• La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975

     La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 

    Au début des années soixante-dix, plusieurs stars de renom, Paul Newman, Steve McQueen, Barbra Streisand et Sidney Poitier, dans une volonté de s’émanciper de la tutelle des studios, créent une nouvelle entité, First artists, un peu sur le modèle de United Artists qui, avant d’être le studio qu’on connait, avait été développé pour que Charles Chaplin, David Griffith, Douglas Fairbanks et Mary Pickford, retrouvent une pleine autonomie dans la création de leurs films. En tout First Artists développera une vingtaine de projets, avec des hauts et de bas. Parmi les réussites il y aura The getaway de Sam Peckinpah, avec Steve McQueen, A star is born avec Barbra Streisand ou Straight time avec Dustin Hoffman. Mais dans l’ensemble ce ne fut pas un succès. A cette époque Paul Newman sort de deux énormes succès planétaires : The sting et The towering inferno. Il a passé la cinquantaine, s’investit dans des courses automobiles, également dans les combats politiques à la gauche du Parti démocrate. Il a un peu de mal à se renouveler. C’est dans ce contexte qu’il va choisir de réendosser la panoplie du personnage d’Harper, détective privé, qui avait été un énorme succès commercial et critique en 1966 sous la direction de Jack Smight. Il revient donc à un sujet de Ross MacDonald qui, à cette époque, est au sommet de la reconnaissance. Il est considéré comme l’héritier direct de Raymond Chandler. Né Kenneth Millar, il a créé le personnage de Lew Archer – qui deviendra Lew Harper au cinéma – un détective californien, très souvent préoccupé par des problèmes de traumatismes dans l’enfance, des enfants disparus, des familles déchirées. The drowning pool a été publié en 1950. C’est la deuxième aventure de Lew Archer. Cet ouvrage a été traduit dans une version abrégée, comme cela se faisait à l’époque, aux Presses de la Cité dans la collection Un mystère en 1954. Galleimaster le republiera en 1999 dans une traduction enfin intégrale sous le titre de Noyade en eau douce. Ross McDonald qui avait d’abord publié des ouvrages policiers sous son véritable patronyme, choisit un pseudonyme un peu passe-partout parce qu’entre temps sa femme, Margaret Millar, était devenue un auteur de romans policiers à succès. Elle est d’ailleurs considérée à juste titre comme une des plus grandes romancières américaines dans le genre noir. Si Ross Mac Donald est aujourd’hui un peu oublié en France, il bénéficie toujours outre-Atlantique d’une solide réputation. Considéré comme un des plus grands maîtres du genre, il est étudie et célébré dans les universités.

      La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975

    Lew Harper est appelé en Floride par Iris Devereaux avec qui il a eu une aventure plusieurs années auparavant. Dès son arrivée, il rencontre l’hostilité de la police qui cherche à l’intimider et à savoir ce qu’il vient faire dans les Bayous. En vérité Iris pense qu’elle est victime d’un maître chanteur et que celui-ci est leur ancien chauffeur récemment congédié. Harper va le rechercher sans trop de succès, mais il va tomber sur des complications. Tout d’abord il se rend compte que la jeune fille qui l’a dragué à son arrivée n’est autre que la propre fille d’Iris, puis il va être victime d’une tentative de corruption de la part d’un très riche magnat du pétrole, Kilbourne, qui veut mettre la main sur les terres de la vieille Devereaux, une sorte de tyran domestique, très riche, qui mène tout le monde à la baguette. Quelque temps après la vieille Devereaux est assassinée. C’est évidemment Kilbourne qui est soupçonné. Alors que Harper recherche un carnet que Reavis aurait caché, il est enlevé par la femme de Kilbourne qui a avec elle des hommes de main. Elle aussi veut mettre la main sur le fameux carnet. C’est Harper qui va le trouver en cuisinant la maitresse de Reavis. Il comprend que ce carnet est très compormettant pour Kilbourne. Harper va cependant rettrouver la piste de Reavis en suivant sa sœur. Il fait semblant de l’arrêter pour le faire parler, mais ils sont interceptés sur la route par des hommes masqués qui abattent Reavis. Iris veut maintenant dissuadé Harper de continuer à enquêter. Mais celui-ci s’obstine, et il se fait enlever avec la femme de Kilbourne par celui-ci qui les enferment tous les deux dans une salle d’hydothérapie d’une asile psychiatrique désaffecté. Pour s’achapper Harper et Mavis vont remplir cette salle d’eau en espérant sortir par le toit. Mais ça ne marchera pas et ils ne devront la vie sauve qu’au retour de Kilbourne et de son garde du corps qui ouvrent la porte, laissant l’eau refluer. Kilbourne est tué. Tout semble presque revenir à la normale, mais en se rendant chez les Dévereaux, Harper apprend qu’Iris vient de se suicider. Le chef de la police Broussard est là. Harper comprend alors que celui-ci est le véritable père de Schuyler, la fille d’Iris, et il va en déduire que c’est elle qui est la meurtrière de la vieille Dévereaux et qu’elle faisait chanter sa propre mère. Désenchanté, il quittera la Floride après avoir donné de l’argent à Gretchen, la compagne malheureuse et prostituée de Reavis. 

    La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 

    Dès son arrivée, Harper se fait draguer par une fille sans doute mineure 

    L’histoire est assez embrouillée, et comme il se doit dans ce genre, elle mêle deux niveaux bien distincts, les turpitudes d’un homme très riche qui se croit au-dessus des lois, qui corrompt la police te fait assassiner des témoins gênants, et puis le destin d’une famille en voie de décomposition dont les enfants finissent par sombrer dans le crime. Par rapport à l’ouvrage de MacDonald, il y a quelques changements mineurs de noms, et surtout un dépaysement de la Californie vers la Floride ce qui ne semble guère avoir d’autre raison que de sortir du cadre un peu convenu de Los Angeles. Et bien sûr cela induira un traitement singulier des extérieurs. L’histoire datant du début des années cinquante, on est tout de même assez surpris par son côté très écologiste, d’ailleurs Ross MacDonald et sa femme Margaret Millar ont été parmi les premiers défenseur de l’environnement en le reliant directement au capitalisme prédateur. Le personnage de Kilbourne revendique d’ailleurs en un même mouvement sa cupidité et son patriotisme pour justifier de sa volonté de détruire l’environnement. Mais au-delà de cette critique directe du capitalisme, il y a aussi une attaque en règle de la famille américaine dont les enfants sont abandonnés à la turpitude de la consommation, y compris en ce qui concerne les relations sexuelles. Toute cette débauche d’énergie pour caractérisé une civilisation en perdition, laisse sans doute un peu de côté les caractère eux-mêmes, et Harper devient au fil de l’histoire de plus en plus transparent, réduit à sa seule obstination de découvrir la vérité. 

    La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975

    La police bouscule un peu Harper 

    La réalisation de ce projet purement destiné à être un véhicule pour la gloire de Paul Newman a été confiée à Stuart Rosenberg. Ils feront quatre films ensemble : Cool hand Luke, WUSA, Pocket Money et The drowning pool. Seul le premier sera un énorme succès. A des titres divers les trois autres seront des échecs commerciaux et critiques. Mais Stuart Rosenberg n’est pas du tout un mauvais réalisateur, bien au contraire, et il a réussi plusieurs films dans le genre noir, comme par exemple Murder Inc.[1] ou encore The laughing policeman[2], et Cool hand Luke était aussi très réussi[3]. Mais il faut dire qu’ici son savoir-faire est assez inopérant et sombre dans l’illustration sans imagination d’une histoire de détective. Certes il y a une très bonne utilisation des décors extérieurs qui donnent une atmosphère moite à l’ensemble, une belle saisie des contrastes entre les différentes températures à l’intérieur et à l’extérieur des habitations, mais cela reste très insuffisant. Rosenberg connait son métier, et sait saisir aussi les nuances de lumière propres au film noir. Également, on portera à son crédit la scène de la salle d’hydrothérapie qui est, je crois, assez unique en son genre. Mais ce qui manque essentiellement à l’ensemble, c’est une dynamique, un rythme qui fasse autre chose qu’enregistrer la passivité d’Harper face aux agressions multiples qu’ils rencontrent. Peu de scènes marquantes donc en dehors de la salle d’hydrothérapie, si ce n’est l’attaque d’Harper et de Reavis par des hommes qui portent des masques de carnaval. Même les rencontres entre Iris et Harper restent froides, pourtant on ne peut pas dire que les deux acteurs qui les interprètent ne se connaissent pas ! Le personnage le plus intéressant peut-être, en dehors de Harper, aurait dû être le chef de la police, Broussard, un homme tourmenté par une paternité à laquelle il a renoncé, mais il n’est guère développé. Tout cela fait que le film ressemble plus à une succession de scènes de genre qu’à une histoire fortement charpentée. 

    La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 

    Iris a invité Harper à venir chez elle 

    L’interprétation est dominée évidemment par Paul Newman, présent du début à la fin. Si sa présence est toujours très forte, il est pourtant un cran en dessous de son talent. Il se laisse aller un peu trop à présenter un détective cool autant que désenchanté. Joanne Woodward, son épouse dans la vie réelle, incarne d’une manière assez morne Iris. Elle est pourtant une très bonne actrice, mais elle n’a pas l’air de trop croire à son rôle. Et il est vrai qu’elle n’a pas l’occasion de développer l’ensemble des tourments qui la traverse. Mais cela vient surtout de la manière dont son rôle a été écrit. Elle est sensée retrouver un homme, Harper, qu’elle a beaucoup aimé, mais quand elle le rencontre à nouveau, il ne se passe rien du tout. Mélanie Griffith était alors toute jeune, elle avait à peine 18 ans. Pourtant elle est excellente dans le rôle de l’ambigüe Schuyler, mi-ange, mi-démon, jouant de l’attrait sexuel qu’elle peut exercer sur des hommes plus âgés qu’elle. Les rôles plus secondaires sont aussi très bien, comme Tony Franciosa dans celui du chef de la police Broussard, il est ici affublé d’une moustache un peu bizarre, mais cela renforce son côté un peu plouc. Il y a aussi Richard Jaeckel dans le rôle d’un policier corrompu et psychopathe. C’est un acteur toujours remarquable et trop négligé. Murray Hamilton incarne le fortuné Kilbourne, avec suffisamment de matoiserie pour rendre ce personnage brutal et cynique très présent et très juste. Gay Strickland  dont c’est ici une des rares apparition au cinéma, est plus anodine.

     La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 

    Des hommes masqués vont tuer Reavis 

    Malgré un budget confortable, et une histoire plutôt solide, Paul Newman ne renouvellera pas le succès de Harper. C’est même l’échec commercial de ce film qui le conduira à se retirer de First artists. Plusieurs décennies ont passé, mais le temps n’a pas arrangé l’opinion qu’on avait sur ce film. On a l’impression que l’équipe a choisi la facilité sur tous les plans. L’absence de surprise est au rendez-vous aussi bien en ce qui concerne l’intrigue qu’en ce qui concerne la mise en scène. Mais ne soyons pas si sévère, il serait erroné de dire cependant que ce film est ennuyeux, il fera passer un bon moment, et on sera toujours content de revoir Paul Newman. D’un point de vue historique, il se situe à la fin du mouvement revival en ce qui concerne le film de détective, avec des réalisations comme Night moves d’Arthur Penn qui date de 1975 et avec encore Mélanie Griffith, comme un chant du cygne d’un genre qui a beaucoup donné. 

    La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 

    Harper tente de défendre son prisonnier

    La toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 

    En voulant s’échapper de leur prison, Harper et Mavis risquent de périr noyés



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/crime-societe-anonyme-murder-inc-stuart-rosenberg-1960-a114844704 

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-flic-ricanant-the-laughing-policeman-stuart-rosenberg-1973-a126049536 

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/luke-la-main-froide-cool-hand-luke-stuart-rosenberg-1967-a130955764 

    « La mort n’était pas au rendez-vous, Conflict, Curtis Bernhardt, 1945L’étrangleur de Boston, The Boston strangler, Richard Fleischer, 1968 »
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