• L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    Plus encore que les autres criminels, les étrangleurs ont une relation érotique étroite avec leur victime. C’est comme une manière de contourner des interdits. Ils renvoient donc à la rigidité des mœurs vue comme une maladie ou du moins comme une cause de maladie mentale. The Boston strangler a été tourné en 1968 qui fut une grande année pour le film noir. Evidemment à cette époque on regardait plutôt le criminel comme une victime d’une société mal faite, et non comme une bête fauve à abattre. C’est donc d’abord un film psychologique où les policiers sont plus enclins à chercher à comprendre qu’à punir. Le scénario se base sur un roman de Gerold Frank qui lui-même s’appuie sur une enquête très détaillée sur Albert De Salvo, un serial killer qui a étranglé une bonne douzaine de femmes, âgées ou jeunes, les violant parfois, et parfois pas. Gerold Frank était un auteur à succès qui entre autres fit le « nègre » pour des célébrités qui voulaient raconter leurs mémoires. Il s’est bricolé des biographies de Judy Garland, Francis Scott Fitzgerald et quelques autres encore. Il va y avoir un souci de vérité documentaire et psychologique ce qui convient très bien à Richard Fleischer.  

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968

    Des femmes âgées sont assassinées dans Boston, la police est sur les dents. Elle travaille à ramasser tous les déviants sexuels plus ou moins fichés, à vérifier toutes les pistes possibles et imaginables. Mais les meurtres continuent. Les autorités judiciaires de la ville décident de nommer Bottomly pour coordonner et centraliser l’enquête. L’opinion public s’impatiente, et la peur s’installe. En désespoir de cause, ils s’en remettent à une sorte de médium qui leur fait des révélations étonnantes, mais qui les aiguille sur une fausse piste. Le jour des funérailles de Kennedy, De Salvo qui est très peiné par la mort du président, s’en va faire un tour en ville. Par ruse, il arrive à s’introduire chez Dianne Cluny, il l’attaque, commence à l’attacher, mais celle-ci se rebelle et le mord. Fou furieux, De Salvo s’en va. Il cherche alors une autre victime, mais cette fois il tombe sur une femme qui n’est pas seule et dont le mari lui court après. Après une poursuite de 2 kilomètres, De Salvo va être rejoint, la police l’arrête. Mais personne ne pense à faire le lien avec l’étrangleur. Le juge remarque qu’il n’est peut-être pas sain d’esprit et propose de l’interner. C’est un peu par hasard que le détective Di Natale et Bottomly se rendent compte, à cause de sa morsure à la main, qu’il pourrait bien être le criminel qu’ils recherchent depuis des mois. L’affaire est délicate, car il est difficile d’obtenir des aveux d’une personne manifestement malade. Il semble avoir deux personnalités, l’une est celle d’un mari aimant et travailleur qui se réjouit des succès scolaires de sa fille, l’autre est celle d’un assassin. Le premier ne semble pas se souvenir de ce qu’a fait le second. Mais à force de patience, Bottomly va finir par le faire avouer. Il sera condamné à la prison à perpétuité.  

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968

    La police de Boston se mobilise 

    Le ressort de la personnalité troublée et schizophrène de De Salvo, tel du moins qu’il est présenté dans ce film, est la culpabilité et la répression sexuelle. Dans le film on semble laisser entendre que De Salvo est impuissant, il viole ses victimes avec des bouteilles ou des manches à balais. C’est une critique indirecte de la famille, une incapacité à assumer les codes sociaux dominants qui pousse De Salvo vers le crime. D’ailleurs on retrouvera une sorte de double de De Salvo en mineur, en la personne de O’Rourke, un pauvre garçon pétri de culpabilité et de désirs manifestement refoulés. Sauf que O’Rourke ne passe jamais à l’acte. Ce dédoublement de la personnalité est vieux comme le roman noir et remonte au moins à Robert L. Stevenson, c’est le thème de Dr Jekyll et Mister Hyde bien sûr.  Tout cela est facile à bien comprendre, ce qui l’est moins, ce sont les motivations de Bottomly, c’est un homme autoritaire et froid qui propose au médecin de ne pas se servir des aveux de De Salvo pour le faire condamner ! Si cela explique que De Salvo sera finalement condamné à une peine de prison à perpétuité, c’est tout de même assez peu crédible. La compassion de Bottomly à l’endroit de De Salvo a quelque chose d’un peu louche tout de même. En creux on trouvera aussi un portrait des femmes qui se font attaquer et qui ne savent pas vraiment résister à l’idée d’ouvrir leur porte à n’importe qui, ce que déplore la police bien sûr, comme si elles s’exposaient sciemment au danger de se faire violer.

     L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    Le médium a mis la police sur la piste de O’Rourke 

    La réalisation est assez balancée. Il y a de très belles choses, toutes les séquences où on voit la police en action, ou quand on suit De Salvo dans ses pérégrinations criminelles à travers les rues de Boston ou dans les appartements des quartiers miteux. Et des moins bonnes, la dernière demi-heure apparait assez poussive dans la confrontation entre De Salvo et Bottomly. Cette manière de Bottomly de vouloir faire remonter à la surface les souvenirs de De Salvo paraît peu crédible et artificielle, une leçon de psychanalyse à la petite semaine. D’autant que cela s’appuie sur l’insertion de plans censés être à la limite du rêve et de la réalité. Ce n’est jamais ce genre de chose qu’il est facile de porter à l’écran – Hitchcock y a échoué aussi bien dans Spellbound en 1945, que dans Vertigo en 1958. Evidemment dès que Fleischer utilise les décors urbains réels de Boston, le film respire et trouve plus de justesse. L’enquête est menée de façon fragmentée, et c’est seulement au bout d’une heure qu’on voit apparaître enfin De Salvo, au moment justement où il va commettre une agression qui va le faire prendre. Fleischer utilise le split screen pour montrer également la dissociation de la personnalité. C’est assez justifié et très bien fait. C’était une technique en vogue à l’époque, on se souvient qu’elle avait fait sensation dans The Thomas Crown affair de Norman Jewison, tourné la même année que The Boston strangler. Thomas Crown aussi pour désinvolte qu’il soit, était saisi par le dédoublement de la personnalité : à la fois banquier prospère et chef de bande ingénieux qui pillait sa propre banque ! L’usage de l’écran très large, 2,35 :1, facilite d’ailleurs l’usage des écrans multiples. Cela me semble moins artificiel que dans The Thomas Crown affair. Ça donne des scènes étranges. Par exemple quand on voit simultanément l’extérieur et l’intérieur d’un appartement, avec le point de vue de la personne qui l’occupe et celui de De Salvo. Le split screen n’est plus utilisé quand le coupable est enfin arrêté, ce qui semble vouloir dire que tant que l’enquête tâtonne, la vérité est fragmentaire, mais ensuite les morceaux se recollent et donnent du sens. Par contre, ce dédoublement de la personnalité de De Salvo sera repris à travers le miroir. Il y a d’autres scènes très fortes, par exemple l’interrogatoire de O’Rourke qui loge dans un appartement étroit et misérable, ou encore De Salvo en famille regardant la télévision et essayant de s’intéresser à ses enfants. Comme dans The strangler de Burt Topper, une grande importance est accordée au milieu médical. Toute la fin utilise une dominante de couleur blanche, aussi bien pour les murs de la pièce où est interrogé De Salvo que pour le costume d’interné qu’il porte. Ce blanc n’incarne pas la pureté, mais plutôt une sorte de vide intense dans lequel De Salvo se perd et peut-être se reconstruira, le scénario semble vouloir lui donner une chance de rédemption. 

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    De Salvo regarde les funérailles de Kennedy à la télévision 

    L’interprétation est excellente, à commencer par Tony Curtis, complètement transformé, il s’est affublé d’un faux nez, à la manière d’Orson Welles dans Compulsion du même Richard Fleischer. Le faux nez n’accroit pas du tout la ressemblance avec le vrai De Salvo, mais permet plutôt de donner à Tony Curtis l’allure d’un homme très ordinaire et pas du tout d’un play-boy. Bien que les scènes de confrontation avec Bottomly ne soient pas toujours très crédibles, elles tiennent surtout par la performance de Tony Curtis qui rend parfaitement le côté perdu de ce pauvre De Salvo, il pleure à bon escient et avec sincérité. Henry Fonda, ici affublé d’une moustache, interprète Bottomly, avec qui il n’a aucune ressemblance ni de près, ni de loin. C’est un personnage rigide – comme très souvent pour Henri Fonda – et autoritaire. Il est assez peu crédible dans ce rôle d’un juriste humaniste qui cherche à aider De Salvo et à le comprendre. Bien qu’il soit présent du début jusqu’à la fin du film, c’est bien Tony Curtis qui n’apparait qu’au bout d’une heure qui lui vole la vedette. George Kennedy dans le rôle secondaire de Di Natale est parfait comme toujours. Dans l’ensemble le casting est bon et Richard Fleischer est un excellent directeur d’acteur. Je donnerai une mention spéciale à l’extraordinaire William Hickey qui incarne le misérable O’Rourke. 

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    De Salvo s’introduit dans un immeuble 

    Le film a eu un succès critique important, mais s’il a bien marché, surtout aux Etats-Unis, cela n’a pas été un triomphe. Au fil des années cependant, il est considéré comme une sorte de classique. Malgré les limites et les ambiguïtés qu’on a évoquées ci-dessus, le film se revoit très bien à cinquante ans de distance. 

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    Bottomly interroge la rescapée 

    On remarque que plusieurs personnes ont eu des doutes sur la culpabilité de De Salvo, mais outre le fait que De Salvo a avoué des détails que seul le tueur pouvait connaitre, des ultimes tests ADN ont largement prouvé qu’il était bien l’auteur de ces meurtres. Le film donne un aspect assez lunaire à De Salvo. En vérité c’était un cambrioleur aussi, et surtout il manifestait un appétit sexuel démesuré. Il est mort en 1973, assassiné en prison pour une sombre histoire de drogue. Derrière cette condamnation relativement clémente de la prison à perpétuité, il y avait évidemment une lutte intestine entre Bottomly et le procureur général. 

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    De Salvo a une double personnalité et ne sait plus où il en est 

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 

    Albert De Salvo, le vrai

    L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968

    Le vrai Bottomly

     

     

    John Bottomly, le vrai

    « La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. »
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