cette instabilité du monde est protégée par des stores vénitiens qui rayent l’image en en niant le contenu propre tout en isolant Andrea du monde sur lequel il enquête. On remarque que la scène de la femme du docteur Binni, une handicapée qui est menacée dans sa nuit et qui cherche désespérément à téléphoner, semble empruntée directement au film d’Anatole Litvak, Sorry Wrong Number. Dans cette scène particulièrement travaillée, Bazzoni multiplie les angles de prise de vue audacieux avec, une prise de vue depuis le plafond, puis il filme cette femme qui rampe pour essayer d’échapper à son tourmenteur. D’Antonioni il utilisera des contre-plongées qui font apparaître les immeubles comme un écrasement de l’humain. Il y a aussi une grande attention aux objets qui enserrent les personnages, comme s’ils les immobilisaient. Si on s’en tient à la seule intrigue, le film n’a pas beaucoup d’intérêt, mais si en dessous on regarde le discours que tiennent les images en elles-mêmes, alors le film prend une toute autre dimension, et c’est sans doute pour cela qu’on a redécouvert ce film, comme on a redécouvert un grand nombre gialli. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Le directeur du journal ne veut plus qu’Andrea enquête 

    Le pivot de ce film est Franco Nero dans le rôle du brutal Andrea. Navigant d’un bord à l’autre de sa dépression, il est très crédible dans ce film troublé. C’est un acteur qui n’a pas besoin de grand-chose pour donner de l’expression à ses personnages. Mais il est capable aussi de laisser libre court à une colère haineuse qui le dépasse. Il s’est donné un look déjanté un peu décalé, mais il n’a pas du tout l’air d’un alcoolique ! Derrière c’est moins bon. Film à petit budget visant le marché international on met un peu de tout. Ira de Fürstenberg complètement éteinte dans le rôle de la libertine Isabel Lancia, l’acteur britannique Edmund Purdom absolument transparent dans le rôle d’Edmond Vermont, l’allemand Wolfgang Preiss dans celui du commissaire. C’est un peu mieux, même beaucoup mieux avec Pamela Tiffin dans le rôle de Lu Auer l’amante d’Andrea, et aussi Agostina Belli dans celui de la fille mineure et prostituée par son père. Silvia Monti semble jouer dans ce film sans conviction particulière. Et puis le médiocre Maurizio Bonuglia dans le rôle du tueur John Lubbock roule des yeux de méchant.   

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Georgia a été assassinée à son tour 

    La musique est d’Ennio Morricone, à croire qu’il a composé pour la moitié des films italiens dans les années soixante-dix et quatre-vingts ! Il devait travailler jour et nuit ! Mais elle est très bonne, très efficace. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Le docteur Binni refuse de parler à Andrea 

    En France le succès n’a pas été là, et la critique l’a ignoré complètement, mais les publics américain et italien ont suivi et amorti le coût de production. Pour moi c’est un très bon giallo, avec beaucoup de charme vénéneux et de poésie sourde. Il vaut le détour !

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Le journaliste reçoit un coup de fil anonyme 

    Il est vraiment malheureux que la belle édition du Chat qui fume de ce film soit aujourd’hui épuisée et que ses rares exemplaires en circulation se vendent au prix de l’or sur Internet. C’était une simple édition DVD. On peut espérer que ce film soit repris un jour en Blu ray sur le marché français, il le mérite amplement ne serait-ce qu’à cause de ses qualités esthétiques. 

    Journée noire pour un bélier, Giornata nera per l’ariete, Luigi Bazzoni, 1971

    Andrea a assommé le tueur

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    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-oiseau-au-plumage-de-cristal-l-uccello-dalle-piume-di-cristallo-dari-a213264645

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