• Key Largo, John Huston, 1948

     Key Largo, John Huston, 1948 

    L’épreuve du tournage de The Treasure of the Sierra Madre avait été lourde et difficile. John Huston avait eu cependant beaucoup de satisfactions, aussi bien sur le plan de la critique qu’en ce qui concernait le résultat. Tout de suite après il embraye avec Key Largo. C’est bien moins compliqué et plus facile, moins cher aussi, ce qui facilite la Warner, puisque le principal fut tourné en studio.  En vérité John Huston voulait que Key Largo soit le dernier film qu’il tournerait pour la Warner. Il était en situation de divorce avec eux. Il partit donc pour la Floride avec Richard Brooks pour écrire le scénario à partir d’une pièce qui datait du temps de la prohibition. Arrivé sur place dans un hôtel un peu déserté, les deux compères se mirent à jouer et perdirent des sommes folles. Ce qui délaya d’autant le moment de se mettre à l’ouvrage ! John Huston en parlait comme d’une déception, déception envers la Warner, mais aussi déception envers l’époque, les gens qui avaient cru au New Deal étaient profondément déçus, et on allait bientôt entrer dans cette chasse aux sorcières qui fit tant de mal au cinéma américain. Ce n'était un des films préférés du réalisateur, mais sous l’intrigue non ne peut plus simple, il recèle beaucoup de densité, et on reconnaitra au fil des minutes aussi bien les thèmes chers à Richard Brooks que les obsessions de John Huston. 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Frank McCloud est venu voir James Temple

    Frank McCloud est revenu amer de la guerre. Vagabondant de ci de là, il décide d’aller voir le père d’un soldat qui était sous ses ordres et qui est décédé. Celui-ci, handicapé, tient un hôtel à Key Largo. En arrivant sur les lieux, McCloud constate que celui-ci est occupé par des clients à la mine patibulaire. Il fait la connaissance de Nora Temple, la veuve du militaire. Un ouragan s’annonce. Mais bientôt les Temple et McCloud s’aperçoivent que l’un des clients est un caïd de la pègre, Johnny Rocco, qui se cache parce que les Etats-Unis veulent l’expulser. Il voudrait passer à Cuba et attend un bateau qui doit l’y amener. Il est accompagné de sa maîtresse, Gaye, une ancienne chanteuse de cabaret qui ne pense qu’à boire. La bande les menace de les tuer s’ils disent quelque chose. La police cependant cherche des indiens qui se sont évadés de la prison. L’ouragan approchant les indiens tentent de se réfugier dans l’hôtel mais Rocco va les laisser à la porte. La tension entre les gangsters et les otages augmente d’heure en heure et l’ouragan énerve tout le monde. Quand McCloud et Rocco s’affrontent, celui-ci refuse une sorte de duel au pistolet, et jette l’arme. Un policier égaré se saisit de l’arme, mais celle-ci est vide et Rocco le tue. Le pilote du bateau qui devait amener Rocco à Cuba fait faux bond. Rocco attend aussi un complice, Ziggy, qui doit lui échanger de la fausse monnaie contre des dollars. Entre temps, la police revient et croyant que ce sont les indiens qui ont tué l’adjoint, le shérif les abat. Rocco ayant récupéré la monnaie décide de partir avec toute sa bande sur un autre bateau, le Santana, et exige que McCloud pilote le bateau jusqu’à Cuba. Il refuse cependant d’amener Gaye avec lui. Mais celle-ci va lui dérober son révolver et le donner à McCloud, pensant qu’il s’en servira pour s’enfuir. Mais McCloud va assumer son rôle de pilote. Méthodiquement il va tuer tous les membres de la bande et faire demi-tour vers Key Largo où certainement il retrouvera la belle Nora avec qui il pense avoir trouvé une famille. 

    Key Largo, John Huston, 1948

     James Temple s’inquiète du raffut que font ses clients à l’étage 

    C’est donc une prise d’otages si on veut, Bogart tournera quelques années plus tard The Desperate Hours sous la direction de William Wyler, mais il se donnera le mauvais rôle, un peu celui d’Edward G. Robinson ici. Il n’est pas question par contre que les « otages » éprouvent une quelconque sympathie pour leurs geôliers. Pas de syndrome de Stockholm ici. L’histoire est parfaitement manichéenne. Les gangsters sont mauvais et les autres sont honnêtes. L’intrigue est très simple, et on sent bien qu’elle a été un peu artificiellement gonflée pour donner un peu plus de densité. Il est évident que les indiens pourchassés par la police ne sont qu’un dérivatif. L’histoire aurait pu s’en passer. Mais en même temps cela permet à Richard Brooks – je pense que cette idée est de lui – peut ici faire la preuve de son antiracisme. Antiracisme discutable car les indiens sont présentés comme des grands enfants qu’il faut protéger et éduquer pour les aider à faire face au monde moderne. De même la motivation de Frank McCloud pour sa résurrection c’est de protéger le vieux paralytique et sa belle-fille. Le fauteuil à roulettes qui est souvent un instrument présent dans le film noir, est un symbole de faiblesse, mais il reste ambigu, on verra que le vieux Temple jette facilement de l’huile sur le feu en provoquant les gangsters. 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Avant la tempête les indiens viennent s’abriter à l’hôtel 

    Un des personnages principaux est l’ouragan ! En effet il est annoncé comme on annonce la fin des temps, l’apocalypse arrive et menace de tout emporter les jeunes et les vieux, les bons et les méchants. Il crée un trou dans la marche en avant de la civilisation, une autre forme de la guerre. Ce faisant il va mettre à nu la vérité des caractères. Cette épreuve est celle de la rédemption. Elle s’adresse d’abord à Frank McCloud. Il doit se racheter de son individualisme forcené et peut être du fait qu’il se sent responsable de la mort du mari de Nora. Mais l’ouragan est une force naturelle qui dévalorise tout de que les humains peuvent entreprendre par vanité. Ainsi on verra le cruel Rocco suer de peur face à cet évènement qu’il ne peut pas maîtriser. Et justement cette épreuve va dévoiler la vérité des caractères. Rocco est un trouillard qui n’existe que parce qu’il a des gardes du corps et des armes de poing. McCloud retrouve son courage et abandonne son air désabusé. 

    Key Largo, John Huston, 1948 

    Les indiens évadés sont venus demander conseil à James Temple 

    Le film exalte les valeurs viriles. Les femmes, si elles sont évidemment rangées dans le camp des personnes faibles, ne manquent pourtant pas de courage. Nora n’hésitera pas à cracher à la figure de Rocco pour marquer son dégoût, et Gaye aura la force de voler le révolver de Rocco pour le donner à McCloud. Le symbole est assez clair, par ce geste elle reconnaît la vraie virilité du soldat, et prive son ancien amant de la sienne ! On retrouve ainsi deux couples, l’un Nora et McCloud, l’autre Rocco et Gaye, qui jouent de la séduction, soit à la lutte des sexes. Dans cet affrontement, on y reconnaît des provocations qui poussent le partenaire plus ou moins choisi à se dévoiler et à se dépasser. Rocco force Gaye à chanter en lui promettant de lui offrir un verre et la trompe. En fait il voulait lui démontrer qu’elle était vieille et usée. Nora méprise McCloud ouvertement pour sa lâcheté supposée. Mais si elle le pousse à l’action, elle le récompensera en lui offrant la possibilité de créer une famille. Cette opposition renforce le suspense et contourne l’idée de faire son devoir simplement pour des questions de morale. Évidemment si McCloud se situe au-delà de la morale, c’est parce qu’il a été déçu des belles paroles qui l’ont poussé à s’engager. Il dénoncera les belles paroles et la propagande d’État qui trompe les individus. 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Rocco s’impose et menace ceux qui vont s’opposer à lui 

    On n’insiste jamais assez sur le fait qu’au-delà des histoires abordées, John Huston était un excellent réalisateur, avec une grammaire cinématographique particulière. Certes, il ne cherche pas les formes spectaculaires, il va à l’essentiel, c’est-à-dire au mouvement. La forme est très théâtrale, saturée de dialogues, à peine ouverte sur la mer ou sur la route qui conduit à l’hôtel. John Huston contourne cet obstacle en multipliant les angles de prise de vue et en resserrant les scènes au montage. Il y a cependant quelques champ contrechamp un peu trop abondant surtout dans les affrontements verbaux qui concernent Rocco. Mais il y a des plans de plain-pied qui donnent du volume à l’action, et puis, au début du film, la descente superbe de l’escalier où on voit McCloud et Curly discuter comme s’ils étaient de très bons copains.

    Key Largo, John Huston, 1948

    Johnnie Rocco provoque McCloud 

    John Huston était un très grand directeur d’acteurs. Certes ici il est bien soutenu par des vedettes au top de leur art. Bogart est toujours impressionnant, ici dans le rôle de McCloud, il fait passer beaucoup de choses simplement avec son visage. C’était déjà le quatrième film de la paire Bogart-Huston, il y en aura d’autres. Edward G. Robinson, malgré sa petite taille, donne beaucoup d’énergie et de malice à Johnnie Rocco. Ce sera un de ses derniers grands rôles, c’est-à-dire que par la suite il sera déclassé par les studios pour cause de chasse aux sorcières, on ne lui proposera plus que des films moins bien payés. On ne le dit pas assez, mais la chasse aux sorcières fut aussi une belle opportunité pour abaisser les salaires. Bogart et Robinson ont joué ensemble dans cinq films. Key largo sera le dernier, mais cette fois ils seront considérés comme des co-vedettes, tandis que dans les quatre autres, c’était Robinson qui était au-dessus de tous les autres. Ici il est au-dessus, légèrement, mais Bogart est à gauche ! C’est dire qu’en 1948 la popularité de Robinson était intacte. Il n’aimait pas le rôle de Johnnie Rocco. Il est vrai qu’il avait joué beaucoup de gangster, c’était le personnage de Bandello dans Little Caesar qui avait d’ailleurs donné son statut de grande vedette. Ici le personnage de Rocco est plus ou moins inspiré par Lucky Luciano que les Etats-Unis avaient expulsé. 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Rocco a forcé Gaye à chanter, lui promettant un verre 

    Ce film était presqu’une affaire de famille puisqu’on retrouve Lauren Bacall dans le rôle de Nora. C’était le quatrième film qu’elle tournait avaec Bogart qu’elle avait connu sur le tournage de To Have and Have Not, film qui entretient d’ailleurs une parenté assez évidente avec Key Largo. Elle l’avait épousé en 1945 et lui donna deux enfants. Elle n’est pas particulièrement éclatante dans ce film et John Huston préfère mettre en valeur son regard – on l’appelait the look. Mais elle est très bien tout de même, même si on l’a connue moins effacée. Les rôles secondaires sont superbes. D’abord Lionel Barrymore dans le rôle du vieux James Temple, handicapé mais encore vivant. John Huston disait qu’il avait été impressionné par sa performance. Et puis il y a Claire Trevor dans le rôle de Gaye. Elle se met même le luxe de chanter elle-même a capella. Elle obtiendra d’ailleurs un Oscar pour ce rôle. Thomas Gomez qui lui aussi subira les foudres de la chasse aux sorcières, incarne le rusé Curly. C’était un grand acteur de théâtre, une star dans ce secteur, bien qu’au cinéma il n'ait, du fait sans doute de son physique, obtenu que des petits rôles. Il est très bon ici. Le film tient la route surtout par ses acteurs. 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Le policier recherche son adjoint 

    Curieusement ce film fut un gros succès, bien plus important que The Treasure of the Sierra Madre. Et comme il avait coûté beaucoup moins cher, Warner était content ! En outre John Huston avait récolté un nouvel Oscar. Bien entendu, au film du temps, Key Largo n’a pas eu la même réputation que The Treasure of the Sierra Madre. Mais ça reste un film intéressant, bien plus que ce qu’en suggère les commentaires acerbes du réalisateur. John Huston rebondira cependant d’abord en tournant un film sur la révolution à Cuba en 1949, We Were Strangers, avec John Garfield, film engagé que la critique descendra pour son « marxisme », un film qui n’aura aucun succès, puis avec Asphalt Jungle, un chef-d’œuvre du film noir qui fera école[1]. 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Ziggy est venu faire l’échange de la fausse monnaie 

    Key Largo, John Huston, 1948

    Frank McCloud guette la sortie de Rocco 


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/quand-la-ville-dort-the-asphalt-jungle-john-huston-1950-a114844736

    « Du roman au film, conférence sur les problèmes de l’adaptation au cinémaLes insurgés, We were strangers, John Huston, 1949 »
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