• Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

     Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Si dans les années trente George Raft était une vedette de premier plan, derrière James Cagney et Edward G. Robinson, ce ne fut pas le cas dans les années quarante. Il était réputé pour faire toujours les mauvais choix et pour refuser les rôles que d’autres, notamment Humphrey Bogart pour Hugh Sierra, Yhe maltese falcon et Casablanca, eurent l’intelligence d’accepter et d’en faire des succès. Casablanca, justement on va en parler. Le scénario de Frank Gruber, un vieux routier du roman noir, est basé sur un roman à succès, Mr. Angel Comes aboard de Charles B. Booth. Cet auteur est complétement inconnu chez nous, aucun de ses ouvrages n’a été traduit. L’élément de base fait allusion a un bateau qui transportait de l’or depuis la France pour le cacher à Casablanca. C’est dont en relation avec le déménagement de l’or de la Banque de France qui a eu lieu juste avant la guerre entre la France et l’Allemagne, de façon à éviter que les nazis y mettent la main dessus. Cet or a été réparti un peu partout dans le monde, au Liban, en Algérie, aux Etats-Unis et bien sûr au Maroc qui était encore à l’époque un territoire français. D’après ce que je sais de cette question, il semble qu’il n’y ait pas eu de pertes lors de ces transferts. Mais de cet épisode intéressant, il ne sera pas vraiment question dans le film. L’autre intérêt de ce film est d’être un film noir maritime. Il n’y en a pas tant que ça, les adaptations de Sea wolf d’après Jack London, les adaptations de To have and have not d’après Hemingway, puis quelques raretés comme Dangerous crossing de Joseph M. Newman. Evidemment avec Edwin L. Marin, un habitué des films noirs de série B, on ne peut pas s’attendre à une mise en scène de grande qualité. Il a tourné un nombre invraisemblable de films, dont de nombreux western, mais il fut surtout attaché à mettre en valeur George Raft dans la période de déclin de celui-ci. Malgré toutes ces appréhensions, le film possède cependant un intérêt certain. On peut supposer que les producteurs ont tenté de faire une sorte de synthèse entre To have and have not de Howard Hawks, Casablanca de Michael Curtiz et  Sea Wolf du même Michael Curtiz qui tous avaient été de bons succès commerciaux.  

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Johnny Angel, capitaine de navire, rentre à la Nouvelle Orléans, à travers le brouillard il va distinguer un bateau immobilisé. Il l’accoste et se rend compte qu’il n’y a plus personne. C’est le bateau que commandait son père qui a disparu également. Avec son équipage il va ramener le navire fantôme au port. Tandis que la police du port va enquêter sur cette affaire, Johnny travaille de son côté, il est persuadé que son père est mort, mais il veut savoir pourquoi et qui l’a tué. En enquêtant sur le port, il apprend qu’une fille a été vue, débarquant du bateau après qu’on l’ait ramené. Il la cherche et il va la retrouver dans un établissement qui appartient à un personnage louche, Sam Jewell. Johnny la coince et tente de lui poser des questions, mais elle lui échappe. Alors que son patron, Gusty ; lui demande de rembarquer, il refuse car il veut continuer à enquêter. La femme de Gusty, Lilah le drague ouvertement et semble savoir quelque chose. Grâce au chauffeur de taxi, Celestial, qui l’a mise en lieu sûr, Johnny va retrouver la fille disparue et l’apprivoiser. Elle va lui dire qu’elle s’appelle Paulette, qu’elle est française et va lui raconter ce qui s’est passé. Sur les traces de l’or que son père voulait faire transiter de Casablanca aux Etats-Unis, elle a embarqué clandestinement sur le bateau que commandait le père de Johnny. Mais avant d’arriver à la Nouvelle Orléans, le navire a été attaqué. Tous les naviguant ont été tués, y compris le père de Johnny, et puis les pillards ont récupéré l’or. Paulette s’est cachée pour ne pas être tuée. Johnny et Paulette tombent dans les bras l’un de l’autre. Mais Johnny continue son enquête. Lilah lui parle de l’or et lui propose qu’ils s’associent, ils partiraient ainsi au Brésil pour vivre leur vie et dépenser l’or volé. Johnny fait semblant de marcher et embrasse Lilah. Mais Gusty arrivant à ce moment-là, ils sont obligés de se séparer. Pendant ce temps Sewell a fait enlever Paulette, lui aussi tente de savoir ce qu’il est advenu de l’or, son frère était sur le cargo maudit. Johnny va délivrer Paulette, puis, avec Lilah il se dirige vers le lieu où l’or est caché. Il découvre que c’est Gusty qui est à l’origine de ce pillage. Mais c’est la mère de Gusty elle-même qui va tuer son fils. Paulette et Johnny pourront se laisser aller à leurs penchants amoureux. 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Johnny Angel aperçoit dans le brouillard un bateau immobile 

    L’histoire est donc des plus sommaires, le biais du scénario est qu’il est pensé d’abord dans le conflit mondial, mais qu’ensuite cette position a été abandonnée. La seule surprise est dans le fait que jusqu’au bout on ne sait qui est l’auteur de l’attaque du bateau. Mais c’est assez peu de chose. Le thème récurrent de ce film noir c’est la relation au père. Johnny comme Paulette portent sur leurs épaules la volonté écrasante de venger leur père. C’est à ce titre que leur relation se noue. Le mystère est censé se trouver dans le fait que les personnes les plus insoupçonnables sont les coupables évidemment. Le coupable est Gusty qui est déjà très riche, mais qui en veut encore un peu plus pour satisfaire l’insatisfaite Lilah qui se plait à le faire tourner en bourrique. Le personnage de Gusty est aux antipodes de celui de Johnny. Il est sous la double influence de sa mère et de sa femme. Il est clairement dévirilisé et c’est cet aspect qui le rend sournois. On peut se demander d’ailleurs si c’est par cette attitude de soumission envers sa mère que Gusty se met aussi à dos sa femme qui manifestement se complait à le faire cocu. Lilah est atteinte de bovarysme. Elle s’ennuie et cherche des sensations fortes, un homme, un vrai, pour remplacer son efféminé de mari. 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Johnny va chercher des informations 

    Cette situation amène forcément la formation de trios ou chacun lutte pour s’approprier ce qu’il pense être son dû. On aura un premier trio formé par Paulette-Lilah-Johnny. C’est dans cette configuration que Johnny apparait comme une proie. Mais les femmes ne sont pas les seules prédatrices, il y a un deuxième trio, Gusty-Lilah-Johnny. Le trophée de cette lutte devant être Lilah. Sauf évidemment que Johnny ne s’intéresse pas vraiment à Lilah. Apparaissent à côté de ces trios, des comparses, comme Celestial qui postule au rang d’ami dévoué alors qu’il ne connait pas vraiment Johnny, mais il s’impose malgré lui en rendant des services. Le personnage de la mère, Miss Brumm, est plus particulier. Elle est manifestement une mère abusive qui préférera tuer son fils plutôt que de le voir s’éloigner d’elle. Elle couve Gusty, le surveille de près, surveille aussi sa femme, elle considère que Lilah a pris sa place d’une manière indue. Entre temps les pères ont disparu. Celui de Paulette, celui de Johnny et aussi celui de Gusty. Cette absence du père pourrait d’ailleurs être la clé de toute cette histoire qui est tout de même assez invraisemblable. 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Paulette est effrayée quand elle le voit 

    C’est sans doute plus intéressant sur le plan esthétique. L’utilisation du port et des navires donne une atmosphère de mystère assez soutenue. C’est renforcé par l’excellente photo de Harry J Wild, un vétéran celui-là, qui a beaucoup fait pour le film noir. L’ensemble est nuiteux, mais les passages sur le port ou lorsque Johnny découvre un bateau sur son chemin, se passe dans le brouillard, avec des éclairages indirects qui renforcent cette atmosphère brumeuse. Paulette est également filmé de cette manière et un peu de loin lorsque Johnny la retrouve sur les indications de Celestial. C’est la meilleure partie de la mise en scène, et c’est ce qui en fait son intérêt. Pour le reste ça se traine un peu, sans beaucoup d’imagination notamment dans les scènes dialoguées. C’est un film à petit budget et ça se voit dans les décors au rabais qui sont utilisés pour figurer la ville. 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Johnny interroge Lilah qui en pince pour lui 

    L’interprétation c’est le raide George Raft dans le rôle de Johnny Angel. Il est très mauvais, comme s’il ne ressentait aucune émotion, il est vrai qu’il n’est que très rarement bon. Sa démarche qui est censée compenser sa petite taille, le fait apparaître comme trop guindé pour le rôle. Claire Trevor est très bien dans le rôle de Lilah, mais elle est toujours très bien avec ce mélange de naïveté et de canaillerie. C’est bien la meilleure de la distribution. Signe Hasso, une actrice suédoise qui ici joue le rôle d’une française, avait été présentée comme la nouvelle Greta Garbo ! Ex post, ça fait un peu rire, mais elle n’est pas trop mal. Et comme il faut in rigolo pour détendre l’atmosphère cafardeuse du film, on a engagé Hoagy Carmichael, le célèbre compositeur, chanteur et interprète de centaines de chansons jazzy à succès. Il est le décontracté Celestial, il pousse un peu la chansonnette, ce qui fait toujours gagner un peu de temps pour arriver au bout, et puis il a fait la musique. Margaret Wycherly joue le rôle de la mère abusive. En quelque sorte elle anticipe de ce qu’elle fera dans le rôle de Ma Jarrett des White heat de Raoul Walsh. Elle est très présente. 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Johnny retrouve Paulette sur les indications de Celestial 

    C’est certainement un film un peu bâclé, mais il vaut tout de même le détour pour l’atmosphère qu’il arrive à dégager. Bien qu’il ne circule que des copies de très mauvaise qualité de reproduction, on sent bien que dans la retranscription de cet univers marin et portuaire, il y a vraiment quelque chose de poétique. Il mériterait une belle réédition tout de même, malgré toutes les lacunes qu’on a dites. On a parlé de la photo, à juste titre, mais il faudrait aussi souligner le rôle d’Albert S. D’Agostino qui est crédité pour la direction artistique. Ceux qui connaissent bien le film noir savent à quel point il a donné un peu d’unité à l’esthétique du film noir. On n’en parle jamais, ou très peu parce que son rôle est assez peut défini, mais il est bien visible sur l’écran. 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Paulette raconte comment l’or a été chargé sur le Dolphin

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Lilah sait où se trouve l’or 

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Jewell a fait enlever Paulette  

    Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945

    Johnny pense que Lilah l’a piégé

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