• L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

     L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    A la base de ce film, il y a un ouvrage de Mildred et Gordon Gordon, un couple d’écrivains prolifique, qui avaient créé le personnage de John Ripley, un agent du FBI qui interviendra de manière récurrente dans leur production. Quelques uns de leurs ouvrages seront traduits en français dont le fameux L’espion aux pattes de velours. Ils seront ici les adaptateurs de leur propre ouvrage. Ils représentaient une Amérique ultra-conservatrice, mais au tournant des années soixante, ils abandonneront leur héros Ripley justement parce que le FBI de J. Edgar Hoover est de plus en plus considéré comme une officine corrompue. On a avancé aussi que J. Edgar Hoover qui avait un goût prononcé pour la publicité, plus que pour le travail d’enquête, aurait demandé plusieurs modification du scénario. Mais Down 3 dark streets est aussi et surtout une production d’Edward Small. Ce dernier était un producteur qui avait tout fait dans le domaine, du film à grand spectacle aux petits films noirs à budgets étiques, notamment les premiers Anthony Man, T-Men et Raw deal, et les désormais classiques, Scandal Sheet, déjà avec Broderick Crawford et Kansas City confidential. Il a également produit le grand succès commercial de King Vidor, Solomon and Sheba quand les grands films bibliques cossus étaient à la mode. Mais ici nous sommes dans la modestie budgétaire, sans être un film de série B, Down 3 dark streets, est un petit film. On a comparé ce film dans son principe à T-Men, ce qui n’est pas faux. Mais en lieu et place d’Anthony Man, on a ici Arnold Laven, et à la place de John Alton, c’est Joseph Biroc, le photographe préféré de Robert Aldrich, qui se trouve derrière la caméra. Cela va donner d’ailleurs un côté plus moderne au film, moins sombre. Arnold Laven a assez peu tourné pour le grand écran, il fut un pilier de la télévision où il exercera le métier de producteur, mais où il tournera un épisode de la série Archer, le héros de Ross Macdonald, quelques épisodes de la série Mike Hammer. Pour le cinéma il tournera quelques noirs, Vice Squad, avec Edward G. Robinson et Paulette Goddard et Slaughter on 10th Avenue et puis ce Down 3 dark streets qui est plutôt astucieux dans sa forme éclaté, puisqu’il mêle trois enquêtes en apparence sans rapport. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Joe Walpo recherché par le FBI s’arrête dans une station service pour faire le plein, mais comme le pompiste alerte la police, il l’abat. Le FBI est chargé de l’enquête, John Ripley va gérer celle-ci avec celle d’Angelino qui ne veut pas dire qui l’a payé pour conduire une voiture pour commettre un crime. Mais son adjoint Zack Stewart reçoit également un coup de fil de Kate Martell, une veuve. Celle-ci est l’objet d’un chantage pour qu’elle verse les 10 000 $ que lui a laissé son mari. Zack se rend chez Kate pour la rassurer. Mais il va être assassiné. John Ripley va donc reprendre à son compte les trois affaires. N’arrivant rien à obtenir d’Angelino, ni de la régulière de Walpo, il va décider de mettre sous surveillance Connie pour tenter de remonter à Walpo, et Kate pour la protéger et surveiller son entourage. Le FBI s’intéresse aussi à Brenda Ralles. Mais les policiers qui la suivent perdent sa piste, et on la retrouvera assassinée, dans une poubelle ! Ripley va avoir alors l’idée de jouer de la jalousie féminine, prouvant à Connie que Walpo a une autre maîtresse. Connie va donc tenter de rejoindre Walpo pour avoir des explications, mais cette fois la police la suit, et Ripley abattra Walpo. Tandis que le chantage continue sur Kate, Julie reçoit la visite d’un truand, Pavelich, qui la bat en lui intimant l’odre de ne plus écrire à Angelo. Mais, bien qu’aveugle, elle va arriver à décrire son agresseur à la police. Une tournée des salles de boxe permettra d’arrêter Pavelich. Confronté, à Angelino, il continue à nier, et Angelino soutient ses mensonges, jusqu’au moment où il comprend que Pavelich a brutalisé Julie. Il parlera donc. Kate est ballottée par le maître chanteur. Celui-ci lui donne un rendez vous dans un cimetière, mais il ne viendra pas, alors que la police est prête à l’arrêter. Le FBI commence à relever des empreintes, analyse la voix du maître-chanteur. Et au moment où l’identité de celui-ci va être révélée, les policiers doivent intervenir en catastrophe car Kate a cédé au maître-chanteur et se prépare à lui verser l’argent. Tandis qu’elle s’aperçoit que le maître chanteur est Dave, celui qui la courtisait, et qu’elle risque d’être assassinée, les policiers interviennent. Dave s’enfuit et sera arrêté. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    John Ripley doit s’occuper de l’affaire Walpo 

    Le scénario peut être qualifié de virtuose, non pas parce que les trois histoires qu’il développe sont très originale, mais à cause de la fluidité dans leur mise en relation, sans mettre trop en avant d’ailleurs John Ripley comme le seul fil rouge. Une grande partie des rebondissements reste crédible parce qu’on fait appel justement au comportement des criminels qu’on ne veut pas contraindre par la force, mais qu’on va amener à baisser leur garde. Le FBI c’est ainsi trois choses en même temps ici : d’abord une organisation importante, un investissement énorme dans les techniques de pointe pour espionner, ou pour analyser les empreintes et le voix ; ensuite des hommes courageux et bien formés, solidaires et capables d’initiatives ; ces policiers s’appuient plus volontiers sur une bonne connaissance de la nature humaine que sur la force brutale, même si ils savent aussi faire face à la violence. L’astuce du scénario est de montrer que les criminels ne sont pas tous faits du même bois. Les uns, comme Angelino, ont des excuses, ils ne sont pas très malins et n’ont guère eu de chance, mais ils ne sont pas complètement dénués de morale. Les autres comme Walpo, Palevich ou même Connie sont totalement perdus pour la société. Le criminel est au fond un membre presqu’ordinaire de la société, non pas qu’il ne faille pas le réprimé, ou qu’on doive l’excuser, mais il est impossible qu’il n’existe pas. Ce qui renforce le besoin d’une police efficace. Lorsque le policier laissera échapper Brenda Ralles, le film sous-entend qu’au fond il n’a pas sa place dans la police. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Kate Martell est victime d’un chantage 

    C’est bien sûr un portrait de l’Amérique des années cinquante, placée sous le portrait bienveillant d’Eisenhower, un conservateur, certes, mais qui ne remet pas en cause la nécessité d’un Etat social et attentif à la misère. Même si le film admet qu’il y a des pauvres et des misérables, tout le monde semble rouler dans des voitures haut de gamme qui semblent glisser sur l’asphalte, dotées de suspension qui absorbent les chocs. Certains ont remarqué que d’offrir de telles voitures à des policiers ordinaires était tout de même un peu incongru. Mais enfin il faut bien donner une image positive de l’Amérique par rapport à la canaille qui tente de miner ce nouvel ordre moral. Nous sommes en effet à l’apogée de la puissance américaine, avec en point de mire le rêve américain fondé sur la construction d’une famille saine et unie, et sur la volonté d’enrichissement ordinaire, prise comme une évidente nécessité. Mais la poursuite de cette chimère ne va pas sans ambiguïté. On remarque que dans ce film les femmes sont d’abord des victimes de leur solitude. Kate est veuve, mais elle a hérité de l’assurance-vie de son mari. Obligée de travailler pour élever sa petite fille de 4 ans, elle est coincée entre un oncle libidineux et qui aimerait bien mettre la main sur le magot, un voisin qui l’épie et Dave Milson, un escroc d’envergure, qui la fait chanter. On comprend bien qu’il serait bien plus facile pour elle d’être mariée et prise en charge par un époux. Elle réussit cependant dans son métier parce qu’elle est dévouée et énergique, mais sa vie sentimentale étant un désert, elle est à de doigts de tomber dans les bras de Dave, non seulement en lui rendant son baiser volé, mais en répondant à son chantage et en lui portant son argent, comme une prostituée rendant sa comptée à un maquereau !  

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Brenda Ralles non plus ne parlera pas

    La seconde femme dont le portrait est développé est Connie Anderson, fille de mauvaise vie, elle attend tout de Walpo qui l’achète en lui offrant des bijoux. Elle l’attend désespérément, dans une solitude difficile à supporté comme contrepartie de sa turpitude. Elle est enfermée dans un bel appartement qui, on le comprend est payé par Walpo. Elle n’est pas une épouse, mais une femme entretenue qui préfère le confort des objets à une saine vie familiale. La jalousie la mènera à sa perte et elle vendra sans le vouloir Walpo à la police. Quand elle pleure sur sa dépouille, elle pleure sur elle-même plus que sur son amant. La troisième femme est Brenda Ralles, on le comprendra, elle est en cheville avec Dave. Elle refusera de le vendre, mais ce sera sa perte car lui n’hésitera pas à la tuer pour protéger son identité. Julie, la fiancée d’Angelino, est aveugle, mais elle a bien plus de bon sens que tout le monde, elle ne se laisse jamais aller au ressentiment, ni à la panique, même quand le sinistre Pavelich la dérouille. Bien sûr, elle a besoin d’Angelino, mais pour le récupérer en tant que protecteur, elle doit le réformer si elle veut avoir une famille. Les portraits féminins, même s’ils reprennent les stéréotypes de la femme faible, introduisent tout de même pas mal d’ambiguïté. C’est en cela qu’ils sont intéressants. On voit bien entendu que Kate est dans une situation difficile, elle doit faire garder sa gosse, travailler dur, mais elle est volontaire et adopte tout de même une partie des critères qui, généralement à cette époque sont ceux de la virilité responsable. De ce fait, les portraits masculins sont moins inattendus. Les policiers sont dévoués, ils n’hésitent pas à risquer leur vie pour le bien commun. Ils représentent la force nécessaire pour s’opposer à la canaille qui hante les rues sombres. Ils sont très curieusement monolithiques et sans nuance. Même si John Ripley a des sentiments de compassion pour son collègue mort, ou pour ces femmes abandonnées, il ne manifeste rien. On suppose que c’est la rançon de son métier. Les femmes sont souvent vues dans leur univers domestique, les policiers et les gangsters non, comme si en dehors de leur fonction ils n’existaient pas. Les gangsters apparaissent inorganisés, autant que violents, et ces traits de caractère les opposent aux policiers qui sont à l’inverse disciplinés et hiérarchisés. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Julie la fiancée d’Angelino est aveugle 

    La mise en scène de Laven utilise d’abord des procédés traditionnels qui tentent de donner une image documentaire à l’histoire. Il utilise la voix off d’un récitant qui semble effectuer un reportage sur le difficile métier des agents du FBI. Il utilise aussi des images qui montrent son organisation, l’immeuble massif du FBI de Los Angeles, et aussi celles des services techniques. C’est une manière de faire qui s’est imposée au début des années cinquante quand le film noir s’est orienté de plus en plus vers le travail de la police, au détriment sans doute de l’ambiguïté des malfaiteurs et de leurs victimes. C’était sans doute aussi une volonté de J. Edgar Hoover qui soignait l’image de marque de sa boutique, ce qui lui permettait de réclamer toujours de plus en plus d’argent à l’Etat fédéral et donc d’étendre son empire. Cela est bien connu, sauf de Clint Eastwood qui a produit et filmé une merde à la gloire de cette canaille vendue à la mafia[1]. En quelque sorte ces images qui faisaient semblant d’être un reportage compensaient les images qu’à la même époque on commençait à voir à la télévision avec la mission d’enquête Kefauver qui mettait en évidence la nécessité de lutter contre le crime organisé et donc de mettre en œuvre d’autres moyens que les moyens habituels de la police. Comme on sait, Hoover ne voulait pas entendre parler de mafia et de crime organisé, il défendait l’idée qu’il ne s’agissait que de délinquants ordinaires[2]. Les allusions à l’Italie, Angelino et Julie sont originaires d’Italie et mangent des lazagnes et de la pizza, sont là pour nous le rappeler, s’il y a des délinquants d’origine italienne, ce ne sont pas des membres d’une mafia. Notez qu’il y a une forme de moquerie vis-à-vis de la prétention du FBI à user des techniques modernes de traque des assassins, tandis que le technicien fait un cours aux agents fédéraux, Ripley et son acolyte ne l’écoutent plus et se ruent au secours de la malheureuse Kate. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Les policiers suivent Connie 

    La mise en scène proprement dite va donc s’appliquer à se caler sur une vision semi-documentaire et naturaliste de la criminalité. On suit donc d’abord le travail des policiers, on est dans leur dos, sur leurs épaules, avec une caméra très mobile qui épousent le mouvement. La réussite des scènes de filature se trouve là. Mais en même temps dans l’utilisation excellente des décors naturels de Los Angeles. La filature de Connie est particulièrement soignée, avec des mouvements de grue qui permettent de passer d’un autobus à un autre, et de remonter vers John Ripley qui observe de loin la ruse. Si les scènes de dialogues dans des espaces fermés sont moins prégnantes, la visite à la salle de boxe et celle à Julie donnent de la densité à l’histoire. Le rythme est très bon, soutenu, le film ne dure qu’une heure et 24 minutes, mais il se passe beaucoup de choses dans cette durée. La scène du cimetière où Kate doit remettre la rançon est toute en ombres et en mouvement, avec des plans resserrés sur le visage de la jeune femme pour y traquer la terreur. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Ripley surprend Walpo 

    L’interprétation c’est d’abord Broderick Crawford et sa gueule cassée dans le rôle de John Ripley. Il est excellent comme presque toujours dans les films noirs, il l’est un peu moins dans les westerns. Au-delà de sa silhouette massive, il arrive en dehors du dialogue à faire passer de l’empathie, voire de la tendresse pour les femmes qu’il visite, mais aussi peut-être une forme d’indulgence pour Angelino dont il comprend le parcours. Ruth Roman est Kate. Si d’habitude elle est plutôt farouche et énergique, elle est ici plus traditionnelle dans le rôle d’une mère qui tente de protéger sa fille des dangers de la vie moderne et qui fait confiance à la police, quoi qu’à la fin elle craque sur ce point de vue. L’ensemble des interprètes vise à donner une image de citoyens ordinaires et sans glamour à l’ensemble de ces personnages. On retrouvera là des figures traditionnelles du film noir, par exemple Claude Akins dans le rôle de la brute Palevich, ou Jay Adler dans le rôle de l’oncle libidineux. Mais on doit donner une mention spéciale à Marisa Pavan, la sœur jumelle d’Anna Maria Pierangeli qui, elle, était surtout connue pour la passion qu’elle vécut avec James Dean et ses fiançailles avec Kirk Douglas. Dans le rôle de Julie, Marisa Pavan montre quelle grande actrice elle aurait pu être.    

     

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    A la salle de boxe il obtiendra des renseignements celui qui a battu Julie 

    Sans être un film noir de première importance, c’est un film « gris » si on veut qui dépasse le simple film d’enquête policière. Bien fait, solide, il retient bien l’attention des spectateurs. Il eut un bon succès. Longtemps difficile à trouver, il a bénéficié d’une ressortie aux Etats-Unis en Blu ray. Cependant dans cette version, sans sous-titres, le format est 1,75 : 1, alors qu’il avait été tourné dans le format traditionnel du film noir de cette époque, 1,37 : 1. 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954

    Angelino parlera 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Kate doit déposer l’argent sous la lettre W 

    L’assassin parmi eux, Down 3 dark streets, Arnold Laven, 1954 

    Dave est arrêté par la police



    [1] J. Edgar a été tourné en 2011, il est dommage qu’un acteur de grande classe comme Leonardo Di Caprio se soit compromis dans ce genre de semi-reportage publicitaire.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/anthony-summers-le-plus-grand-salaud-d-amerique-the-secret-life-of-j-e-a114845046

    « Le sadique, Without warning, Arnold Laven, 1952Le carnaval des truands, Ad ogni costo, Giuliano Montaldo, 1967 »
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